N° 811
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 juillet 2022
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, relative à la préservation de l' activité des vitraillistes , menacée par l' interdiction du plomb telle qu'envisagée par la révision du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006, dit « REACH », concernant l' enregistrement , l' évaluation et l' autorisation des substances chimiques ,
Par Mme Catherine MORIN-DESAILLY et M. Louis-Jean de NICOLAŸ,
Sénatrice et Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin , président ; MM . Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Mme Véronique Guillotin, M. Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique , vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Philippe Bonnecarrère, Jean-Pierre Corbisez, Pierre Cuypers, Laurent Duplomb, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Pierre Ouzoulias, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger .
Voir les numéros :
Sénat : |
726 et 812 (2021-2022) |
L'ESSENTIEL
La commission des affaires européennes a adopté à l'unanimité, le jeudi 21 juillet 2022, la proposition de résolution européenne n° 812 (2021-2022) et le rapport de Catherine Morin-Desailly et Louis-Jean de Nicolaÿ sur la préservation des filières du patrimoine, menacées par l'interdiction du plomb ou la procédure d'autorisation envisagée par la révision du règlement européen « REACH »
La révision du règlement européen sur les produits chimiques « REACH » pourrait interdire l'utilisation du plomb ou la soumettre à une procédure extrêmement lourde pour les PME du patrimoine
La mise en oeuvre du règlement « REACH » , acronyme anglais du règlement européen concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques , est confiée à l'Agence chimique européenne , désignée elle aussi sous son acronyme anglais ECHA.
Or cette agence a lancé au printemps une consultation sur l'inclusion du plomb à l'annexe XIV du règlement « REACH », concernant les substances dites « particulièrement préoccupantes ».
La procédure d'autorisation que cela impliquerait, et qui cèderait la place à une interdiction pure et simple au terme de quelques années, représenterait un coût prohibitif pour les utilisateurs : plusieurs mois de montage de dossier d'expertise, exigeant le recours à un cabinet ou une structure d'appui spécialisés et le versement d'une redevance à l'ECHA (de l'ordre de 27 000 € minimum à 200 000 € selon la taille de l'entreprise concernée). Les entreprises (TPE et PME) françaises du secteur du patrimoine culturel ne pourront pas mettre en oeuvre cette procédure très lourde, sans que leur survie même soit mise en cause à court terme .
Le comité des États membres de l'ECHA doit maintenant se prononcer pour prioriser les substances à inclure dans cette annexe XIV. Ce comité évalue le tonnage, la dangerosité et le caractère dispersif, et examine l'impact des règles envisagées sur l'industrie : 84 % du tonnage de plomb utilisé concerne les batteries.
Interviendra ensuite l'instruction par la Commission européenne de la recommandation de l'ECHA et des informations recueillies lors de la consultation publique.
À ce stade, le résultat de la consultation n'est pas encore accessible sur le site de l'ECHA et, de fait, l'ECHA n'a pas encore adopté sa recommandation.
Une fois la recommandation adoptée, ce qui devrait intervenir au plus tard d'ici la fin de l'année 2022, la Commission européenne proposera, normalement sous 12 mois, un projet de règlement, donc d'ici la fin de l'année 2023 . C'est alors seulement que les autorités françaises auront officiellement connaissance des intentions de la Commission quant à l'inscription ou non du plomb à l'annexe XIV du règlement « REACH ».
Le champ des secteurs menacés s'étend à l'ensemble du patrimoine historique
Les maîtres verriers et la chambre syndicale nationale du vitrail se sont mobilisés pour cette consultation puis ont saisi les sénateurs : ils sont en effet légitimement inquiets, car la fabrication et la conservation du vitrail sont indissociables de l'usage du plomb.
La France concentre plus de 60 % du patrimoine de vitraux européens et abrite la plus grande surface de vitraux au monde. Les plus beaux joyaux de ce patrimoine exceptionnel sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, mais ce patrimoine s'étend aussi dans tous nos territoires.
Les facteurs d'orgue sont également concernés au premier chef, ainsi que les organistes, puisque ce prodigieux instrument est en partie constitué de plomb. Malgré de nombreux essais de substitution depuis le XIX e siècle, sa sonorité est indissociable de la part de plomb qui forme l'alliage de ses tuyaux, dans une proportion variant de 10 % à 95 % environ. Sur près de 10 000 orgues recensés en France, près de 1600 sont classés au titre des monuments historiques.
La malléabilité et la durabilité du plomb concourent à la conservation de long terme des bâtiments anciens. C'est pourquoi l'impact le plus lourd porterait sur l'ensemble des professions liées à la restauration et à la conservation des monuments historiques : le Groupement des entreprises de restauration des Monuments historiques (GMH) fédère 252 entreprises, de 12 métiers, employant 10 000 salariés, dont environ 1 000 apprentis en France. Les tailleurs de pierre des monuments historiques comptent 78 entreprises, employant quelque 5000 salariés, pour un chiffre d'affaires estimé à 600 millions d'euros. Les couvreurs des monuments historiques comptent 39 entreprises employant 1500 salariés, pour un chiffre d'affaires de 170 millions d'euros.
Certaines toitures historiques sont constituées de plomb : c'est le cas de nombreuses cathédrales , tout particulièrement Notre-Dame de Paris, mais aussi de nombreux monuments , comme le château de Versailles, le musée du Louvre, l'Opéra Garnier, le Panthéon, les châteaux de la Loire...
L'interdiction ou la restriction de l'utilisation du plomb pour ces usages reviendrait donc à condamner un nombre important d'entreprises de petite taille ayant développé un savoir-faire unique au service du patrimoine français et européen.
Les musées et institutions patrimoniales conservent aussi de très nombreux objets et oeuvres d'art contenant du plomb : par exemple, la sculpture en bronze, les conduites d'eau anciennes, les sarcophages, les insignes médiévaux, les jouets et articles ménagers (assiettes, tasses, bougeoirs...), les émaux au plomb sur la céramique, le verre au plomb, le blanc de plomb dans la peinture, les pièces de monnaie, les médailles ou les poids, les voitures hippomobiles ou automobiles anciennes, les sceaux...
La conservation, l'entretien et la restauration de tous ces éléments du patrimoine européen requièrent la manipulation ou l'usage du plomb par les conservateurs, restaurateurs, archéologues et autres agents intervenant dans ces opérations.
La prévention du risque plomb est bien assurée par les secteurs du patrimoine concernés mais des études scientifiques sont nécessaires au niveau européen
L'enjeu sanitaire est évidemment central pour les sénateurs : le plomb est un polluant bien identifié. L'usage de carburants sans plomb a, heureusement, drastiquement réduit la pollution qui y est liée. Ce matériau reprotoxique est particulièrement nocif, notamment par ingestion, pour les jeunes enfants, les femmes enceintes, les foetus. Ces risques sont connus et pris en charge dans la population générale.
La prévention du risque plomb est une préoccupation de longue date de tous les secteurs du patrimoine . Toutes les entreprises concernées y sont sensibilisées et ont pris les mesures de prévention indispensables en termes d'évaluation de la présence de plomb, avec des protocoles très stricts, en matière d'hygiène, de moyens de protection collective et d'équipements de protection individuelle. Les rapporteurs ont constaté sur un chantier l'importance de ces mesures.
La législation française et le code du travail en particulier prévoient déjà des exigences et un suivi spécifiques en ce qui concerne le plomb en matière de protection de la santé humaine et de l'environnement.
Mais, au niveau européen, il n'existe aucune donnée épidémiologique fiable sur la santé des travailleurs exposés au plomb dans le domaine du patrimoine culturel .
C'est pourquoi les sénateurs appellent à la réalisation d'études spécifiques à ce domaine, au niveau européen et avec un financement adéquat sur les programmes de recherche européens, avec le concours des services de la Commissaire à la Culture.
Pour une exception « plomb » ou un protocole européen dédié au patrimoine, préférable à l'hypothèse d'une révision du règlement « REACH »
Des règles, des outils, des bonnes pratiques existent qui pourraient être traduites dans un Protocole européen de prévention du risque plomb sur les chantiers des monuments historiques , sur le fondement des protocoles instaurés récemment sur les chantiers français (Paris, Nantes, Rouen, Clermont-Ferrand).
Pour les sénateurs, cette voie est bien préférable à une révision du règlement « REACH ».
Si la Commission européenne jugeait toutefois nécessaire de durcir les règles d'usage du plomb dans le secteur industriel, elle pourrait recourir à d'autres législations européennes existant dans le champ du travail ou de la santé, en veillant à bien exempter les filières patrimoniales de nouvelles dispositions.