B. LES DÉPENSES D'INVESTISSEMENT DE LA DGAC VONT AUGMENTER DE 18 % EN 2019 POUR TENTER D'ACCÉLÉRER LA RÉALISATION DES GRANDS PROGRAMMES DE MODERNISATION DE LA NAVIGATION AÉRIENNE, DONT LA RÉUSSITE SUSCITE TOUJOURS DE GRAVES INTERROGATIONS

Entre 2008 et 2013, la DGAC, confrontée à la chute de ses recettes provoquée par la crise du transport aérien, avait décidé de sacrifier ses investissements et de s'endetter pour éviter d'augmenter ses redevances , ce qui aurait encore davantage mis en difficulté les compagnies aériennes.

C'est ce qui explique que ses investissements aient atteint un niveau plancher de 150 millions d'euros en 2010, notoirement insuffisant pour préparer l'avenir , avant de lentement remonter dans les trois années qui ont suivi .

Le transport aérien bénéficiant d'une conjoncture plus favorable, la DGAC a cherché à rattraper le temps perdu en investissant 243 millions d'euros en 2016 et 250 millions d'euros en 2017, puis en prévoyant d'investir 252 millions d'euros en 2018.

La poursuite des grands programmes de modernisation de la navigation aérienne conduira la DGAC à augmenter significativement le montant de ses investissements en 2019, puisque ceux-ci atteindront 297,5 millions d'euros , soit 46,5 millions d'euros de plus que ce que prévoyait la loi de finances initiale pour 2018, soit une hausse de + 18 % .

Les dépenses d'investissement de la DGAC depuis 2016 (en millions d'euros)

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial

1. La DSNA doit rapidement mener à bien ses grands programmes de modernisation du contrôle de la navigation aérienne pour résorber ses retards de plus en plus inquiétants

Le programme 612 « Navigation aérienne » du budget annexe porte à lui seul 90,0 % de la dotation d'investissement du BACEA, avec 267,5 millions d'euros (AE=CP), un montant en hausse de 44,6 millions d'euros (+ 20 %) par rapport aux 222,9 millions d'euros prévus en 2018 et en 2017.

Sur cette somme, 140,6 millions d'euros seront consacrés en 2019 aux grands programmes de modernisation des outils de contrôle de la navigation aérienne présentés dans le détail infra et 100 millions d'euros serviront au maintien en condition opérationnelle des systèmes actuels, qui coûte de plus en plus cher .

En augmentant son effort d'investissement, la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) souhaite remettre à niveau ses équipements afin de pouvoir absorber les fortes hausses du trafic aérien prévues dans les prochaines années.

De fait, comme votre rapporteur spécial a pu lui-même le constater en visitant des centres en route et des centres d'approche dans le cadre de la préparation de son rapport d'information précité, la France a pris un retard considérable dans ce domaine , susceptible de fragiliser à terme la place éminente qui est la sienne dans le domaine de l'aviation civile au niveau mondial et de la placer dans une position délicate au regard de ses engagements européens.

Ces derniers lui imposent en effet de respecter des objectifs de performance (voir supra ) et de disposer de matériels compatibles avec les développements du programme européen de R&D SESAR .

Il s'agit donc bien d'apporter rapidement des réponses aux problèmes posés par :

- l'augmentation des retards provoquée par le manque de capacités du contrôle aérien français, qui coûte 300 millions d'euros par an aux compagnies aériennes;

- l'obsolescence des systèmes de la DSNA, qui tend à faire d'eux un « facteur bloquant » pour la modernisation technologique du ciel unique européen .

Le programme de R&D SESAR
(Single european sky ATM research)

Fondé par la Commission européenne et Eurocontrol, il a pour objet de développer pour les 30 prochaines années une nouvelle génération du système de gestion du trafic aérien européen sûre et performante, moins coûteuse et respectant les conditions d'un développement durable.

SESAR est un enjeu majeur car il constitue le cadre européen où seront développés et validés les futurs concepts opérationnels et techniques pour la navigation aérienne et permettra de synchroniser les mises en service opérationnelles de systèmes techniques ou de procédures.

À l'issue d'une première phase de travaux de R&D et démonstrations menées entre 2008 et 2014, le déploiement des fonctionnalités validées se fera progressivement entre 2015 et 2025. En parallèle, les travaux de R&D se poursuivront dans le cadre de SESAR 2020 depuis 2016 ; des démonstrations à grande échelle seront organisées pour préparer le déploiement opérationnel. La DGAC y participera afin de profiter des financements et des synergies européennes.

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Pour répondre à cette double urgence, la DSNA porte actuellement six grands programmes techniques destinés à modifier en profondeur le travail des contrôleurs aériens , tant dans les centres en-route que dans les centres d'approche et dans les tours de contrôle des aérodromes.

Le coût de ces six programmes techniques est considérable - un peu plus de 2 100 millions d'euros au total, la moitié ayant déjà été dépensée effectivement -, tout comme la durée de conception de la plupart d'entre eux, souvent largement supérieure à dix ans .

Ces programmes, dont certains ont été lancés au début des années 2000, ont pris un retard considérable , qui tend à devenir réellement problématique .

Ainsi, 4-Flight, le plus important d'entre eux, conçu par l'industriel Thalès, était censé être livré en 2015 . Or, la DSNA prévoit désormais de ne le mettre en service qu'à l'hiver 2022-2023 , soit 7 à 8 ans après l'échéance initialement prévue .

Il semblerait que la DSNA prenne enfin conscience de la gravité de la situation , puisque votre rapporteur spécial a relevé que le projet annuel de performances pour 2019 indique que « la modernisation des équipements de navigation aérienne devient urgente et prioritaire et nécessite un effort important pour que la concrétisation des projets devienne effective , dont en particulier 4-Flight ». Il était temps !

Coût des programmes techniques de modernisation
du contrôle de la navigation aérienne

(en millions d'euros)

Programme

Durée du programme

Coût total sur la période < 2017

2017

2018

2019

Coût total programme après 2019

Coût total programme

4-Flight

2011-2026

309,5

75,7

82,9

87,9

294,0

850,0

Coflight

2003-2025

211,7

23,9

31,2

23,8

91,4

382,0

Sysat

2012-2028

9,1

4,9

13,6

17,3

455,1

500,0

Data Link

2006-2022

25,4

1,8

2,0

1,5

3,3

34,0

Erato

2002-2015

127,2

-

-

-

-

127,2

Cssip

2006-2026

124,8

8,0

8,8

10,1

48,3

200,0

Total

-

807,7

114,3

138,5

140,6

892,1

2 093,2

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial, actualisation août 2018

S'inquiétant du retard de ces programmes techniques mais également d'une éventuelle dérive de leurs coûts, votre rapporteur spécial a réclamé, et obtenu de la part de la DSNA, des éléments financiers précis et actualisés sur le coût total de chacun d'entre eux. Il les a ensuite comparés, lorsque cela était possible, aux chiffres fournis par le passé par la DSNA dans le cadre des projets annuels de performances (PAP) annexés aux lois de finances.

Comme votre rapporteur spécial l'a montré dans son rapport d'information « Retards du contrôle aérien : la France décroche en Europe », il ressort clairement des éléments qui lui ont été transmis que les budgets de ces programmes ont connu une augmentation considérable , qui ne peut que soulever des interrogations sur la qualité de la programmation financière de la DSNA et sur la conduite globale de la modernisation de ses systèmes , menée par sa direction de la technique et de l'innovation (DTI).

L'exemple fourni par les trois principaux programmes en cours de développement est à cet égard éloquent.

Le coût total de 4-Flight , nouveau système de contrôle complet conçu par l'industriel Thalès et principal programme porté par la DSNA, est estimé aujourd'hui à 850 millions d'euros , alors qu'il était évalué à 500 millions d'euros dans les PAP 2013 et 2014 puis à 582,9 millions d'euros dans le PAP 2016 avant d'être annoncé à 669,1 millions d'euros dans le PAP 2018. Il s'agit là d'une hausse de + 70 % en cinq ans .

Celui de Coflight , système de traitement automatique des plans de vol s'appuyant sur une modélisation des vols en quatre dimensions, réalisé par un consortium franco-italien Thalès-Leonardo, est estimé à 382 millions d'euros , alors que son coût avait été précédemment évalué à 291,6 millions d'euros dans le PAP 2016 puis à 309,9 millions d'euros dans le PAP 2018, soit une hausse de + 31 % en deux ans .

Celui de Sysat , qui oeuvre à la modernisation des systèmes des tours de contrôle et centres d'approche, représente actuellement un budget de 500 millions d'euros , alors que son budget total était estimé à 80 millions d'euros dans les PAP 2013 et 2014 puis à 97,4 millions d'euros dans le PAP 2016 avant d'être réévalué à 179,18 millions d'euros dans le PAP 2017 puis à 308,7 millions d'euros dans le PAP 2018, soit un quasi-triplement en deux ans , auquel il n'est pas véritablement été apporté d'explications dans les documents budgétaires.

Il convient de noter que sur les 500 millions d'euros désormais annoncés, 146 millions d'euros ne seront dépensés qu'après 2025. Et il y a fort à parier que Sysat subira les mêmes retards de livraison et dérives de coût que 4-Flight .

Au cours de la réalisation de son rapport précité, votre rapporteur spécial s'était demandé si certains des programmes susmentionnés devaient, le cas échéant, être abandonnés , et en particulier le plus emblématique d'entre eux, le programme 4-Flight , conçu par Thalès.

Il a toutefois estimé, compte tenu des informations qui lui avaient été apportées par la DSNA, que le projet était aujourd'hui bien trop avancé pour qu'il soit concevable d'y renoncer .

En outre, entériner ce qu'il faudrait bien qualifier de « catastrophe industrielle » provoquerait une rétrogradation durable du contrôle aérien français sur le plan technologique , impliquerait que 470 millions d'euros au moins auraient été dépensés en pure perte et condamnerait la DSNA à rembourser les 130 millions d'euros de fonds européens qu'elle a perçus pour financer le projet.

Au moment où paraissait son rapport d'information précité, c'est-à-dire en juin 2018, votre rapporteur spécial a été informé par le directeur des services de la navigation aérienne que celui-ci avait enfin obtenu un engagement commun avec Thalès sur le coût du développement et sur le planning de mise en service d'une version du système 4-Flight certifiée. Cette livraison aurait lieu en 2021-2022 dans les sites pilotes.

Votre rapporteur spécial considère pour sa part qu'il ne serait pas acceptable que la première mise en service de 4-Flight dans un centre en-route intervienne au-delà de l'hiver 2022-2023 .

Le respect de cette échéance implique assurément une forte mobilisation des équipes de la direction de la technique et de l'innovation (DTI) de la DSNA. Or, le fait que son directeur , qui a démissionné au mois de juillet, n'ait toujours pas été remplacé , n'est guère encourageant à cet égard.

2. Les autres investissements de la DGAC bénéficieront en 2019 d'un niveau de crédits en légère hausse par rapport à 2018

Les dépenses d'investissement des programmes 613 et 614, qui bénéficieront en 2019 de montants de crédits en légère hausse à ceux de 2018 avec respectivement 17,4 millions d'euros et 12,5 millions d'euros, contre 16,7 millions d'euros et 12,4 millions d'euros l'année précédente.

Les investissements du programme 613 porteront sur les domaines de la sûreté et de la sécurité de l'aviation civile , avec la construction d'un laboratoire de détection des explosifs artisanaux liquides sur le site du service technique de l'aviation civile à Biscarosse, le développement d'une nouvelle application de gestion des habilitations et titres d'accès aux zones réservées des aéroports baptisée « STITCH » et la mise en oeuvre du Passenger name record (données des dossiers passagers - PNR) en partenariat avec d'autres ministères 21 ( * ) .

Les investissements du programme 614, pour leur part, concernent le soutien général à l'aviation civile : investissements informatiques, avec notamment le développement de nouveaux systèmes d'information financière et des ressources humaines, maintien en conditions opérationnelles des systèmes actuels et investissements immobiliers, la DGAC étant implantée sur plus de trente sites en métropole et en outre-mer.


* 21 Il s'agit des ministères des finances et des comptes publics, de l'intérieur et de la défense.

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