CHAPITRE IV : FAIRE FACE AUX CRISES HYBRIDES ET INTERMINISTÉRIELLES
Article 15
Renforcement des prérogatives des préfets de
département
à l'égard des établissements publics
de l'État et services déconcentrés
en cas
d'évènements d'une particulière gravité
L'article 15 vise à permettre un renforcement des prérogatives des préfets de département en cas d'évènements d'une particulière gravité en leur donnant autorité sur les services et établissements publics de l'État ayant un champ territorial, qui sont alors placés pour emploi sous son autorité.
L'article 15 prévoyait initialement d'exclure de ces pouvoirs renforcés les agences régionales de santé lorsque la situation justifie la mise en oeuvre de mesures de lutte contre les menaces sanitaires graves par le ministère de la santé. La commission a supprimé cette exception, considérant qu'en temps de crise, une unité de commandement était nécessaire afin de redonner une clarté tant en interne à l'État qu'en externe, à l'égard des autres acteurs de gestion de la crise comme les élus locaux.
1. Les préfets de départements :
1.1. Un rôle prépondérant des préfets affirmé par les textes
Le préfet dispose d'un rôle prépondérant dans la gestion des crises, dès lors que celles-ci atteignent une certaine ampleur.
Ainsi, si le préfet « prend les décisions dans les matières relevant des attributions des services déconcentrés des administrations civiles de l'État dans la région ou dans le département » 36 ( * ) , un certain nombre de dispositions lui accordent des prérogatives accrues en cas de crise, où il peut être amené à suppléer d'autres autorités. Le préfet peut notamment prendre :
- toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques pour toutes les communes du département ou plusieurs d'entre elles, et dans tous les cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités municipales (articles L. 2215-1 et suivants du code général des collectivités territoriales) ;
- la direction des opérations de secours, ce qui recouvre un ensemble d'actions « caractérisées par l'urgence qui visent à soustraire les personnes, les animaux, les biens et l'environnement aux effets dommageables d'accidents, de sinistres, de catastrophes, de détresses ou de menaces » (article L. 742-1 du code de la sécurité intérieure) ;
- les décisions relevant de l'agence régionale de santé (ARS) lorsqu'un événement porteur d'un risque sanitaire peut constituer un trouble à l'ordre public, les services de l'agence régionale de santé étant alors placés pour emploi sous son autorité (articles L. 1435-1 et L. 1435-2 du code de la santé publique).
1.2. La nécessité, révélée par la crise sanitaire, d'une meilleure coordination des services de l'État
La crise sanitaire liée à la covid-19 a soulevé un certain nombre d'interrogations quant à l'articulation entre les différents services de l'État agissant au niveau territorial. Comme l'a souligné la commission d'enquête du Sénat pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion, « malgré la clarté des outils juridiques l'encadrant, la relation entre préfets et services des agences régionales de santé a manqué de fluidité » 37 ( * ) .
Le code de la santé publique circonscrit ainsi le rôle des ARS en matière de gestion des crises sanitaires en le cantonnant à celui d'une simple « contribution » s'effectuant « dans le respect des attributions » du préfet, dont le rôle prééminent est établi 38 ( * ) . Ce dernier dispose ainsi de la possibilité de placer les services des ARS sous son autorité 39 ( * ) .
Lors de la crise sanitaire liée à la covid-19, et plus singulièrement lors de sa première phase, la relation entre préfets et ARS a montré quelques signes de faiblesse, l'action des services déconcentrés n'ayant pas toujours paru suffisamment ordonnée. De fait, le cadre juridique très clair encadrant les relations entre préfets et ARS en cas de crise n'a pas été mis en oeuvre, chacune de ces deux institutions conservant la maîtrise de ses prérogatives habituelles.
1.3. L'article L. 115-1 du code de la sécurité intérieure : un premier accroissement des prérogatives du préfet
Face au bilan de la crise sanitaire liée à la covid-19 et aux craintes de crises futures, la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels a introduit , par son article 12, un nouvel article L. 115-1 dans le code de la sécurité intérieure afin de à clarifier la gestion territoriale des crises en donnant de nouvelles prérogatives au représentant de l'État territorialement compétent.
Cet article créé ainsi un nouveau cadre spécifique dans lequel, « en cas de situation de crise susceptible de dépasser la réponse courante des acteurs assurant ou concourant à la protection générale des populations ou à la satisfaction de ses besoins prioritaires » 40 ( * ) , le représentant de l'État dans le département assure la direction des opérations. Pour ce faire, ce dernier met en place une organisation de gestion de crise et dispose des moyens du plan Orsec départemental. Il peut ainsi recenser et mobiliser les acteurs publics et privés et leurs capacités, réquisitionner au besoin les personnes physiques et morales et leurs capacités, et fixer et coordonner les objectifs à atteindre.
Le plan Orsec départemental
Défini par l'article L. 741-2 du code de la sécurité intérieure, le plan Orsec départemental « détermine, compte tenu des risques existant dans le département, l'organisation générale des secours et recense l'ensemble des moyens publics et privés susceptibles d'être mis en oeuvre. Il définit les conditions de leur emploi par l'autorité compétente pour diriger les secours . » Il comprend « des dispositions générales applicables en toute circonstance et des dispositions propres à certains risques particuliers. Dans ce dernier cas, il précise le commandement des opérations de secours. »
2. L'article 15 du projet de loi : accroître les prérogatives des préfets de départements en cas d'évènement d'une particulière gravité
L'article 15 du projet de loi s'inscrit dans la continuité de l'article L. 115-1 du code de la sécurité intérieure, intégré dans le corpus législatif l'année dernière. Il vise à compléter cet article en le réécrivant et en le déplaçant dans la partie du code de la sécurité intérieure relative à la direction des opérations de secours. L'objectif est de permettre au préfet de faire face aux crises hybrides qui renforcent le besoin de coordination et nécessitent une réponse unifiée en lui donnant des prérogatives accrues en matière d'organisation administrative en cas d'évènements de nature à entrainer un danger grave et imminent pour la sécurité, l'ordre ou la santé publics, la préservation de l'environnement, l'approvisionnement des biens de première nécessité ou la satisfaction des besoins prioritaires de la population. Le préfet disposerait alors d'un rôle de directeur des opérations de secours en tant qu'autorité fonctionnelle sur les administrations civiles de l'État et ses établissements publics.
Comme le rappelait toutefois le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour le ministère de l'intérieur déposé par le Gouvernement sur le bureau de l'Assemblée nationale le 16 mars 2022, « le projet de loi ne vise pas à définir un cadre général et exhaustif de la gestion territoriale des crises [qui] demeure régi par un ensemble de dispositions éparses, certaines applicables à la généralité des crises [...], d'autres applicables à des crises spécifiques », mais « a un objet limité et circonscrit : clarifier et renforcer, dans certaines crises, les prérogatives du préfet à l'égard d'une part, des établissements publics de l'État, et d'autre part des services déconcentrés de l'État ne relevant pas de son autorité , notamment s'agissant de ces derniers, de ceux en charge des missions énoncées au I de l'article 33 du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'État dans les régions et départements (services en charge du contenu et de l'organisation de l'action éducatrice, de la législation du travail, du paiement des dépenses publiques, de la détermination de l'assiette et du recouvrement des impôts et des recettes publiques, ainsi que des évaluations domaniales et de la fixation des conditions financières des opérations de gestion et d'aliénation des biens de l'État, de la tenue des comptes publics et des modalités d'établissement des statistiques...). »
Le dispositif proposé repose sur l'appréciation de la situation par le préfet de département et le préfet de zone de défense et de sécurité : il revient au premier, lorsqu'il estime que l'exercice de prérogatives à l'égard des établissements publics et services de l'État lui est nécessaire pour assurer l'organisation des opérations matérielles permettant le rétablissement de l'ordre public, de solliciter à cet effet le préfet de zone qui, s'il a la même appréciation de la situation, l'y autorise.
Le préfet de département pourrait alors diriger l'action de l'ensemble des services et établissements publics de l'État « ayant un champ territorial », qui seraient alors placés pour emploi sous son autorité. Le préfet prendrait « les décisions visant à prévenir et limiter les conséquences de ces évènements, après avis de l'autorité compétente de l'établissement public », afin, d'une part, de rétablir l'ordre public et, d'autre part, de mettre en oeuvre les opérations de secours telles que définies par l'article L. 742-1 du code de la sécurité intérieure.
La définition des opérations de secours
L'article L. 742-1 du code de la sécurité intérieure définit les opérations de secours comme : « un ensemble d'actions caractérisées par l'urgence qui visent à soustraire les personnes, les animaux, les biens et l'environnement aux effets dommageables d'accidents, de sinistres, de catastrophes, de détresses ou de menaces ». Elles comprennent également les opérations réalisées dans le cadre des missions attribuées aux services d'incendie et de secours, qui sont chargés de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies et concourent à la protection et à la lutte contre les autres accidents, sinistres et catastrophes, à l'évaluation et à la prévention des risques technologiques ou naturels ainsi qu'aux secours d'urgence.
L'article 15 du projet de loi tend également à ajouter à la définition des opérations de secours les « décisions » caractérisées par l'urgence qui visent à soustraire les personnes, les animaux, les biens et l'environnement aux effets dommageables d'accidents, de sinistres, de catastrophes, de détresses ou de menaces.
La décision du préfet de zone d'accorder ces prérogatives au préfet de département serait prise pour une durée maximale d'un mois et pourrait être renouvelée , dans les mêmes formes, par période d'un mois au plus si les conditions qui l'ont motivé continuent d'être réunies. Parallèlement, il y serait mis fin sans délai dès que les circonstances qui l'ont justifié auraient cessé.
De manière surprenante, et alors que l'article 15 est présenté dans l'étude d'impact comme une réponse aux désorganisations observées pendant la crise sanitaire, le projet de loi précise que la mise à disposition pour emploi des services et établissements publics de l'État ne serait pas applicable aux ARS lorsque la situation dans le département justifie la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 3131-13 du code de la santé publique, c'est-à-dire la lutte contre les « menaces sanitaires graves » , « pour les mesures qu'elles prévoient et qui relèvent de la compétence de cet établissement ».
1.2. La position de la commission : une clarification bienvenue qu'il convient de renforcer
La clarification textuelle de la possibilité pour le préfet, représentant du Gouvernement au niveau local, de diriger l'action des services et établissements publics de l'État « ayant un champ territorial » en cas d'évènements d'une particulière gravité paraît à la commission être une mesure de bon sens.
Ainsi, si le préfet dispose déjà, dans le cadre des opérations de secours qu'il conduit, de la capacité de mobiliser tous les moyens nécessaires relevant de l'État, des collectivités territoriales et des établissements publics et de mobiliser ou réquisitionner les moyens privés nécessaires 41 ( * ) , il ne peut jusqu'à présent pas se subsister aux autorités compétentes de direction des services ou d'établissements publics n'étant pas soumis à son autorité hiérarchique . L'ouverture de cette nouvelle possibilité paraît pertinente pour améliorer la gestion des crises : en cas de crise, il est nécessaire d'assurer une unité de commandement, afin de redonner une clarté en interne à l'État mais également à l'égard des autres acteurs de gestion de la crise, comme les élus locaux.
La commission formule toutefois trois observations.
Elle regrette en premier lieu l'instabilité législative qui conduit à remplacer un dispositif entré en vigueur il y a moins d'un an par un autre qui est à la fois plus large et davantage cadré. Si les modifications apportées sont bienvenue, n'aurait-il pas pu y être réfléchi lors de sa première présentation au Parlement à l'occasion de la discussion de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels ?
Elle s'interroge en deuxième lieu sur la pertinence d'exclure les ARS du système proposé par le projet de loi lorsque le ministre de la santé a décidé de mesures visant à lutter contre les menaces sanitaires graves, et sur l'articulation de cette exception avec les articles L. 1435-1 et L. 1435-2 du code de la santé publique qui permettent déjà au préfet de placer pour emploi sous son autorité les services de l'ARS lorsqu'un évènement porteur d'un risque sanitaire peut constituer un trouble à l'ordre public. Par l'adoption de l' amendement COM-94 des rapporteurs , la commission a décidé de supprimer cette exception , considérant qu'en temps de crise, une unité de commandement était nécessaire afin de redonner une clarté tant en interne à l'État qu'en externe, à l'égard des autres acteurs de gestion de la crise comme les élus locaux. Cela va est cohérent avec la définition à l'article L. 1431-2 du code de la santé publique du rôle des agences régionales de santé en cas de crise sanitaire, qui contribuent à sa gestion dans le respect des prérogatives du préfet.
En dernier lieu, la commission souhaite rappeler qu'en cas d'évènement dépassant le cadre d'un seul département, il reviendra au préfet de zone de jouer son rôle de coordonnateur de l'action de chaque préfet.
Elle a également, par le même amendement COM-94 des rapporteurs , clarifié la rédaction du dispositif proposé et procédé à une coordination manquante .
La commission a adopté l'article 15 ainsi modifié .
* 36 Article 15 du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'État dans les régions et départements .
* 37 Rapport n° 199 tome I (2020-2021) Santé publique : pour un nouveau départ - Leçons de l'épidémie de covid-19 fait au nom de la commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion, déposé le 8 décembre 2020. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/commission/enquete/gestion_de_la_crise_sanitaire.html .
* 38 Article L. 1431-2 du code de la santé publique.
* 39 Articles L. 1435-1 et L. 1435-2 du code de la santé publique précités.
* 40 Article L. 115-1 du code de la sécurité intérieure.
* 41 Article L. 742-2 du code de la sécurité intérieure.