EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 27 OCTOBRE 2021

M. François-Noël Buffet , président . - Nous examinons le rapport de Mme Lherbier sur la proposition de loi visant à mettre l'administration au service des usagers, déposée par notre collègue Dany Wattebled et ses collègues.

Mme Brigitte Lherbier , rapporteur . - Notre droit administratif a pour particularité de reconnaître des « décisions implicites ». À défaut de recours en carence, une fiction juridique fait découler du silence de l'administration une décision implicite qui peut, le cas échéant, être contestée devant le juge administratif, au même titre que les décisions expresses.

De 1864 à 2013, le principe retenu était celui selon lequel le silence gardé par l'administration valait rejet de la demande - système dit « SVR » -, sous réserve d'exceptions ciblées, comme pour l'attribution des autorisations d'urbanisme, par exemple. Mais, depuis 2013, une réforme à l'initiative du président Hollande a eu pour objet de renverser ce principe. Depuis lors, le silence gardé par l'administration vaut, en principe, acceptation - système dit « SVA » -, sous réserve des exceptions prévues par le droit.

Comme l'a justement rappelé la secrétaire générale du Gouvernement en réponse à mes interrogations : « dès l'origine, le législateur ne s'est pas donné comme objectif de soumettre l'ensemble des demandes adressées aux administrations à l'application uniforme du principe "silence vaut acceptation". Il s'est agi de poser précisément un principe de nature à susciter, dans son champ, de nouvelles simplifications dans l'instruction des demandes et assorti, sous le contrôle du juge, de dérogations et d'exceptions. »

En effet, le principe SVA connaît des faiblesses intrinsèques importantes. La plus significative est qu'il ne peut s'appliquer que pour les demandes auxquelles l'administration doit répondre par « oui » ou par « non ». Si vous demandez à une administration d'effectuer un choix parmi plusieurs possibilités, le silence de l'administration ne permettra pas de répondre à la question. De la même manière, si vous demandez à une administration de vous verser une indemnité, son silence n'emportera pas versement de la somme demandée. Il s'agit d'un état de fait, et le législateur n'y peut rien.

La seconde faiblesse concerne les droits des tiers. Avec le principe SVA, la perte d'un courrier ou une erreur de traitement peut aboutir à l'acceptation tacite d'une demande, par l'administration, pour un usager qui ne remplit pourtant pas les critères d'attribution. Il sera donc dans une situation plus favorable qu'une personne présentant le même dossier et qui aura été déboutée à juste titre. Se pose donc un problème d'égalité.

Le SVA peut également conduire à une perte de chance pour les tiers dans la mesure où, en l'absence de décision expresse en faveur du pétitionnaire, ils peuvent plus difficilement prendre connaissance de son existence pour, le cas échéant, formuler un recours.

En effet, les relations entre le public et l'administration sont souvent perçues comme des relations purement bilatérales. Or, je rappelle que l'activité de régulation confiée aux administrations a in fine pour objet de préserver l'ordre public, l'environnement et les droits des tiers. L'instruction d'une autorisation d'urbanisme peut, par exemple, révéler une atteinte à une servitude établie au bénéfice d'un tiers.

De manière analogue, lorsque le Conseil d'État examine l'existence d'une autorisation tacite de regrouper des élevages dont se prévalait la ferme dite « des mille vaches », ce n'est pas pour savoir si l'administration a tort ou raison, mais, in fine , pour faire respecter le droit de l'environnement au bénéfice des tiers.

Depuis la réforme de 2013, force est de constater que ces faiblesses n'ont jamais été véritablement surmontées. Si l'objectif de cette réforme conduisant à multiplier les procédures SVA a été rempli - elles ont été multipliées par quatre - , ce résultat a été obtenu en sacrifiant la lisibilité du régime des décisions implicites de l'administration prévu par le code des relations entre le public et l'administration (CRPA).

Comme c'était prévisible, l'inversion de principe s'est accompagnée d'une multitude d'exceptions principalement justifiées par les limites intrinsèques du SVA que je vous ai décrites. Elles rendent aujourd'hui la compréhension du droit positif assez chaotique. L'affaire des « mille vaches » en est une preuve puisqu'il a fallu aller en cassation devant le Conseil d'État pour déterminer si, en l'espèce, le silence de l'administration valait acceptation ou rejet. D'ailleurs, même l'administration chargée de publier la liste des procédures SVA a du mal à s'y retrouver... Alors mettez-vous à la place de l'usager !

C'est dans ce contexte particulièrement compliqué qu'a été déposée la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. Dany Wattebled, son auteur, a eu le courage de se pencher sur cette problématique avec une volonté que je partage : rendre le système plus efficace et moins compliqué. Si nous étions d'accord sur l'objectif, nous ne l'avons pas nécessairement été sur les moyens choisis pour le mettre en oeuvre.

L'article 1 er de la proposition de loi tend à supprimer la possibilité de déroger au principe SVA par voie réglementaire, telle qu'elle est actuellement prévue à l'article L. 231-5 du CRPA. Cette modification paraît toutefois difficilement réalisable puisqu'il faudrait faire « remonter » au niveau législatif plusieurs centaines d'exceptions réglementaires existantes, et ce dans des délais contraints.

L'article 2 prévoit la publication de deux listes distinctes : l'une relative aux procédures pour lesquelles le principe SVA s'applique avec un délai dérogatoire et une autre pour celles où il ne s'applique pas. Ces listes seraient par ailleurs rendues opposables à l'administration. Or, l'existence de deux listes distinctes pourrait être source de confusion et leur opposabilité pourrait pénaliser certaines administrations, telles que les collectivités territoriales, en cas d'erreur au sein de ces listes, alors même que ces administrations ne sont pas chargées de leur publication.

L'article 3 vise à préciser que les décisions implicites de rejet pourraient être motivées par l'administration à la demande de l'usager. Ce point est déjà satisfait par le droit en vigueur.

L'article 4 indique que les délais dérogatoires permis par décret seraient figés à quatre mois. En l'état, ces dispositions conduiraient à augmenter certains délais dérogatoires et seraient inadaptées pour certaines procédures particulièrement techniques pour lesquelles l'instruction des demandes nécessite objectivement un temps plus long.

L'article 5 prévoit que le délai permettant l'acceptation tacite d'une demande commence, le cas échéant, à courir au moment de sa réception par une administration incompétente, comme c'est actuellement le cas pour les demandes SVR. Avec une telle modification, une administration pourrait recevoir des demandes pour lesquelles une décision implicite d'acceptation serait déjà acquise en l'absence de toute instruction de sa part.

L'article 6 tend, notamment, à supprimer le délai qui enferme la possibilité de demander à une administration de motiver une décision implicite de rejet, ce qui aurait des conséquences particulièrement dommageables pour les administrations recevant des demandes de motivation tardives.

Vous l'aurez compris, mon propos cible volontairement les points négatifs de la proposition de loi pour démontrer qu'il n'est pas possible d'adopter le texte sans y apporter de très profondes modifications. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé à Dany Wattebled que la commission n'adopte pas de texte afin que soit examinée en séance publique sa proposition de loi dans sa rédaction initiale. En contrepartie, je me suis engagée à proposer, en séance, de nouveaux dispositifs juridiques allant dans le même sens que l'objet initial de la proposition de loi en vue, notamment, de limiter la marge de manoeuvre de l'administration dans la définition des exceptions au principe SVA ou de modifier certaines modalités de décompte de délais dans un sens plus équitable pour l'usager. Ces amendements de séance seront élaborés en toute transparence avec Dany Wattebled, que je remercie pour la qualité et la franchise de nos échanges.

M. Dany Wattebled , auteur de la proposition de loi . - Je tiens à remercier le rapporteur pour les échanges que nous avons eus. En voulant rendre l'administration responsable, il est vrai que ma proposition de loi est un peu « brut de décoffrage ». La proposition du rapporteur est intéressante. Ce sujet est important. Nous allons retravailler ce texte.

M. Jean-Pierre Sueur . - Même si je souscris aux intentions sous-tendues par ce texte, je suis perplexe. Non seulement un député LR a commis un rapport, mais Hugues Portelli et moi-même avons publié en 2015 un rapport d'information sur ce sujet. Cette affaire apparaît simple, mais elle est effroyablement compliquée : nous nous retrouvons face à deux listes : l'une qui recense les cas où le système SVA s'applique et l'autre les cas où il ne s'applique pas. Au final, nos concitoyens ne s'y retrouvent pas. Certes, le système n'est pas idéal, mais il a le mérite d'exister. Or l'article 1 er vise à abroger l'article du code précité pendant deux ans, ce qui est dommageable dans les cas où le système fonctionne bien.

Vous avez souligné, madame le rapporteur, que vous allez nous proposer d'autres dispositions lors de la réunion des amendements de séance. Mais cela pose un problème de procédure. Comment voulez-vous que nous déposions des amendements sur des dispositions que nous ne connaissons pas ? Nous voulions amender ce texte en réécrivant notamment l'article 1 er . J'avoue ma perplexité face à cette procédure que vous instaurez.

M. Alain Marc . - Cette proposition de loi présente l'intérêt de revoir nos rapports avec l'administration. Nous sommes souvent interpellés par des pétitionnaires, notamment pour ce qui concerne les permis de construire, et les sous-préfets qui viennent sur le terrain souhaitent prendre des décisions en faveur des pétitionnaires, alors que la direction départementale des territoires (DDT) y est hostile. Nous nous retrouvons donc confrontés à cette opposition entre les administrations ; le SVA avait sa pertinence. Cette proposition de loi a au moins le mérite de poser le problème.

Mme Brigitte Lherbier , rapporteur . - Monsieur Sueur, cette proposition de loi sera examinée dans le cadre d'un espace réservé et, en l'espèce, nous appliquons le principe du gentlemen's agreement .

M. Jean-Pierre Sueur . - Cela ne nous empêche pas de déposer des amendements.

M. François-Noël Buffet , président . - Cela ne modifie en rien votre droit à déposer des amendements de commission ou de séance.

Mme Brigitte Lherbier , rapporteur . - Permettez-moi d'indiquer le périmètre indicatif de la proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.

Entrent dans le champ de la proposition de loi les dispositions en lien avec le régime des décisions implicites de l'administration.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er

L'article 1 er n'est pas adopté.

Article 2

L'article 2 n'est pas adopté.

Article 3

L'article 3 n'est pas adopté.

Article 4

L'article 4 n'est pas adopté.

Article 5

L'article 5 n'est pas adopté.

Article 6

L'article 6 n'est pas adopté.

Article 7

L'article 7 n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

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