CHAPITRE IV
DISPOSITIONS
RELATIVES AU HARCÈLEMENT MORAL
AU SEIN DU COUPLE
Article
7
Incrimination du harcèlement dans le couple menant au suicide
L'article 7 tend à punir de dix années d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende le harcèlement du conjoint lorsqu'il conduit la victime au suicide. La commission l'a adopté sans modification. |
I. Réprimer plus sévèrement le harcèlement qui a conduit au suicide du conjoint
Issue de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, l'article 222-33-2-1 du code pénal punit de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait de harceler son conjoint, son partenaire de PACS ou son concubin par des propos ou des comportements répétés ayant pour objet, ou pour effet, une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale, lorsque ces faits de harcèlement n'ont entraîné, chez la victime, aucune incapacité totale de travail (ITT) ou une ITT de moins de huit jours.
En cas d'ITT supérieure à huit jours, ou si un mineur a assisté aux faits, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Les mêmes peines sont encourues en cas de harcèlement commis par un ancien conjoint, un ancien partenaire de PACS ou un ancien concubin.
Au cours des dernières années, le nombre de condamnations prononcées par les tribunaux sur le fondement de cet article ont connu un indéniable essor, ce qui montre que le harcèlement au sein du couple est un réel problème, de mieux en mieux pris en compte par les tribunaux.
Condamnations sur le fondement de l'article 222-33-2-1 du code pénal
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018* |
|
Harcèlement suivi d'incapacité supérieure à huit jours |
49 |
66 |
69 |
87 |
132 |
143 |
Harcèlement suivi d'incapacité n'excédant pas huit jours |
59 |
99 |
122 |
162 |
194 |
232 |
Harcèlement sans incapacité |
147 |
200 |
257 |
301 |
314 |
387 |
Source : ministère de la justice - SG-SDSE - tables
statistiques du Casier judiciaire national - Traitement
DACG-PEPP.
(* données 2018 provisoires)
Il est proposé de porter les peines à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 euros d'amende lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.
Il s'agit, par cette mesure, de réprimer plus sévèrement les faits de harcèlement les plus graves, par lesquels la victime, à force d'être rabaissée et humiliée, est plongée dans un état de désespoir ou de dépression tel qu'elle en arrive à se donner la mort. Le Grenelle des violences conjugales avait conclu à l'intérêt d'introduire dans le code pénal une nouvelle circonstance aggravante pour sanctionner les personnes à l'origine des « suicides forcés ».
Cette incrimination serait distincte du délit de provocation au suicide, prévu à l'article 223-13 du code pénal, qui suppose de véritables incitations au suicide ainsi qu'une intention de l'auteur de mener effectivement la victime au suicide. Dans les affaires de harcèlement, le suicide peut être une conséquence de la souffrance psychologique intense de la victime, sans être recherché en tant que tel.
L'Assemblée nationale a adopté cet article en y apportant seulement des modifications rédactionnelles.
II. La position de la commission : un signal politique intéressant
Les situations où les violences conjugales conduisent au suicide n'ont rien d'exceptionnel : d'après une étude publiée en 2007 par Psytel 20 ( * ) , dans le cadre du programme Daphné financé par la Commission européenne, 13 % des suicides seraient en lien direct avec des violences conjugales.
Du strict point de vue juridique, il n'est pas certain que ce complément apporté à la définition du délit de harcèlement du conjoint soit indispensable. Il paraît en effet déjà possible de réprimer les comportements incriminés sur le fondement de l'article 222-7 du code pénal , relatif aux violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, qui prévoit une peine de vingt ans de réclusion criminelle lorsque les faits sont commis par le conjoint.
La jurisprudence criminelle admet en effet que les violences peuvent être de nature psychologique. En 2005, la chambre criminelle de la Cour de cassation a précisé que le délit de violence peut consister en un « comportement de nature à causer sur la personne une atteinte sur son intégrité physique ou psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique » 21 ( * ) . Rien n'interdit d'envisager que des violences psychologiques répétées puissent être considérées comme la cause du décès de la victime qui aurait mis fin à ses jours.
Il est vrai cependant que les tribunaux envisagent plus volontiers les violences volontaires ayant entraîné la mort sous l'angle des violences physiques que sous l'angle des violences psychologiques. Il n'est donc pas inintéressant, afin d'obtenir une réponse pénale plus efficace, de relier le suicide, ou la tentative de suicide, à un contexte de harcèlement que l'enquête aurait mis à jour. Des messages échangés avec la victime, les témoignages de proches peuvent permettre d'établir le lien de causalité entre le décès et le harcèlement subi.
En pratique, ce lien de causalité risque cependant d'être difficile à établir, le suicide étant toujours d'origine multifactorielle. Il est donc possible que les condamnations sur le fondement de cette nouvelle disposition demeurent peu nombreuses. Au-delà de sa stricte fonction répressive, le droit pénal assume toutefois aussi une fonction « expressive » ou « socio-pédagogique », ce qui peut justifier d'ajouter cette précision qui vient souligner les enchaînements tragiques qui peuvent se produire entre harcèlement et suicide.
Ces considérations ont conduit la commission à soutenir la mesure proposée à cet article d'aggravation de la peine lorsque le harcèlement a conduit au suicide.
La commission a adopté cet article sans modification . |
Article
7 bis
Vol d'un moyen de télécommunication
appartenant
à un membre de la famille
L'article 7 bis prévoit que des poursuites pénales peuvent être engagées en cas de vol d'un moyen de télécommunication appartenant au conjoint, à un ascendant ou à un descendant. La commission l'a adopté sans modification. |
I. Le dispositif proposé : préciser la portée d'une exception à la règle de l'immunité familiale
Il existe en droit pénal un principe d'immunité familiale qui empêche de poursuivre les auteurs de certaines infractions lorsque le préjudice a été causé à un membre de la famille. Sont concernées les infractions de vol, d'extorsion, de chantage, d'escroquerie et d'abus de confiance. Cette immunité peut se justifier par l'idée que le bien soustrait n'appartient pas à autrui, mais à la famille, ou par une volonté de préserver la paix des familles en évitant de rendre publiques ces affaires.
C'est l'article 311-12 du code pénal qui prévoit que ne peut donner lieu à des poursuites pénales le vol commis au préjudice de l'ascendant ou descendant, ainsi que le vol commis au préjudice du conjoint 22 ( * ) , sauf si les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément.
La loi n°2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs 23 ( * ) a cependant introduit une exception à ce principe en disposant que l'immunité ne s'applique pas lorsque le vol porte sur des objets ou des documents indispensables à la vie quotidienne de la victime, tels que des documents d'identité, un titre de séjour pour un étranger ou un moyen de paiement 24 ( * ) .
Cette mesure « répondait au souci, parfaitement justifié, de réprimer le comportement de certaines personnes violentes exerçant un chantage sur leur conjoint en soustrayant leurs documents d'identité ou pièces de séjour pour les empêcher de les quitter » 25 ( * ) .
Sur proposition de la députée Albane Gaillot et de nombreux députés du groupe La République en Marche (LaREM), l'Assemblée nationale a adopté, avec l'avis favorable de la commission et du Gouvernement, un amendement portant article additionnel afin de compléter la liste des objets indispensables à la vie quotidienne qui figure à l'article 311-12 du code pénal .
L'article 7 bis prévoit ainsi de faire figurer dans cette liste, au même titre que les documents d'identité ou les moyens de paiement, les moyens de télécommunication , afin de viser essentiellement les smartphone s qui permettent à leur détenteur de réaliser de nombreux actes nécessaires à la vie de tous les jours. Un mari qui volerait le téléphone portable de son épouse s'exposerait donc à des poursuites et à une condamnation (une peine de trois ans d'emprisonnement étant encourue pour un vol simple).
II. La position de la commission : une précision bienvenue
Les moyens moderne de communication sont devenus aujourd'hui des accessoires indispensables à la vie quotidienne mais aussi le réceptacle de données très personnelles (photographies, vidéos, messages...), dont l'appropriation par le conjoint peut constituer un moyen de pression ainsi qu'une intrusion dans l'intimité de l'autre conjoint.
La référence aux objets indispensables à la vie quotidienne aurait pu être jugée suffisante pour couvrir cette hypothèse mais il est vrai que la mention des moyens de télécommunication apporte une clarification utile, de nature à éviter des interrogations sur la portée de cette formulation.
La commission a adopté cet article sans modification . |
* 20 Psytel est une coopérative d'experts indépendants qui travaille notamment à la prévention des violences contre les femmes. Daphné est un programme européen visant à combattre la violence envers les enfants, les adolescents et les femmes.
* 21 Cass.crim., 2 septembre 2005, n°04-87046.
* 22 Cette immunité ne concerne pas les personnes liées par un PACS ni les concubins.
* 23 Cette loi est issue de l'adoption de deux propositions de loi sénatoriales présentées, respectivement, par Roland Courteau et Nicole Borvo-Cohen-Seat.
* 24 Une autre exception a été introduite en 2015 afin de viser les relations de tutelle et de curatelle qui peuvent donner lieu à des abus au détriment d'une personne vulnérable, un parent âgé par exemple.
* 25 Cf. le rapport n° 160 (2005-2006) de notre ancien collègue Henri de Richemont fait au nom de la commission des lois.