B. DES DÉSACCORDS ACCENTUÉS PAR LA NOUVELLE LECTURE SUR LE TITRE II
1. Des contraintes nouvelles qui s'additionnent sur le volet alimentaire
En première lecture, vos rapporteurs avaient déploré que le « volet alimentaire » du projet de loi ait servi de réceptacle aux sujets les plus divers , parfois sans lien avec l'objet du texte et conduisant en tous les cas à oublier l'essentiel : les préoccupations de nos agriculteurs et les réponses à y apporter.
Par souci d'ouverture, le Sénat en avait néanmoins préservé les principales dispositions , à commencer par l'objectif d'atteindre les 20 % de produits biologiques dans la restauration collective publique , malgré les inquiétudes exprimées par les uns et les autres sur le coût pour les collectivités et pour les familles, ou sur la capacité des filières locales à répondre rapidement à ce surcroît de demande. D'autres dispositifs introduits à l'Assemblée nationale, qui permettaient de mieux protéger et promouvoir les productions françaises , avaient été confortés , qu'il s'agisse par exemple de l'information sur l'origine des vins dans la restauration, de l'affichage de l'origine des récoltes sur les mélanges de miel, de l'encadrement du terme « équitable » ou de l'usage des dénominations associées à des productions animales.
Le Sénat avait cependant fait valoir plusieurs objections de fond . Or, non seulement les députés n'en ont-ils tenu aucun compte en nouvelle lecture mais encore ont-ils ajouté de nouveaux désaccords en durcissant leurs positions.
C'est particulièrement vrai en matière de restauration collective .
À l' article 11 , les obligations faites aux gestionnaires ont été triplement aggravées :
- d'abord en limitant, à compter de 2030 , les produits entrant dans le décompte des 50 % de produits de qualité au titre de leur certification environnementale aux seuls produits certifiés « haute valeur environnementale » ; dans le même temps, l'Assemblée nationale a rétabli le tri, selon des critères inconnus à définir par décret, entre ceux des produits bénéficiant d'un signe d'identification de la qualité ou de l'origine (SIQO) ou d'une mention valorisante qui entreront dans les 50 %, et ceux qui en seront exclus ;
- ensuite, en imposant la forme de l'information délivrée aux usagers sur l'atteinte des objectifs , que les gestionnaires devront communiquer par voie d'affichage et par voie électronique ;
- enfin et surtout, en obligeant à proposer , « à titre expérimental », d'ici un an et pour une durée de deux ans avant évaluation, au moins un menu végétarien par semaine, mais en ne visant ici que la restauration scolaire .
Sur ce dernier point, votre rapporteure observe qu' il est singulier de procéder à une expérimentation en la généralisant dès avant son évaluation et rappelle que les cantines qui le souhaitaient pouvaient déjà proposer de tels menus sur une base volontaire.
L'article 11 ter a aussi été l'occasion d' un net durcissement des obligations faites aux gestionnaires de restauration collective :
- c'est d'abord l'interdiction de l'utilisation des bouteilles d'eau plate en plastique en 2020 , supprimée en Sénat, qui a été réintroduite ; elle sera toutefois limitée à la restauration collective scolaire - qui n'en distribue pas dans l'écrasante majorité des cas - et deux exceptions seront faites, l'une pour les communes non desservies en eau potable, l'autre lorsqu'une restriction d'usage de l'eau du robinet à des fins alimentaires est décrétée par le préfet ;
- c'est aussi l'interdiction généralisée, en 2025 et en 2028 dans les collectivités de moins de 2 000 habitants, de l'utilisation de contenants en matière plastique pour la cuisson, la réchauffe et le service dans la restauration scolaire, universitaire ou pour la petite enfance. Alors que le Sénat l'avait remplacée par une évaluation scientifique de l'Anses pour en mesurer les risques réels, l'interdiction ainsi décidée va même beaucoup plus loin que l'expérimentation sur une base uniquement volontaire votée par les députés en première lecture . Votre rapporteure déplore une telle décision, qui n'aura été précédée d' aucune évaluation de la dangerosité réelle des contenants incriminés ou de ceux qui les remplaceront, ni du coût ou de la faisabilité pour les gestionnaires ;
- c'est enfin l'interdiction, dès 2020, des ustensiles en plastique les plus divers , et pas seulement à usage unique - en particulier les boîtes et plateaux-repas.
Cette interdiction touchera non seulement la restauration collective mais aussi la restauration commerciale, les plateformes de livraison de repas ou le portage des repas organisé par les collectivités territoriales, ainsi que la distribution alimentaire ou même non alimentaire s'agissant des contenants plastiques, sans parler des industriels français qui les produisent.
Sur les autres sujets alimentaires , il est en particulier très regrettable qu'alors que l'affichage par ordre d'importance des pays entrant dans la composition des mélanges de miels , introduit au Sénat à l' article 11 decies , avait été maintenu par les députés en commission avec le soutien expresse du rapporteur 29 ( * ) , il ait été supprimé à l'initiative du même rapporteur en séance publique, au seul motif que cela compliquerait le dispositif ; ainsi libellée, la nouvelle disposition n'apportera donc aucune garantie aux consommateurs , qui pourront toujours être abusés sur la part réelle représentée par chaque pays dans les mélanges de miel, mais avec l'illusion d'avoir été correctement éclairés...
À l' article 11 terdecies A , les députés ont aussi rétabli l'obligation de certification environnementale des produits sous SIQO d'ici 2030 supprimée au Sénat. On observera, d'une part, que le niveau de certification visé - 1, 2 ou 3 (dit aussi « haute valeur environnementale (HVE) ») - n'est pas précisé et qu'il pourrait donc s'avérer particulièrement contraignant pour les producteurs, et, d'autre part, qu'il n'y aura plus lieu de faire le tri entre les produits sous SIQO, comme c'est pourtant prévu à l'article 11, dès lors que tous les cahiers des charges intègreront de telles exigences à cet horizon. Enfin, et bien qu'il ne soit pas possible de l'y contraindre par la loi 30 ( * ) , il importera que le Gouvernement tienne son engagement de faire paraître le décret d'application avant le 1 er janvier 2021 afin de donner un temps suffisant aux organismes de défense et de gestion pour adapter leurs cahiers des charges.
En matière de sécurité alimentaire, les députés ont aussi amendé, en nouvelle lecture, l 'article 11 quindecies pour supprimer le recours préalable à une contre-expertise réalisée dans les plus brefs délais avant toute information obligatoire de l'autorité administrative, tel qu'inséré au Sénat, dans les cas où les exploitants alimentaires ont connaissance d'un autocontrôle positif dans leur environnement de production.
Alors que l'esprit de la réglementation européenne est de faire du producteur et de l'industriel le premier responsable de la sécurité de ses produits, la transmission automatique de tout résultat d'autocontrôle positif à l'État reviendra à transférer cette responsabilité vers les autorités administratives, au détriment d'un meilleur contrôle de la sécurité sanitaire alimentaire .
2. Deux conceptions diamétralement opposées de l'agriculture
a) Une stigmatisation des agriculteurs qui n'a qu'un effet certain : la hausse de leurs charges d'exploitation
Avant tout, votre rapporteure rappelle que les agriculteurs n'utilisent pas des produits phytopharmaceutiques de gaieté de coeur ! Ces produits représentent non seulement un coût important mais encore les agriculteurs sont-ils les premières victimes de leur toxicité . En outre, dans un marché de plus en plus sensible à l'utilisation de ces produits, ils ont tout intérêt à en réduire l'usage pour augmenter la valeur de leur production. En pratique, les produits phytopharmaceutiques sont utilisés pour garantir la survie des espèces cultivées, notamment en cas d'apparition de ravageurs ou adventices.
C'est pourquoi toute mesure qui repose sur l'idée qu'une hausse des prix des produits phytopharmaceutiques se traduira mécaniquement par une baisse des utilisations est très hypothétique. Une seule certitude : la hausse des charges sera réelle et directe .
Tout au long de l'examen du texte, le Sénat a alerté sur le déséquilibre d'une loi qui promet une hausse plus qu'incertaine des revenus des agriculteurs, alors qu'elle imposera en réalité dès sa promulgation une hausse directe de leurs charges d'exploitation. Dans un contexte international très compétitif, ces mesures inquiètent à raison la profession.
C'est dans cette optique que le Sénat avait proposé que la séparation des activités de vente et de conseil des produits phytopharmaceutiques soit maintenue mais allégée à l' article 15 .
Plutôt qu'une séparation visant tous les types de conseils, au risque de voir disparaître le conseil tout court, les sénateurs avaient choisi de séparer le conseil individuel stratégique de la vente , permettant ainsi à un acteur indépendant d'émerger pour définir une tactique à moyen-terme, adaptée à l'exploitation tout en permettant de réduire l'usage des produits. Cette activité doit en effet, par nature, être séparée de la vente.
Pour permettre l'émergence d'un conseil stratégique réellement efficace et à peu de frais pour les agriculteurs, la rédaction retenue au Sénat préférait un conseil pluriannuel à un conseil annuel, qui aurait eu l'inconvénient d'être plus répétitif que réellement stratégique.
Afin de ne pas déstabiliser le secteur et notamment les coopératives , le Sénat avait enfin acté le principe d'une séparation des structures et des personnes physiques mais n'avaient pas retenu le principe d'une séparation capitalistique , cette mesure étant de toute manière trop facilement contournable.
Cette solution permettait à la fois de conserver le principe d'une séparation entre deux activités parfois antinomiques, de limiter la hausse des charges pour les agriculteurs et de sauvegarder le dispositif des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), qui paraît en pratique difficilement compatible avec une séparation stricte et capitalistique des activités.
Les députés sont restés sourds aux remarques de bon sens du Sénat pour s'en tenir à la version initiale du texte, engagement présidentiel oblige. Rappelant que la mesure du programme présidentiel était ainsi formulée : « Dès le début du quinquennat, nous séparerons les activités de conseil aux agriculteurs et de vente des pesticides qui peuvent susciter des conflits d'intérêt », votre rapporteure ne voit pas en quoi la proposition sénatoriale la rendait inopérante.
Le risque d'une séparation stricte de toutes les activités de conseil et des activités de vente est celui d' exposer directement les agriculteurs aux multinationales fabriquant des produits phytopharmaceutiques, notamment par les outils numériques, et in fine , de faire disparaître le conseil . Or, aucune trajectoire de réduction des produits phytopharmaceutiques n'est possible sans mettre le conseil aux agriculteurs au coeur du dispositif.
b) Un refus des députés de lutter contre l'accumulation de normes
Cette tendance à ajouter des charges et à compliquer la vie des producteurs trouve sa meilleure démonstration dans la suppression de plusieurs articles adoptés au Sénat pour lutter contre le phénomène d'accumulation de normes pénalisant la compétitivité de l'agriculture française :
- L' article 16 E par exemple, adopté au Sénat, consacrait l'existence du comité de rénovation des normes en agriculture (Corena) en définissant ses missions au sein du code rural et de la pêche maritime. La simplification des normes agricoles et la lutte contre les surtranspositions sont en effet des objectifs prioritaires qui nécessitent un suivi précis par une entité dédiée. Cette consécration législative du Corena aurait du reste permis aux parlementaires d'exercer un contrôle sur les activités de cette entité, d'autant plus nécessaire qu'elle n'avait pas été réunie depuis plus d'un an jusqu'à juillet 2018 ;
- Les députés ont également supprimé l' article 10 decies , introduit au Sénat en première lecture, qui fixait à la politique agricole un objectif de non-surtransposition « au-delà de ce qui est strictement nécessaire ».
- Le même sort a été réservé à l' article 16 F qui demandait au Gouvernement, sur la base des travaux du Corena, d'établir un rapport sur la transposition des normes européennes en matière agricole.
c) Une vision passéiste de l'innovation agricole
Votre rapporteure s'étonne également du décalage entre le discours et les actes de la majorité gouvernementale en matière d'innovation .
Il est ainsi regrettable que l' expérimentation de l'épandage de produits phytopharmaceutiques par des drones, permise par l' article 14 sexies , soit strictement limitée aux terrains agricoles présentant des pentes supérieures à 30 %, c'est-à-dire sur les zones de culture les plus dangereuses ainsi qu'aux seuls utilisateurs de certains produits .
Alors que les drones sont le vecteur le plus prometteur pour réduire considérablement l'usage des produits phytopharmaceutiques, en permettant un ciblage très précis des zones concernées et un dosage approprié, on se prive d'une telle opportunité. Bien que tous les pays du monde s'y convertissent, il semble que perdure, en France, l'image d'Épinal des hélicoptères épandant des quantités astronomiques de produits phytopharmaceutiques sur les champs. C'est à croire que les députés du « nouveau monde » ont du mal à se détacher d' une vision surannée de l'agriculture ... Le pas vers l'agriculture de demain est donc très timide.
d) Le parlementaire n'est pas un expert scientifique
Tout au long des débats, votre rapporteure s'est enfin attachée à rappeler que la loi n'a pas vocation à trancher des querelles scientifiques et que les parlementaires n'ont pas à se substituer aux experts.
Le Sénat avait fait droit à ces arguments en maintenant certes l'interdiction des substances actives ayant des modes d'action identiques aux substances de la famille des néonicotinoïdes, compte tenu de l'interdiction déjà en vigueur de telles substances figurant à l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime depuis 2016, mais en précisant qu'une telle extension des substances interdites devait figurer dans un décret pris après avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).
En nouvelle lecture, les députés de la majorité ont supprimé cet avis préalable obligatoire des experts , s'érigeant en spécialiste scientifique et remettant en cause, indirectement, la qualité du travail de l'Anses. Votre rapporteure ne peut que le déplorer.
* 29 En réponse à un amendement du Gouvernement souhaitant supprimer l'indication des pays d'origine dans l'ordre d'importance, le rapporteur avait indiqué : « il convient d'éviter les effets pervers qui pourraient conduire des mélangeurs à ne placer qu'une quantité modérée de miel français dans leurs pots, et de mettre l'origine « France » en première occurrence, pour tromper le consommateur » (rapport n° 1175, pp. 161 et 162).
* 30 Un amendement du Gouvernement a précisément supprimé, à raison de son inconstitutionnalité, l'injonction qui lui était faite dans le texte adopté par les députés en commission de publier le décret « au plus tard le 1 er janvier 2021 » pour la remplacer par une entrée en vigueur différée (renvoyée à l'article 16) de ces dispositions à la même date, qui n'offre pas plus de garanties quant au respect de cette échéance.