B. L'EXERCICE 2018 ISOLE ENCORE DAVANTAGE LA FRANCE DU RESTE DE LA ZONE EURO EN MATIÈRE BUDGÉTAIRE
1. L'effort de redressement de la situation structurelle des comptes publics s'écarte des règles budgétaires européennes...
Si la France est sortie du volet « correctif » du pacte de stabilité à l'issue de l'exercice 2017, le Gouvernement reste soumis dans le cadre du volet « préventif » à trois règles budgétaires .
Tout d'abord, le pacte de stabilité encadre la trajectoire de solde structurel devant conduire à l'atteinte d'un « objectif à moyen terme » (OMT) ne devant pas dépasser - 0,5 % du PIB. Dans le cadre de la règle de déficit structurel , la France est ainsi tenue d' améliorer son solde structurel de 0,6 point de PIB au minimum jusqu'à atteindre son OMT, fixé à - 0,4 % du PIB par l'article 2 de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
Afin de remédier aux difficultés liées à la mesure de l'ajustement structurel, une règle en dépense européenne , dont le respect est évalué conjointement à celui de la règle de déficit structurel, a été introduite en complément 5 ( * ) . En vertu de cette règle, la croissance des dépenses publiques « pilotables », nette des mesures nouvelles en recettes, ne peut excéder un taux de référence fixé à un niveau cohérent avec la trajectoire d'ajustement structurel 6 ( * ) . Ainsi, une hausse des dépenses publiques « pilotables » supérieure au taux de référence n'est admise que si elle est financée par une hausse des prélèvements obligatoires, rapprochant ainsi la règle en dépense européenne de la notion française d'effort structurel. Dans le cas français, le taux de référence à respecter au titre de l'année 2018 avait été fixé à 1,2 % par le Conseil de l'Union européenne.
Enfin, dans le cadre de la règle de dette , tout État membre dont le ratio d'endettement excède 60 % du PIB doit en principe réduire l'écart entre sa dette et le seuil de 60 % du PIB de 1/20e chaque année en moyenne sur trois ans. La France fait toutefois partie des États membres qui bénéficient temporairement d'une dérogation à cette règle, qui ne leur sera pleinement applicable qu'à l'issue d'une période de trois ans suivant la correction du déficit excessif. Dans l'intervalle, le Gouvernement est néanmoins tenu de respecter un ajustement structurel linéaire minimal de nature à garantir le respect du critère de réduction de la dette avant la fin de la période de transition. En pratique, cette règle impliquait pour la France de réduire son déficit structurel de 0,7 point de PIB en 2018 .
À l'issue de l'exercice 2018, il apparaît qu' aucune de ces trois règles n'a été respectée .
Évaluation du respect de l'effort budgétaire recommandé par le Conseil de l'Union européenne
(en points de PIB potentiel, taux d'évolution en %)
Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses au questionnaire adressé au Gouvernement et le rapport « France » de la Commission européenne établi le 5 juin 2019 conformément à l'article 126, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne)
S'agissant de la règle de déficit structurel et de la règle en dépense européenne, dont la violation peut conduire à l'ouverture d'une procédure pour « déviation significative », un écart maximum de 0,25 point de PIB en moyenne sur deux ans et de 0,5 point de PIB sur une année est autorisé. En 2018, l'écart s'élève à 0,3 point de PIB dans le cadre de la règle en dépense européenne et de 0,5 point de PIB dans le cadre de la règle de déficit structurel. La France a donc épuisé la totalité de ses marges de manoeuvre à l'égard de la règle de déficit structurel à l'issue de l'exercice 2018 - et ce alors même que l'ajustement structurel prévu au titre de l'année 2019 est de nouveau très inférieur à l'objectif de 0,6 point de PIB.
S'agissant de la règle de dette, la France a dépassé dès 2018 la marge de manoeuvre maximale autorisée , qui s'élève à 0,25 % du PIB.
Les « progrès insuffisants accomplis par la France » dans le cadre de la règle de dette et la perspective d'un retour du déficit au-dessus du seuil de 3 % du PIB en 2019 ont ainsi conduit la Commission européenne à établir en juin dernier un rapport préalable à l'ouverture d'une procédure pour « déficit excessif » , qui peut être fondée sur la dette ou le déficit 7 ( * ) .
À l'issue d'une évaluation globale de l'ensemble des « facteurs pertinents », tenant compte notamment des faibles risques qui pèsent à court terme sur la soutenabilité de la dette française et des réformes structurelles mises en oeuvre par le Gouvernement, elle a toutefois conclu qu'une procédure pour déficit excessif fondée sur la dette n'était pas justifiée à ce stade - à l'inverse de ce qu'elle a décidé dans le cas italien.
2. ... ce qui nourrit la divergence observée entre la France et le reste de la zone euro, tant sur le plan du déficit que de la dette
Si le Gouvernement a donc une nouvelle fois pu compter sur la bienveillance des institutions européennes, l'absence de respect des règles budgétaires nourrit la divergence observée entre la France et le reste de la zone euro.
Sur le plan du déficit, avec une amélioration du solde nominal limitée à 0,2 point, la France figure ainsi parmi les pays de la zone euro où le redressement opéré l'an dernier est le plus faible .
Évolution du solde public des principaux pays
de la zone euro en 2018
(en points de PIB)
Note : si le solde public de la France est de - 2,5 % en 2018, contre - 2,8 % en 2017, l'amélioration n'est que de 0,2 point de PIB - la somme des arrondis différant de l'arrondi de la somme.
Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de la base AMECO de la Commission européenne)
Par conséquent, l'écart avec le reste de la zone euro, déjà important à l'issue de l'exercice 2017, continue de se creuser .
Comparaison de l'évolution du déficit
public
de la France et du reste de la zone euro
(en points de PIB)
Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de la base AMECO de la Commission européenne)
Surtout, l'absence d'effort significatif de réduction du déficit se traduit cette année encore par une impossibilité d'infléchir l'endettement .
La dynamique de l'endettement D'une année sur l'autre, la variation du taux d'endettement peut être décomposée comme la somme de trois facteurs . Premièrement, le solde primaire , qui correspond au solde public hors charge de la dette. Deuxièmement, l'ajustement stock-flux , qui correspond à la partie de la variation de l'endettement qui n'est pas reflétée dans le déficit (par exemple, les recettes tirées des privatisations, qui n'ont pas d'effet sur le déficit car elles constituent une opération financière au sens de la comptabilité nationale mais permettent de diminuer la dette). Troisièmement, le différentiel entre le taux d'intérêt moyen que les administrations publiques paient sur leur dette (dit taux d'intérêt « apparent ») et le taux de croissance nominal de l'économie , rapporté au taux d'endettement initial. Ce dernier facteur est communément désigné sous le terme d' effet « boule de neige » . En effet, il implique que même si une économie atteint l'équilibre primaire, l'endettement continue d'augmenter « tout seul » si le taux d'intérêt apparent est supérieur au taux de croissance nominal - et ce dans des proportions d'autant plus importantes que le stock initial de dette est élevé. À l'inverse, si le taux d'intérêt apparent est inférieur au taux de croissance nominal, un solde primaire à l'équilibre (ou même légèrement négatif) suffit pour diminuer l'endettement. On parle alors d'effet « boule de neige » favorable. Source : rapport d'information n° 468 (2018-2019) d'Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur le projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022, déposé le 29 avril 2019 |
En dépit d'un effet « boule de neige » (- 0,7 point de PIB) et d'un ajustement stock-flux (- 0,1 point de PIB) favorables, le solde primaire stabilisant l'endettement est tout juste atteint .
Décomposition de l'évolution de la dette publique française depuis 2015
(en points de PIB)
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
|
Dette publique |
95,6 |
98,0 |
98,4 |
98,4 |
Évolution |
0,7 |
2,4 |
0,5 |
0,0 |
dont : solde primaire |
1,6 |
1,7 |
1,0 |
0,8 |
dont : effet « boule de neige » |
- 0,1 |
0,3 |
- 0,9 |
- 0,7 |
dont : ajustement stock-flux |
- 0,8 |
0,4 |
0,3 |
- 0,1 |
Source : commission des finances du Sénat (d'après les données du programme de stabilité 2019)
Avec l'Italie, la France est ainsi le seul grand pays de la zone euro à ne pas avoir infléchi son endettement public l'an dernier.
Évolution du taux d'endettement des principaux
pays
de la zone euro en 2018
(en points de PIB)
Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de la base AMECO de la Commission européenne)
Par conséquent, le caractère singulier de la trajectoire d'endettement de la France s'en trouve encore renforcé.
Comparaison de l'évolution du ratio d'endettement depuis 2006
(en points de PIB)
Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de la base AMECO de la Commission européenne)
Pour la première fois, le ratio d'endettement français est ainsi supérieur à celui du reste de la zone euro hors Allemagne, tandis que le différentiel avec l'Allemagne atteint près de 40 points de PIB.
Si la trajectoire d'endettement française apparaît particulièrement singulière, il peut être souligné que l'absence de convergence sur le plan budgétaire constitue un problème plus général à l'échelle de la zone euro .
En effet, alors que l'on s'attendrait à ce que l'effort de redressement soit d'autant plus grand que la situation structurelle des comptes publics est dégradée, et qu'à l'inverse les pays disposant de marges de manoeuvre considérables assouplissent leur politique budgétaire pour investir et soutenir la croissance, c'est le phénomène inverse qui, en moyenne, a été observé l'an dernier.
Évolution du déficit structurel en 2018
en fonction de la distance à l'objectif
de moyen terme à
l'issue de l'exercice 2017
(en points de PIB potentiel, taux d'évolution en %)
Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de la base AMECO de la Commission européenne)
Or, sans revenir trop en détails sur le débat en cours concernant l'impact du contexte de taux bas sur la conduite de la politique budgétaire, qui a récemment fait l'objet d'une analyse détaillée de votre rapporteur général dans le cadre du programme de stabilité 2019-2022, à laquelle le lecteur est invité à se reporter 8 ( * ) , l'absence de reconstitution de marges de manoeuvre budgétaires dans les pays très endettés tels que la France ou l'Italie constitue indéniablement un facteur de vulnérabilité pour leurs économies et l'architecture de la zone euro dans son ensemble.
En particulier, elle risque de limiter la capacité des économies à faire face à un ralentissement, en empêchant la politique budgétaire de jouer son rôle d'amortisseur par le jeu des stabilisateurs automatiques et des plans de relance discrétionnaires.
À cet égard, de récents travaux empiriques suggèrent qu' un niveau d'endettement important altère fortement la résistance des économies aux chocs . Pour une crise financière de même ampleur, les pays disposant d'importantes marges de manoeuvre budgétaires (taux d'endettement de 25 % du PIB) connaissent ainsi une perte durable de PIB de moins d'un point en moyenne, tandis que les pays dont l'endettement est déjà élevé (taux d'endettement de 95 % du PIB) font face à une perte d'environ sept points de PIB, toutes choses égales par ailleurs 9 ( * ) . Le différentiel est encore plus significatif lorsque la politique monétaire est également contrainte, ce qui risque d'être le cas en zone euro 10 ( * ) .
En outre, un niveau élevé d'endettement rend les économies plus vulnérables à des enchaînements autoréalisateurs défavorables . Dans une telle situation, la hausse des coûts de financement se transmet au secteur privé et le poids de la charge de la dette peut contraindre le Gouvernement à couper dans les dépenses publiques productives ou à avoir recours à des impôts sources de distorsions , au risque de grever durablement le potentiel de croissance de l'économie, comme l'illustre l'épisode de consolidation budgétaire en zone euro 11 ( * ) .
* 5 La règle en dépense présente deux avantages. D'une part, elle est construite de façon à exclure de l'agrégat les dépenses non pilotables, alors que l'ajustement structurel dépend de nombreux éléments qui échappent au contrôle des gouvernements (ex : variation de l'élasticité des prélèvements obligatoires). D'autre part, elle ne dépend pas de l'écart de production - dont la mesure est particulièrement instable et controversée - mais de la croissance potentielle de moyen terme.
* 6 L'agrégat des dépenses publiques retenu correspond aux dépenses publiques totales diminuées de la charge d'intérêt, des dépenses exceptionnelles, des dépenses liées aux programmes de l'Union européenne intégralement couvertes par des fonds européens ainsi que de la composante cyclique des dépenses d'indemnisation du chômage. Les dépenses d'investissement sont lissées sur quatre ans. La prise en compte les mesures discrétionnaires en matière de recettes permet ensuite d'obtenir l'agrégat des dépenses publiques nettes.
* 7 Rapport « France » de la Commission européenne établi le 5 juin 2019 conformément à l'article 126, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
* 8 Rapport d'information n° 468 (2018-2019) d'Albéric de Montgolfier, précité, pp. 30-39.
* 9 Christina D. Romer et David H. Romer, « Fiscal Space and the Aftermath of Financial Crises », Brookings, 2019, p. 15.
* 10 Christina D. Romer et David H. Romer, « Why some times are different : Macroeconomic policy and the aftermath of financial crisis », NBER Working Paper No. 23931, octobre 2017.
* 11 Globalement, les dépenses publiques les plus propices à la croissance ont diminué, en particulier dans les pays les plus vulnérables, tandis que les dépenses au titre des retraites ont augmenté régulièrement sur toute la période d'ajustement. Voir sur ce point : « La composition des finances publiques dans la zone euro », Bulletin économique de la Banque centrale européenne, n° 5/2017, p. 49 et s.