B. AU PLAN OPÉRATIONNEL, QUATRE GRANDS PRINCIPES RÉGISSENT LE FONCTIONNEMENT DU FRANC CFA DE L'AFRIQUE DE L'OUEST
Si la Zone franc regroupe bien trois ensembles indépendants (UMOA, Cemac et Union des Comores), aux monnaies distinctes, elle se caractérise par des principes de fonctionnement communs.
1. La parité fixe avec l'euro
Le premier principe est celui de la parité fixe avec l'euro , originellement avec le franc français, prévue à l'article 2 de l'accord du 4 décembre 1973 entre la République française et les Républiques membres de l'UMOA.
L'évolution de la parité du franc CFA de l'UMOA
1945 : un franc français = 0,588 franc CFA
1948 : un franc français = 0,5 franc CFA
1960 : introduction du nouveau franc français, un franc français = 50 francs CFA
1994 : dévaluation du franc CFA, un franc français = 100 francs CFA
1999 : arrimage du franc CFA à l'euro, un euro vaut 655,957 francs CFA
Source : Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest, « Histoire du franc CFA »
Le taux de change n'a pas évolué depuis la dévaluation du 11 janvier 1994 (- 50 % pour le franc CFA). En effet, le passage du franc français à l'euro ne s'est pas accompagné d'une modification de la parité , qui a mécaniquement résulté du taux de conversion irrévocable entre l'euro et le franc français. Depuis 1999, un euro vaut donc 655,957 francs CFA .
2. La convertibilité illimitée en euros
La France apporte au franc CFA une garantie de convertibilité illimitée et inconditionnelle , dont le principe est fixé à l'article 1 er de l'accord de coopération entre la France et l'UMOA. La garantie de convertibilité remplit un objectif essentiel : préserver la crédibilité de l'ancrage des francs CFA ou comorien à l'euro .
Cette garantie signifie que la France s'est engagée à répondre à toute demande de conversion des banques centrales de la Zone franc . En cas d'épuisement de ses réserves de change, la BCEAO pourrait ainsi se procurer les euros dont elle aurait besoin auprès de la France. La garantie n'est donc octroyée qu'à la banque centrale, et pas à l'ensemble des porteurs (agents économiques ou États). En cas d'activation de la ligne de garantie, le montant des devises empruntées n'est remboursé qu'une fois les réserves de change reconstituées.
Ainsi, si la désignation « accord de coopération monétaire » permet de souligner l'objet de ces associations - le fonctionnement des francs CFA et comorien - elle constitue en réalité un abus de langage. Ces accords se traduisent concrètement par un engagement budgétaire de la part de la France . La garantie de convertibilité illimitée et inconditionnelle qu'elle apporte revêt en effet l'apparence d'un mécanisme de prêt , et non celle d'une « garantie de l'État » au sens de l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) 4 ( * ) .
La garantie de l'État au sens de l'article 34 de la LOLF
Dans le cadre d'une garantie de l'État au sens de l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances, l'État accorde sa caution à un organisme afin de faciliter ses opérations d'emprunt, en garantissant au prêteur le remboursement du prêt en cas de défaillance de l'emprunteur. Cette garantie est alors inscrite dans les engagements hors bilan de l'État et ne se traduit pas de manière immédiate par un engagement budgétaire. Le risque est donc réel, mais le coût budgétaire est éventuel.
L'engagement de la France est porté par le compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux » , créé par l'article 46 de la loi de finances pour 2006 5 ( * ) . Il se compose de trois programmes, pour chaque accord monétaire : « relations avec l'Union monétaire ouest-africaine » (P811), « relations avec l'Union monétaire d'Afrique centrale » (P812), « relations avec l'Union des Comores » (P813). Ce compte ne fait plus l'objet d'un abondement en crédits depuis plusieurs années, le risque d'un appel en garantie étant extrêmement faible . Les derniers découverts de la BCEAO datent de 1987, 1988 et 1991 et étaient d'une ampleur très limitée.
C'est donc le Trésor français qui octroie la garantie portée par les accords, un crédit sans collatéral et sur des ressources qui ne sont pas monétaires. La Banque de France n'est pas impliquée dans ce mécanisme, mais apporte son concours pour analyser le risque représenté par cette garantie.
3. La centralisation des réserves de change
Les pays de la Zone franc doivent centraliser la totalité de leurs réserves de change officielles auprès de leur banque centrale qui, en retour, doit obligatoirement déposer un pourcentage de ses avoirs en devises sur un compte d'opérations ouvert auprès du Trésor français 6 ( * ) . Ce principe, inscrit à l'article 3 de l'accord de coopération entre la France et l'UMOA, vise à permettre à la France de suivre et de mesurer, via les réserves de change, le risque financier qu'elle prend au titre de l'octroi de sa garantie de convertibilité.
Originellement de 100 %, puis abaissé à 65 % en 1973, le minimum des avoirs extérieurs nets que la BCEAO doit déposer auprès du Trésor français a une nouvelle fois été abaissé en 2005, passant à 50 % 7 ( * ) . Néanmoins, comme l'indiquent les données figurant dans le compte général de l'État ainsi que la Banque de France et la direction générale du Trésor, il arrive fréquemment que les dépôts de la BCEAO excèdent ce seuil minimal . Ainsi, alors que le FMI estimait que le volume des réserves de l'UMOA était de près de 14,7 milliards d'euros à la fin de l'année 2019, la BCEAO disposait d'environ neuf milliards d'euros sur son compte d'opérations.
Il est cependant impossible d'avoir une vision à l'euro près du montant des dépôts des banques centrales de la Zone franc du fait de leurs variations quotidiennes, en fonction des besoins des économies. Dans les documents budgétaires, ce montant est arrêté et estimé annuellement, pour l'ensemble des banques centrales de la Zone franc.
Il s'agit de dépôts à vue en euros et ces avoirs demeurent librement accessibles . Ils sont sécurisés et rémunérés , selon les conditions prévues dans les conventions, soit aujourd'hui à un taux de 0,75 % pour la BCEAO 8 ( * ) , très favorable dans le contexte actuel de faiblesse durable des taux .
La rémunération des avoirs extérieurs nets déposés par la BCEAO
La part des avoirs devant obligatoirement être déposés auprès du Trésor (50 %) est rémunérée au taux de facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne (aujourd'hui 0,25 %), avec un taux plancher de 0,75 %. C'est ce taux qui s'applique actuellement.
La part des avoirs ne rentrant pas dans l'obligation de dépôt est rémunérée au taux principal des opérations de refinancement de la BCE, soit 0 % aujourd'hui.
Source : Cour des comptes , note d'analyse de l'exécution budgétaire 2019, « Gestion de la dette et de la trésorerie de l'État »
Le compte de commerce « Gestion de la dette et de la trésorerie de l'État » retrace dans sa section 1 les opérations budgétaires relatives à la gestion de la dette et de la trésorerie (et donc la rémunération des dépôts). Cette section est équilibrée par des versements de crédits du budget général (programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'État » de la mission « Engagements financiers de l'État »). En 2019, la rémunération des dépôts de l'ensemble des correspondants du Trésor s'est élevée à 177 millions d'euros, dont 62,6 millions d'euros pour les banques centrales africaines 9 ( * ) .
Ces avoirs bénéficient en outre d'une garantie de change : en cas de dépréciation de l'euro par rapport aux principales devises - soit par rapport au panier de devises internationales qu'est le droit de tirage spécial (DTS) - la France compense financièrement la perte de change des dépôts des banques centrales.
La garantie de change des avoirs extérieurs nets
déposés par la BCEAO, la BEAC et la BCC
Les gains ou pertes de change générés par les variations de la valeur de l'euro par rapport au droit de tirage spécial sont retracés quotidiennement dans une comptabilité annexe pour chaque banque centrale. Les gains nets cumulés au fil des ans couvrent les pertes de change constatées. La garantie de l'État n'est donc activée que si le solde, arrêté le 30 juin de chaque année, est négatif. Le compte d'opération de la banque centrale concernée est alors crédité à due concurrence par le Trésor français.
La BCEAO et la BEAC ont mis en place un mécanisme de plafonnement annuel, afin de lisser les paiements dus par la France en cas de dépréciation significative et durable de l'euro : le montant des versements est réduit si l'euro s'apprécie postérieurement à l'activation de la garantie.
Entre le 30 juin 2018 et le 30 juin 2019, l'euro s'est déprécié de 1,24 % par rapport au DTS, soit des pertes de change évaluées à 89,6 millions d'euros. Cela n'a pas conduit à un appel des garanties de change. En effet, au 31 décembre 2019, le solde global des comptes de réévaluation était positif (environ 459 millions d'euros).
Source : Compte général de l'État, 2019 (p. 128)
4. La liberté des transactions courantes et des mouvements de capitaux
Le quatrième principe est celui de la liberté des transactions courantes et des mouvements de capitaux, qui ne vaut toutefois que pour les transactions internes à chacune des zones monétaires (UEMOA, Cemac et Comores). Les banques centrales de chacune de ces zones peuvent donc instituer un contrôle de change pour les opérations avec les pays non membres de la zone monétaire.
Les monnaies de la Zone franc ne sont pas librement convertibles entre elles : la France a bien conclu trois accords de coopération monétaire bilatéraux (UMOA, BEAC et Comores) mais il n'existe pas d'accord de coopération entre ces trois zones. Concrètement, un franc CFA de l'Afrique de l'Ouest, utilisé par exemple au Sénégal, ne pourra pas être utilisé au Cameroun (franc CFA de l'Afrique centrale).
5. Un cinquième principe ? La présence de représentants français dans les instances techniques des trois zones monétaires
Les accords de coopération prévoient également la présence de représentants français au sein des instances techniques des banques centrales des deux zones monétaires et des Comores . Cette présence, qui s'est fortement réduite depuis les années 1950, à l'exception des Comores où elle demeure de 50 %, s'explique principalement par le rôle de garant joué par la France, partie aux accords de coopération monétaire.
La France est ainsi représentée dans trois instances techniques de la BCEAO et de l'UMOA :
- le conseil d'administration de la BCEAO, chargé des questions relatives à la gestion de la banque centrale ;
- le conseil de politique monétaire de la BCEAO, chargé de définir la politique monétaire au sein de l'UMOA ;
- la commission bancaire de l'UMOA, chargée de la supervision bancaire.
La France ne participe donc aucunement aux instances politiques de l'UMOA (conférence des chefs d'État et de Gouvernement, conseil des ministres).
Un autre exemple de coopération
monétaire : le Portugal, le Cap-Vert
et Sao
Tomé-et-Principe
La France n'est pas le seul État lié par des accords de coopération monétaire : le Portugal a conclu des accords similaires avec le Cap-Vert (mars 1998) et Sao Tomé-et-Principe (juillet 2009). Ils reposent sur des principes similaires à ceux prévus dans les accords de coopération signés par la France :
- une parité fixe (1 euro = 110,27 escudo capverdien et 1 euro = 24 500 dobra santoméens) ;
- la présence de représentants portugais dans les commissions d'experts chargées, pour chaque pays, de la bonne exécution de l'accord et du suivi de la situation macroéconomique du pays bénéficiaire ;
- une garantie de convertibilité apportée
par le Portugal, mais au contraire de celle apportée par la France, elle
n'est pas illimitée. Le plafond de découvert est limité
à 27,4 millions d'euros pour le Cap-Vert et 25 millions d'euros pour
et
Sao Tomé-et-Principe ;
- le Cap-Vert et Sao Tomé-et-Principe doivent s'engager à mettre en oeuvre des mesures de politique économique compatibles avec le maintien de leur parité fixe à l'euro, une disposition qui n'existe pas dans les accords de coopération de la Zone franc.
Source : direction générale du Trésor, « Les autres exemples de coopération monétaire dans le monde »
* 4 Loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances.
* 5 Article 46 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.
* 6 Article 3 de l'accord de coopération entre la République française et les Républiques membres de l'UMOA ; article 2 de la convention de coopération monétaire entre les États membres de la BEAC et la France ; article 2 de l'accord de coopération entre la République française et la République fédérale islamique des Comores.
* 7 Il est également de 50 % pour la BEAC et de 65 % pour la Banque centrale des Comores.
* 8 Ce taux plancher est également de 0,75 % pour la Banque des États d'Afrique centrale et de 2,5 % pour l'Union des Comores.
* 9 Rapport annuel de performance des comptes de commerce, annexé au projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes pour 2019 et Cour des comptes, note d'analyse de l'exécution budgétaire 2019, « Gestion de la dette et de la trésorerie de l'État ».