II. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI
A. UNE LIMITATION DES DÉLAIS POUR DEMANDER UNE INDEMNISATION CONTRAIRE À L'INTENTION DU LÉGISLATEUR
La difficulté qu'entend résoudre la proposition de loi provient d'un ajout à l'article 706-5 opéré par la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.
Le texte a en effet été complété pour préciser que, lorsque l'auteur de l'infraction a été condamné à verser des dommages et intérêts , le délai d'un an court à compter de l'avis donné par la juridiction . Cette précision visait à tirer les conséquences de la création par cette loi de l'obligation, pour la juridiction qui condamne l'auteur d'une infraction à verser des dommages, d'informer la victime de la possibilité de saisir la CIVI 2 ( * ) . L'intention du législateur était donc de renforcer la possibilité pour les victimes d'accéder à une indemnisation. Toutefois, le fait de ne pas exiger explicitement que la décision soit définitive aboutit de facto à réduire le délai de forclusion dans cette hypothèse . La Cour de Cassation l'a interprété en 2013 en ce sens, en indiquant que le délai courait à partir de l'information donnée par la première juridiction appelée à se prononcer 3 ( * ) .
Extrait de l'arrêt de la Cour de
cassation
Attendu que M. de Y... fait grief à l'arrêt de juger que sa demande est forclose, alors, selon le moyen, que l'avis d'information relatif à la possibilité de saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pénales ne fait courir le délai de saisine de cette commission que lorsque la décision de condamnation à des dommages-intérêts à l'occasion de laquelle il intervient a acquis un caractère définitif ; qu'en effet, il résulte de l'intention du législateur une volonté d'accorder à ces victimes des garanties supplémentaires par rapport à celles qui n'ont pas, au terme d'une décision statuant définitivement sur l'action publique ou l'action civile, obtenu d'indemnisation ; qu'en considérant que l'absence de caractère définitif de l'arrêt de la cour d'assises était sans incidence sur le point de départ du délai de saisine de la commission dès lors que seul comptait la date de communication de l'avis d'information, la cour d'appel a violé les articles 706-5 et 706-15 du code de procédure pénale ; Mais attendu (...) que contrairement à ce que prétend M. de Y..., le texte de l'article 706-5 du code de procédure pénale est clair ; que son objet est de définir les délais pour agir devant la CIVI et, au nombre des situations procédurales auxquelles la victime est confrontée, il envisage le cas spécifique où la juridiction pénale lui a alloué des dommages-intérêts ; qu'il fixe alors le point de départ du délai d'un an imposé à la victime pour saisir la CIVI à la date de l'avis qui lui a été donné en application de l'article 706-15 du code de procédure pénale ; qu'en l'espèce, la cour d'assises de l'Isère a alloué des dommages-intérêts à M. de Y... et le FGTI justifie que l'avis prévu par l'article 706-15 du code de procédure pénale lui a été donné ; que cette décision est en date du 7 mars 2008 ; que la requête saisissant la CIVI est en date du 11 août 2009 ; qu'à cette date le délai d'un an pour saisir la CIVI, qui partait du 7 mars 2008, jour de l'avis, était expiré ; Que, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a déduit à bon droit que la demande d'indemnité de M. de Y..., forclose, était irrecevable ; |
La rédaction du texte est donc aujourd'hui complexe, puisqu'elle prévoit deux solutions différentes lorsqu'un jugement pénal est intervenu : le délai pour saisir la CIVI est en principe d'un an à compter de la décision définitive de la juridiction pénale, c'est-à-dire de la décision qui n'est plus susceptible de voie de recours ; mais, si un jugement pénal est intervenu qui a condamné l'auteur des faits à des dommages et intérêts, alors le délai d'un an court à compter de l'avis rendu par la juridiction informant du droit de recours devant la CIVI, que cette décision ait ou non un caractère définitif.
Dans cette dernière hypothèse, les parties civiles doivent donc saisir la CIVI sans attendre l'expiration des voies de recours contre la décision leur allouant des dommages et intérêts, comme c'était le cas avant la loi du 15 juin 2000.
Or, comme le soulignait lors des débats à l'Assemblée nationale Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, certaines victimes peuvent légitimement vouloir attendre une décision définitive du juge qui ne puisse plus être contestée et, le cas échéant, tenter de recouvrer les dommages et intérêts contre l'auteur des faits avant de faire appel à la solidarité nationale pour obtenir une indemnisation .
Le fait que la Cour de cassation ait été appelée à se prononcer en 2013 sur le délai applicable est lié à une évolution dans la pratique des tribunaux. L'information prévue à l'article 706-15 4 ( * ) est en effet automatiquement et systématiquement intégrée aux décisions accordant des dommages-intérêts du fait du développement de la numérisation. Cette inclusion, qui n'était pas systématique avant les années 2010, fait courir un délai qui, en pratique, n'était pas auparavant opposable aux victimes dans la grande majorité des cas. Le développement du contentieux et le nombre de décisions de la Cour de cassation sur ce sujet est également à mettre en relation avec la difficulté qu'ont pu rencontrer certains avocats à maîtriser cette différence de délais. L'impossibilité d'obtenir une indemnisation, si elle leur est imputable, entraîne la mise en cause de leur responsabilité.
* 2 Article 706-15 du code de procédure pénale : « Lorsqu'une juridiction condamne l'auteur d'une infraction mentionnée aux articles 706-3 et 706-14 à verser des dommages-intérêts à la partie civile, elle informe cette dernière de la possibilité de saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infraction d'une demande d'indemnité ou de saisir le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions d'une demande d'aide au recouvrement. »
* 3 Arrêt n° 12-15.377 de la deuxième chambre civile du 28 mars 2013.
* 4 Lorsqu'une juridiction condamne l'auteur d'une infraction mentionnée aux articles 706-3 et 706-14 à verser des dommages-intérêts à la partie civile, elle informe cette dernière de la possibilité de saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infraction d'une demande d'indemnité ou de saisir le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions d'une demande d'aide au recouvrement.