C. UN INDISPENSABLE RENFORCEMENT DES MOYENS NATIONAUX FACE À LA MULTIPLICATION DES CRISES
1. L'acquisition de nouveaux Dash : une avancée indéniable dans le dispositif de lutte contre les crises
a) Un avion multi-rôles mobilisable pour différents types de crise
Ainsi qu'évoquée supra , la DGSCGC poursuivra en 2021 l'exécution de sa commande de nouveaux avions. Deux Dash seront ainsi livrés en 2021, et s'ajouteront aux 4 autres déjà opérationnels . Aux termes de cette commande, en 2023, la flotte d'avions de la Sécurité civile sera composée de 8 Dash, 12 Canadair CL-415 et 3 Beechcraft.
La commande de ces nouveaux Dash a pour objectif de remplacer intégralement les Tracker vieillissants, jusqu'alors employés dans la lutte contre les incendies de forêts, tout en élargissant les capacités opérationnelles de la flotte. Dans son rapport sur la lutte contre les feux de forêts 12 ( * ) , le rapporteur spécial avait en effet salué le choix stratégique d'un tel avion « car il pourra être mobilisé pour d'autres opérations, comme le transport de secours (jusqu'à 64 passagers), pour les périodes où le risque de feu est moindre. » De fait, les Dash ont été mobilisés à plusieurs reprises dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19 menée le printemps dernier.
Le Dash, un avion multi-rôles qui se révèle un excellent choix face à l'enchainement de différentes crises Entre le 17 mars et le 16 avril 2020 (première période de l'état d'urgence sanitaire), le Dash M73 du groupement avions de la Sécurité Civile (GASC) a réalisé 8 missions en relation avec la crise sanitaire correspondant à un total de 25 heures et 18 minutes de vol. En fonction des nécessités les Dash 8 Q 400 ont été utilisés en configuration dite « combi » (passagers et fret) ou en configuration « passagers » uniquement. Ces missions ont permis de répondre aux besoins exprimés par le Préfet de la zone de défense et de sécurité Sud pour assurer le transport de matériel sanitaire (masques, équipements de protection individuelle, gel hydroalcoolique) au profit des préfectures des départements de la Haute-Corse (2A) et de la Corse du Sud (2B) ainsi que le soutien au ministère de la santé pour le transfert d'une équipe médicale depuis Bordeaux vers Strasbourg et Besançon pendant le pic de la pandémie dans la Région Grand-Est. Un Dash a également été engagé pour permettre aux équipages de l'hélicoptère envoyé en renfort aux Antilles de gagner l'aéroport de départ. Une mission a également été ordonnée pour transporter un détachement de la Brigade des marins-pompiers de Marseille (BMPM) jusqu'à Paris. Évaluée au coût complet de l'heure de vol (11 128 euros), les 8 missions réalisées par le Dash M73 dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée au COVID-19 représentent une dépense de 280 203 euros. Source : réponses au questionnaire budgétaire |
b) De nouvelles implantations des stations d'avitaillement en réponse à l'extension géographique du risque de feux
Le Dash a par ailleurs démontré son efficacité opérationnelle lors de la dernière saison des feux. Cet avion équivaut en effet à 2 Tracker, étant plus rapide (450 km/h contre 300 km/h) et doté d'un emport supérieur (10 tonnes contre 3,3 tonnes) . Il peut donc assurer une plus grande couverture du territoire, une capacité qui s'avère indispensable compte tenu de l'extension géographique du risque de feux de forêts . Toutefois, afin de garantir le bon déroulement de ses opérations sur l'ensemble du territoire, le rapporteur spécial avait recommandé « de revoir l'implantation des stations de ravitaillement sur le territoire métropolitain et envisager l'installation d'un « pélicandrome » mobile dans chaque zone de défense et de sécurité. »
La DGSCGC précise ainsi qu'une démarche d'identification de sites dans la moitié nord de la France a été engagée. Elle a été suivie de l'installation de nouveaux pélicandromes dès l'été 2020, en zone Ouest notamment, à Châteauroux (36) et Angers (49), et en zone Nord (Meaulte - 80). Cette démarche va se poursuivre dans les zones Est et Sud-Est afin d'y positionner des pélicandromes.
2. Des moyens aériens cruciaux dans la lutte contre les feux de végétation, qui concerne désormais l'ensemble du territoire
a) Malgré le retrait anticipé des 7 Tracker, une saison des feux maîtrisée
L'immobilisation des 7 Tracker provoquée à la suite d'un incident technique l'automne dernier avait suscité de vives inquiétudes . Le rapporteur spécial avait notamment interpellé le ministère de l'intérieur sur la possibilité d'accélérer la livraison des Dash, échelonnée jusqu'en 2023, afin d'assurer une constance capacitaire. Les 7 Tracker ont finalement été retirés du service en février 2020, à la suite d'une défaillance technique et la livraison des Dash a été retardée par la crise sanitaire.
Ainsi, en 2020, la mise en oeuvre du guet aérien armé (GAAr), dispositif essentiel dans la lutte contre les feux de forêts, n'a pu s'appuyer que sur 4 Dash et dans une moindre mesure les Canadairs CL-415, en zone littorale.
La dernière saison estivale s'est heureusement révélée d'une intensité moindre qu'en 2019. Le directeur de la DGSCGC souligne que l'impératif d'assurer une plus grande couverture du territoire, du fait notamment du réchauffement climatique, a bien été pris en compte. La campagne « feux de forêts » de 2020 a ainsi été qualifiée de première campagne « nationale ».
La saison des feux 2020 : un été moins mobilisant qu'en 2019 Au 20 août 2020, l'estimation de la superficie totale brûlée sur l'ensemble du territoire national depuis le début de l'année est de 9 500 hectares ce qui correspond globalement à la moyenne décennale à cette date. La majeure partie de ces superficies concerne la zone Sud et plus particulièrement les départements méditerranéens (7 000 hectares). Les 4 Dash ont réalisé au cours de cette période 485 heures de vol, dont 174 heures en lutte et 311 heures en guet aérien armé (GAAr). Les 12 Canadair ont à ce jour réalisé 774 heures de vol, dont 670 heures en lutte et 104 heures de GAAr. Par comparaison, l'été 2019, marqué par des conditions de sécheresse extrêmes, avait davantage mobilisé l'activité des avions de la sécurité civile, pour un total de 2780 heures de vol. La contribution des Tracker a été de 967 heures de vol, dont 327 heures en lutte sur feux établis et 640 heures en GAAr. Les 3 Dash avaient réalisé 494 heures de vol dont 241 en lutte et 253 heures de vol en GAAr. Les 12 Canadair avaient réalisé 1 252 heures dont 1 167 heures en lutte et 85 heures en GAAr. Le bilan s'établissait pour la seule saison estivale à 3 553 incendies qui ont parcouru 14 277 hectares dont 8 329 hectares de forêt, soit 66% de la superficie totale annuelle. Le faible nombre d'épisodes de vent fort et la bonne application de la stratégie de lutte ont permis de contenir le bilan qui aurait pu être bien plus élevé. Source : réponses au questionnaire budgétaire |
b) L'emploi inédit d'hélicoptères : un dispositif à pérenniser ?
Pour compenser l'inquiétante diminution des moyens aériens suscitée par la mise à l'arrêt soudaine des Tracker, la DGSCGC a loué deux hélicoptères lourds de type EC 225 à la société Airtelis dans la zone Sud et en Corse. Il faut rappeler que des SDIS louaient déjà des hélicoptères bombardiers d'eau, comme celui du Var, pour un montant annuel d'environ 1,5 million d'euros.
D'un coût de 2,4 millions d'euros en 2020, l'emploi de ces aéronefs a été jugé très satisfaisant, tant par le ministère de l'intérieur que par les SDIS locaux. Dès lors, le PLF pour 2021 prévoit 6 millions d'euros en AE et CP pour ouvrir la passation d'un nouveau marché de location de ces hélicoptères.
Le ministère de l'intérieur pourrait même acquérir en propre ce type d'aéronef , dans la lignée du plan de renouvellement de son parc d'hélicoptères vieillissants, qui a par ailleurs été ramené de 38 à 34 machines après plusieurs accidents.
A l'instar du Dash, ce type d'hélicoptères lourds est aussi multi-rôles, et permettrait donc de participer à la lutte aérienne contre les feux de forêts. Une étude du ministère envisage ainsi l'acquisition de 2 appareils valorisés à 36 millions d'euros , auxquels il faut ajouter 8,5 millions d'euros par appareil pour le soutien initial de deux ans. Ces aéronefs pourraient aussi accomplir d'autres missions comme les secours lors des évènements météorologiques exceptionnels ou maritimes, le transport de blessés ou patients lors d'une crise majeure ou encore le transport des formations militaires de la sécurité civile (ForMiSC).
Certes, ces hélicoptères ne pourraient pas participer aux missions de GAAr, mais permettent des interventions très ciblées et localisées, susceptibles de contrer les phénomènes de « sautes de flammes » par exemple.
Aucun crédit correspondant à ce projet n'est retracé dans le PLF pour 2021, qu'il s'agisse du programme 161 ou du plan de relance. Un plan d'acquisition à partir d'un cofinancement de l'Union européenne est néanmoins étudié par le ministère de l'intérieur (voir infra) .
3. Une commande européenne d'aéronefs qui pourrait remédier au problème posé par le vieillissement de la flotte française
Le vieillissement de la flotte des 12 avions amphibies Canadair CL-415 constitue un sérieux motif de préoccupation , puisque 8 d'entre eux auront plus de 25 ans en 2020. Aucune limite de vie n'a été fixée par le constructeur pour ce modèle mais un retrait des plus anciens était envisagé à partir de 2025-2030. Le vieillissement de ces appareils complexifie les opérations de maintenance, et a pour conséquences la diminution de leur disponibilité et des surcoûts de MCO. La DGSCGC explique ainsi que le coût de la seule modernisation de la plus grande partie de l'avionique des Canadair est jugé prohibitif (environ 4 à 5 millions d'euros par avion, avec des indisponibilités longues), et ne changerait en rien le vieillissement de la structure même des appareils. Les problématiques d'obsolescence sont néanmoins traitées au cas par cas, mais les montants cumulés associés seront de très grande ampleur.
Le rapporteur spécial avait ainsi recommandé d'envisager le remplacement des Canadair CL-415 vieillissants, et à cet effet, d' « accélérer les négociations européennes en cours pour le lancement d'un appel d'offres commun de nouveaux bombardiers d'eau amphibies. »
Un projet d'appel d'offres européen est en effet à l'étude afin de mutualiser la commande d'une vingtaine de Canadair , dans le cadre du Mécanisme de protection civile de l'Union (MPCU). Depuis sa réforme en 2019, ce mécanisme intègre un nouveau dispositif, RescEU, afin d'assurer une réaction plus efficace de la réserve européenne de protection civile.
Le budget de RescEU sera consolidé par le plan de relance européen , au titre du pilier « Enseignements de la crise », pour un montant de 1,9 milliard d'euros, ce qui favorisera le projet sous-jacent d'une « flotte européenne », dotée d'aéronefs dont l'acquisition est cofinancée par la Commission européenne et l'État membre.
La France sera préfiguratrice de cette nouvelle réserve et se portera acquéreur de deux avions bombardiers d'eau amphibies de type Canadair au titre du budget 2020 de l'Union . Cette commande sera ainsi cofinancée par l'Union européenne, à hauteur de 90 % des coûts d'investissement (acquisition, location ou crédit-bail) et des coûts de fonctionnement (maintenance, réparation, formation, assurance, consommables, masse salariale). La livraison pourrait intervenir en 2025.
Si ces deux avions ont vocation à intégrer la réserve européenne, le fait que la France soit initiatrice de la commande lui permettra d'avoir la pleine propriété des aéronefs, qui pourront alors être engagés à des fins nationales. De plus, les spécificités techniques souhaitées pour ces avions sont exprimées par la DGSCGC, et devraient ainsi servir de modèle pour les autres pays européens.
L'acquisition d'un hélicoptère lourd de type H225 est aussi envisagée par la France , en lien avec l'Allemagne, toujours dans le cadre du dispositif de RescEU. Cet aéronef pourrait alors être basé dans le nord-est du territoire français.
En complément de la commande française de 2 avions, six autres États membres sont candidats à l'acquisition de moyens aériens de lutte contre les feux de forêts également au titre du RescEU et par le biais d'achats conjoints. À terme, la Commission pourrait également acquérir de tels moyens en propre.
4. Une sincérisation bienvenue dans la budgétisation des colonnes de renfort mobilisées face aux crises
Lorsque les ressources propres d'un département ne lui permettent pas de faire à une crise , en particulier les feux de forêts ou les inondations, « l'État prend à sa charge les dépenses afférentes à l'engagement des moyens publics et privés extérieurs au département lorsqu'ils ont été mobilisés par le représentant de l'État », ainsi qu'en dispose l'article L. 742-11 du code de la sécurité intérieure.
Imputée sur le programme 161, cette prise en charge se traduit par le remboursement des « colonnes de renfort » mobilisées par le préfet. Les renforts émanent principalement des autres SDIS, voisins ou non du département touché par une crise.
Le fonctionnement de la mobilisation des colonnes de renforts Une circulaire publiée en juin 2005 et deux mémentos diffusés en avril 2013 et juillet 2017 détaillent les modalités d'indemnisation des SDIS concourant à ces opérations de renfort en vue de couvrir les dépenses de personnel, de transits et d'éventuelles réparations de matériel. En application de ces textes, le SDIS bénéficiaire du concours organise localement la prise en charge du soutien des renforts (hébergement, repas). Outre la possibilité de mobiliser au sein d'une zone des moyens de départements proches, est également organisée la possibilité d'engager des colonnes de renfort provenant d'autres zones. En cas de risques particulièrement élevés d'incendie, la mise en oeuvre de colonnes peut intervenir à titre prévisionnel sur décision de la DGSCGC. Le volume des moyens mobilisés et le coût de ces opérations dépendent donc de l'activité opérationnelle et du niveau de danger, ainsi que de circonstances particulières telles que l'indisponibilité des moyens aériens. Source : DGSCGC |
Lors de l'examen des projets de loi de finances de ces dernières années, de forts écarts entre la budgétisation de la prise en charge des renforts et leur exécution ont été relevés par le rapporteur spécial . Ces écarts s'expliquent d'une part par un décalage important entre l'engagement des colonnes de renfort et le paiement au SDIS concerné. D'autre part, ces dépenses sont par nature difficilement prévisibles compte tenu de l'intensité variable des risques naturels. À titre d'exemple, 6,4 millions d'euros ont été consommés en 2017 contre 2,5 millions d'euros inscrits en dotation, sans compter les reports de charges imputés sur l'exercice 2018, pour lequel l'intensité des risques étaient par ailleurs plus faible.
Le rapporteur spécial plaidait ainsi pour une augmentation de la budgétisation de ces remboursements , qui oscille chaque année entre 2 et 2,5 millions d'euros, en la rapprochant de la moyenne d'exécution de ces cinq dernières années, soit 5 millions d'euros .
Or la dotation prévue dans le PLF 2021 semble répondre à cette attente, puisqu'elle s'élève à 4,8 millions d'euros , contre 2,4 millions d'euros en 2020. La DGSCGC la justifie en se fondant sur une prévision d'activité plus faible qu'en 2019, 2017 ou 2016 mais plus forte qu'en 2018 ou 2020.
* 12 Rapport d'information n° 739 (2018-2019) de M. Jean Pierre VOGEL, fait au nom de la commission des finances, déposé le 25 septembre 2019.