B. LA RÉFORME DE L'ORGANISATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT, UN CHANTIER POURSUIVI DANS LE CONTEXTE DE CRISE SANITAIRE

La réforme de l'organisation territoriale de l'État (OTE), définie par la circulaire du Premier ministre du 12 juin 2019, vient, dans la lignée des objectifs fixés par la circulaire du 24 juillet 2018 sur l'organisation territoriale des services publics, fixer le cadre d'importantes mutations pour la mission , entamées dès la loi de finances initiale pour 2020. Les principaux objectifs affichés par le Gouvernement sont les suivants :

- la clarification de la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales. Cette clarification doit en particulier conduire à une redéfinition du rôle de l'État dans le développement économique, au renforcement du rôle des régions en matière culturelle et du rôle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en matière d'urbanisme. Afin de favoriser une prise en charge plus large de la jeunesse, les missions relatives à la jeunesse et au sport ont également été transférées aux services de l'éducation nationale ;

- la réorganisation des services déconcentrés , notamment via la création des secrétariats généraux communs (SGC) et des directions de l'emploi, du travail et des solidarités (DETS), nées de la fusion des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) et des compétences cohésion sociale des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJCS) ;

- le renforcement de l'efficience de l'action publique , en particulier via la rationalisation des moyens et le renforcement des coopérations entre départements. La fusion des programmes ayant donné naissance à l'actuel programme 354 résulte de cette simplification, de même que la mise en oeuvre des SGC. Une autre dimension importante concerne les mutualisations, que ce soit via le regroupement de certaines tâches dans les services départementaux ou via la création de pôles de compétences mutualisées entre départements ;

- l'octroi de davantage de marges de gestion aux responsables de services déconcentrés , en particulier sur les sujets de politique de l'eau et de traitement de l'habitat insalubre et indigne. Le rôle du préfet de département doit, dans l'ensemble, être renforcé.

Pour assurer la bonne mise en oeuvre de ces réformes, des comités interministériels régionaux des transformations des services publics ont été créés par le décret du 24 juillet 2019 7 ( * ) et sont présidés par les préfets de région . En sont membres les préfets de département, les directeurs des services régionaux de l'État, les recteurs de régions académiques, les directeurs généraux des agences régionales de santé et les directeurs régionaux des établissements publics de l'État.

Ce comité a pour mission de garantir la stratégie d'ensemble des réorganisations et d'en organiser le calendrier en prévoyant les modalités de la concertation avec les élus et les parties prenantes .

1. La création du programme 354 en 2020, première étape vers une réorganisation de grande ampleur

Dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2020, le programme 333 « Moyens mutualisés des administrations déconcentrés », qui relevait jusqu'alors de la mission « Direction de l'action du Gouvernement », a été absorbé par le programme 307 « Administration territoriale » , d'ores et déjà rattaché à la mission « Administration générale et territoriale de l'État » et renommé programme 354 « Administration territoriale de l'État ».

Le programme 333 portait les crédits consacrés aux directeurs départementaux interministériels et leurs adjoints (DDI), aux secrétaires généraux pour les affaires régionales (SGAR) et à leurs adjoints, aux chargés de mission des SGAR, aux agents des plates-formes régionales « ressources humaines », aux agents des plates-formes régionales « achats », à une partie des agents chargés de la gestion des crédits des BOP régionaux du programme 333 et enfin aux agents affectés dans les services interministériels départementaux des systèmes d'information et de communication de l'État (SIDSIC).

Ainsi, le transfert de 1 803 équivalents temps plein travaillés (ETPT) en provenance des secrétariats généraux des directions départementales interministérielles a entraîné une augmentation des crédits de personnel du nouveau programme 354 de 101,1 millions d'euros 8 ( * ) . Tous titres confondus, les transferts ont représenté 115,8 millions d'euros .

2. Les effets de la réforme de l'organisation territoriale de l'État sur le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur »

Traduisant dans la maquette budgétaire les effets de la réforme OTE, de nombreuses lignes de crédits auparavant portées par d'autres programmes budgétaires ont été ajoutées au programme 216.

Au total, 4 626 ETPT ont été transférés sur le programme, pour un montant de dépenses de personnel de 242,2 millions d'euros . Ces effectifs correspondent principalement aux effectifs des secrétariats généraux du ministère de l'intérieur (SGAMI, pour 87 % d'entre eux), mais proviennent aussi de la constitution d'un service ministériel d'achat et plus modestement de la création de l'agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT), dotée de 30 ETPT.

Les crédits hors titre 2 ont également connu une forte dynamique, qui s'explique notamment par la création de la direction du numérique (DNUM), qui regroupe les moyens auparavant portés par une série de programmes (161, 232, 152, 176, 303, 122, 354) relevant de différents ministères.

3. Plusieurs étapes majeures de la réforme OTE ont été franchies en 2021

Alors que les différentes directions départementales interministérielles étaient jusqu'à présent placées sous l'autorité du Premier ministre, le décret du 14 août 2020 9 ( * ) dispose que les DDI seront désormais placées sous l'autorité du ministère de l'intérieur .

L'article 1 er du décret dispose ainsi que « les directions départementales interministérielles sont des services déconcentrés de l'État relevant du ministre de l'intérieur. Elles sont placées sous l'autorité du préfet de département. Le ministre de l'intérieur assure la conduite et l'animation du réseau des directions départementales interministérielles, en y associant les ministres concernés et dans le respect de leurs attributions respectives . »

En confiant au ministère de l'intérieur la gestion du pilotage de la réforme et du dialogue social, le décret renforce l'ascendant du préfet sur les directeurs départementaux, nouveau rapport hiérarchique qui a pu être qualifié de « préfectoralisation » par les syndicats entendus par la rapporteure spéciale. Placées sous l'autorité du préfet, les DDI sont désormais organiquement liées au ministère de l'intérieur, qui assume un rôle de pilotage plus large.

a) La mise en oeuvre des secrétariats généraux communs au 1er janvier 2021 n'a pas été sans soulever un certain nombre de difficultés

La mise en place des secrétariats généraux communs (SGC), initialement prévue pour le premier semestre 2020 10 ( * ) , est intervenue à compter du 1 er janvier 2021 .

Au total, sur l'ensemble du territoire, les SGC ont été dotés de 6 115 ETP au 1 er janvier 2021, l'essentiel (3 674 ETP) étant issu des anciens secrétariats généraux des préfectures . Les autres ministères contributeurs sont le ministère de la transition écologique (19 %), le ministère de l'agriculture et de l'alimentation (7 %), les ministères sociaux (6 %) et les ministères économiques et financiers, de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et de la culture (1 %).

Alors que la rapporteure spéciale avait soulevé des interrogations sur le financement des dépenses immobilières visant à favoriser ces mutualisations et sur les budgets de fonctionnement lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, le ministère de l'intérieur a confirmé que ces points avaient posé un certain nombre de difficultés en cours d'année.

Les 10 « irritants » de la création des secrétariats généraux communs
identifiés par la direction de la modernisation de l'action territoriale (DMAT)

Entendu par la rapporteure spéciale, le directeur de la modernisation de l'action territoriale a présenté un certain nombre de difficultés, rencontrées lors de la mise en place des secrétariats généraux communs :

- l'éclatement entre plusieurs sites des secrétariats généraux communs, qui limite la capacité des agents à travailler ensemble et à se connaître ;

- les retards, parfois très importants, pour distribuer la carte agent ministérielle donnant notamment accès aux systèmes d'informations, notamment en matière de ressources humaines ;

- les difficultés en matière de gestion des ressources humaines, alors que les agents des SGC sont issus de ministères différents et que la gestion de la paie s'est avérée complexe dans les premiers mois (prise en charge par les ministères d'origine de la paie au-delà du 1 er janvier 2022) ;

- les problématiques de moyens et d'accès informatique ;

- le sujet de la pluralité des systèmes d'informations entre les différentes directions et les problématiques de gestion des ressources humaines associées ;

- les sujets de gestion budgétaire ;

- des difficultés spécifiques pour accueillir les agents issus des anciennes unités départementales des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) ;

- le pilotage en direction départementale et les référents de proximité, qui n'ont pas été mis en place dans l'ensemble des départements ;

- des interrogations quant au positionnement des secrétariats généraux départementaux face aux directions départementales ;

- les sujets d'animation, d'accompagnement et de formation pour favoriser la création d'une identité professionnelle propre.

Source : audition du directeur de la modernisation de l'action territoriale

La rapporteure spéciale prend acte du plan d'action engagé par la DMAT pour répondre à ces difficultés et insiste sur l'importance de parvenir à susciter l'adhésion des agents pour favoriser la réussite de la réforme 11 ( * ) .

b) La mise en place des directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) au 1er avril 2021

La circulaire du Premier ministre du 12 juin 2019 prévoyait également la création de nouvelles directions départementales dédiées à l'emploi, au travail et aux solidarités (DDETS). Il s'agit, pour le Gouvernement, d'assurer un service public de l'insertion et de l'emploi, afin d'offrir un parcours complet aux publics les plus fragiles.

Comme indiqué dans les réponses adressées au questionnaire budgétaire de la rapporteure spéciale, « les DDETS-PP regroupent les compétences en matière de lutte contre la pauvreté et l'exclusion des 42 ex directions départementales de la cohésion sociale, des 46 ex directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations, des 8 ex directions déléguées départementales des directions régionales et départementales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale et les compétences des unités départementales (UD) des Direccte ».

Ces nouvelles directions, créées le 1 er avril dernier, sont composées de 9 500 agents environ et contribuent à la mise en oeuvre d'un très large spectre de politiques publiques liées : l'alimentation, l'aménagement, le logement, la cohésion sociale, l'emploi et la formation professionnelle ainsi que la prévention et lutte contre la pauvreté. L'objectif est ainsi de rapprocher l'insertion sociale et professionnelle de la politique de l'accès au logement.

La direction de la modernisation et de l'administration territoriale (DMAT) du ministère de l'intérieur est chargée du pilotage de cette réforme, en lien avec les ministères chargés des affaires sociales, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, le ministère de la transition écologique, les ministères économiques et financiers et la direction générale de l'administration et de la fonction publique. La création des directions a été précédée d'une phase de préfiguration, en lien avec un cabinet de conseil privé 12 ( * ) .

c) La création, au sein des préfectures, des services de la main d'oeuvre étrangère (SMOE)

La création des services de la main d'oeuvre étrangère est également intervenue au 1 er avril 2021, entrainant le transfert entrant de 100 ETPT depuis le programme 155 « Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail » . Les missions effectuées par les services de main d'oeuvre étrangère au sein des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) ont donc été transférées aux services des préfectures.

Au total, et d'après les éléments transmis par la DMAT, les services de la main d'oeuvre étrangère présentent un premier bilan plutôt positif.


* 7 Décret n° 2019-769 du 24 juillet 2019 relatif au comité interministériel régional de transformation des services publics.

* 8 Les transferts entrants représentant une augmentation de 104,5 millions d'euros tandis que 37 emplois de la médecine de prévention (3,4 millions d'euros) ont été transférés au programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur ».

* 9 Décret du 14 août 2020, modifiant le décret du 3 décembre 2009 relatif aux directions départementales interministérielles.

* 10 Projet annuel de performance de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », p. 18.

* 11 Pour une présentation plus précise de la réforme, se reporter au rapport sur le projet de loi de finances pour 2021 : Administration générale et territoriale de l'État de Mme Isabelle BRIQUET, annexe n°2 au rapport général n° 138 (2020-2021), fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2020.

* 12 Cabinet Bearing Point.

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