IV. POUR VOTRE COMMISSION, LA PROPOSITION DE LOI EST PERTINENTE, MÊME SI UN OUBLI DOIT ÊTRE CORRIGÉ
A. UNE PROPOSITION DE LOI ADAPTÉE POUR LUTTER CONTRE LES CONTOURNEMENTS AU DROIT DE PRÉEMPTION DES SAFER
Votre rapporteur regrette, tout d'abord, que les parlementaires ne puissent pas traiter cette question foncière spécifique aux espaces littoraux lors d'un débat plus général sur le foncier agricole .
Le projet de loi sur le foncier agricole, annoncé à grands renforts d'annonces médiatiques, apparaît toutefois très incertain à la suite des conclusions dissonantes de la mission d'information commune sur le foncier agricole de l'Assemblée nationale.
L'examen à marche forcée de cette proposition de loi traitant d'un seul sujet lié au foncier agricole, alors même que le calendrier législatif est particulièrement chargé, semble d'ailleurs annoncer un report sine die de l'examen d'une loi foncière par le Parlement.
Non que votre rapporteur appelle à un changement radical des protections particulières accordées aujourd'hui aux exploitations agricoles. Il estime en revanche que certaines problématiques spécifiques mériteraient d'être traitées rapidement, notamment celle de la protection des activités agricoles françaises face aux investissements étrangers de plus en plus fréquents. La censure partielle par le Conseil constitutionnel de la loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle a bloqué la réflexion sur le sujet.
Au-delà de ces sujets qui, pour techniques qu'ils soient, n'en demeurent pas moins stratégiques pour garantir la survie de l'agriculture dans nos territoires, votre rapporteur appelle à un débat plus général sur ce qu'est un agriculteur au XXI ème siècle. Ce débat aurait pu avoir lieu lors de l'examen d'une grande loi agricole. Son horizon n'a jamais paru si lointain.
Ces éléments ayant été précisés, votre rapporteur juge néanmoins nécessaire de saisir la possibilité de l'examen de cette proposition de loi pour traiter un problème réel pour les conchyliculteurs et les agriculteurs des communes littorales.
Le mécanisme proposé par la proposition de loi apparaît justifié et de nature à être réellement dissuasif à l'égard des contournements rencontrés dans les communes littorales tout en présentant des garanties au regard du droit de propriété.
Votre rapporteur rappelle que l' exercice du droit de préemption des SAFER est d'ores et déjà très encadré .
Les SAFER sont agréées par l'État et exercent leur droit de préemption dans le respect d'un décret d'habilitation qui précise les zones déterminées où elles peuvent intervenir ainsi que les surfaces minimales des terrains susceptibles d'être l'objet du droit de préemption.
L'exercice du droit de préemption doit également répondre à des objectifs strictement déterminés à l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime parmi lesquels l'installation ou le maintien des agriculteurs.
Elles ne peuvent préempter un bien qu'avec l'accord des commissaires du Gouvernement (article R. 141-10 du code rural et de la pêche maritime) et si elles méconnaissent les dispositions relatives à leur droit de préemption, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation peut en suspendre l'exercice.
Enfin, ce droit de préemption ne prime pas sur d'autres droits de préemption, notamment ceux des collectivités territoriales par exemple.
Le cadre actuel apporte déjà des garanties solides à l'exercice du droit de préemption des SAFER.
L'extension du droit de préemption des SAFER visée par la proposition de loi s'accompagne, en outre, d'un encadrement qui apparaît approprié.
D'une part, les garanties offertes dans la procédure d'exercice du droit de préemption par les SAFER, notamment l'accord des commissaires du Gouvernement ainsi que l'impossibilité d'appliquer le mécanisme de révision de prix si le changement de destination a été effectué en conformité avec les règles d'urbanisme , paraissent suffisantes pour limiter les atteintes au droit de propriété. En pratique, le vendeur d'un bâtiment dont le changement de destination est légal obtiendra le prix qu'il souhaite, y compris lorsque la SAFER décide de préempter le bien. Si le prix dépasse les capacités financières de la SAFER, elle ne pourra donc pas accéder à ce bien.
Votre rapporteur ajoute que, même si la révision de prix prévue à l'article L. 143-10 trouve à s'appliquer, elle est strictement encadrée et appelle l'intervention d'un juge très rapidement, si le vendeur n'accepte pas l'offre révisée de la SAFER.
D'autre part, le champ de ce droit de préemption dérogatoire est circonscrit à un nombre limité de communes où la spéculation foncière est très vive.
Le dispositif, limité aux seules communes littorales, concernerait 1 212 communes en France 5 ( * ) , soit moins de 4 % des communes françaises. La réalité de la spéculation foncière y entraîne une chute plus rapide qu'ailleurs du nombre d'exploitants agricoles et laisse de nombreux jeunes agriculteurs cherchant à reprendre une installation dans ces espaces sur liste d'attente.
Concernant son éventuelle extension aux communes de montagne, envisagée dans la version initiale de la proposition de loi, votre rapporteur, tout en identifiant bien la pression foncière s'exerçant sur les espaces montagnards, appelle à ne pas étendre pour l'instant le dispositif à ces communes.
Il rappelle avant tout que le droit de préemption s'appliquant sur tous les bâtiments ayant été utilisés pour l'exercice d'une activité agricole dans les cinq années précédant l'aliénation continuera à s'appliquer.
Aux termes de ses auditions, votre rapporteur n'a pas identifié de demandes particulières ou de problématiques spécifiques relatives à l'exercice du droit de préemption des SAFER dans les communes de montagne.
Il rappelle que lors de l'examen de l'article 62 de la loi n° 2016-1888 du 28 décembre 2016 (Acte II de la loi montagne), l'alinéa dédié au droit de préemption des SAFER spécifique aux communes de montagne de l'article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime a été modifié 6 ( * ) . Lors de l'examen de cet article, dont l'examen avait été délégué au fond à votre commission, aucune modification n'avait été apportée à ce délai.
Un peu plus de deux ans après, l'association nationale des élus de montagne (ANEM), consultée par votre rapporteur, lui a fait part de « l'inexistence au niveau tant de l'ANEM que de la FN-SAFER de données chiffrées ou de cas signalés prouvant l'insuffisance du délai de 5 années dans l'exercice de ce type de préemption » .
Dès lors, il lui semble donc prématuré de prévoir une extension aux communes de montagne sans remontées de terrain suffisantes.
Enfin, la rétroactivité du droit de préemption des SAFER apparaît mesurée.
Elle se justifie par un motif d'intérêt général suffisant qui est d'assurer le maintien d'activités agricoles sur l'ensemble du territoire, notamment dans des zones littorales qui nécessitent des activités économiques exercées toute l'année. Ces activités participent en outre à l'entretien de traditions locales et à la renommée de terroirs qui entretiennent le tourisme.
Au regard de la chute du nombre d'exploitations conchylicoles en France, il est urgent d'agir. Les contournements déjà à l'oeuvre afin d'échapper au droit de préemption des SAFER, outil mis en place par le législateur afin de maintenir les activités agricoles dans ces zones littorales, ne sont pas acceptables.
L'extension du délai déterminant le caractère agricole du bâtiment avant l'aliénation de 5 à 20 ans est incontestablement de nature à réduire ces contournements. Le délai de 20 ans apparaît suffisamment dissuasif sans pour autant porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété.
En pratique, votre rapporteur souligne, au reste, que ce délai est déjà appliqué à certains conchyliculteurs. En moyenne, dans le cahier des charges que les SAFER signent avec le repreneur du bâtiment préempté, le délai de reprise est de 15 ans. Si le repreneur envisage de cesser son activité et de vendre le bâtiment conchylicole au terme de cette période, il doit encore attendre 5 années pour échapper au droit de préemption, ce qui lui laisse une période de 20 années pour éviter le droit de préemption des SAFER.
La problématique de la spéculation foncière est la même pour les activités agricoles dans les communes littorales et l'outil se révélerait également dissuasif.
Toutefois, compte tenu d'une proximité immédiate de l'eau moins nécessaire, certaines personnes auditionnées ont alerté votre rapporteur sur le fait que le motif d'intérêt général pourrait apparaître moins justifiable pour ces bâtiments.
Votre rapporteur ne partage pas ce point de vue . Si les contournements existent déjà pour les bâtiments conchylicoles dans les communes littorales, votre rapporteur estime qu'ils seront de même nature pour les bâtiments agricoles, avec les mêmes effets pour l'activité économique et la préservation de l'environnement dans ces communes littorales.
Toutefois, c'est un souci de sécurisation juridique maximal du contenu de la proposition de loi qui a incité votre rapporteur à ne pas supprimer l'alinéa 6 de l'article 1 er qui est, en droit, déjà satisfait par l'article 2 de la proposition de loi dans la mesure où les cultures marines sont considérées comme des activités agricoles au sens de l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime.
Compte tenu de ces éléments, constatant qu'elle partage les préconisations de la proposition de loi, votre commission a donc adopté conforme les quatre articles qui lui étaient soumis.
D'autres mesures auraient pu enrichir le texte. Toutefois, votre commission a estimé que cette proposition de loi ciblée sur une thématique importante donne l'occasion de démontrer que le Parlement peut rapidement répondre à une problématique.
Cela suppose une concentration sur le sujet contenu dans la proposition de loi , quitte à ne pas aborder d'autres sujets qui ont leur importance pour nos territoires mais qui ne sont pas au coeur de la proposition de loi.
Le risque, en adoptant des mesures non consensuelles qui allongeraient considérablement la navette parlementaire de ce texte qui n'est pas en procédure accélérée, serait que la proposition de loi ne puisse prospérer dans d'autres niches parlementaires . Cela reviendrait à tuer la proposition de loi.
Enfin, votre rapporteur s'inquiète d'autant plus d'une non adoption rapide de la proposition de loi que la SAFER de Bretagne a constaté l'augmentation anormale des mises en vente de bâtiments n'ayant plus d'activités agricoles depuis plus de 5 ans dans les communes littorales depuis l'adoption de la proposition de loi à l'Assemblée nationale. Ce phénomène tend à démontrer que les comportements non coopératifs ne sont pas si isolés.
* 5 87 en estuaire, 975 en bord de mer, 150 communes relevant des espaces lacustres.
* 6 L'article a autorisé les SAFER à utiliser le mécanisme de révision de prix lorsque les bâtiments n'ont pas fait l'objet de changement de destination.