LES
MODIFICATIONS APPORTÉES
PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
En première délibération, l'Assemblée nationale a adopté deux articles additionnels rattachés à la mission « Sécurités », dont l'article 66 commenté ci-après.
Elle a également adopté un amendement n°II-1170 du Gouvernement modifiant les crédits de la mission « Sécurités » mais uniquement pour les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ». Les crédits demandés pour le programme 161 « Sécurité civile » en 2021 restent donc inchangés par rapport au texte initial du projet de loi.
Elle a enfin adopté un amendement n°II-3526 du Gouvernement 16 ( * ) à l'article 41 du projet de loi de finances pour 2021, afin de rajouter une quarantaine de programmes pouvant bénéficier d'un report de crédits de paiement supérieur à 3 % de 2020 vers 2021. Le programme 161 « Sécurité civile » est désormais inclus dans cette liste , afin de tenir compte « du décalage de certaines opérations d'investissement » d'après le Gouvernement.
Il est regrettable que la nature de ces opérations ne soit pas précisée. Il est possible qu'elles concernent la flotte aéronautique de la sécurité civile, dont les besoins de modernisation sont identifiés, et sans doute plus particulièrement ceux des hélicoptères. En effet, le marché de modernisation de leur avionique , lancé en 2016, a connu des retards importants dans son exécution . Réparti en trois tranches, il représente un coût de plus de 28 millions d'euros. Initialement prévue en 2020, la troisième tranche a été reportée à 2022.
EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ
ARTICLE 66 (nouveau)
Pérennisation et
élargissement de la possibilité pour les collectivités
territoriales de financer les opérations immobilières
liées aux besoins de services de sécurité publique et de
la justice
Le présent article vise à abroger l'article L. 1311-4-1 du code général des collectivités territoriales , qui permet, jusqu'au 31 décembre 2020, aux collectivités territoriales d'engager des opérations immobilières pour les besoins de la justice, de la police et de la gendarmerie nationales et de mettre à disposition de l'État les bâtiments ainsi construits . Il prévoit un dispositif similaire pour les besoins des services d'incendie et de secours (SIS) . Dans le même temps, le présent article tend à créer un nouvel article L. 1311-19 , au sein du même code, pour reprendre les dispositions de l'article L. 1311-4-1, tout en y apportant trois modifications : leur pérennisation, leur élargissement aux besoins de la sécurité civile, et leur exclusion du champ des baux emphytéotiques administratifs . La commission des finances propose d'adopter cet article ainsi modifié par son amendement II-16 de clarification , afin de préciser que les opérations immobilières liées aux besoins des SIS n'aboutissent pas à une mise à disposition de l'État pour les bâtiments concernés. |
I. LE DROIT EXISTANT : UNE POSSIBILITÉ DE COFINANCEMENT CRÉÉE PAR LA LOI « LOPSI », AYANT CONNU UNE APPLICATION PROGRESSIVE
1. Un dispositif temporaire ouvert en 2002, et prorogé à maintes reprises en loi de finances jusqu'en 2020
Introduit par la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure (LOPSI 1), l'article L. 1311-4-1 du code général des collectivités territoriales autorise les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à construire, acquérir ou rénover, y compris sur leur domaine public, des bâtiments destinés à être mis à disposition de l'État pour les besoins de la justice, de la police et de la gendarmerie nationales.
Les opérations envisagées doivent faire l'objet d'une convention entre l'État et la collectivité, précisant d'une part les engagements financiers, le lieu d'implantation envisagé et, le programme technique de construction, et d'autre part, la durée et les modalités de la mise à disposition des bâtiments ainsi construits.
Il s'agit donc d'une délégation de maîtrise d'ouvrage. Les bâtiments sont ensuite pris à bail par l'État, le recours au crédit-bail étant autorisé par le dernier alinéa de l'article. La mise à disposition de l'État peut être aussi gratuite.
Le Sénat avait également étendu cette possibilité en 2006 aux services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), en y insérant un alinéa prévoyant que « les conseils généraux peuvent construire, y compris sur les dépendances de leur domaine public, acquérir ou rénover des bâtiments destinés à être mis à la disposition des services départementaux d'incendie et de secours » 17 ( * ) . Cette possibilité s'inscrit en complémentarité du principe général permettant aux SDIS de « passer avec les collectivités locales ou leurs établissements publics toute convention ayant trait à la gestion non opérationnelle du service d'incendie et de secours », ainsi qu'en dispose l'article L. 1424-1 du code général des collectivités territoriales depuis 2002 .
Ce type de montage dérogatoire devait initialement durer jusqu'au 31 décembre 2007 pour les services de l'État et jusqu'au 31 décembre 2010 pour les SDIS. Il a connu six prorogations jusqu'au 31 décembre 2020, dont cinq ont été effectuées dans le cadre d'une loi de finances 18 ( * ) .
2. Une possibilité de cofinancement exploitée progressivement pour la police, la gendarmerie et les SDIS
La mise en oeuvre de ces partenariats entre l'État et les collectivités a été très progressive. En effet, ce type d'opération implique une avance de la part de la collectivité pour tout ou partie du financement de l'investissement, ce qui, dans un premier temps, a réduit l'attractivité de ces cofinancements aux collectivités dont la situation financière le permet. Ce type d'opération peut pourtant bénéficier du Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), rendant ainsi son recours plus incitatif pour les collectivités. Seule une douzaine de projets avaient ainsi été lancés entre la promulgation de la LOPSI 1, en 2002, et la LOPPSI 2 , en 2011.
Aujourd'hui, le recours à ce procédé semble être bien répandu, puisque le ministère de l'intérieur recense 188 projets ayant été conduits dans ce cadre, essentiellement pour la construction de casernes de gendarmerie, mais aussi de commissariats ou d'hôtels de police.
En ce qui concerne les SDIS, les montages possibles avec le conseil départemental semblent être plus rarement mis en oeuvre. Deux projets passés sont ainsi cités par le ministère de l'intérieur, l'un en Ille-et-Vilaine, l'autre à La Réunion.
II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ À L'ASSEMBLÉE NATIONALE : UN DÉPLACEMENT DES DISPOSITIONS EXISTANTES, POUR CLARIFIER LEUR RÉGIME JURIDIQUE, ASSOCIÉ À LEUR PÉRENNISATION ET LEUR ÉLARGISSSEMENT
Le présent article est issu de l'adoption d'un amendement du Gouvernement 19 ( * ) , avec avis favorable du rapporteur spécial du programme « Sécurité civile ».
Il vise à abroger l'article L. 1311-4-1 du code général des collectivités territoriales précité, afin d'en déplacer les dispositions dans un nouvel article L. 1311-19 au sein du même code.
L'article L. 1311-4-1 est en effet situé dans la section 1 consacrée aux baux emphytéotiques administratifs (BEA), aussi entretenait-il une confusion quant au régime des conventions de cofinancement , sous-entendant qu'elles puissent prendre la forme d'un BEA. Si les montages prévus par l'article L. 1311-4-1 ont pu être considérés à tort comme des BEA, c'est parce qu'un dispositif analogue d'opération immobilière existait sous l'empire de l'article L. 1311-2 du même code pour la police et la gendarmerie. Cette possibilité a cependant été abrogée par l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, qui a mis fin au dispositif du BEA, afin de se conformer au droit communautaire de la commande publique 20 ( * ) .
Il est donc proposé de déplacer ces dispositions vers la section 4 - toujours dans la partie relative aux biens des collectivités territoriales, afin de clarifier la situation juridique de ces conventions et de les exclure explicitement du champ des BEA. Cette solution permettra ainsi d'éviter les confusions avec les BEA, et garantira ainsi que les conventions prévues par ce nouvel article L. 1311-19 soient bien conformes droit européen.
L'article 66 apporte en outre deux modifications majeures à cette possibilité de cofinancement entre l'État et les collectivités : sa pérennisation et son élargissement à la sécurité civile. Si ces deux modifications ne devraient pas rencontrer d'opposition de principe, elles appellent tout de même plusieurs observations.
III. LA POSITION DE LA COMMISSION : UNE MESURE CONSENSUELLE, DONT LA RÉDACTION DOIT CEPENDANT ÊTRE CLARIFIÉE
A. UN DISPOSITIF UTILE DONT LA PÉRENNISATION ET L'ÉLARGISSEMENT À LA SÉCURITÉ CIVILE SONT VIVEMENT SOUHAITABLES
1. Une pérennisation attendue et bienvenue, sous réserve qu'elle ne se heurte pas à la jurisprudence du Conseil constitutionnel
a) Une possibilité de cofinancement intéressante à la fois pour l'État et les collectivités
Par le passé, la commission des finances du Sénat s'est prononcée à plusieurs reprises en faveur des reconductions de ce dispositif .
Il répond effectivement à d es besoins réels et partagés par les collectivités et l'État, et peut en outre représenter une économie budgétaire significative pour ce dernier . Ainsi, depuis la précédente prorogation de 2018, l'effort des collectivités dans les opérations immobilières pour le compte de la police nationale s'est élevé à 9,672 millions d'euros.
Notre collègue Philippe Dominati rappelait cependant que ce dispositif ne saurait cependant « masquer l'insuffisance chronique des crédits affectés aux dépenses de construction et de maintenance lourde » concernant la police et la gendarmerie nationales. Il considérait néanmoins qu'une « réflexion sur l'adoption d'un dispositif pérenne » devait être engagée 21 ( * ) .
Dans l'exposé de l'amendement ayant introduit le présent article, le Gouvernement précise par ailleurs la nécessité de rendre définitives ces dispositions « afin que la sécurité juridique des projets immobiliers soit garantie dans un cadre pluriannuel ». 22 ( * )
Il faut ajouter, que, sans cette pérennisation, la validité de certains projets immobiliers engagés récemment pourrait être compromise , alors même qu'ils doivent se poursuivre au-delà de l'actuelle date butoir du 31 décembre 2020. C'est notamment le cas des projets d'hôtels de police de Nice, Bordeaux-Mérignac, Corbeil-Essonnes ou Élancourt.
Enfin, la pérennisation de cette possibilité de cofinancement s'inscrit dans la prochaine politique d'optimisation des dépenses du ministère de l'intérieur, évoquée par le livre blanc sur la sécurité intérieure 23 ( * ) , lequel doit aboutir au dépôt d'un troisième projet de loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure.
b) Une pérennisation repoussée lors de l'examen de la loi LOPPSI 2
La solution d'une pérennisation avait en réalité dé jà été envisagée dans le cadre de l'examen de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure de 2011 , dite « LOPPSI 2 ».
La commission des lois de l'Assemblée nationale avait toutefois estimé qu'une pérennisation n'était pas conforme à la décision du Conseil constitutionnel n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 au sujet de l'extension de ces dispositifs au secteur hospitalier : le Conseil constitutionnel avait alors rappelé « les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics » et qu'il fallait alors réserver « de semblables dérogations à des situations répondant à des motifs d'intérêt général tels que l'urgence qui s'attache, en raison de circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable, ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d'un équipement ou d'un service déterminé ». 24 ( * )
Ainsi, il faut espérer que les discussions menées par le Gouvernement préalables à la pérennisation ainsi envisagée aient bien pris en compte cette nécessité de veiller aux impératifs constitutionnels d'égalité devant la commande publique .
2. Une extension bienvenue du dispositif aux besoins de la sécurité civile
Le nouvel article L. 1311-19 proposé comprend également un élargissement du champ des services de l'État pouvant bénéficier du soutien financier des collectivités, en ajoutant les besoins « de la sécurité civile » .
Dans la mesure où cette possibilité de cofinancement s'est révélée pertinente pour la police, la gendarmerie et la justice, il n'y avait pas lieu d'en tenir à l'écart la sécurité civile, d'autant plus que ses besoins devraient être moins coûteux . Le patrimoine immobilier de la direction générale de la sécurité civile et de gestion des crises (DGSCGC) est en effet moins dense que celui des directions générales de la police nationale (DGPN) ou de la gendarmerie nationale (DGGN).
D'après le ministère de l'intérieur, aucun projet immobilier n'est encore identifié à ce stade. La mise oeuvre d'un tel montage pour la sécurité civile est cependant loin d'être exclue à court ou moyen terme, les implantations locales de la DGSCGC étant nombreuses et appelées à évoluer.
En effet, outre les services centraux, les moyens de l'État en matière de sécurité civile sont très présents dans le reste du territoire , avec les 23 bases d'hélicoptères de secours, la base aérienne de sécurité civile de Nîmes-Garons, les trois unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile (UIISC), présentes à Nogent-le-Rotrou, Brignolles et Corte, ou encore les centres de déminage, ces derniers faisant régulièrement l'objet de relocalisation ou même de nouvelle implantation. La création d'une quatrième UIISC est aussi envisagée dans un territoire ultramarin par le livre blanc sur la sécurité intérieure 25 ( * ) , et pourrait donc représenter un projet immobilier d'envergure pour la sécurité civile ces prochaines années.
Cette extension du dispositif de cofinancement paraît donc bienvenue, sous réserve qu'elle concerne bien les « moyens nationaux » de la sécurité civile évoqués supra , dans la mesure où elle implique in fine une mise à disposition de l'État des bâtiments concernés par ces opérations . L'amendement 26 ( * ) présenté par le rapporteur spécial entend ainsi le préciser pour éviter toute confusion, la sécurité civile reposant également et essentiellement sur des moyens locaux à travers les SDIS. À cet égard, ce même amendement entend également clarifier la rédaction proposée au sujet des projets immobiliers des SDIS.
B. UNE CLARIFICATION NÉCESSAIRE, POUR ÉVITER TOUTE MISE À DISPOSITION DE L'ÉTAT DES BÂTIMENTS CONSTRUITS POUR LES SERVICES D'INCENDIE ET DE SECOURS
La rédaction proposée par le nouvel article L. 1311-19 mérite en effet une clarification afin de la rendre cohérente avec le droit existant. En effet, elle fusionne la référence aux services d'incendies et de secours (SIS) avec les références à la justice, à la police et à la gendarmerie nationales au sein d'un même paragraphe. Ce dernier prévoit une mise à disposition de l'État des bâtiments ainsi construits.
Or la rédaction de l'article L. 1311-4-1 en vigueur, et dont l'abrogation est ici proposée, distingue le cas des SIS dans un paragraphe ad hoc , prévoyant que les bâtiments construits pour leurs besoins soient mis à leur disposition . Cette distinction est justifiée par le fait que, contrairement à la justice, la police et la gendarmerie nationales qui sont des services de l'État, les SIS sont des établissements publics financés par les collectivités territoriales et dont l'organisation et la gestion non opérationnelle relèvent de leur compétence propre.
Aussi, afin d'éviter toute confusion possible dans l'interprétation des dispositions ainsi créées, le rapporteur spécial propose un amendement précisant que les opérations immobilières couvrant les besoins des SDIS soit bien mis à leur disposition et non à la disposition de l'État.
Décision de la commission : la commission propose d'adopter cet article ainsi modifié.
* 16 http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/3360C/AN/3526
* 17 Article 125 de loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005, introduit par l'amendement n°167 de M. Éric DOLIGÉ, sénateur, repris par le Gouvernement https://www.senat.fr/seances/s200512/s20051220/s20051220032.html#section7456 .
* 18 Voir notamment les 3 dernières reconductions : Article 96 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ; article 119 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 et article 170 n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
* 19 Amendement n°II-1136 du Gouvernement sur le projet de loi de finances pour 2021 http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/3360C/AN/1136 .
* 20 Voir notamment le rapport n° 477 (2015-2016) de M. André REICHARDT, fait au nom de la commission des lois , déposé le 16 mars 2016, sur le projet de loi de ratification de cette ordonnance.
* 21 Rapport de M. Philippe DOMINATI , fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2017 http://www.senat.fr/rap/l17-108-328-1/l17-108-328-18.html#toc114 .
* 22 Amendement n°II-1136 du Gouvernement sur le projet de loi de finances pour 2021 http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/3360C/AN/1136 .
* 23 Livre blanc de la sécurité intérieure publié le 16 novembre , pages 316 et 321.
* 24 Voir notamment le rapport de M. Jean-Patrick COURTOIS, rapporteur de la commission des lois sur le projet de loi LOPPSI 2 http://www.senat.fr/rap/l09-517/l09-51727.html#toc221 .
* 25 Livre blanc de la sécurité intérieure publié le 16 novembre , page 327.
* 26 Amendement n°II-16 http://www.senat.fr/amendements/2020-2021/137/Amdt_II-16.html .