Rapport n° 519 (2019-2020) de Mme Laurence HARRIBEY , fait au nom de la commission des lois, déposé le 17 juin 2020
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L'ESSENTIEL
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EXAMEN EN COMMISSION
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RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE
L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
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LA LOI EN CONSTRUCTION
N° 519
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020
Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 juin 2020 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi , adoptée par l'Assemblée nationale, relative au droit des victimes de présenter une demande d'indemnité au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions ,
Par Mme Laurence HARRIBEY,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François-Noël Buffet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Di Folco, MM. Jacques Bigot, André Reichardt, Mme Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled . |
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : |
2386 , 2653 et T.A. 407 |
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Sénat : |
320 et 520 (2019-2020) |
L'ESSENTIEL
Réunie le mercredi 17 juin 2020 sous la présidence de Philippe Bas (Les Républicains - Manche), la commission des lois a examiné le rapport de Laurence Harribey (Socialiste et Républicain - Gironde), sur la proposition de loi n° 320 (2019-2020), adoptée par l'Assemblée nationale, relative au droit des victimes de présenter une demande d' indemnité au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d' autres infractions .
Cette proposition de loi, présentée par la députée Jeanine Dubié (Libertés et Territoires - Hautes-Pyrénées), a été adoptée par l'Assemblée nationale à l'unanimité, le 13 février 2020 .
Elle propose de modifier l'article 706-5 du code de procédure pénale relatif à la forclusion des demandes d'indemnisation par certaines victimes d'infractions au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes a introduit dans cet article un délai spécifique pour formuler une demande d'indemnisation lié à l'obligation faite aux juridictions répressives d'informer les victimes de leur droit à indemnisation quand elles ont condamné l'auteur des faits à verser des dommages-intérêts. L'interprétation stricte de ce délai a conduit la Cour de cassation à juger qu'il s'applique dès que l'information a été donnée par la première juridiction appelée à statuer sur l'action civile et non à partir du moment où la décision est devenue définitive, ce que prévoit comme règle générale l'article 706-5.
Introduit par le législateur pour renforcer les droits des victimes, ce texte a donc à l'inverse abouti à rendre plus complexe le droit applicable et donc à limiter pour certaines la possibilité de demander une indemnisation dès lors qu'elles se sont trouvées forcloses.
La proposition de loi tend à résoudre cette difficulté en supprimant le délai spécifique créé en 2000 et en prévoyant que l'absence d'information sur la possibilité d'indemnisation permet de relever d'office la victime du délai de forclusion.
La rédaction proposée est conforme à l'intention initiale du législateur et permettra d'éviter d'exclure certaines victimes du droit à indemnisation .
Sur proposition de sa rapporteure, la commission des lois a adopté ce texte sans modification.
I. LE RÔLE DU FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS (FGTI)
A. UN MÉCANISME DE SOLIDARITÉ NATIONALE DONT LE PRINCIPE A ÉTÉ POSÉ IL Y A PLUS DE QUARANTE ANS ET DEVENU PROGRESSIVEMENT PLUS PROTECTEUR.
L'article 1240 du code civil dispose que « tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » . Les auteurs d'infractions sont donc tenus de réparer les dommages causés aux victimes .
Cependant, les victimes d'actes accidentels ou criminels commis par des auteurs inconnus, insolvables, non assurés , ou encore assurés auprès d'une société d'assurances défaillante, ne sont pas indemnisées par le biais des règles du droit commun de la responsabilité. Grâce à la solidarité nationale, la tâche de prendre en charge ces victimes a été dévolue à des organismes spécifiques, les fonds de garantie .
Dès 1951 était créé un premier fonds pour les victimes d'accidents de la circulation dont l'auteur est inconnu ou insolvable. Dans le même esprit, la loi du 3 janvier 1977 avait prévu la prise en charge par l'État de l'indemnisation des personnes atteintes dans leur intégrité physique et placées dans une situation matérielle grave à la suite d'infractions commises par des auteurs inconnus ou insolvables . À cette fin, la loi a créé les commissions d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI), qui sont des juridictions civiles dans le ressort de chaque tribunal judiciaire. Mais les conditions strictes imposées par les textes ne permirent que des indemnisations limitées. Malgré des évolutions, ce dispositif paraissait trop restrictif , et ce d'autant plus après la création par la loi du 9 septembre 1986 du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme (FGVAT), qui prévoyait un régime plus favorable pour ces victimes.
Pour résoudre cette difficulté la loi du 6 juillet 1990 a rapproché les deux mécanismes d'indemnisation. Le FGVAT est devenu le FGTI (fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions), avec une mission étendue à la prise en charge des victimes d'infractions de droit commun, même si les procédures pour les victimes de terrorisme et celles pour les victimes des autres infractions pénales demeurent distinctes.
Enfin, en 2008, le législateur a créé un dispositif permettant aux victimes de bénéficier de l'intervention du FGTI pour recouvrer (soit en totalité, soit sous forme d'avance, puis dans le cadre d'un mandat) les sommes qui leur sont dues. Ce dispositif s'appelle le Service d'aide au recouvrement des victimes d'infractions (SARVI).
Le fonds de garantie des victimes est financé par la communauté des assurés. Il ne reçoit aucune dotation budgétaire de l'État.
L'indemnisation perçue est intégrale et individualisée, que le fait ait été commis en France ou l'étranger. Elle est accordée sans condition de ressources. La France se distingue par ce système des systèmes étrangers où l'indemnisation est le plus souvent forfaitaire et subsidiaire. On peut noter que les étrangers victimes d'une infraction en France sont éligibles.
Ainsi, l'indemnisation des victimes d'infraction appelle la même appréciation que celle formulée par Antoine Lefèvre, rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice » en janvier 2019, suite au rapport de la Cour des comptes sur l'indemnisation des victimes de terrorisme : « Le système français de prise en charge sanitaire et d'indemnisation des victimes du terrorisme par le fonds de garantie des victimes du terrorisme et d'autres infractions (FGTI) figure parmi les plus complets des pays européens » 1 ( * ) .
B. LA PROCÉDURE APPLICABLE
1. Les victimes éligibles
Pour obtenir une indemnisation de la part du fonds, les victimes d'infractions pénales hors terrorisme doivent remplir les conditions fixées par l'article 706-3 du code de procédure pénale . Celles-ci sont au nombre de trois :
- ne pas relever d'un autre régime d'indemnisation (terrorisme, accidents de la route) ;
- l'infraction a soit entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois, soit relève des agressions sexuelles, de la mise en péril des mineurs, de la mise en esclavage, de la traite des êtres humains ou du travail forcé ;
- la personne lésée est de nationalité française ou les faits ont été commis sur le territoire national.
Toute infraction pénale ayant causé un dommage corporel grave permet donc d'accéder à une indemnisation de la part du fonds.
Le principe de l'indemnisation intégrale du préjudice subi est posé par ce même article 706-3.
L'article 706-14 prévoit que les victimes d'une atteinte à la personne prévue par l'article 706-3 mais qui ne peuvent à ce titre prétendre à la réparation intégrale de leur préjudice , dans la mesure où les faits générateurs de celui-ci ont entraîné une incapacité totale de travail inférieure à un mois, peuvent prétendre à une indemnisation de la part du FGTI. Cependant celle-ci est au maximum égale au triple du montant mensuel du plafond de ressources prévu pour l'accès à l'aide juridique .
Cet article ouvre aussi la possibilité de recours au fonds dans certains cas spécifiques . Il vise « toute personne qui, victime d'un vol, d'une escroquerie, d'un abus de confiance, d'une extorsion de fonds ou d'une destruction, d'une dégradation ou d'une détérioration d'un bien lui appartenant, ne peut obtenir à un titre quelconque une réparation ou une indemnisation effective et suffisante de son préjudice, et se trouve de ce fait dans une situation matérielle ou psychologique grave, (...) lorsque ses ressources sont inférieures au plafond prévu par l'article 4 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique pour bénéficier de l'aide juridictionnelle partielle, compte tenu, le cas échéant, de ses charges de famille » .
Dans ces cas également, l'indemnité est au maximum égale au triple du plafond de ressources permettant de prétendre à l'aide juridique.
2. Les délais
L'article 706-5, que la proposition de loi propose de modifier, fixe les délais pour demander l'indemnisation . Il existe à l'heure actuelle trois délais selon que l'infraction entraîne ou non une procédure devant la juridiction répressive.
Si aucune action pénale n'est engagée, la victime doit agir dans le délai de trois ans à dater de l'infraction. Elle n'adresse pas sa demande directement au FGTI mais doit saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) . Si une action pénale est engagée, le délai est prorogé d'un an après la décision devenue définitive de la juridiction répressive.
Enfin, si la juridiction répressive a accordé à la victime des dommages-intérêts, le délai pour saisir la CIVI d'une demande d'indemnisation est d'un an à compter de l'information donnée par la juridiction en application de l'article 706-15 du code de procédure pénale.
La CIVI relève le requérant de la forclusion lorsqu'il n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu'il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime.
Son président peut accorder des provisions en tout état de la procédure.
La CIVI statue de manière autonome. La procédure se déroule en parallèle des procédures judiciaires contre les auteurs des faits devant le juge pénal. L'objectif est d'assurer aux victimes une réparation rapide, qui leur permettra de se reconstruire sans devoir attendre l'issue de la procédure pénale.
Enfin, le recours devant la CIVI n'est pas subsidiaire : il peut être exercé par les victimes avant que des poursuites pénales ne soient engagées, ou après, si ces poursuites n'ont pas permis à la victime d'obtenir réparation.
La demande instruite et jugée recevable par la CIVI est traitée par le FGTI. Ce dernier dispose de 2 mois à partir de sa réception pour formuler une offre d'indemnisation. La victime dispose alors de 2 mois pour accepter ou refuser l'offre. En pratique 70 à 75 % des offres du FGTI sont acceptées.
Si elle ne l'accepte pas, il revient à la CIVI de fixer le montant de l'indemnisation.
II. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI
A. UNE LIMITATION DES DÉLAIS POUR DEMANDER UNE INDEMNISATION CONTRAIRE À L'INTENTION DU LÉGISLATEUR
La difficulté qu'entend résoudre la proposition de loi provient d'un ajout à l'article 706-5 opéré par la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.
Le texte a en effet été complété pour préciser que, lorsque l'auteur de l'infraction a été condamné à verser des dommages et intérêts , le délai d'un an court à compter de l'avis donné par la juridiction . Cette précision visait à tirer les conséquences de la création par cette loi de l'obligation, pour la juridiction qui condamne l'auteur d'une infraction à verser des dommages, d'informer la victime de la possibilité de saisir la CIVI 2 ( * ) . L'intention du législateur était donc de renforcer la possibilité pour les victimes d'accéder à une indemnisation. Toutefois, le fait de ne pas exiger explicitement que la décision soit définitive aboutit de facto à réduire le délai de forclusion dans cette hypothèse . La Cour de Cassation l'a interprété en 2013 en ce sens, en indiquant que le délai courait à partir de l'information donnée par la première juridiction appelée à se prononcer 3 ( * ) .
Extrait de l'arrêt de la Cour de
cassation
Attendu que M. de Y... fait grief à l'arrêt de juger que sa demande est forclose, alors, selon le moyen, que l'avis d'information relatif à la possibilité de saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pénales ne fait courir le délai de saisine de cette commission que lorsque la décision de condamnation à des dommages-intérêts à l'occasion de laquelle il intervient a acquis un caractère définitif ; qu'en effet, il résulte de l'intention du législateur une volonté d'accorder à ces victimes des garanties supplémentaires par rapport à celles qui n'ont pas, au terme d'une décision statuant définitivement sur l'action publique ou l'action civile, obtenu d'indemnisation ; qu'en considérant que l'absence de caractère définitif de l'arrêt de la cour d'assises était sans incidence sur le point de départ du délai de saisine de la commission dès lors que seul comptait la date de communication de l'avis d'information, la cour d'appel a violé les articles 706-5 et 706-15 du code de procédure pénale ; Mais attendu (...) que contrairement à ce que prétend M. de Y..., le texte de l'article 706-5 du code de procédure pénale est clair ; que son objet est de définir les délais pour agir devant la CIVI et, au nombre des situations procédurales auxquelles la victime est confrontée, il envisage le cas spécifique où la juridiction pénale lui a alloué des dommages-intérêts ; qu'il fixe alors le point de départ du délai d'un an imposé à la victime pour saisir la CIVI à la date de l'avis qui lui a été donné en application de l'article 706-15 du code de procédure pénale ; qu'en l'espèce, la cour d'assises de l'Isère a alloué des dommages-intérêts à M. de Y... et le FGTI justifie que l'avis prévu par l'article 706-15 du code de procédure pénale lui a été donné ; que cette décision est en date du 7 mars 2008 ; que la requête saisissant la CIVI est en date du 11 août 2009 ; qu'à cette date le délai d'un an pour saisir la CIVI, qui partait du 7 mars 2008, jour de l'avis, était expiré ; Que, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a déduit à bon droit que la demande d'indemnité de M. de Y..., forclose, était irrecevable ; |
La rédaction du texte est donc aujourd'hui complexe, puisqu'elle prévoit deux solutions différentes lorsqu'un jugement pénal est intervenu : le délai pour saisir la CIVI est en principe d'un an à compter de la décision définitive de la juridiction pénale, c'est-à-dire de la décision qui n'est plus susceptible de voie de recours ; mais, si un jugement pénal est intervenu qui a condamné l'auteur des faits à des dommages et intérêts, alors le délai d'un an court à compter de l'avis rendu par la juridiction informant du droit de recours devant la CIVI, que cette décision ait ou non un caractère définitif.
Dans cette dernière hypothèse, les parties civiles doivent donc saisir la CIVI sans attendre l'expiration des voies de recours contre la décision leur allouant des dommages et intérêts, comme c'était le cas avant la loi du 15 juin 2000.
Or, comme le soulignait lors des débats à l'Assemblée nationale Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, certaines victimes peuvent légitimement vouloir attendre une décision définitive du juge qui ne puisse plus être contestée et, le cas échéant, tenter de recouvrer les dommages et intérêts contre l'auteur des faits avant de faire appel à la solidarité nationale pour obtenir une indemnisation .
Le fait que la Cour de cassation ait été appelée à se prononcer en 2013 sur le délai applicable est lié à une évolution dans la pratique des tribunaux. L'information prévue à l'article 706-15 4 ( * ) est en effet automatiquement et systématiquement intégrée aux décisions accordant des dommages-intérêts du fait du développement de la numérisation. Cette inclusion, qui n'était pas systématique avant les années 2010, fait courir un délai qui, en pratique, n'était pas auparavant opposable aux victimes dans la grande majorité des cas. Le développement du contentieux et le nombre de décisions de la Cour de cassation sur ce sujet est également à mettre en relation avec la difficulté qu'ont pu rencontrer certains avocats à maîtriser cette différence de délais. L'impossibilité d'obtenir une indemnisation, si elle leur est imputable, entraîne la mise en cause de leur responsabilité.
B. LA SOLUTION PROPOSÉE
1. Une clarification bienvenue
Après réécriture par la commission des lois à l'Assemblée nationale en lien avec le Gouvernement, le texte de la proposition de loi adopté en séance publique, transmis au Sénat, supprime les modifications apportées au texte de l'article 706-5 par la loi du 12 juin 2000 et les remplace par un dispositif plus conforme à l'intention initiale du législateur . Un seul délai subsiste donc en cas d'engagement de l'action publique : celui d'un an à compter de la décision devenue définitive.
L'article 1 er , devenu article unique avec la suppression du gage par le Gouvernement, opère cette modification en deux temps :
- d'une part, la mention d'un délai d'un an après notification pour les cas où l'auteur de l'infraction a été condamné à des dommages-intérêts est supprimée ;
- d'autre part, l'absence de notification de la possibilité de saisir la CIVI devient explicitement un cas qui permet de relever le demandeur de la forclusion . Il s'agit là d'inscrire dans le code une jurisprudence constante des commissions.
Cette solution supprime toute ambiguïté et met fin à une différence de traitement injustifiable pour les victimes.
L'article 2 , qui visait à assurer la recevabilité financière de la proposition de loi en prévoyant, la création d'une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs, prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts, a été supprimé par le Gouvernement à l'Assemblée nationale.
2. Des difficultés demeurent en matière d'indemnisation des victimes
À l'occasion de l'examen de ce texte, les personnes auditionnées par la rapporteure ont pointé deux difficultés que rencontrent les victimes pour leurs demandes d'indemnisation.
La première tient au fait que le classement sans suite n'interrompt pas le délai de trois ans dont disposent les victimes pour faire leur demande à la CIVI. Ainsi certaines peuvent découvrir qu'aucune action publique ne sera engagée, alors qu'elles sont forcloses .
La rapporteure souhaite que le Gouvernement puisse se pencher sur cette question, les décisions de classement sans suite étant nombreuses, y compris pour des infractions ayant entraîné des dommages corporels graves.
La seconde, plus complexe, a été formulée par la fédération France Victimes, qui regroupe plus de cent cinquante associations d'aide aux victimes agréées par le ministère de la justice.
Elle tient à la faculté qu'ont les CIVI, du fait de leur autonomie, de fixer un niveau d'indemnisation des victimes inférieur à celui fixé par la juridiction répressive. Ces décisions sont mal comprises et mal vécues par les victimes qui ont déjà vécu toute la durée du procès pénal et se trouvent face à une nouvelle procédure.
Bien que cette question dépasse le champ du texte soumis à l'examen du Sénat, elle mérite d'être elle aussi étudiée par le Gouvernement.
*
* *
En conséquence, la commission des lois a adopté la proposition de loi sans modification .
EXAMEN EN COMMISSION
__________
MERCREDI 17 JUIN 2020
- Présidence de Mme Catherine Di Folco, vice-présidente -
Mme Catherine Di Folco , présidente . - Permettez-moi de saluer nos collègues reliés à nous en visioconférence.
Nous examinons le rapport et le texte de la commission sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au droit de victimes de présenter une demande d'indemnité au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI).
Mme Laurence Harribey , rapporteure . - En application de l'article 45, le périmètre retenu pour cette proposition de loi concerne les dispositions relatives au délai dont disposent les victimes d'infractions pour adresser une demande d'indemnisation au FGTI.
Cette proposition de loi a pour objet de modifier l'article 706-5 du code de procédure pénale relatif à la forclusion des demandes d'indemnisation. Une loi de 2000 a créé une confusion dans l'interprétation des dates de computation des délais.
Permettez-moi au préalable de rappeler le cadre juridique et le mécanisme du FGTI.
En vertu de l'article 1240 du code civil, les auteurs d'infractions sont tenus de réparer les dommages causés aux victimes. Cependant, les victimes d'actes accidentels ou criminels commis par des acteurs inconnus, insolvables, non assurés ou assurés auprès de sociétés d'assurance défaillantes ne sont pas indemnisées par le biais des règles de droit commun. Ainsi, un mécanisme de solidarité nationale s'est mis peu à peu en place pour garantir les droits de la victime.
Dès 1951 a été créé un premier fonds pour les victimes d'accidents de la circulation dont l'auteur était inconnu et insolvable. Dans le même esprit, une loi de 1977 a prévu la prise en charge par l'État de l'indemnisation des personnes atteintes dans leur intégrité physique et placées dans une situation matérielle grave à la suite d'infractions dont l'auteur était inconnu ou insolvable. À cette fin, la loi a créé des commissions d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI), qui sont des juridictions civiles dans le ressort de chaque tribunal judiciaire. Malgré ces évolutions, ce dispositif paraissait trop restrictif, d'autant que la loi du 9 septembre 1986 a créé un fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme en prévoyant un régime plus favorable pour ces dernières. Aussi, la loi du 6 juillet 1990 a rapproché les deux mécanismes d'indemnisation pour aboutir à la création de ce FGTI, dont la mission est étendue à la prise en charge des victimes d'infractions de droit commun, même si les procédures applicables aux victimes d'actes de terrorisme et celles relatives aux autres infractions demeurent parfaitement distinctes.
En 2008, le législateur a créé un dispositif permettant aux victimes de bénéficier de l'intervention du FGTI pour recouvrer les sommes qui leur sont dues, au travers du service d'aide au recouvrement des victimes d'infractions (Sarvi).
Je précise que le FGTI est financé par la communauté des assurés et ne reçoit donc aucune dotation budgétaire de l'État. Ce mécanisme est relativement complet au regard de ce qui se fait dans les autres pays européens.
En ce qui concerne la procédure applicable, il existe trois conditions d'éligibilité pour les victimes : d'une part, ne pas relever d'un autre régime d'indemnisation ; d'autre part, l'infraction doit avoir entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnelle égale ou supérieure à un mois, ou relève des agressions sexuelles, de la mise en péril des mineurs, de la mise en esclavage, de la traite des êtres humains ou du travail forcé ; enfin, la personne lésée doit être de nationalité française ou les faits doivent avoir été commis sur le territoire national.
Toute infraction pénale ayant causé un dommage corporel grave permet d'accéder à une indemnisation.
Abordons maintenant le délai qui pose problème.
Trois délais sont prévus : si aucune action pénale n'est engagée, la victime doit agir dans le délai de trois ans à dater de l'infraction ; si une action pénale est engagée, le délai est prorogé d'un an après la décision devenue définitive de la juridiction répressive ; si la juridiction répressive a accordé à la victime des dommages et intérêts, le délai pour saisir la CIVI d'une demande d'indemnisation est d'un an à compter de l'information donnée par la juridiction en application de l'article 706-15 du code de procédure pénale. Par ailleurs, la CIVI relève le requérant de la forclusion lorsqu'il n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu'il a subi une aggravation de son préjudice ou tout autre motif légitime.
Je rappelle que la CIVI statue de manière autonome : la demande est instruite et jugée recevable par la CIVI ; elle est traitée par le FGTI, qui dispose de deux mois pour proposer une solution, que le requérant peut accepter ou refuser dans les deux mois. Dans 70 à 75 % des cas, ce dernier accepte la solution ; dans le cas contraire, la CIVI fixera une indemnisation.
J'en viens à la proposition de loi. L'article 706-5 du code de procédure pénale introduit une protection moindre de la victime avec un délai d'un an, après notification, lorsque la décision de la juridiction a alloué des dommages et intérêts à la victime et que la demande est jugée irrecevable, alors que celle-ci peut faire appel. Or on peut concevoir qu'une victime attende l'aboutissement de la procédure avant de saisir la CIVI. Un arrêt de 2013 de la Cour de cassation a donné raison à cette interprétation restrictive et rejeté le recours déposé, au motif que le délai d'un an avait été dépassé.
La rédaction de cet article est complexe dans la mesure où deux solutions différentes sont prévues. Cela pose en outre la question de la responsabilité de l'avocat, qui est tenu d'alerter son client sur cette possibilité. Enfin, avec le développement de la numérisation, l'information est quasi systématique depuis 2010 et les problèmes se sont donc multipliés.
Par cette proposition de loi, nous proposons une clarification bienvenue.
Après la réécriture du texte par l'Assemblée nationale en liaison avec le Gouvernement, le texte supprime les modifications apportées à l'article 706-5 par la loi du 12 juin 2000 et les remplace par un dispositif plus conforme à l'intention du législateur, à savoir renforcer le droit à indemnisation des victimes. Un seul délai subsiste en cas de procédure, celui d'un an à compter de la décision devenue définitive. Cette modification s'opère en deux temps : d'une part, la mention d'un délai d'un an après notification pour les cas où l'auteur de l'infraction a été condamné à des dommages et intérêts est supprimée, ce qui prêtait à confusion ; d'autre part, il est codifié que l'absence de notification de la possibilité de saisir la CIVI devient explicitement un cas qui permet de relever le demandeur de la forclusion. On inscrit donc dans la loi une jurisprudence constante des CIVI.
Cette solution est de nature à lever toute ambiguïté et met ainsi fin à une différence de traitement pour les victimes, qui était injustifiable.
L'article 2, qui visait à assurer la recevabilité financière de la proposition de loi en prévoyant la création d'une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs, a été supprimé par le Gouvernement.
Les personnes que nous avons auditionnées ont mis en exergue deux difficultés qui subsistent ; elles sont réelles mais ne relèvent pas du domaine de la loi. Pour autant, je souhaite les souligner.
Premièrement, le classement sans suite n'interrompt pas le délai de trois ans. Certaines victimes peuvent découvrir qu'aucune action publique ne sera engagée alors qu'elles sont forcloses. Deuxièmement, la fédération France Victimes relève que les CIVI ont la possibilité, du fait de leur autonomie, de fixer un niveau d'indemnisation inférieur à celui qui est fixé par la juridiction répressive, ce que ne comprennent pas toujours les victimes.
En conclusion, je propose à la commission d'adopter ce texte sans modification.
Mme Catherine Di Folco , présidente . - Merci pour cette présentation très claire.
M. François Bonhomme . - Merci de ces précisions techniques. Avez-vous évalué le nombre de personnes qui pourraient être concernées par la modification du délai de forclusion ?
Mme Nathalie Delattre . - Je remercie Mme la rapporteure de son explication très claire sur un sujet très technique et je la félicite pour la qualité de son rapport. En inscrivant l'examen de cette proposition de loi, qui est attendue, dans l'espace réservé au groupe RDSE, nous espérons apporter un certain réconfort aux victimes, confrontées à des difficultés techniques qui s'ajoutent à leur souffrance.
M. Jean-Luc Fichet . - Je souligne également l'excellent travail de notre collègue Laurence Harribey, qui clarifie un sujet très technique. La proposition de loi fixe un délai unique d'un an après la décision définitive de la juridiction pénale pour présenter la demande d'indemnisation ; elle maintient en outre l'obligation incombant à la juridiction d'informer les victimes ayant reçu des dommages et intérêts de leur possibilité de saisir la CIVI ; elle crée un cas permettant de relever automatiquement la forclusion si cette information n'a pas été donnée. Notre groupe soutient pleinement ce texte, qui permettra d'améliorer la situation des victimes d'infractions.
Mme Josiane Costes . - Le groupe RDSE a en effet décidé d'inscrire cette proposition de loi dans son espace réservé. Je remercie Laurence Harribey pour la clarté de ses explications sur un domaine extrêmement technique et complexe. Il importait de lever ces ambiguïtés, car les difficultés rencontrées par les victimes s'ajoutent à la douleur du deuil ou des séquelles. Nous nous réjouissons que la commission adopte ce texte.
Mme Muriel Jourda . - Je remercie notre collègue Laurence Harribey pour la présentation de son rapport. Je poserai une question : n'est-il pas possible de régler les deux problèmes qu'elle a évoqués à la fin de son intervention ? Ou sont-ils sans lien direct et indirect avec le texte ?
Mme Laurence Harribey , rapporteure . - Monsieur Bonhomme, nous avons interrogé la CIVI et le FGTI, mais nous n'avons pas obtenu d'estimation exacte du nombre de cas. Il n'en demeure pas moins que cette demande des associations de victimes découle de la progression du nombre de litiges.
Madame Jourda, nous n'avons pas proposé d'amendements sur ces sujets, car ils ne sont pas directement liés à la proposition de loi. Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, en vertu de l'article 45, seuls les délais de forclusion sont concernés. Je préconise efficacité et clarté en droit. C'est tout l'objet du texte qui nous est ici proposé.
La proposition de loi est adoptée sans modification.
RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA
CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT
(« CAVALIERS »)
Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 5 ( * ) .
De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie 6 ( * ) . Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte 7 ( * ) . Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial 8 ( * ) .
En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.
En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 16 juin 2020, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 320 (2019-2020) relative au droit des victimes de présenter une demande d'indemnité au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
Elle a considéré que ce périmètre incluait les dispositions relatives au délai dont disposent les victimes d'infractions pour adresser une demande d'indemnisation au Fonds de garantie des victimes.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages
Mme Nathalie Faussat , directeur
France victimes
M. Jérôme Bertin , directeur général
Mme Isabelle Sadowski , directrice juridique
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl19-320.html
* 1 La prise en charge financière des victimes du terrorisme : Les observations d'Antoine Lefèvre à la suite de la remise d'une enquête par la Cour des comptes , 30 janvier 2019, https://www.senat.fr/presse/cp20190130a.html
* 2 Article 706-15 du code de procédure pénale : « Lorsqu'une juridiction condamne l'auteur d'une infraction mentionnée aux articles 706-3 et 706-14 à verser des dommages-intérêts à la partie civile, elle informe cette dernière de la possibilité de saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infraction d'une demande d'indemnité ou de saisir le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions d'une demande d'aide au recouvrement. »
* 3 Arrêt n° 12-15.377 de la deuxième chambre civile du 28 mars 2013.
* 4 Lorsqu'une juridiction condamne l'auteur d'une infraction mentionnée aux articles 706-3 et 706-14 à verser des dommages-intérêts à la partie civile, elle informe cette dernière de la possibilité de saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infraction d'une demande d'indemnité ou de saisir le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions d'une demande d'aide au recouvrement.
* 5 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.
* 6 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.
* 7 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.
* 8 Décision n° 2011-637 DC du 28 juillet 2011 - Loi organique relative au fonctionnement des institutions de la Polynésie française, confirmée par les décisions n° 2016-732 DC du 28 juillet 2016 - Loi organique relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature, et n° 2017-753 DC du 8 septembre 2017 - Loi organique pour la confiance dans la vie politique.