EXAMEN EN COMMISSION
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M. François-Noël Buffet , président . - Nous en venons à l'examen de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, présentée par Mélanie Vogel et plusieurs de ses collègues. Mélanie Vogel n'étant pas membre de notre commission, elle nous présentera son texte, ainsi que les amendements qu'elle a déposés sur son article unique.
Mme Mélanie Vogel , auteure de la proposition de loi constitutionnelle . - Je ne suis que la première signataire de ce texte ; nombreux sont nos collègues, issus de sept groupes politiques, qui l'ont signé après moi.
L'objectif politique de cette proposition de loi constitutionnelle est simple : il s'agit de garantir que toute loi qui ferait régresser le droit à l'avortement en France serait anticonstitutionnelle. Nous n'entendons pas modifier l'état actuel du droit, mais nous assurer qu'à droit constant la protection du droit à l'avortement soit de niveau constitutionnel et non plus seulement législatif. Évidemment, cette protection ne serait pas absolue, comme la Constitution peut être modifiée, mais elle serait tout de même supérieure.
Pourquoi l'avons-nous déposée ? D'abord, nous nous trouvons aujourd'hui dans un contexte de régression de droits des femmes dans le monde, non seulement aux États-Unis, mais aussi en Hongrie et en Pologne, peut-être bientôt en Italie, voire en Suède. En France, un consensus très important existe en faveur du droit à l'avortement ; plus de 80 % de la population est favorable à son inscription dans la Constitution. Cette adhésion est très forte dans toutes les catégories sociales, quelle que soit l'appartenance religieuse ou l'opinion politique.
Selon nous, la Constitution, notre contrat social fondamental, doit refléter l'état d'attachement de la population à certains droits. Ainsi en fut-il de l'abolition de la peine de mort, inscrite dans la Constitution en 2007, vingt-six ans après la loi Badinter. On ne l'a pas fait parce qu'une menace imminente pesait, mais à l'occasion de la ratification du protocole de New York, pour affirmer qu'on ne pourrait pas revenir sur cette abolition.
Nous n'importons pas des débats étrangers ; au contraire, on a ici l'occasion d'exporter une avancée française, en ancrant ce droit dans notre Constitution. Pour beaucoup de mouvements qui, dans différents pays, défendent les droits des femmes, ce serait une source d'inspiration et d'avancées.
J'en viens à la méthode. Trois textes ont été déposés au Sénat, deux à l'Assemblée nationale. La présente proposition de loi constitutionnelle a pour vocation d'être partagée par le plus grand nombre de nos collègues, en combinant plusieurs versions proposées. Je ne tiens pas à la formulation exacte de son article unique ; j'ai d'ailleurs déposé deux amendements pour répondre à d'éventuelles critiques. Il importe surtout de montrer au Gouvernement la volonté du Parlement de rehausser le niveau de protection juridique de ce droit. Nous voulons que le Gouvernement se saisisse de cette question en déposant lui-même un projet de loi constitutionnelle. Je fais confiance aux services juridiques des ministères concernés pour trouver la formulation parfaite et le bon emplacement dans la Constitution. Le plus important est aujourd'hui d'envoyer un message, pour nous-mêmes, pour les Françaises et les Français qui plébiscitent cette avancée, mais aussi pour les mouvements qui se battent pour les droits des femmes partout dans le monde.
Mme Agnès Canayer , rapporteur . - Avant tout, je voudrais réaffirmer ici que nous sommes, toutes et tous, attachés aux lois portées par Simone Veil et Lucien Neuwirth, qui ont introduit dans notre droit positif le droit à l'avortement et à la contraception. Ces lois font aujourd'hui partie intégrante de notre patrimoine juridique fondamental et le Sénat s'est toujours montré fortement attaché à ces libertés de la femme.
Sur ces fondements juridiques, l'interruption volontaire de grossesse (IVG) et la contraception sont pleinement protégées.
L'IVG est inscrite dans le droit positif à l'article L. 2212-1 du code de la santé publique qui dispose : « La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin ou à une sage-femme l'interruption de sa grossesse. » Depuis la loi du 17 janvier 1975, portée avec courage par Simone Veil, la liberté d'interrompre sa grossesse n'a jamais cessé d'être confortée, avec encore récemment un allongement de douze à quatorze semaines du délai dans lequel elle peut être pratiquée. De plus, le Conseil constitutionnel l'a toujours jugée conforme à la Constitution, les quatre fois où il s'est prononcé sur le sujet en 1975, 2001, 2014 et 2016. La liberté d'interrompre sa grossesse est considérée par le Conseil constitutionnel, depuis sa décision du 27 juin 2001, comme une composante de la liberté de la femme découlant de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qu'il concilie avec le principe de « sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation ».
Preuve de la solidité de ce fondement, dans une décision de 2017 portant sur le délit d'entrave à l'IVG, le Conseil constitutionnel a jugé que l'objet des dispositions contestées était de « garantir la liberté de la femme qui découle de l'article 2 de la Déclaration de 1789 ». Telle était d'ailleurs la position exprimée par le Gouvernement lors de la dernière législature. Agnès Buzyn et Nicole Belloubet ont ainsi justifié devant le Parlement leur opposition à la constitutionnalisation alors proposée.
Il est en outre fortement probable que, si le Conseil constitutionnel était saisi d'une loi interdisant ou restreignant fortement l'IVG, il ne pourrait que la juger non conforme à la Constitution, dès lors qu'elle priverait de garanties légales cette « liberté de la femme ». En effet, si le Conseil constitutionnel affirme avec constance que le législateur dispose de larges marges de manoeuvre pour définir les conditions d'exercice d'un droit ou d'une liberté, il ne peut remettre en cause son effectivité.
Quant à la contraception, consacrée par la loi du 28 décembre 1967, elle est aujourd'hui régie par l'article L. 5134-1 du code de la santé publique, selon lequel : « Toute personne a le droit d'être informée sur l'ensemble des méthodes contraceptives et d'en choisir une librement. » Comme pour l'IVG, le droit à la contraception n'a cessé d'être étendu au fil des années, notamment pour les mineurs. Il s'agit plutôt d'un sujet médical, qui ne soulève aujourd'hui aucune difficulté juridique.
La constitutionnalisation proposée n'est donc pas, à mon avis, une voie pertinente.
Il n'y a pas lieu d'importer, en France, un débat lié à la nature fédérale des et à la répartition des compétences entre l'État fédéral et les États fédérés. La question tranchée par la Cour suprême dans son arrêt Dobbs v. Jackson du 24 juin 2022 concerne en effet moins l'avortement que le fédéralisme. La situation n'est pas la même en France : la République est une et indivisible, le législateur national dispose d'une plénitude de compétence.
Les auteurs de la proposition de loi justifient leur démarche par la volonté d'éviter qu'une majorité politique puisse un jour facilement revenir sur ces droits. Aucun parti politique n'a pourtant, à ma connaissance, remis en question le principe de l'IVG et encore moins celui de la contraception.
Par ailleurs, l'inscription de ces dispositions dans la Constitution n'en garantirait pas l'immuabilité, puisqu'elle a déjà été révisée de nombreuses fois.
En outre, la Constitution du 4 octobre 1958 n'a pas été conçue pour qu'y soient intégrées toutes les déclinaisons des droits et libertés énoncés de manière générale dans son Préambule. Nous risquerions d'ouvrir une boîte de Pandore conduisant à dénaturer l'esprit même de notre loi fondamentale.
À cet égard, j'entends rester fidèle aux conclusions rendues en décembre 2008 par le comité présidé par Simone Veil, qui n'avait pas recommandé de modifier le Préambule ni d'intégrer à la Constitution des droits et libertés liés à la bioéthique, parmi lesquels l'IVG, et qui refusait aussi clairement d'y « inscrire des dispositions de portée purement symbolique ».
La constitutionnalisation ne permettrait pas, non plus, de résoudre la question essentielle de l'effectivité de l'accès à l'IVG.
Nous avons pleinement conscience de ces difficultés, documentées par la commission des affaires sociales et la délégation aux droits des femmes du Sénat, mais elles relèvent avant tout de l'organisation du système de soins et de mesures concrètes de la compétence du pouvoir réglementaire. À l'évidence, ces enjeux dépassent largement la portée de la proposition de révision constitutionnelle soumise à notre commission.
Au demeurant, la formulation proposée soulèverait des difficultés importantes, de même que son emplacement au sein du texte constitutionnel.
L'intégration de tels droits au sein du titre consacré à l'autorité judiciaire, juste après l'abolition de la peine de mort, a de quoi surprendre et pourrait faire naître des interrogations quant à une possible interférence du juge dans le droit des femmes à avorter, ce qui n'a pas lieu d'être.
De surcroît, la rédaction selon laquelle « nul ne peut porter atteinte » à ces droits et prévoyant que la loi « garantit » à toute personne un « accès libre et effectif » à l'IVG et à la contraception laisse entendre que cet accès serait inconditionnel. Or le législateur doit pouvoir en fixer les conditions, comme pour toutes les libertés publiques.
Enfin, toutes les personnalités auditionnées nous ont mis en garde sur la procédure retenue, car il existe un risque que cette initiative se retourne contre le droit qu'elle est censée protéger. En effet, pour aboutir, conformément à l'article 89 de la Constitution, une révision constitutionnelle issue d'une initiative parlementaire doit être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées, puis être soumise au référendum par le Président de la République. Ce faisant, on mettrait au coeur de l'actualité un sujet sur lequel il n'y a aujourd'hui pas de risque de remise en cause, au risque de fracturer notre société.
Pour toutes ces raisons, je vous propose de ne pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle.
M. Jean-Yves Leconte . - Modulo l'observation finale de notre rapporteure, il me semble que le débat sur la constitutionnalisation de ce droit est tout à fait pertinent aujourd'hui. Il arrive au Conseil constitutionnel de rendre des décisions de rupture. François Pillet, lors de sa nomination au Conseil constitutionnel, nous avait dit son admiration pour la décision extrêmement inattendue reconnaissant le principe de fraternité. C'était une surprise dans le bon sens ; il pourrait y en avoir dans le mauvais sens.
Aux États-Unis comme en Pologne, on voit des cours constitutionnelles changer de position. À ce propos, on ne peut certainement pas affirmer que la décision Dobbs porte sur le fédéralisme : elle découle d'une campagne politique menée depuis plus de vingt ans par les évangélistes pour la nomination à la Cour suprême de juges opposés à l'avortement ! En Pologne, le tribunal constitutionnel a réduit de manière drastique l'accès à l'avortement, rompant l'équilibre imparfait issu des débats constitutionnels des années 1990. Nous avons découvert la force des évangélistes en France au début de la crise de la covid-19 et nul ne peut prédire ce qui arrivera en 2027. En Italie, il y a cinq ans, Giorgia Meloni ne recueillait que 5 % des suffrages... Il n'est pas du tout impossible que l'improbable survienne !
Dès lors, par précaution et pour préserver notre contrat social, il me semble que la garantie proposée a toute sa place dans le débat. Il ne s'agit pas de faire de même pour tous les droits, ce qui affaiblirait le texte constitutionnel, mais le contexte mondial et l'instabilité politique justifient d'inscrire celui-ci dans la Constitution.
Mme Esther Benbassa . - Je suis entièrement d'accord avec M. Leconte sur l'interprétation de la décision de la Cour suprême américaine : l'abrogation du droit fédéral à l'IVG n'est pas seulement liée au fédéralisme ! On peut avoir un Trump demain à l'Élysée... La loi n'est pas rétroactive, mais cela est déjà arrivé dans l'histoire ; je pense à l'abrogation en 1940 de la loi du 10 août 1927 sur la nationalité. On ne peut pas entièrement faire confiance à la loi Veil pour protéger ce droit, d'où la nécessité de l'inscrire à l'article 1 er de la Constitution. La protection offerte par la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'est pas suffisante pour garantir l'accès à l'IVG.
Concernant les risques liés à la procédure, l'exécutif peut faire sienne cette proposition pour éviter le référendum ; Emmanuel Macron avait d'ailleurs évoqué l'inscription du droit à l'IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
M. Éric Kerrouche . - Considérer la décision de la Cour suprême des États-Unis comme une simple question de droit est une plaisanterie ! Cette décision a été prise par des juges ultraconservateurs ; tout le monde reconnaît la pauvreté des arguments juridiques avancés. Il ne s'agit pas de droit, mais d'idéologie ! Une cour constitutionnelle peut, à un moment donné, être pétrie d'idéologie. Il est donc dangereux de compter sur la pérennité du bon vouloir de cours constituées d'individus dont les valeurs peuvent varier : nous ne sommes pas immunisés par l'existence de notre Conseil constitutionnel, car le juge lui-même peut être le vecteur d'une restriction des libertés.
Par ailleurs, cette proposition dépasse largement le domaine médical et personnel et concerne plus largement le droit des femmes, qui est remis en cause dans de nombreux pays, y compris des démocraties. Dans un contexte de grande volatilité politique, l'inscription de ce droit dans la Constitution peut sembler déterminante. J'entends le raisonnement essentiellement juridique de la rapporteure, mais une Constitution ne se réduit plus, depuis longtemps, à organiser le fonctionnement des institutions et à poser des règles de droit : c'est aussi un pacte social, avec un aspect symbolique fort. Le Conseil constitutionnel se réfère d'ailleurs dans ses décisions à un bloc de constitutionnalité plus large que le simple texte de la Constitution. Inscrire un tel symbole dans celle-ci me semble donc particulièrement important à notre époque et il serait étonnant de ne pas le faire au nom du droit. J'entends cependant les remarques de notre rapporteure sur les risques de la procédure employée.
M. Hussein Bourgi . - Je remercie notre rapporteure pour son travail ; je souscris à plusieurs de ses observations, mais je m'inscris en faux quant à son interprétation de l'actualité internationale, en particulier américaine. En outre, les initiatives parlementaires de constitutionnalisation de ce droit se multiplient depuis une dizaine d'années, bien avant les derniers événements outre-Atlantique, et s'inscrivent dans un mouvement de libération des femmes entamé à la fin de la Seconde Guerre mondiale. À chaque étape, le législateur a été sollicité ; il a souvent fallu des années, voire des décennies pour aboutir à de nouvelles garanties légales pour les femmes. Il convient de décorréler notre travail de l'actualité internationale, car il ne faut toucher à la Constitution qu'avec prudence et non sous le coup de l'émotion.
Il nous semble important, à cet instant de l'histoire, de donner une reconnaissance solennelle à ce droit à l'IVG. Permettre aux femmes de disposer de leurs corps, de protéger leurs droits sexuels et reproductifs est une demande légitime à laquelle le Parlement ne peut pas rester insensible. C'est pourquoi je soutiens ce texte.
Je rejoins en revanche notre rapporteure quant aux risques d'un éventuel référendum. L'actualité sociale et économique risque de faire paraître anachronique une telle consultation. C'est pourquoi je veux faire écho au discours de politique générale de la Première ministre, qui a annoncé le soutien du Gouvernement à toutes les initiatives prises par les groupes parlementaires, propos renouvelé par le garde des Sceaux.
Je considère donc cette proposition de loi comme un texte d'appel au Gouvernement, qui l'invite à prendre ses responsabilités. Si le Parlement forme un consensus autour de cette question, le Gouvernement se résoudra sans doute à nous saisir d'un projet de loi constitutionnelle. Alors, soyons à la hauteur de ce rendez-vous et inspirons-nous des parlementaires qui ont oeuvré avant nous pour les droits des femmes, comme Henri Caillavet.
M. Dominique Théophile . - Je m'exprime en mon nom propre, tous les membres de mon groupe n'étant pas signataires de ce texte. Le droit à l'IVG n'est pas menacé en France actuellement, mais nul ne peut prédire l'avenir et l'on constate un recul de l'accès à un avortement sûr et légal dans plusieurs pays, même en Europe. Ce droit fait pleinement partie de notre contrat social, mais il n'a pas encore été inscrit dans notre droit constitutionnel. Sa constitutionnalisation ne serait pas exclusive de son inscription dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, réclamée par le Président de la République et le Parlement européen. En inscrivant ce droit dans sa Constitution, notre pays serait pionnier.
La difficulté de l'exercice est de trouver une formulation rendant le plus difficile possible l'adoption d'une loi restreignant ce droit. La nouvelle rédaction proposée par Mélanie Vogel dans ses amendements me semble aller dans ce sens. À titre personnel, je soutiendrai ce texte.
M. Loïc Hervé . - Au nom du groupe de l'Union Centriste, je remercie notre rapporteure pour son travail et la manière dont elle a abordé ce sujet toujours difficile, qui renvoie à des convictions intimes et à l'histoire de chaque personne. Les membres de notre groupe auront pleine liberté de vote, comme toujours sur ce type de texte ; j'exprime sa position majoritaire.
C'est évidemment au lendemain de la décision de la Cour suprême américaine que ce sujet est revenu dans le débat politique français et que plusieurs textes, dont celui-ci, ont été déposés. On peut toujours le décorréler après coup, monsieur Bourgi, mais le lien est bien là. Prenons garde à ne pas légiférer sur la seule base d'événements internationaux ! On pourrait de la sorte adopter bien d'autres textes, y compris en matière de droits des femmes, par exemple pour les protéger en cas d'arrivée au pouvoir des talibans dans notre pays ! Le sérieux de nos débats dépend d'une telle prudence : évoquer la nomination éventuelle au Conseil constitutionnel, après 2027, de personnes qui ne partageraient pas une position très majoritaire dans notre pays, c'est de la politique-fiction ! Il faut aussi relativiser la notion de « marbre constitutionnel ». Le revirement de jurisprudence de la Cour suprême américaine a rendu aux États fédérés la responsabilité de cette question.
La procédure choisie, une proposition de loi constitutionnelle, nous conduira peut-être, si la navette aboutit, à un référendum ; très probablement, il ne se passera rien ! Le débat n'est pas inutile, mais le temps parlementaire que nous allons y consacrer ne mènera sans doute même pas à une consultation.
Les travaux de la délégation aux droits des femmes du Sénat me paraissent beaucoup plus concrets, par exemple sur la question des inégalités dans l'accès effectif des Françaises à l'IVG, notamment dans le monde rural. Là est le vrai sujet ! Écartons-nous donc un peu de l'actualité internationale pour confronter ces problèmes à l'échelle française.
La majorité des membres du groupe de l'Union Centriste soutiendra la position de la rapporteure.
M. Guy Benarroche . - Notre pays, notre Constitution, notre droit doivent reprendre leur rôle d'éclaireur, d'avant-garde. On nous regarde dans d'autres pays ! Si nous décidons de constitutionnaliser ce droit, nous montrerons que la France est attachée à ce symbole, à ces valeurs. Nous ne devons pas laisser passer cette occasion.
Ne nous leurrons pas : une offensive est lancée, mondialement, contre le droit des femmes à disposer de leur corps, voire contre l'égalité entre les femmes et les hommes ! Or ces droits aujourd'hui remis en cause dans nombre de pays, sont au coeur de nos démocraties.
Il est donc important que nous votions ce texte, afin de convaincre le Gouvernement de déposer un projet de loi constitutionnelle garantissant pour le droit à l'IVG une protection, sinon absolue, du moins supérieure à celle qui existe aujourd'hui. Nous voulons nous engager dans un processus de co-écriture, sans nous montrer attachés à telle ou telle formulation, à tel ou tel emplacement dans le texte constitutionnel.
Enfin, monsieur Hervé, s'engager dans cette voie, cela ne veut pas dire qu'on ne s'intéresse pas aux conditions d'accès à l'IVG ! Il faudra aussi agir en la matière.
Mme Marie Mercier . - Je félicite notre rapporteure pour son rapport et la qualité des auditions qu'elle a menées. Il ne faut pas se tromper de débat : aucun parti ne réclame maintenant l'interdiction de l'IVG ! Ce texte mentionne l'IVG et la contraception, mais personne n'a évoqué la contraception masculine au cours de nos auditions. Il faut aller toujours plus loin. Le film Simone , sur Simone Veil, qui a été projeté au Sénat hier soir, présente son parcours exemplaire. On l'y voit, ministre de la santé, refuser de « faire semblant » en adoptant des postures purement symboliques. Ici aussi, les femmes méritent mieux qu'un « faire semblant », qu'une inscription dans la Constitution « au cas où ». Ce qu'il faut plutôt, c'est une obligation de moyens pour le planning familial ou la médecine scolaire, c'est une lutte contre les déserts médicaux, c'est une éducation sexuelle digne de ce nom !
Mme Éliane Assassi . - Merci à Mélanie Vogel d'avoir déposé cette proposition de loi constitutionnelle et à la rapporteure pour ses travaux et la qualité des auditions qu'elle a menées. Nous sommes évidemment favorables à ce texte ; nous avions déposé une proposition de loi similaire.
Bien sûr, la situation internationale et les attaques contre les droits des femmes, notamment le droit à l'avortement, nous inquiètent. En France, au cours des quarante dernières années, ce droit a connu plusieurs améliorations, mais de nombreuses femmes n'ont toujours pas la possibilité d'y avoir recours ; l'accès à l'avortement souffre de réelles entraves, de la fermeture de centres pratiquant l'IVG jusqu'aux restructurations hospitalières et à la pénurie de praticiens en ville. L'avortement est un droit fragile, sans cesse menacé ! Il doit être conforté, car il en va de la liberté des femmes à disposer de leur corps.
Quant aux amendements déposés par Mélanie Vogel, ils me posent problème, car il nous semble que ce droit devrait figurer à l'article 34 de la Constitution, parmi les autres droits fondamentaux, plutôt qu'à son article 1 er , qui ne doit pas selon nous être modifié. Nous voterons le texte tel qu'il nous est présenté, quitte à modifier ultérieurement l'emplacement de cette disposition.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Je remercie Mélanie Vogel d'avoir pris l'initiative de cette discussion. Elle m'évoque les débats juridiques sur le préjudice éventuel. Celui-ci ne se répare pas en droit, surtout si les conséquences d'une telle réparation sont contre-productives ; cela pourrait être le cas ici, comme la rapporteure l'a pointé. Le droit à l'avortement et à la contraception n'est pas contesté aujourd'hui dans notre pays. Cela dit, j'ai trop de respect pour ce droit pour voter contre cette proposition de loi ; par conséquent, je m'abstiendrai.
Mme Françoise Gatel . - Merci à la rapporteure pour son regard juridique sur ce sujet. Je comprends les craintes exprimées par les auteurs de ce texte, mais l'IVG est dans notre pays un droit que personne ne saurait contester ; les difficultés d'accès à l'IVG reproduisent généralement les difficultés d'accès aux soins. J'ai été très sensible aux propos de la rapporteure sur l'approche de Simone Veil. Ce qu'elle proposait était d'une audace absolue. En dépit des difficultés qu'elle a rencontrées, elle n'a pas jugé nécessaire d'inscrire ce droit dans la Constitution, ne considérant pas que cela le protégerait de manière plus pérenne.
J'entends l'appel au principe de précaution, qui est lui-même inscrit dans notre Constitution... Pour autant, il ne faudrait pas commencer, en France, pays souverain, celui des droits de l'homme et de la raison, à faire du droit en fonction de l'évolution du contexte international, en se confrontant à des législations contradictoires. Dans cette perspective, on pourrait tout autant adapter notre droit en fonction de la législation américaine, iranienne, ou que sais-je encore...
Il faut nommer les choses : laisser penser à nos concitoyens que la Constitution va tant sacraliser le droit à l'IVG qu'il n'y aura plus de difficultés, c'est un leurre ! Il ne faut jouer, pour un simple symbole, ni avec la Constitution ni avec la douleur des gens.
Mme Maryse Carrère . - Je remercie l'auteure de cette proposition de loi constitutionnelle et la rapporteure pour son travail et ses auditions. Nombre de sénateurs de notre groupe ont co-signé ce texte ; ceux qui ne l'ont pas fait avaient plutôt des réticences quant à la forme, notre groupe étant toujours réticent à inscrire de nouvelles dispositions dans la Constitution, par peur de la complexifier et de la changer en catalogue. Ceux qui l'ont signé ont jugé qu'une exception se justifiait en faveur de ce droit fondamental et au vu du contexte international et européen ; il convient aussi de garantir un accès plus effectif à ce droit, aujourd'hui compromis par manque de moyens, notamment dans les départements ruraux. Nous voterons dans notre majorité en faveur de ce texte.
M. Jérôme Durain . - Ce texte affirme des valeurs, des priorités politiques et des principes. Cela justifie une modification de la Constitution. Ne parler que du contexte international, c'est oublier la contestation de ce droit dans notre pays même. En débattre, même si la navette ne doit pas aboutir, c'est peser dans le débat public, s'engager à offrir les moyens nécessaires à l'exercice réel de ce droit. Ce débat n'est ni vain ni subalterne !
Mme Françoise Dumont . - Il y a des combats féministes à mener, mais ils sont sans doute ailleurs. Préserver le droit à l'IVG pour toutes les femmes, c'est aussi donner à chacune, quel que soit le territoire de France où elles vivent, l'accès aux soins gynécologiques dont elles ont besoin. Évitons d'avoir à mettre en place dans les campagnes des « gynécobus » ! Parfois, il faut y attendre six à huit mois pour un rendez-vous. Le Gouvernement généralise la délivrance sans ordonnance de la pilule du lendemain, ce qui prive dangereusement de nombreuses femmes d'un suivi médical correct. Ma génération a toujours connu l'IVG, je ne vois pas cet acquis être remis en cause dans notre pays ; menons les combats qui importent !
Mme Agnès Canayer , rapporteur . - Je me félicite de la qualité de nos échanges et de l'engagement des uns et des autres sur ce sujet fondamental. Nous sommes tous d'accord sur un point : la nécessité de rendre plus effectif l'accès à l'IVG et à la contraception, sur tout le territoire. C'est avant tout une question de moyens, de lutte contre la désertification médicale. Les réponses divergent en fonction de nos sensibilités.
Concernant l'importation du débat américain, celui-ci n'est pas nouveau. L'évolution de la jurisprudence américaine était latente. La Constitution américaine répartit les compétences entre les États fédérés et l'État fédéral, qui n'a pas de compétence spécifique en matière de droit à l'avortement ; celui-ci avait été déduit par la Cour suprême en 1973, dans l'arrêt Roe v. Wade , par une construction jurisprudentielle qui a été peu à peu remise en question au fil du changement de la composition de la Cour, plus favorable aujourd'hui à une lecture originaliste de la Constitution américaine. Elle a fini cette année par renvoyer aux États fédérés la responsabilité de légiférer en la matière ; quatorze d'entre eux restreignent désormais ce droit. Cela dit, le Conseil constitutionnel français n'est pas la Cour suprême américaine ! Ses membres sont moins politiques, plus indépendants. L'émotion suscitée aux États-Unis est compréhensible, mais tous les débats ne peuvent pas être transposés tels quels.
En France, on peut dire que l'on constitutionnalise une disposition pour quatre raisons : pour introduire un droit nouveau ; pour déroger à un principe imposé par la Constitution, comme on l'a fait pour la parité ; pour ratifier un engagement international, comme on l'a fait pour l'abolition de la peine de mort ; enfin - ce que le doyen Vedel appelait un « lit de justice » -, pour revenir sur une interprétation du Conseil constitutionnel que le Constituant jugerait excessive, comme on l'a fait en 1993 au sujet du droit d'asile. Il n'y a jamais eu de constitutionnalisation pour le symbole !
J'entends suggérer par certains que la France pourrait se montrer pionnière en la matière par rapport au reste du monde : cela souligne qu'aucune Constitution dans le monde ne garantit formellement le droit à l'IVG. Aujourd'hui, le droit à l'IVG bénéficie déjà d'une protection par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Or la force de notre protection des droits et libertés repose sur la Constitution et le bloc de constitutionnalité. Il n'y a pas de hiérarchie entre ces éléments. La protection qui découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen me semble donc solide.
La constitutionnalisation proposée peut aussi fragiliser l'équilibre constitutionnel. On risque de changer la Constitution en une sorte de catalogue, par l'ajout successif de nombreux droits, ce qui en changerait l'esprit. Il faut faire très attention !
Enfin, je vous rappelle les dangers inhérents à la procédure prévue à l'article 89 de la Constitution pour les révisions constitutionnelles d'initiative parlementaire. Ne partons pas du postulat que ce processus n'aboutira pas ; le recours au référendum est possible.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Mme Mélanie Vogel . - J'ai déposé les amendements COM-1 et COM-2 en réponse à deux remarques qui m'ont été faites sur l'emplacement de la disposition proposée dans la Constitution et sur sa rédaction. J'admets que tous deux peuvent être améliorés !
La création d'un article 66-2 m'avait paru la plus susceptible de recueillir l'assentiment de la majorité de l'Assemblée nationale, qui avait choisi la même voie. Pour autant, on peut aussi faire figurer ce droit à l'article 1 er , comme proposé dans l'amendement COM-1, ou dans un nouvel article 1-1, comme proposé dans l'amendement de repli COM-2. Si une majorité se trouve pour le figurer à l'article 34, comme le proposait Éliane Assassi bien avant l'arrêt de la Cour suprême américaine, je m'en accommoderai tout autant !
Ces amendements visent aussi et surtout à préciser la rédaction de cet article. Je ne pense pas que la rédaction originelle crée un droit inconditionnel que la loi ne pourrait encadrer. Néanmoins, pour répondre à cette inquiétude, j'ai tenté la rédaction suivante : « La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l'accès libre et effectif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. Aucune loi ne peut avoir pour effet de faire régresser ces droits ou d'en réduire l'accès. » L'accès à ce droit est en effet un élément crucial.
Il est important t d'inscrire dans la Constitution ce principe de non-régression. Ce ne serait pas rien que de vivre dans un pays où une loi qui viendrait diminuer les délais d'accès, dérembourser, rajouter des conditions, ou baisser les subventions au planning familial serait déclarée inconstitutionnelle ! Jusqu'à présent, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions créant et renforçant le droit à l'avortement n'étaient pas contraires à la Constitution, mais rien ne permet de dire qu'une loi allant dans le sens inverse serait déclarée non conforme à la Constitution. Certes, ce droit n'est pas menacé aujourd'hui, mais quand il le sera, il sera trop tard pour le protéger de la sorte.
M. Jean-Pierre Sueur . - Pour ma part, quoique très favorable à ce texte, je ne pourrai pas voter l'amendement COM-1, car je ne pense pas qu'il soit justifié d'inscrire cette disposition à l'article 1 er de la Constitution. Comme Éliane Assassi, je pense qu'il serait beaucoup plus logique de la faire figurer à l'article 34.
M. Loïc Hervé . - Le contrôle de constitutionnalité se fait par les voies prévues, parmi lesquelles on trouve depuis 2008 la question prioritaire de constitutionnalité. L'inscription d'un tel dispositif dans la Constitution n'ouvrirait-elle pas la possibilité pour le juge constitutionnel d'apprécier le cadre législatif antérieur à l'adoption de cette révision, de se pencher sur les restrictions actuellement posées par la loi et éventuellement de les juger inconstitutionnelles ?
Mme Agnès Canayer , rapporteur . - Où faire figurer cette disposition dans la Constitution ? Il n'y a aucune bonne solution, il n'y en a que de moins mauvaises. Le ministère de la justice, lors de son audition, s'est montré incapable de nous orienter vers une piste ou l'autre. S'agissant de l'article 1 er , véritable âme de la Constitution, on ne voit pas bien ce que l'IVG et la contraception viendraient y faire ; l'article 66-2 s'intégrerait au sein des dispositions relatives à l'autorité judiciaire ; quant aux autres titres, ils portent avant tout sur l'organisation des institutions.
Quant à la formulation, celle que vous proposez dans ces amendements est certes plus positive, mais la deuxième phrase pose plus de problèmes en matière de limitation du pouvoir législatif à qui il revient de fixer les conditions de l'IVG.
Je suis donc défavorable à ces amendements.
M. Alain Richard . - Ce moment de la discussion m'évoque des souvenirs constitutionnels lointains. La Troisième République a été instaurée par des lois ordinaires ! Après 1879, il a été prévu qu'aucune révision constitutionnelle ne pourrait remettre en cause la forme républicaine du Gouvernement.
Le débat que nous avons aussi bien sur la formulation du texte que sur son insertion dans la Constitution démontre à l'évidence que ce qui nous est proposé ici, c'est d'inscrire une loi ordinaire dans la Constitution. Il me semble que ce serait une erreur, car les arguments mettant en évidence la solidité de ce droit sont décisifs, et nous produirions un précédent qui viendrait justifier de multiples initiatives comparables pour transformer la Constitution en un recueil législatif.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté, non plus que l'amendement COM-2.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle n'est pas adopté.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi constitutionnelle déposée sur le Bureau du Sénat.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article unique |
|||
Mme Mélanie VOGEL |
1 |
Constitutionnalisation de l'IVG et de la contraception à l'article 1 er |
Rejeté |
Mme Mélanie VOGEL |
2 |
Constitutionnalisation de l'IVG et de la contraception au sein d'un nouvel article 1-1 |
Rejeté |