B. SI LES MODALITÉS D'EXERCICE DES FONDS POUR LA TRANSFORMATION ONT ÉTÉ PRÉCISÉES, LEUR CAPACITÉ À ATTEINDRE LEURS OBJECTIFS DEMEURE FLOUE
1. Les fonds de la mission, qui se sont multipliés ces dernières années, s'appuient sur une méthode originale d'appels à projet
Chaque fonds doit couvrir un domaine bien précis, afin d'éviter tout risque de doublon entre les différents programmes, ce qui nuirait à leur efficacité globale. Ils partagent toutefois quasiment tous un trait commun : des retards de mise en oeuvre préoccupants . Pour des fonds de transformation, les procédures semblent bien complexes.
a) Le Fonds pour la transformation de l'action publique : donner vie au rapport sur le Grand plan d'investissement de Jean Pisani-Ferry
Dans son rapport sur le Grand plan d'investissement 25 ( * ) , Jean Pisani-Ferry recommandait de créer un fonds pour la transformation de l'action publique (initiative 20). Le programme 359 en est la traduction budgétaire et en reprend les principaux critères : une dotation de 700 millions d'euros sur le quinquennat, un retour sur investissement d'un euro économisé au bout de trois ans pour un euro investi, la signature de contrats de transformation avec objectifs de performance pour les services bénéficiaires et la participation de personnalités qualifiées extérieures au processus de sélection.
Les projets soutenus par ce fonds doivent participer à la transformation de l'État, générer des économies, améliorer la qualité du service rendu aux usagers et les conditions de travail des agents. Les principaux lauréats du fonds sont donc en grande majorité des projets informations ou de réorganisation. Y sont cependant éligibles les projets immobiliers, même si ceux-ci sont encore très peu nombreux. Une exception est à relever : le projet « Prisons expérimentales » du ministère de la justice, lauréat du second appel à projets en 2019.
Ils sont sélectionnés et suivis par un comité de pilotage, sous l'égide du ministre de l'action et des comptes publics et composé de la directrice du budget, du directeur interministériel à la transformation publique et du secrétaire général pour l'investissement, ainsi que de cinq personnalités qualifiées. Le secrétaire d'État au numérique est associé aux décisions portant sur des projets informatiques.
Il y a deux sessions d'appels à projets par an et les candidats doivent satisfaire à plusieurs exigences, ayant tant trait au respect des objectifs du fonds qu'à la taille du projet, à son portage (État ou opérateurs), à sa pérennité ou encore à sa cohérence avec les priorités stratégiques ministérielles et interministérielles. Le Fonds n'apportant pas la totalité des financements nécessaires, ces projets doivent en outre être cofinancés par les porteurs du projet. Une fois cette barre d'éligibilité franchie, la sélection s'appuie en mesure le mérite respectif de chacun des projets sur plusieurs critères (économies substantielles, qualité de service et conditions de travail, gouvernance, cohérence avec l'action gouvernementale en matière de transformation publique, conformité aux principes de l'État plateforme pour les projets informatiques).
Afin d'encourager les projets portés par des acteurs territoriaux, les seuils d'éligibilité ont été abaissés, seulement pour eux, d'un million à 200 000 euros. 9 projets territoriaux ont ainsi été retenus en 2019, une ouverture appréciée par vos rapporteurs spéciaux, qui avaient regretté que les premiers appels à projet se soient traduits par une écrasante présence de projets d'administration centrale 26 ( * ) .
65 projets ont déjà été sélectionnés par le fond et sont issus de quatre appels d'offres. À l'instar du programme 348, des retards de contractualisation ont également été constatés sur ce programme . À cet égard, vos rapporteurs spéciaux s'inquiètent de voir que la cible du délai d'instruction des projets a été révisée à la hausse entre 2018 et 2020 (de 55 à 60 jours, après une prévision de 70 jours en 2019).
État d'avancement des projets sélectionnés
1er appel à projet |
2e appel à projet |
3e appel à projet |
Total |
||
Contractualisation (signature) |
13 |
9 |
4 |
26 |
52,00 % |
En cours de signature (éventuellement après évolution du projet initial) |
1 |
5 |
12 |
18 |
36,00 % |
Désistement |
2 |
0 |
2 |
4,00 % |
|
Difficultés d'avancement |
1 |
2 |
1 |
4 |
8,00 % |
Total |
17 |
16 |
17 |
50 |
100,00 % |
Note : le quatrième appel à projet, qui s'est tenu en septembre 2019, n'est pas indiqué. Il est trop tôt pour tirer un premier bilan du processus de contractualisation.
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Les informations dont disposent vos rapporteurs spéciaux sur l'exécution en cours d'année des fonds alloués au programme 349 pour 2019 sont encore plus inquiétantes . Le niveau de consommation resterait limité. Au 30 juin 2019, la consommation s'élevait ainsi à 8,2 millions d'euros en AE et 12,3 millions d'euros en CP, un niveau bien inférieur à la prévision annuelle. Le niveau de consommation devrait être explicité dans le cadre du projet de loi de finances rectificative.
b) Le Fonds d'accompagnement interministériel ressources humaines
Le Fonds d'accompagnement interministériel ressources humaines (FAIRH) vise à cofinancer des actions en matière de ressources humaines lors de la mise en oeuvre de plans de transformation ministériels . Cinq critères déterminent l'éligibilité des projets : la solidité du dossier et la gouvernance du projet ; la cohérence avec les enjeux de transformation ministérielle ; l'impact chiffré des actions d'accompagnement envisagées ; le montage financier du projet ; l'impact sur les effectifs et sur la masse salariale. Présidé par le directeur général de l'administration et de la fonction publique, le comité de sélection se compose de la directrice du budget, du délégué interministériel à la transformation publique, d'un représentant de l'Agence d'accompagnement des reconversions et des mobilités ou le cas échéant du préfigurateur de l'agence, du coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés de l'État au secrétariat général du Gouvernement, ou de leurs représentants, et de trois personnalités qualifiées ayant une forte expérience dans le domaine des ressources humaines et issues du service public.
À la suite de sa première réunion au mois de juin 2019, le comité de sélection du FAIRH a retenu trois projets de transformation, puis un quatrième en août. Vos rapporteurs spéciaux relèvent que, pour le premier, cela permet aux ministères économique et financier de faire porter une partie du coût de sa réorganisation sur une autre mission que la mission GFPRH . En effet, il a vocation à accompagner les 417 agents concernés par la réforme des pôles chargés de l'économie, des entreprises et de l'emploi (pôles 3E) des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). Cet accompagnement se traduira par la mobilisation d'outils indemnitaires et de formation.
c) Le Fonds pour l'accélération du financement des start-up d'État : mobiliser les agents de l'administration
Sous l'égide du Dinsic, le Fonds pour l'accélération du financement des start-up d'État (FAST) doit inciter les administrations à investir dans des initiatives innovantes portées par des agents publics pour résoudre des problèmes de politique publique . Trois objectifs ont guidé la création de ce fonds par la loi de finances pour 2019 : (1) soutenir des projets avec une forte dimension de risque; (2) promouvoir l'innovation dans le secteur public, mais également dans les méthodes de travail des agents, inspirées de celles des start-ups d'État, avec une équipe autonome ; (3) encourager les agents publics à devenir des « intrapreneurs ».
Le FAST lance un appel à projets tous les trois mois, délai au terme duquel son équipe présélectionne des candidats. Ces derniers présentent ensuite leurs projets devant le jury du FAST, composé de membres de l'administration et de la société civile. Dans sa décision, le jury s'appuie sur trois exigences : l'impact pour l'utilisateur final, l'existence d'un sponsor dans l'administration porteuse et l'adéquation du projet avec les enjeux numériques de l'État. Le FAST cofinance ensuite jusqu'à 50 % de chacun des projets lauréats et ces crédits sont en majeure partie dédiés au recrutement d'experts du numérique (via beta.gouv.fr).
Le financement alloué aux lauréats dépend également de la phase de vie du projet : 10 000 euros pour accompagner les projets visant à trouver des solutions concrètes à un problème de politique publique (pré-incubation) ; 70 000 euros pour les projets à forte incertitude, avec le développement d'une première solution et son expérimentation auprès des usagers (amorçage) ; 250 000 euros pour faire de ces solutions de véritables produits, une fois qu'elles ont fait la preuve de leur bien-fondé.
La sélection est exigeante, trois projets ayant été choisis lors du premier appel à projet, sur les 39 candidats (7,7 %). Promus par une intercommunalité, une région et une académie, ils portent sur le traitement des déchets, le retour à l'emploi et la simplification des démarches pour les élèves handicapés.
La création de ce fonds a nécessité, en parallèle, de définir des indicateurs de performance. Ceux-ci reprennent les critères d'éligibilité du fonds, y compris pour chacune des tranches de financement : nombre de problèmes étudiés, nombre de produits lancés / abandonnés par an, nombre de produits devenus des services publics à impact national. Ils entendent également illustrer la capacité de l'État à se doter des compétences requises puisqu'ils tiennent également compte du nombre d'entrepreneurs d'intérêt général sélectionnés dans l'année, recrutés en suivant dans l'administration et du nombre « d'intra-entrepreneurs » formés aux méthodes de travail de startups d'État.
2. En dépit des objectifs affichés par la mission, les critères de sélection des projets conduisent à davantage privilégier la modernisation que l'économie sur la dépense publique
Ces fonds visent à donner budgétairement corps au processus de réforme des politiques publiques initié par le Gouvernement sous le terme « Action publique 2022 ». Selon le rapport du Comité action publique 2022 (CAP 22), il s'agit de conjuguer trois objectifs d'apparence contradictoire : transformer l'administration, renouveler le service public, faire des économies substantielles. Vos rapporteurs spéciaux estiment que ces belles ambitions se sont rapidement heurtées au principe de réalité.
Comme l'a admis M. Olivier Dussopt lors de son audition par vos rapporteurs spéciaux, le critère des économies attendues est devenu moins déterminant, en particulier s'il s'agit de soutenir à côté des projets innovants portés par les administrations qui n'auraient pas eu les moyens de le faire en interne 27 ( * ) . Si ce n'est pas à proprement parler un contournement des règles budgétaires, vos rapporteurs spéciaux ne peuvent s'empêcher d'y voir une organisation bien plus motivée par un besoin d'affichage politique que par de pures considérations budgétaires.
Si vos rapporteurs spéciaux comprennent la volonté du Gouvernement de vouloir isoler, à travers cette mission, des crédits dédiés à la transformation de l'État et à l'accompagnement des réformes dites structurelles, ils n'en sont pas moins surpris par la méthode . Il ne s'agit ni plus ni moins que d'ouvrir sur de nouveaux programmes des crédits destinés à financer des dépenses et des réformes que les propres crédits du ministère de l'action et des comptes publics, notamment à travers la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », ne lui permettent pas d'assumer. Sous couvert d'afficher une maitrise de la dépense publique sur cette mission, une brèche s'ouvre par l'utilisation de ces fonds. Il en va de même pour d'autres ministères, qui financent également leurs projets innovants par ces fonds, ou du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État, qui n'aurait pas pu seul assurer la rénovation des sites multi-occupants. Vos rapporteurs spéciaux estiment donc que les informations sur les ministères, administrations et collectivités bénéficiaires mériteraient d'être clarifiées.
Enfin, vos rapporteurs spéciaux insistent sur l'exécution fragile de cette mission . Sur l'ensemble de la mission, la ressource disponible à la fin du mois d'août 2019 s'élevait à 1 395 millions d'euros (AE) et 333 millions d'euros (CP). Cette somme conséquente s'obtient en additionnant les crédits en loi de finances, ainsi que celui des reports. Sur les huit premiers mois de l'année, la consommation atteint 19 millions d'euros (CP). Jusqu'où pourra-t-on reporter les crédits ? Quel impact une éventuelle cession de la mission en 2022 aura-t-elle sur ces crédits ? Autant de questions qui devront être rapidement résolues, la mission dépassant en 2020 la moitié de sa durée de vie programmée .
* 25 Jean Pisani-Ferry, Le Grand plan d'investissement 2018-2022. Rapport au premier ministre, (septembre 2017) . Lien : https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2017/09/rapport_de_m._jean_pisani-ferry_-_le_grand_plan_dinvestissement_2018-2022.pdf
* 26 Contribution de MM. Thierry Carcenac et Claude Nougein, rapporteurs spéciaux, au rapport n° 625 (2018-2019) de M. Albéric de Montgolfier, sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2018. https://www.senat.fr/rap/l18-625-2/l18-625-2.html
* 27 Annexe 1 du présent rapport.