B. UNE AUGMENTATION CONSÉQUENTE DES MOYENS DÉDIÉS À LA COUR NATIONALE DU DROIT D'ASILE, DANS UN CONTEXTE DE HAUSSE DU CONTENTIEUX ASSOCIÉ
1. Une hausse continue du nombre de recours...
La Cour nationale du droit d'asile, juge en premier et dernier ressort des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), se trouve confrontée, ces dernières années, à une hausse continue des affaires entrantes, directement liée à celle du nombre d'étrangers demandeurs d'asile. L'augmentation du nombre d'affaires résulte également d'un taux de refus conséquent des demandes d'asile (73 % en 2018), allié à un taux de contestation particulièrement élevé des décisions rendues (de l'ordre de 86,6 %).
Si l'augmentation du nombre d'affaires entrantes s'inscrit dans une tendance durable depuis 2008 (+ 130 % entre 2009 et 2017), elle a connu une progression particulièrement rapide en 2017 (+ 34 %) et 2018 (+ 9,5 %) et devrait encore s'accélérer dans les années à venir. Ainsi, selon les dernières estimations de l'Ofpra, la Cour devra traiter près de 90 000 nouveaux recours en 2020, contre 58 671 en 2018, soit une hausse de 53 % sur deux ans.
Évolution du nombre de recours entre 2009 et 2020
(en milliers)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
2. ... se traduisant par une maitrise difficile des délais de jugement...
Dans ce contexte, après une réduction notable des délais moyens constatés de jugement jusqu'en 2017- près de 15 mois en 2010 contre 6 mois et 17 jours en 2017 -, ceux-ci sont repartis à la hausse en 2018 pour atteindre 8 mois et 4 jours en procédure normale et 4 mois et 11 jours pour les procédures accélérées, qui ont représenté 41 % du contentieux.
Pour rappel, les objectifs de délai moyen constatés fixés par le législateur depuis 2015 5 ( * ) sont de cinq semaines pour la procédure à juge unique (procédure accélérée) et cinq mois pour les procédures en formations collégiales (procédure normale).
Évolution du délai moyen constaté
de jugement des affaires
à la Cour nationale du droit
d'asile
(en jours)
Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)
Cette cible ne devrait pas être davantage atteinte en 2019 , en raison notamment des mouvements de protestation des avocats contre le déploiement des vidéo-audiences au printemps 2019, entraînant une dégradation des prévisions actualisées. Selon les informations transmises à votre rapporteur spécial, la Cour estime à 2 000 le nombre de décisions qui n'ont pu être prises en 2019 en raison de ce mouvement social. Par conséquent, au 31 août, les délais moyens constatés étaient de 9 mois et 17 jours pour les procédures normales, et de 4 mois et 31 jours pour les procédures accélérées .
Les objectifs pour 2020 demeurent toutefois identiques à ceux fixés par la loi du 29 juillet 2015 portant réforme du droit d'asile.
En revanche, le délai moyen prévisible de jugement (quotient du nombre de dossiers en stock par le nombre d'affaires jugées dans l'année) devrait connaître une baisse notable , en raison d'un important déstockage mené au cours des dernières années. En effet, le nombre d'affaires en instance devant la Cour devrait cette année connaître une légère diminution, après plusieurs années de hausse (36 868 dossiers non jugés au 31 décembre 2018, contre 34 699 dossiers non jugés au 30 juin 2019).
Cette amélioration découlerait des efforts budgétaires réalisés en faveur de la Cour en 2019 , les 122 recrutements effectués devant permettre le traitement d'environ 67 000 dossiers en 2019, contre environ 60 000 affaires entrantes.
3. ... et justifiant une progression notable des moyens alloués à la CNDA
Toutes dépenses confondues, le budget alloué à la CNDA progresse de 11,9 millions d'euros (soit 21,4 %) entre 2019 et 2020 6 ( * ) , portant à 67,5 millions d'euros en CP les moyens budgétaires mobilisés par la CNDA.
Évolution des crédits alloués à la CNDA entre 2019 et 2020 (en CP)
(en % et en M€)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Cette évolution résulte en premier lieu d'une augmentation de 3,7 millions d'euros des crédits hors titre 2 - dont 2,2 millions d'euros pour les frais de justice (frais postaux, dépenses d'interprétariat et dépenses de consommables) et 1,5 million d'euros pour les autres crédits.
En effet, alors que les locaux de la Cour sont répartis dans quatre lieux différents et que ses besoins immobiliers ne cessent de s'étendre , un projet de relogement de la Cour, associé à celui du tribunal administratif de Montreuil est à l'étude depuis plusieurs mois. Après une forte augmentation des AE du programme en 2019, essentiellement destinée aux dépenses immobilières (+ 61,7 millions d'euros), la poursuite de l'opération de relogement devrait bénéficier de 1,16 million d'euros euros en AE et CP en 2020. En tout état de cause, l'achèvement des travaux de réhabilitation du site, ainsi que l'installation de la CNDA à Montreuil ne sont pas prévus avant 2024 au plus tôt.
Dans l'intervalle, les crédits de fonctionnement alloués à la CNDA devraient permettre la création de 4 salles d'audience supplémentaires.
En parallèle, afin d'améliorer les délais de traitement des demandes d'asile et de renforcer la capacité de jugement de la CNDA, le projet de loi de finances pour 2020 prévoit également une augmentation de 8,16 millions d'euros des crédits de titre 2 destinés à la Cour, permettant la création de 59 emplois, dont 32 postes de rapporteurs .
Selon les informations transmises à votre rapporteur spécial, ces emplois supplémentaires devraient porter la capacité de jugement de la Cour à 83 400 affaires par an en 2020 - alors que la CNDA sera confrontée à 90 000 nouveaux recours selon les estimations de l'Ofpra -, puis 89 200 affaires par an en 2021, une fois les nouveaux rapporteurs formés.
À compter de 2020, les effectifs de la Cour seront donc suffisamment nombreux pour traiter chaque année les nouvelles affaires, si tant est que leur nombre se stabilise dans les années à venir , ce que rien ne permet de présager à ce jour.
En pratique, après la création de 4 chambres en 2018, puis 5 nouvelles chambres en 2019, les crédits supplémentaires prévus dans le budget 2020 rendraient possible l'ouverture d'une 23 ème chambre. Le plafond d'emplois de la CNDA s'élèvera ainsi à 719 ETPT , tandis que s on effectif dépasse depuis 2019 l'ensemble des effectifs des 8 cours administratives d'appel réunies.
Évolution des créations d'emplois
pour
la Cour nationale du droit d'asile
(en ETPT)
Années |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
PLF 2020 |
Emplois créés |
15 |
23 |
24 |
40 |
102 |
122 |
59 |
Dont postes de rapporteurs |
8 |
15 |
10 |
24 |
56 |
70 |
32 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Conseil d'État au questionnaire budgétaire et les documents budgétaires |
À l'instar des années précédentes, l'essentiel des augmentations de crédits du programme 165 portent donc sur l'amélioration de la CNDA , faisant courir le risque d'un effet d'éviction au détriment des autres juridictions administratives, quand bien même ces dernières font face à un accroissement notable du contentieux .
* 5 Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 portant réforme du droit d'asile.
* 6 Action 07 « Cour nationale du droit d'asile », ainsi qu'une partie de l'action 06 « Soutien ».