B. DES AVANCÉES EN MATIÈRE D'ÉQUIPEMENTS, QUI DEMEURENT TOUJOURS INSUFFISANTES
1. L'augmentation des dépenses d'équipement depuis 2012 n'empêche pas la subsistance d'importants points noirs
Les dépenses en équipements et matériels des forces de l'ordre ont progressé très sensiblement entre 2012 et 2017. L'augmentation a été particulièrement marquée à partir de 2015 dans le cadre de plans successifs de renforcement (PLAT 13 ( * ) 1, PLAT 2, Plan migrants, PSP 14 ( * ) ), notamment en matière d'habillement, moyens de protection, d'armes et de munitions. Dans son enquête relative à ce sujet 15 ( * ) , la Cour des comptes a ainsi relevé que le montant alloué à ces dépenses (habillement, moyens de protection, armes et munitions) avait quasiment triplé sur cette période (+ 181 %).
Évolution des dépenses d'équipement de la police et de la gendarmerie nationales et de leur part dans l'ensemble des dépenses
(en millions d'euros, en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport de la Cour des comptes.
Des avancées notables ont été réalisées, notamment dans le domaine de l'armement (acquisition de fusils HK pour les unités primo-arrivantes en cas de tuerie de masse, acquisition de pistolets à impulsion électrique, très appréciés des policiers et gendarmes), de l'équipement numérique (projets NEOPOL et NEOGEND) ou de l'habillement (uniformes, moyens de protection).
Plusieurs points noirs demeurent néanmoins , qui menacent directement la capacité opérationnelle des forces, leur sécurité, ainsi que celle des citoyens.
- la formation continue (financée par les dépenses de fonctionnement) reste très largement insuffisante. Pour la police nationale, elle est en grande partie utilisée pour la formation au tir (12 heures annuelles/90 cartouches tirées, elle-même considérée comme insuffisante par les policiers 16 ( * ) ), rendant difficile l'accès aux formations plus spécialisées. En 2017, la majorité des policiers (51 %) n'avait pas bénéficié de ces trois séances réglementaires ;
- les crédits d'équipement et notamment l'accès aux munitions restent très largement déficitaires. Cette « pénurie » de munitions empêche de nombreux agents de faire le nombre minimal de tir d'entrainement demandé.
Dans ce domaine, votre rapporteur spécial plaide pour que l'accès aux stands de tir privés soit facilité pour les policiers. Si ce dernier est autorisé par principe pour les gendarmes, il est soumis à l'agrément de la commission d'homologation des stands de tir (CAHOST) pour la police nationale, ce qui semble constituer une différence subie par les policiers difficilement compréhensible. Cet agrément est d'ailleurs vécu par les policiers, tous niveaux hiérarchiques confondus, comme une perte de temps superflue 17 ( * ) . Un accès des policiers aux stands de tir privés, comme cela est possible pour les gendarmes, devrait également être favorisé.
De manière plus générale, l'état du parc automobile est souvent cité, à juste titre, comme la principale préoccupation des policiers et des gendarmes en matière d'équipements. La Cour des comptes a d'ailleurs considéré, dans l'enquête précitée, que ce sujet constituait une des principales préoccupations relatives à l'équipement des forces de sécurité intérieure.
2. Un vieillissement du parc automobile confirmé par la Cour des comptes, confirmant la nécessité d'opérer une véritable « remise à plat » de sa gestion
Cette vétusté est attestée par l'augmentation continue de l'âge moyen des véhicules , qui constituent pourtant l'un des principaux outils quotidiens des différentes unités, aussi bien de police que de gendarmerie. Les crédits prévus pour 2019 ne devraient pas inverser cette tendance.
Au 1 er janvier 2018, le parc automobile de la police nationale se compose de 29 598 véhicules , répartis entre les deux roues (cyclomoteurs, scooters, motos), les véhicules utilitaires, les poids-lourds et les véhicules de transport en commun de personnes (TCP).
Après une augmentation de 1 640 véhicules entre janvier 2015 et janvier 2017 le nombre de véhicules du parc automobile de la police nationale s'est stabilisé autour de 30 000.
Nombre de véhicules de la police nationale et âge moyen
Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses aux questionnaires budgétaires)
Ce vieillissement, que votre rapporteur spécial avait analysé lors de l'examen du précédent projet de loi de finances 18 ( * ) , a depuis lors été confirmé par la Cour des comptes, qui indique que « sur la période 2012-2016, le vieillissement des véhicules est supérieur à deux ans dans la police nationale (l'âge moyen des seuls véhicules légers est passé de 3,65 ans à 5,75 ans au 1 er janvier 2017 ) » 19 ( * ) . Leur âge moyen atteint, au 1 er janvier 2018, 6 ans et 4 mois.
Nombre et âge moyen par type de véhicule au sein de la police nationale
Deux roues |
Véhicules légers |
Véhicules spécialisés 20 ( * ) |
|||||
Total général |
4 739 |
19 070 |
5 789 |
||||
Âge moyen |
9 ans et 4 mois |
6 ans et 4 mois |
9 ans |
Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses aux questionnaires budgétaires)
Pour la police nationale, les critères de réforme d'un véhicule léger sont un kilométrage de 170 000 km ou un âge de 8 ans. Actuellement 8 320 véhicules sont maintenus en service malgré le fait qu'ils soient touchés par au moins un de ces critères. Dans les 5 années à venir ce sont encore 9 600 véhicules qui atteindront ces critères, soit en totalité 17 920 véhicules qui auront dépassé au moins un des critères de réforme.
Afin d'assurer un rajeunissement de la flotte, environ 3 000 véhicules doivent être acquis chaque année. Depuis 2010, ce chiffre n'a jamais été atteint. Par ailleurs, pour rattraper le retard existant tout en anticipant les nouvelles réformes, la cible d'acquisition est en réalité supérieure à 3 500 véhicules par an, ce qui équivaut à un investissement supérieur à 80 millions d'euros par ans sur plusieurs années. Les crédits alloués par le présent projet de loi de finances (72 millions d'euros) apparaissent, en tout état de cause, inférieurs aux besoins importants de l'institution policière.
Nombre annuel de véhicules acquis et mis à la réforme par la police nationale depuis 2010
Année |
Nombre de véhicules réformés |
Nombre de véhicules achetés |
Engagement financier correspondant en millions d'euros |
2010 |
2 272 |
1 320 |
|
2011 |
1 785 |
1 303 |
|
2012 |
2 741 |
2 165 |
44 |
2013 |
2 299 |
2 181 |
38,3 |
2014 |
1 834 |
2 498 |
38,9 |
2015 |
1 692 |
2 301 |
52,1 |
2016 |
1 963 |
2 519 |
53,9 |
2017 |
1 950 |
1 366 |
33,7 |
2018 (prévision) |
1 743 |
3 008 (cible) |
74 (cible) |
2019 (prévision) |
2 407 |
3 000 (cible) |
72 (cible) |
Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses aux questionnaires budgétaires)
Le parc automobile de la gendarmerie nationale est constitué de 27 892 véhicules qui présentent un âge moyen de 7,4 ans et un kilométrage moyen de 121 400 km. Le parc deux-roues est constitué de 3 817 véhicules qui présentent un âge moyen de 6,8 ans et un potentiel de 56 700 km.
Il est à noter que le kilométrage moyen des véhicules de la gendarmerie nationale est en baisse. Cela s'explique par l'effort budgétaire consacré depuis 3 ans au renouvellement automobile et par la réforme prioritaire des véhicules présentant les critères de réforme (pour les véhicules légers : 8 ans et un kilométrage supérieur à 200 000 km 21 ( * ) ). Le nombre de véhicules ayant atteint les critères de réforme et maintenus en service est de 507.
Nombre annuel de véhicules acquis et mis à la réforme par la gendarmerie nationale depuis 2015
Année |
Nombre de véhicules réformés |
Nombre de véhicules acquis |
2015 |
2 541 |
2 099 |
2016 |
2 178 |
3 030 |
2017 |
1 443 |
3 040 |
2018 (prévision)* |
556 |
1 742** |
*Sur la période du 01/01/2018 au 01/09/2018.
** La possible levée du gel budgétaire pourrait conduire à réviser ce nombre à la hausse (1 260 véhicules supplémentaires pour 31 millions d'euros sont demandés en dégel).
Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses aux questionnaires budgétaires)
En ne retenant que le critère lié à l'âge, l'acquisition de 4 000 véhicules par an est toutefois nécessaire pour garantir le renouvellement intégral du parc tous les huit ans. Par ailleurs, cette estimation ne prend pas en compte le fait qu'entre 2010 et 2017, en ce qui concerne les véhicules légers, seuls 16 500 véhicules ont été achetés (au lieu de 24 000), ce qui exigerait un rattrapage supplémentaire conséquent.
Les moyens prévus pour 2019 pour la gendarmerie nationale apparaissent donc également insuffisants.
Pour 2019, le budget consacré au renouvellement du parc de véhicules de la gendarmerie nationale est de :
- 61 millions d'euros, visant à l'acquisition de 2 800 véhicules 2 et 4 roues ;
- 2 millions d'euros supplémentaires destinés à l'acquisition de véhicules lourds afin de débuter le renouvellement des véhicules de maintien de l'ordre.
Ces moyens apparaissent insuffisants, aussi bien pour les véhicules légers, qui ne verront pas leur âge moyen baisser que pour les véhicules lourds. Ces derniers sont hors d'âge et génèrent des coûts de maintenance importants et difficilement maîtrisables.
Au-delà des questions purement quantitatives (nombre de véhicules, vieillissement), le caractère parfois inadapté des véhicules aux missions spécifiques des forces de l'ordre doit également être évoqué. L'exemple de l'armement embarqué dans les équipages BAC est, à cet égard, symptomatique. Des policiers des BAC ont ainsi indiqué à votre rapporteur spécial à de nombreuses reprises avoir rencontré des difficultés pour embarquer les nouveaux équipements acquis dans le cadre des plans de renforcement dans des véhicules acquis antérieurement aux attentats de 2015-2016 : leur définition actuelle n'intègre pas, en fonction de l'unité, la charge totale emportée, compte-tenu du nombre de fonctionnaires embarqués et de leurs équipements (armes, casques lourds, protections, etc.). Les nouveaux armements et équipements de protection ont, en effet, un poids qui limite les performances des engins et parfois excède leurs capacités. Ainsi, la définition du coffre sécurisé d'emport des fusils HK-G36 a été établie indépendamment du type de véhicule. L'implantation de cette arme lourde stérilise une part importante de leurs coffres, déjà remplis par l'équipement des agents des BAC.
En tout état de cause, la question du vieillissement de la flotte automobile n'admet pas une réponse uniquement budgétaire. L'insuffisance des crédits ne saurait masquer la nécessité de revoir en profondeur le format et les modalités de gestion de ce parc. Le ratio véhicules/agent est ainsi inférieur en Allemagne et au Royaume-Uni, ce qui permet, par exemple, à la police berlinoise, de renouveler 25 % de son parc automobile chaque année 22 ( * ) . Des travaux visant à optimiser le format du parc français doivent, à cet égard, être entrepris.
Une plus grande externalisation du parc de véhicules, comme elle est pratiquée au Royaume-Uni et en Allemagne ou par certaines grandes entreprises comme La Poste, pourrait constituer une piste d'évolution pertinente 23 ( * ) . Cette piste était auparavant exclue pour des questions de principe et en raison des modifications particulières qu'il fallait opérer sur ces véhicules (installation de matériel de communication spécifique). Le recours à des outils mobiles, comme NEOGEND et NEOPOL ne rend plus nécessaire ces modifications 24 ( * ) . Le directeur général de la gendarmerie nationale a ainsi estimé en audition que cette externalisation avait « plus de sens qu'auparavant ».
Le périmètre de l'externalisation reste à déterminer , un socle stratégique de véhicules détenus par les forces devant sans doute demeurer. Sur environ 60 000 véhicules détenus par les deux forces de sécurité intérieure, l'externalisation de 40 000 d'entre eux pourrait constituer un objectif réaliste à moyen terme.
La même réflexion s'applique pour la maintenance, dont une partie est d'ores et déjà externalisée, et qui doit notamment rester compatible avec la nécessité de maintenir une capacité de projection (en opérations extérieures et dans les outre-mer) pour la gendarmerie nationale.
L'externalisation de la maintenance automobile au sein des SGAMI L'externalisation au secteur privé est principalement utilisée pour la réalisation de petites opérations : les contrôles techniques périodiques obligatoires, le dépannage des véhicules en panne, le filmage des vitres et prestations de carrosseries, spécialité difficile à recruter pour les SGAMI. Dans la zone Nord, l'externalisation de certaines réparations (marché passé par l'UGAP avec la société ALD Automotive) permet de pallier la saturation que connaissent certains ateliers en raison de l'augmentation du nombre de véhicules due à la gestion des afflux de réfugiés dans la région de Calais. La politique d'externalisation sur la zone de défense et de sécurité de Paris s'effectue selon la nature des réparations et la distance entre les services et le site de maintenance. La diversification des marques, la complexité de certaines interventions ainsi que le départ de personnels expérimentés et les difficultés croissantes de recrutement sur une filière subissant de très fortes tensions (concurrence entre les différents SGAMI, manque de candidats aux concours spécialisés, meilleure attractivité d'un secteur privé lui-même en tension) ont contribué à augmenter la part de l'externalisation. C'est ainsi qu'une partie de plus en plus importante de l'activité de soutien automobile est externalisée. Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires budgétaires |
* 13 Plan de lutte antiterroriste.
* 14 Pacte de sécurité publique.
* 15 Cour des comptes, L'équipement des forces de l'ordre, 2018.
* 16 À titre d'information, le nombre de cartouches tirées est beaucoup plus élevé pour les douaniers.
* 17 Témoignages requis par votre rapporteur spécial à l'hôtel de police de Metz.
* 18 Rapport général n° 108 (2017-2018) de M. Philippe Dominati, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2017.
* 19 Cour des comptes, L'équipement des forces de l'ordre, 2018.
* 20 Poids lourds, véhicules automoteurs spécialisés, véhicules de transports en commun de personnes.
* 21 La police nationale recourt à des critères plus flexibles détaillés dans la circulaire de gestion N° 702/DRCPN/SDL/BMM du 22/07/2011, liés à la situation du véhicule.
* 22 Cour des comptes, L'équipement des forces de l'ordre, 2018.
* 23 L'inspection générale de l'administration est actuellement en train de faire une étude à ce sujet.
* 24 Les véhicules devraient toujours être sérigraphiés, ce qui constitue toutefois une modification mineure et réversible.