II. UNE PROPOSITION TRÈS DISCUTÉE EN DÉPIT D'UN ACCORD SUR LA NÉCESSITÉ DE PROTÉGER LES MINEURS
Bien que le texte tire les leçons des débats tenus en 2018, les auditions auxquelles a procédé le rapporteur 4 ( * ) ont montré que la proposition de créer un crime autonome, avec un seuil d'âge fixé à treize ans, était encore loin de faire consensus.
A. L'INTÉRÊT DE LÉGIFÉRER À NOUVEAU EST PARFOIS CONTESTÉ
Ce sont les représentants des avocats (Conseil national des barreaux et Conférence des bâtonniers) qui ont exprimé l'opposition la plus ferme à la proposition de loi, jugée inutile et inopérante.
Ils ont estimé que l'arsenal législatif était suffisant : le délit d'atteinte sexuelle fixe déjà un interdit sociétal clair , en punissant tout acte sexuel entre un mineur de quinze ans et un majeur, et il est rare, dans les affaires de viol, que le consentement d'un mineur de treize ans soit longuement discuté à l'audience. La création d'une nouvelle infraction pourrait donc être perçue comme une réponse de circonstances à des faits divers qui ont pu choquer mais qui demeurent exceptionnels 5 ( * ) . Ils ont mis en garde contre les inconvénients d'une instabilité excessive du droit pénal, rappelant que la loi Schiappa de 2018 avait déjà renforcé les dispositions tendant à mieux lutter contre les infractions sexuelles sur mineurs et que l'on manquait de recul pour en évaluer pleinement les effets.
Les avancées issues de la loi Schiappa
Concernant l'infraction de viol, la loi Schiappa a ajouté, à l'article 222-22-1 du code pénal, des dispositions interprétatives relatives à la contrainte morale et à la surprise, afin que soient mieux prises en compte, d'une part, la différence d'âge entre la victime et l'auteur des faits et l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime, d'autre part, la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes.
Elle a également retouché la définition du viol à l'article 222-23, en visant tout acte de pénétration sexuelle commis sur la personne d'autrui « ou sur la personne de l'auteur », de manière à ce que puisse être poursuivi sur ce fondement l'agresseur qui aurait effectué une fellation.
La loi a également prévu que le président de la cour d'assises pose une question subsidiaire au jury afin que, si la qualification de viol sur mineur n'était pas retenue, l'accusé puisse être condamné pour atteinte sexuelle, au lieu d'être acquitté. L'article 351 du code de procédure pénale précise désormais que « s'il résulte des débats que le fait comporte une qualification légale autre que celle donnée par la décision de mise en accusation, le président pose une ou plusieurs questions subsidiaires. Lorsque l'accusé majeur est mis en accusation du chef de viol aggravé par la minorité de quinze ans de la victime, le président pose la question subsidiaire de la qualification d'atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans si l'existence de violences ou d'une contrainte, menace ou surprise a été contestée au cours des débats. »
Concernant le délit d'atteinte sexuelle, la loi Schiappa a alourdi le quantum de la peine encourue : avant la promulgation de la loi, ce délit était puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ; la peine a été portée à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende.
Enfin, la loi a allongé le délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur les mineurs. Hormis les crimes contre l'humanité, tous les crimes et délits sont soumis à un délai de prescription : passé ce délai, aucune poursuite ne peut plus être engagée contre l'auteur des faits. Pour les crimes, le délai de prescription est en principe de vingt ans, porté à trente ans pour certains crimes particulièrement graves (terrorisme par exemple).
Avant la loi Schiappa, le délai de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs était de vingt ans à compter de la majorité de la victime. La loi Schiappa a porté ce délai à trente ans à compter de la majorité de la victime. La personne victime d'un viol pendant sa minorité peut donc porter plainte jusqu'à l'âge de 48 ans.
Les représentants des avocats ont également souligné la difficulté d'établir qu'une pénétration sexuelle a bien eu lieu puis de montrer que le majeur avait connaissance ou ne pouvait ignorer l'âge de la victime, ce qui pourrait avoir pour conséquence des non-lieux fréquents, prononcés au terme d'une longue information judiciaire. Sans faciliter l'administration de la preuve, dans des dossiers qui se résument souvent aux accusations de la victime face aux dénégations du mis en cause, la qualification délictuelle d'atteinte sexuelle permet, selon eux, à tout le moins de réduire le temps judiciaire.
La qualification délictuelle présente également l'avantage de faciliter le classement sans suite par le parquet dans les affaires où des poursuites paraissent inopportunes, par exemple si des parents portent plainte parce qu'ils désapprouvent une relation consentie entre un mineur d'un peu moins de quinze ans et un jeune majeur. La qualification criminelle rend plus difficile le classement sans suite, le parquet étant alors en principe tenu de saisir un juge d'instruction.
Sur un plan plus philosophique, les représentants du Barreau ont noté que la création d'une infraction qui écarte la question du consentement va à l'encontre des tendances contemporaines tendant à accorder de l'importance à la parole et à la volonté de l'enfant dès lors qu'il est capable de discernement.
Parmi les personnes entendues qui se sont déclarées favorables à une évolution de la législation, une double ligne de clivage est apparue : clivage autour du seuil d'âge et autour du choix d'une infraction autonome plutôt que d'une présomption.
* 4 En plus des auditions organisées au Sénat, le rapporteur a entendu dans son département le procureur de la République, un pédiatre, le responsable de la Maison des Ados, ainsi que plusieurs principaux de collège.
* 5 Dans l'affaire de Pontoise, un juge d'instruction a finalement été saisi et l'information judiciaire est toujours en cours. Dans l'affaire de Seine-et-Marne, l'accusé, d'abord acquitté en première instance, a finalement été condamné en appel à sept ans de réclusion criminelle. Sans modification de la loi, l'autorité judiciaire a donc finalement pu apporter une réponse appropriée à ces affaires.