V. LE PROJET DE LOI ORGANIQUE : UN ASSOUPLISSEMENT UTILE DES DÉLAIS D'EXAMEN DES QUESTIONS PRIORITAIRES DE CONSTITUTIONNALITÉ
L'article unique du projet de loi organique vise à suspendre jusqu'au 30 juin 2020 :
- le délai impératif de trois mois laissé au Conseil d'État et la Cour de cassation pour se prononcer sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) avant leur dessaisissement au profit du Conseil constitutionnel ;
- et le délai indicatif de trois mois dont le Conseil constitutionnel dispose pour statuer sur les QPC qui lui sont transmises.
A. DES DÉLAIS ORGANIQUES GARANTISSANT UN EXAMEN RAPIDE DES QPC
Introduite par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, la QPC permet, sous certaines conditions, de contester la conformité à la Constitution d'une loi déjà entrée en vigueur.
Tout justiciable peut ainsi soutenir lors d'une instance qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Pour chaque ordre de juridiction, c'est au Conseil d'État ou à la Cour de cassation, selon le cas, qu'il revient de décider si la question mérite 40 ( * ) d'être transmise au Conseil constitutionnel.
Le Constituant a souhaité garantir un examen rapide des QPC, propre à leur caractère « prioritaire ». Aux termes de l' article 61-1 de la Constitution , « le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».
Ce délai a été fixé à trois mois par la loi organique (ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel 41 ( * ) ), tant dans le cas où la question est soumise au « filtrage » du Conseil d'État ou de la Cour de cassation par une juridiction relevant de leur ordre ( article 23-4 ), que dans le cas où la question est soulevée directement lors d'une instance pendante devant eux ( article 23-5 ).
Ce délai est impératif , à peine de dessaisissement : à défaut, la question est automatiquement transmise au Conseil constitutionnel (article 23-7). En pratique, une telle transmission automatique reste extrêmement rare 42 ( * ) , grâce à l'organisation efficace mise en place par le greffe de chacune des juridictions suprêmes pour respecter la célérité spécifiquement imposée au jugement des QPC.
Une fois saisi, le Conseil constitutionnel dispose de trois mois pour statuer (article 23-10). À la différence du précédent, ce délai est indicatif : la Constitution n'imposait pas à la loi organique de fixer un tel délai, dont le non-respect n'est sanctionné par aucun dessaisissement du Conseil constitutionnel, et est sans incidence sur la validité de la décision rendue hors délai 43 ( * ) .
* 40 Selon trois critères cumulatifs désormais développés et précisés par une abondante jurisprudence : si la disposition critiquée est bien applicable au litige ; si elle n'est pas déjà été déclarée conforme à la Constitution ; si la question est nouvelle ou sérieuse.
* 41 Le chapitre II bis (« De la question prioritaire de constitutionnalité ») de cette ordonnance comprend les articles 23-1 à 23-12 ; il y est expressément renvoyé par les dispositions organiques spécifiques à chaque ordre de juridiction (figurant dans le code de justice administrative, le code de l'organisation judiciaire, le code pénal et le code des juridictions financières) et par le statut de la Nouvelle-Calédonie (loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999).
* 42 En 2014, le Conseil constitutionnel faisait ainsi état de trois décisions seulement ayant été rendues à la suite d'une transmission automatique par une juridiction suprême ayant dépassé le délai de trois mois pour statuer (voir en ce sens le commentaire de la décision n° 2014-440 QPC du 21 novembre 2014, M. Jean-Louis M., [Demandes tendant à la saisine directe du Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité]).
* 43 Unique exemple de dépassement de ce délai par le Conseil constitutionnel dont le rapporteur ait connaissance, la décision n° 2013-314 QPC du 14 juin 2013 (M. Jeremy F. [Absence de recours en cas d'extension des effets du mandat d'arrêt européen]) répondait à une question que la chambre criminelle de la Cour de cassation avait transmise au Conseil constitutionnel le 27 février 2013 (délai justifié par la saisine et le prononcé d'un arrêt, dans l'intervalle, de la Cour de Justice de l'Union européenne, selon la procédure préjudicielle d'urgence).