C. UN EFFORT BUDGÉTAIRE PLUS MODESTE EN FAVEUR DES AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES, DANS UN CONTEXTE DE FORTE CROISSANCE DU CONTENTIEUX
1. Une hausse modérée des ressources allouées aux autres juridictions administratives
En 2020, les autres juridictions bénéficieront de 13 emplois nouveaux - 2 pour le Conseil d'État, 3 pour la commission du contentieux du stationnement payant et 8 pour les tribunaux et cours administratives d'appel - contre 10 en 2019.
Le projet de loi pour 2020 introduit cependant une souplesse supplémentaire, puisque les tribunaux administratifs et les cours d'appels seront autorisés à recruter 21 juristes assistants - mais uniquement à la condition que ces emplois soient autofinancés en gestion sur les crédits du programme, grâce à un moindre recours aux vacataires.
En parallèle, deux millions d'euros supplémentaires sont dédiés au projet de construction de la 9 e Cour administrative d'appel , en Occitanie. Permettant de mieux équilibrer la répartition des cours administratives d'appel, cette Cour devrait être fonctionnelle dès la fin de l'année 2021.
Ces efforts budgétaires demeurent cependant relativement modestes au regard de la forte progression, passée et à venir, du contentieux administratif. En effet, après une augmentation de 8 % en 2018, le nombre d'entrées contentieuses a progressé de 2,5 % dans les cours administratives d'appel et de 11 % dans les tribunaux au cours du 1 er semestre 2019 .
2. Une augmentation considérable du contentieux, invitant à surveiller les délais de traitement des requêtes et du stock d'affaires
a) Une hausse principalement imputable au contentieux des étrangers
Ces dernières années, les juridictions administratives ont connu une augmentation considérable du contentieux , tant par le nombre de recours que celui des domaines concernés. Certains s'avèrent massifs du point de vue des entrées - comme les contentieux sociaux - d'autres complexes en raison de la diversité des procédures applicables - contentieux sur les mesures d'état d'urgence - ; le contentieux des étrangers cumule ces deux critères.
Ainsi, dans les juridictions administratives (tribunaux, cours d'appel et Conseil d'État), le nombre d'affaires enregistrées a progressé de 7,5 % en 2018 (+ 17 945 affaires) , soit une augmentation plus rapide que le nombre d'affaires traitées (+ 10 535 affaires). Le taux de couverture des entrées par les sorties est ainsi passé sous la barre des 100 %, conduisant à une augmentation des stocks dans les deux niveaux de juridiction (+ 3,2 % pour l'ensemble des juridictions administratives). Ce sont ainsi plus de 200 000 affaires qui sont restées pendantes à la fin de l'année 2018.
Évolution de l'activité des juridictions administratives depuis 2014
Source : commission des finances du Sénat, à partir des réponses au questionnaire budgétaire
Dans le détail, cette augmentation se concentre principalement sur le contentieux des étrangers, qui progresse de 18,2 % pour atteindre 98 475 nouvelles affaires en 2018, soit plus du tiers des entrées dans les juridictions administratives (38 %) . Le contentieux des étrangers représente ainsi 37 % des entrées dans les tribunaux administratifs (+ 37 % depuis 2013) et 49 % des entrées dans les cours administratives d'appel (+ 17 % depuis 2013).
De la même manière, ce contentieux constitue une proportion croissante des affaires traitées par la section du contentieux du Conseil d'État, en raison notamment de la forte augmentation du nombre de pourvois en cassation présentés contre des décisions de la Cour nationale du droit d'asile ; à eux seuls, ces pourvois représentent plus des deux tiers de l'ensemble du contentieux des étrangers dont ont à connaître les chambres de la section du contentieux.
In fine , en 2018, la part du contentieux des étrangers est de 87 % sur la progression totale des entrées , même si le contentieux de la fonction publique (+ 9,6 %), ainsi que celui de la police (+ 13,7 %) enregistrent également une hausse notable sur cette même année.
Évolution du contentieux par domaines entre 2017 et 2018
Source : commission des finances du Sénat, à partir des réponses au questionnaire budgétaire
En 2019, loin de ralentir, la progression des affaires enregistrées s'est amplifiée , avec une hausse de 21 % du contentieux des étrangers , de 12 % du contentieux de la fonction publique, et de 15 % du contentieux de la police.
Cette dynamique, qui n'avait pas été anticipée lors des travaux préparatoires à la loi de programmation pour les finances publiques, est d'autant plus difficile à gérer pour les juridictions administratives que le contentieux des étrangers s'inscrit dans des délais qui lui sont propres , conduisant à repousser le jugement d'autres contentieux.
Elle pourrait ainsi, à terme, peser sur les délais de jugement des juridictions administratives . Dans ce contexte, en sus des évolutions législatives et réglementaires intervenues en 2019 (voir encadré infra ), votre rapporteur spécial note que le Premier ministre a récemment confié au Conseil d'État le soin de réfléchir à une réforme du droit des étrangers, en simplifiant les procédures liées à ce contentieux spécifique.
Le groupe de travail mis en place pour préparer cette étude devrait terminer ses travaux en mars 2020, et rendre des conclusions qui pourraient donc se traduire par des réformes procédurales.
Votre rapporteur spécial sera particulièrement attentif aux suites données à ces travaux .
Évolutions procédurales récentes Plusieurs évolutions législatives et règlementaires sont intervenues en 2019 et sont attendues dans les années à venir, concourant à alléger les procédures et à donner plus de moyens au juge administratif pour accélérer le traitement des requêtes. Les extensions de procédures impliquant un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) devraient ainsi permettre de contenir l'impact des transferts de nouveaux contentieux, tels que celui de l'aide sociale 7 ( * ) ou celui des pensions militaires d'invalidité 8 ( * ) . La loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a par ailleurs prévu le lancement de réformes structurelles prenant spécifiquement en compte la situation de la juridiction administrative, confrontée à un nombre croissant de contentieux de l'urgence et de contentieux sous délai de jugement contraint, qui pèsent sur l'organisation des juridictions. Ainsi : - l'article 34 de la loi prévoit le prolongement de l'expérimentation de la médiation préalable obligatoire pour certains litiges de la fonction publique et litiges sociaux au 31 décembre 2021 ; - l'article 35 élargit les possibilités de recours aux magistrats honoraires, à qui des fonctions juridictionnelles de rapporteur en formation collégiale, de juge unique ou de juge des référés, ou des fonctions non juridictionnelles d'aide à la décision pourront être confiées ; - l'article 36 crée le statut de juristes assistants qui renforceront, sur le modèle de ce qui a été fait dans les juridictions judiciaires, l'aide à la décision dont bénéficient les magistrats administratifs. À terme, les magistrats pourront donc davantage se consacrer aux dossiers nécessitant une plus grande expertise juridique et aux dossiers les plus anciens ; - l'article 39, enfin, élargit la possibilité de statuer en formation collégiale composée de 3 juges des référés aux référés précontractuels et contractuels. Source : commission des finances du Sénat, à partir du questionnaire budgétaire |
b) Des délais moyens de jugement et une évolution du stock qui pourraient déraper
Les activités des juridictions administratives sont mesurées par l'évolution des indicateurs principaux de performance du programme 165, à savoir la maîtrise des délais de jugement et la réduction du stock d'affaires en instance.
Fixé à un an par le législateur 9 ( * ) , l'objectif de délai moyen de jugement est suivi par le principal indicateur de performance du programme. Si, au cours des dernières années, chaque niveau de juridiction est parvenu à réduire ses délais de traitement, de manière à respecter cet objectif, les prévisions actualisées pour 2019 et 2020 laissent envisager un retour à la hausse.
Dans un contexte marqué par de fortes attentes des justiciables à l'égard de l'efficacité du système judiciaire, votre rapporteur sera particulièrement vigilant quant à l'évolution de cet indicateur.
Délai moyen constaté de jugement des affaires
Niveaux de juridiction |
2017
|
2018
|
2019
|
2019
|
2020
|
2020
|
Conseil d'État |
7 mois et 12 jours |
7 mois et 27 jours |
9 mois |
8 mois et 16 jours |
9 mois |
9 mois |
Cours administratives d'appel |
11 mois et 3 jours |
11 mois et 6 jours |
11 mois |
11 mois |
11 mois |
10 mois et 8 jours |
Tribunaux administratifs |
10 mois et 15 jours |
10 mois et 3 jours |
11 mois |
11 mois |
11 mois |
10 mois |
Source : commission des finances d'après l'indicateur 1.1 du projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2020
De même que la Cour nationale du droit d'asile, les juridictions administratives visent aussi à réduire leur stock d'affaires en instance, particulièrement celles de plus de deux ans .
Si, au Conseil d'État, ce stock a considérablement diminué depuis 2014, la part des affaires en instance depuis plus de deux ans a légèrement augmenté du côté des cours administratives d'appel en 2018 et en 2019, et devrait poursuivre sur cette lancée en 2020.
Proportion d'affaires en stock enregistrées depuis plus de deux ans
(en %)
Niveaux de juridiction |
2017
|
2018
|
2019
|
2019
|
2020
|
2020
|
Conseil d'État |
2,3 |
2,6 |
2,5 |
2,3 |
2,3 |
< 3 |
Cours administratives d'appel |
3,2 |
3,4 |
4 |
4 |
4 |
3 |
Tribunaux administratifs |
7,8 |
6,9 |
7,5 |
7,5 |
7,5 |
7,5 |
Source : commission des finances d'après l'indicateur 1.1 du projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2020
Cette relative dégradation, liée à une forte progression des entrées, devrait empêcher le respect de la cible initialement fixée pour les cours administratives d'appel.
* 7 Ordonnance n° 2018-358 du 16 mai 2018 relative au traitement juridictionnel du contentieux de la sécurité sociale et de l'aide sociale. Un décret d'application reste à paraître.
* 8 Article 51 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
* 9 Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ).