III. LA PROPOSITION DE LOI : RENDRE APPLICABLE LE RÈGLEMENT SANS REMETTRE EN CAUSE L'EXISTANT

La proposition de loi a fait le choix d'intégrer les nouveaux mécanismes du règlement européen en droit français, sans adapter les procédures existantes 18 ( * ) .

A. UNE ADAPTATION DU DROIT CONFORME AUX ATTENTES DU RÈGLEMENT EUROPÉEN...

1. La désignation des autorités compétentes

L'article 6-1-1 introduit dans la LCEN habiliterait l'OCLCTIC pour émettre des injonctions de retrait et désignerait la personnalité qualifiée de l'Arcom comme autorité compétente pour procéder à un examen approfondi des injonctions de retrait transfrontalières, utilisant ainsi les compétences déjà exercées par ces autorités. À l'initiative de la rapporteure de l'Assemblée nationale, il a été prévu la désignation d'un suppléant pour assister la personnalité qualifiée de l'Arcom à assurer sa nouvelle mission 19 ( * ) .

L'Arcom, déjà compétente pour superviser les moyens mis en oeuvre par les plateformes en ligne pour protéger les publics tout en garantissant la liberté d'expression dans le cadre de la lutte contre la manipulation de l'information et la haine en ligne, serait désignée comme autorité compétente pour assurer la supervision des fournisseurs de services d'hébergement qui ont un établissement principal en France ou y ont désigné un représentant légal.

2. La fixation des sanctions

Le nouvel article 6-1-2 de la LCEN fixerait à un an d'emprisonnement et 250 000 euros d'amende - soit une amende de 1 250 000 euros pour une personne morale - la sanction pénale encourue par les fournisseurs de services d'hébergement qui ne respecteraient pas les obligations de retrait des contenus à caractère terroriste dans l'heure , comme en matière de non-respect d'une injonction de blocage ou de déréférencement au titre de l'article 6-1 de la LCEN.

Conformément au règlement européen, lorsque cette infraction est commise de manière habituelle par une personne morale, il est prévu que le montant de l'amende puisse être porté à 4 % de son chiffre d'affaires mondial pour l'exercice précédent.

Les fournisseurs de services d'hébergement qui auraient connaissance d'un contenu à caractère terroriste « présentant une menace imminente pour la vie » et n'en informeraient pas immédiatement les autorités compétentes pour les enquêtes et les poursuites en matière d'infractions pénales dans les États membres concernés seraient punis de trois ans d'emprisonnement et 250 000 euros d'amende 20 ( * ) .

Le nouvel article 6-1-3 mettrait en place des sanctions administratives et pécuniaires prononcées par l'Arcom, après mise en demeure, en cas de non-respect des autres obligations de diligences reposant sur ces fournisseurs : obligations d'informer l'autorité à l'origine de l'injonction de retrait que le contenu a bien été retiré ou bloqué, de rétablir le contenu en cas d'annulation d'une injonction transfrontalière, de conserver pendant 6 mois les contenus et les données connexes, obligation de publier un rapport de transparence... À l'initiative de la rapporteure de l'Assemblée nationale, il a été prévu que l'Arcom puisse recueillir des informations auprès des fournisseurs de services d'hébergement pour assurer sa mission de suivi 21 ( * ) .

La sanction pécuniaire maximale que pourrait imposer l'Arcom a été fixée à 4 % du chiffre d'affaires mondial pour l'exercice précédent , en cohérence avec le montant maximal de l'amende qui pourrait être imposée en application de l'article 6-1-2 22 ( * ) .

Le nombre de fournisseurs de services d'hébergement établis en France est en cours d'évaluation par le Gouvernement. La charge de travail supplémentaire qui reviendrait à l'Arcom est donc pour l'heure indéterminée .

3. Les procédures de recours

L'article 6-1-4 nouveau de la LCEN prévoit la possibilité pour les fournisseurs de services d'hébergement ou de contenus de saisir sous 48 heures le président du tribunal administratif d'une demande d'annulation de l'injonction de retrait, à charge pour lui de se prononcer dans les 72 heures.

Il prévoit également la possibilité pour les mêmes acteurs de former un recours en réformation dans les mêmes conditions à l'encontre de la décision de la personnalité qualifiée de l'Arcom lorsque celle-ci se prononce sur une injonction transfrontalière.

Enfin, il institue un nouveau recours en réformation devant le Conseil d'État lorsque l'Arcom décide qu'un fournisseur de services d'hébergement est « exposé » au sens du règlement européen ou lui enjoint de prendre des mesures spécifiques pour mieux protéger ses services contre la diffusion au public de contenus à caractère terroriste.

La question de la constitutionnalité du dispositif proposé

L'injonction de retrait créée par le règlement européen et adaptée au droit français par la proposition de loi présente de prime abord les mêmes caractéristiques que le dispositif qui a été censuré par le Conseil constitutionnel lors de son examen de la loi Avia 23 ( * ) . Le Conseil avait relevé que le législateur avait porté à la liberté d'expression et de communication une atteinte qui n'était pas adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi , relevant que l'injonction était délivrée par une autorité administrative qui apprécie seule le caractère illicite du contenu, que le délai d'une heure ne permettait pas à l'hébergeur d'obtenir une décision du juge avant d'être contraint de le retirer et que la sanction de 250 000 euros d'amende était applicable dès la première infraction.

Deux éléments pourraient ici changer l'analyse :

- le règlement (UE) 2021/784, intervenu postérieurement, rend obligatoire l'adaptation du droit national de la procédure de retrait en une heure en application de l'article 88-1 de la Constitution. Le contrôle de constitutionnalité des dispositions d'adaptation du droit national à des règlements européens est en principe limité au contrôle de l'absence d'atteinte à une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, c'est-à-dire une règle ou un principe qui n'est pas déjà protégé par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ce qui n'est pas le cas de la liberté d'expression et d'information (article 11 de la Charte) ;

- l'intervention de garanties , prévues tant par le règlement européen que par la proposition de loi qui n'existaient pas dans la loi Avia : le délai de préavis de 12 heures avant la première injonction, le délai d'une heure décompté à compter de la réception de l'injonction (et non de la notification), la possibilité de ne pas déférer à l'injonction en cas de motifs de force majeure, d'impossibilité de fait, d'erreurs manifestes ou informations incomplètes, l'obligation de conservation des contenus pour les remettre en ligne en cas d'annulation de l'injonction, l'existence d'une procédure accélérée devant le tribunal administratif ouverte aux fournisseurs de services d'hébergement et de contenus.


* 18 Par exemple, le choix aurait pu être fait de remplacer la procédure de l'article 6-1 en matière de terrorisme par l'article 6-1-1, en maintenant la procédure de l'article 6-1 pour les contenus pédopornographiques.

* 19 Amendement n° CL9 de Mme Bono-Vandorme, rapporteure.

* 20 5 de l'article 14 du règlement européen.

* 21 Amendement n° CL23 de Mme Bono-Vandorme, rapporteure.

* 22 Ce qui en deçà du montant de 6 % du chiffre d'affaires annuel mondial total de l'exercice précédent prévu dans le cadre de l'article 62 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, en matière de lutte contre les contenus haineux.

* 23 Décision n° 2020-801 DC du 18 juin 2020 [Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet].

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