EXAMEN EN COMMISSION
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MERCREDI 8 SEPTEMBRE 2021
M. Philippe Bas, rapporteur . - Je tiens tout d'abord à remercier nos collègues ultramarins - à commencer par Lana Tetuanui, ici présente - qui ont bien voulu m'éclairer sur la situation de leurs territoires et me décrire la réalité qu'ils vivent. J'ai adressé une demande informelle aux présidents des collectivités ultramarines. Plusieurs m'ont répondu, dont ceux de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et de Saint-Barthélemy.
Vous connaissez tous la situation dans laquelle se trouve une partie des outre-mer - une partie seulement, car nous devons à nos compatriotes ultramarins une prise en compte de la grande diversité de leurs territoires. Derrière les chiffres que je vais rappeler, il y a des réalités humaines : en Martinique, en Guadeloupe, en Polynésie française, des familles sont en deuil et le climat est très difficile. Je suis certain que demain, dans l'hémicycle, nous ferons résonner sur toutes les travées un message d'empathie et de solidarité. Dans certaines collectivités, nos compatriotes connaissent une épreuve que l'Hexagone n'a pas connue.
La semaine dernière, la Guadeloupe dénombrait plus de 1 000 nouveaux cas pour 100 000 habitants, contre près de 650 en Martinique. À Saint-Barthélemy, le taux d'incidence de l'épidémie s'établit à 141 - il est inférieur à la moyenne nationale, qui était de 179 - ; il est d'un peu plus de 500 à Saint-Martin ; de 456 en Guyane - ce chiffre ne prend en compte que les personnes ayant accès au système de santé. Le taux se situe à 185 à La Réunion, soit au même niveau que la moyenne hexagonale, mais celle-ci dissimule des différences importantes entre le pourtour méditerranéen, avec un taux de plus de 300 en Provence Alpes Côte d'Azur, et de plus de 150 en Occitanie, et le reste de l'Hexagone. À Mayotte, le taux est tellement bas - il est de 42,5 - qu'on le soupçonne de ne pas refléter la réalité, même si le faible nombre d'évacuations sanitaires vers La Réunion confirme l'absence de développement exponentiel de l'épidémie. À Wallis-et-Futuna, ce taux est également très bas. En Polynésie française cependant, l'épidémie, quoique récente puisqu'elle a flambé en août, est dévastatrice avec, en fin de semaine dernière, 1 127 cas pour 100 000 habitants ; à l'autre extrême, Saint-Pierre-et-Miquelon, dont 84 % des habitants adultes ont reçu deux injections, a un taux d'incidence négligeable - ce meilleur élève français pour la vaccination est aussi le plus épargné par la maladie.
La vaccination est inversement proportionnelle au taux d'incidence : là où ce dernier est le plus élevé, le taux de vaccination est aussi le plus faible. En Guadeloupe et en Martinique, près de 30 % de la population a reçu au moins une première dose de vaccin, contre 24 % en Guyane. En Polynésie française, 50 % de la population a reçu au moins une dose. À La Réunion, 50 % de la population est aujourd'hui entièrement vaccinée.
La situation économique et sociale, déjà très tendue, s'est encore dégradée ces dernières années, ce qui affaiblit encore la faculté de ces territoires à réagir à la pandémie.
Il convient de développer la vaccination selon des modalités différentes. Les élus de Guyane, de Guadeloupe, de Martinique me l'ont dit : la communication n'a pas été appropriée. Si l'on veut convaincre, il faut passer par des personnes qui ont une légitimité pour le faire, dans la proximité. Comme dans l'Hexagone, cela se passe mieux quand c'est le médecin de famille qui vaccine ou quand les centres de vaccination sont proches des lieux de vie. Cette inflexion est en cours ; espérons qu'elle donne bientôt des résultats.
Quoi qu'il en soit, les autorités ont été amenées à prendre des mesures relevant de l'état d'urgence sanitaire pour faire face à la diffusion de l'épidémie, et il nous appartient de les prolonger. En Polynésie française, elles ont pris la forme d'un décret qui arrive à échéance le 12 septembre ; la prolongation de l'état d'urgence sanitaire dans les autres collectivités a déjà fait l'objet d'une loi, mais ces mesures ne peuvent, sans une autre loi, être prolongées au-delà du 30 septembre. Il nous faut donc soutenir la proposition qui nous est faite de prolonger l'état d'urgence sanitaire dans ces territoires jusqu'au 15 novembre - date que nous avons aussi retenue en juillet dernier pour la validité du passe sanitaire. Nous aurons ainsi l'occasion d'établir un bilan sur ces deux dispositions.
En votant ce texte, nous ne disons pas qu'il faut maintenir l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 15 novembre : le Gouvernement aura le devoir, si la situation s'améliore, de libérer les territoires concernés. J'ai beaucoup hésité sur le cas de Saint Barthélemy, qui présente des chiffres meilleurs que la moyenne nationale, mais dont la proximité avec la Guadeloupe en fait un territoire exposé. Je propose donc d'accepter de l'inclure dans le texte, mais je demanderai au Gouvernement de faire le point dès la semaine prochaine sur la pertinence des restrictions en cours. Le président de cette collectivité, Bruno Magras, m'a écrit en ce sens. Je choisis une position prudente : donner au Gouvernement des outils, mais en lui demandant de s'en servir avec circonspection.
Reste le cas des collectivités qui n'étaient pas déclarées en état d'urgence sanitaire jusqu'à présent. Le Gouvernement veut pouvoir y déclencher l'état d'urgence sanitaire sans avoir à recourir à un vote pour le renouveler avant le 15 novembre. Je suis prêt à l'accepter sous bénéfice d'inventaire : le texte initial incluait Saint-Pierre-et-Miquelon. Par égard pour des populations très épargnées et plus vaccinées que la moyenne nationale, je souhaite l'exclure.
J'étais prêt, jusqu'à dimanche dernier, à tenir le même raisonnement pour la Nouvelle Calédonie. Mais les autorités calédoniennes ont été assez inquiétées par les premiers cas du variant Delta révélés ce jour-là pour décider à l'unanimité de rendre la vaccination obligatoire. Le fait que le virus ait pu franchir les frontières malgré la septaine imposée aux voyageurs appelle effectivement à la plus grande vigilance. Il y aurait actuellement une cinquantaine de cas et, lundi dernier, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, en accord avec le Haut-Commissaire, a déclaré l'urgence et décrété le confinement et le couvre-feu. L'Assemblée nationale a donc décidé de déclarer directement dans la loi l'état d'urgence sanitaire sur ce territoire, action nécessaire pour donner une base légale au confinement souhaité par les autorités locales. J'y souscris et vous proposerai de faire de même.
Dans les îles de Wallis et Futuna, la situation est saine, mais les liens avec la Nouvelle-Calédonie sont tellement forts qu'il est préférable de les laisser sur la liste, tout comme Mayotte, où la situation demeure fragile.
J'ai donc indiqué à nos homologues de la commission des lois de l'Assemblée nationale que, s'ils excluaient Saint-Pierre-et-Miquelon et réglaient un problème juridique pour la remontée de données médicales en Polynésie française - dont Lana Tetuanui vous parlera mieux que moi - je proposerais un vote conforme à notre commission. Ils l'ont fait et je me félicite de cette coopération entre les deux chambres. D'une certaine manière, nos amendements ont déjà été pris en compte.
C'est un texte court, mais très important, y compris pour montrer toute notre considération pour les habitants de ces territoires si divers.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je n'ai pas de discordance sur le fond avec le rapporteur : nous savons tous qu'il est crucial d'agir dans les outre-mer. Cet accord ne dit rien des divergences que nous avons et que nous avons explorées fin juillet jusqu'à une heure avancée de la nuit sur d'autres questions connexes.
Le groupe socialiste a été d'une sobriété rare, puisqu'il n'a déposé aucun amendement. Mais il faudra revenir sur les raisons ayant conduit à cette situation sanitaire dans les territoires ultramarins : le sous-équipement hospitalier ; l'absence d'adaptation locale de la stratégie de vaccination pour convaincre des personnes qui, pour des raisons qui leur appartiennent, n'ont pas confiance ; la situation catastrophique de territoires qui vivent en grande partie du tourisme.
Nous voterons ce texte en l'état.
Mme Lana Tetuanui. - `Ia ora na ! Bonjour, comme nous le disons en Polynésie. Je salue tous mes collègues. Il ne faut pas s'intéresser aux outre-mer qu'à certains moments - nombreux sont ceux qui le feront dans les prochains mois....
Je remercie le rapporteur d'avoir présenté ce sujet en détail. La Polynésie française figure en tête des chiffres... Le taux d'incidence dépasse les 3 000 aux Îles-du-Vent. C'est trop ! Ironie du sort, la situation s'est vraiment dégradée depuis le 27 juillet exactement, date du retour en métropole du Président de la République. (Sourires) Nos détracteurs ont cette date-là en tête, et c'est une réalité.
Je recherche aussi le consensus. Il est urgent de proroger l'état d'urgence sanitaire dans les territoires où il est en vigueur. Obtenir l'unanimité du Sénat en ce sens est important pour toutes les collectivités d'outre-mer, notamment la Polynésie pour laquelle l'état d'urgence arrive à échéance samedi.
Les deux derniers confinements ont été très difficiles pour la Polynésie, avec une forte dégradation des indicateurs sanitaires, sociaux et économiques. Oui à un confinement, mais non à un confinement strict. Nous avons fait ce choix, car nous ne pouvions plus nous permettre de fermer nos frontières. Après avoir raclé tous les fonds de tiroir, la collectivité n'en peut plus.
Les réseaux sociaux viennent perturber le choix de se faire vacciner. Le président de la collectivité a fait appel aux élus locaux - souvent oubliés, mais qui jouent un grand rôle dans la lutte contre l'épidémie. Nous avons décidé de faire campagne dans les quartiers, partout, pour encourager les habitants à se faire vacciner, afin d'atteindre l'objectif que nous avons fixé pour la Polynésie.
Comme l'a évoqué le rapporteur, une question se pose sur mon territoire concernant la validité des systèmes d'information de lutte contre l'épidémie. Le président Fritch a évoqué cette question dans le courrier qu'il a adressé à notre rapporteur. Je n'ai pas déposé d'amendement. Depuis une semaine, nous échangeons avec le ministère des outre-mer. Le ministre a pris l'engagement de régler cette question par ordonnance, même si je ne suis pas une fervente adepte des ordonnances...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous non plus !
Mme Lana Tetuanui. - Entre ce que nous demandons et ce qui arrive, je sursaute la plupart du temps ! Mais nous ferons confiance au Gouvernement, compte tenu de l'extrême urgence.
Cette crise sanitaire a mis en exergue la perte de compétences des collectivités du Pacifique dotées d'un statut propre - statut d'autonomie interne dans le cas de la Polynésie. L'État décrète l'état d'urgence sanitaire, mais ce sont les collectivités qui assument les dépenses.
J'ai encore sous le coude un amendement visant à ce que l'état assume financièrement l'ensemble des conséquences de ses décisions. Il mériterait peut-être d'être déposé en séance publique... Hors de question pour moi de remettre en cause la légitimité de notre commission - j'ai réaffirmé en Polynésie que je suis votre collègue à la commission des lois. Par contre, j'interpellerai le Gouvernement. Lorsqu'on parle des outre-mer, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Je parlerai pour les collectivités du Pacifique, les départements et les territoires. Nous avons notre statut d'autonomie interne.
Voilà le sens de mon amendement : à situation exceptionnelle, décision exceptionnelle et dotation exceptionnelle.
J'ai suivi les débats à l'Assemblée nationale. Certains députés sont très passionnés par l'outre-mer, et je m'en réjouis !
Je vous remercie, tous, pour cet élan de solidarité métropolitain. De nombreux collègues m'ont envoyé des messages de soutien. C'est réjouissant d'avoir des amis à 20 000 kilomètres, car la situation est vraiment très difficile en ce moment.
Mme Catherine Di Folco, président. - Je vous remercie de votre témoignage.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je salue l'esprit de responsabilité de tous les groupes politiques, notamment du groupe socialiste. Les grandes forces de gouvernement ne peuvent manquer à ce devoir de responsabilité face à une situation sanitaire si difficile.
Madame Tetuanui, je n'ai pas souligné cet aspect dans mon rapport, mais l'économie et les collectivités qui s'exposent dans l'action sociale et dans la mise en oeuvre d'une politique de vaccination de proximité doivent être soutenues par l'État. Il est bon que cette voix soit portée demain en séance publique, même si le Gouvernement en a conscience. J'ai tout de même fait allusion au fait que cette crise sanitaire se greffe sur une situation économique et sociale difficile, avec des taux de chômage quatre à cinq fois supérieurs à la moyenne hexagonale. La capacité d'absorption du choc est plus faible dans de nombreux outre-mer que dans l'Hexagone. Le Gouvernement a annoncé que le fonds de solidarité, qui cessera d'intervenir dans l'Hexagone le 30 septembre, continuera à être versé outre-mer, en fonction des besoins recensés par les services de l'État. Cela me semble nécessaire.
Mme Catherine Di Folco, président. - Aucun n'amendement n'a été déposé au stade de la commission, mais nous devons cependant définir le périmètre indicatif du projet de loi, en application de l'article 45 de la Constitution, si des amendements étaient déposés en vue de la séance.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Ce n'est pas une incitation à déposer des amendements ! Le périmètre du projet de loi est restreint, il ne comporte que des dispositions relatives à la prorogation de l'application de l'état d'urgence sanitaire dans certains territoires ultramarins ou au régime de prolongation de ce même régime d'état d'urgence sanitaire.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cela vaut uniquement pour les outre-mer ?
Mme Catherine Di Folco, président. - Tout à fait.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ne nous tentez pas...
M. Philippe Bas, rapporteur. - Ce n'est pas l'occasion de supprimer le passe sanitaire et d'imposer la vaccination obligatoire dans l'Hexagone.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous avez bien suivi...
M. Philippe Bas, rapporteur . - J'essaie de comprendre !
Mme Catherine Di Folco, président. - Nous aurons l'occasion d'en débattre avant le 15 novembre.
Le projet de loi est adopté sans modification.
Mme Catherine Di Folco, président. - La séance publique se tiendra demain jeudi à 9 h 30. À l'issue de la discussion générale, nous examinerons les éventuels amendements de séance.