B. ENVIRON 20 % DU REVENU DES AGRICULTEURS SERAIT TOUCHÉ PAR CETTE PROPOSITION DE LOI
La grande faiblesse de cette proposition de loi tient à son champ d'application. Les recettes perçues par les agriculteurs ne se résument pas à celles issues de la vente de produits agricoles à destination des rayons de la grande distribution. En effet, la consommation alimentaire au sens strict ne représente que 37 % de l'excédent brut d'exploitation de la branche agricole. Or cette proposition de loi ne concerne que cette part du revenu des agriculteurs, c'est-à-dire environ un tiers.
La part effectivement concernée est même en réalité inférieure, une fois intégré le fait que la consommation alimentaire en restauration (environ 20 %) n'est pas concernée par le schéma principal de ce texte et que les produits alimentaires vendus en grandes et moyennes surfaces (GMS) sous MDD ne le sont pas non plus, alors qu'ils représentent environ 30 % 3 ( * ) des volumes vendus en GMS.
Au total, seulement 21 % des recettes agricoles sont concernées par cette proposition de loi. Sa capacité à participer à un redressement général du revenu agricole s'en trouve limitée.
Les coopératives n'étant pas directement intégrées dans le périmètre de l'article 1 er relatif à la contractualisation écrite, et compte tenu du fait qu'elles absorbent environ 30 % de la production agricole, le pourcentage de revenu finalement touché par ce texte s'établit plutôt autour de 15 %.
C. UN DISPOSITIF DE TRANSPARENCE EXCESSIVEMENT COMPLEXE ET QUI RENFORCE LE DÉSÉQUILIBRE LORS DES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES
Le mécanisme de transparence prévu à l'article 2 est, en outre, particulièrement complexe. En l'état, les fournisseurs devront recenser la part en volume des matières premières agricoles dans leurs produits alimentaires puis, lorsqu'elle dépasse 25 %, afficher cette part en volume et surtout, en pourcentage du tarif qu'ils demandent aux distributeurs.
L'intervention d'un tiers indépendant, qui n'aidera pas à la simplicité du dispositif, ne sera en outre pas automatique et dépendra de l'option choisie par le fournisseur et, dans le cas de l'option n° 1, du choix fait par le distributeur.
En parallèle, fournisseurs et distributeurs devront négocier la clause de révision automatique des prix qui pourrait, en l'état du texte, ne pas inclure les mêmes indicateurs de référence que ceux du contrat « amont » dont le fournisseur est titulaire... En sus, le texte raccourcit la période de négociation commerciale de trois à deux mois, alors même qu'il alourdit les obligations à respecter et les démarches à suivre.
Au demeurant, la proposition de loi contraint les fournisseurs à dévoiler aux distributeurs, dont l'intérêt est logiquement de parvenir à des tarifs fournisseur les plus bas possible, la construction de leur tarif et donc, automatiquement, leur marge brute. Certes, le texte prévoit que les fournisseurs puissent choisir deux autres options, qui ne conduisent pas à un tel dévoilement, mais il est très plausible que le schéma aujourd'hui retenu, à savoir une règle (l'option n° 1) et deux dérogations (les options n° 2 et n° 3), fasse courir le risque aux industriels, notamment les PME, le risque de se voir imposer par leur cocontractant le choix de l'option n° 1 (la règle), au détriment des deux autres.
Compte tenu des résultats des négociations commerciales de ces dernières années, qui ont toutes débouché sur une déflation des produits alimentaires, la commission considère que le dévoilement des marges par l'industriel ne pourra que conduire à une accentuation de cette dynamique destructrice de valeur, au détriment, in fine , du revenu agricole. Elle pointe notamment le fait qu'une fois informés de la part des matières premières agricoles dans le tarif de leurs différents fournisseurs, les distributeurs pourront exiger d'eux qu'ils s'alignent, dans leurs achats, sur celui qui acquiert les produits agricoles au prix le plus bas, ce qui renforcerait la guerre des prix et diminuerait le prix payé aux agriculteurs.
Par ailleurs, la non-négociabilité de la part de la matière première agricole ne s'appliquant qu'aux produits dont elle représente plus de 25 % du volume, conduira, sans aucun doute, à renforcer l'âpreté des négociations sur les autres produits, ceux qui n'y sont pas soumis. Une forme de péréquation s'opérera, d'autant plus forte que ces autres produits alimentaires ne bénéficient pas du principe de non-discrimination (art. 2 bis D), bien qu'ils aient un impact sur la rémunération des agriculteurs.
En l'état de la proposition de loi, en effet, une soupe de potiron est soumise au principe de transparence et à la non-négociabilité de la part liée au potiron dans le tarif du fournisseur (puisque le potiron représente plus de 25 % du volume). En outre, elle bénéficie du principe de non-discrimination et, en tant que produit de grande consommation, du « ligne à ligne ». En revanche, une soupe de cinq légumes, dont chaque légume représente 15 % du volume, n'entre pas dans le périmètre de cet article 2 et est donc exclue du bénéfice de la non-discrimination. La commission s'alarme donc d'un mécanisme qui incite directement le distributeur à négocier une forte baisse de tarif sur cette soupe aux cinq légumes afin de compenser le fait qu'il n'a pas pu obtenir la baisse désirée sur la soupe de potiron.
En dépit de ses intentions, le texte contient donc, en l'état, les germes d'une potentielle aggravation de la guerre des prix qui peut s'avérer préjudiciable aux agriculteurs.
* 3 Commission d'examen des pratiques commerciales, « Recommandation n° 20-2 relative à un guide de bonnes pratiques en matière de contrats portant sur des produits à marque de distributeur (MDD) ».