C. UNE FERMETURE À TOUTE TENTATIVE DE CONCILIATION EN COMMISSION MIXTE PARITAIRE

1. L'impossibilité pour le Sénat de présenter ses propositions en commission mixte paritaire

Dès avant la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, le déroulement de la commission mixte paritaire a témoigné de l'absence totale de volonté de dialogue des députés de la majorité.

En dépit des demandes répétées des sénateurs membres de la commission, aucune des propositions de rédaction préparées par les rapporteurs pour le Sénat afin de rechercher un compromis n'a ainsi pu être discutée, ni même présentée 4 ( * ) ou distribuée aux membres de la commission mixte paritaire.

À titre d'exemple, les rapporteurs pour le Sénat avaient proposé de mieux cibler le champ de l'article 14 interdisant le recours aux remises, rabais et ristournes , la différenciation des conditions générales et particulières de vente et la remise d'unités gratuites lors de la vente de produits phytopharmaceutiques.

Alors que cette mesure ne repose sur aucune étude d'impact , ce que le Conseil d'État regrettait déjà dans l'avis rendu sur le projet de loi en janvier 2018, l'argument des partisans de la disposition n'a jamais varié : une mesure analogue mise en place pour les médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques aurait conduit au recul observé de la consommation de ces produits.

Or, l'ensemble des professionnels auditionnés par votre rapporteure ont rappelé que la baisse de la consommation des antibiotiques vétérinaires était visible dès 2006, soit bien avant la mise en place de l'interdiction des remises, rabais et ristournes, et sont convenus qu'elle s'inscrivait dans une dynamique plus profonde de réforme des modalités d'élevage en France, portée par les éleveurs eux-mêmes et non imposée d'en haut par l'État. En outre, il était loin d'être évident que la simple transposition d'une mesure d'un domaine à un autre produirait les mêmes effets, à supposer qu'un lien de causalité puisse être établi.

À défaut d'avoir obtenu du Gouvernement des éléments permettant d'en évaluer l'impact, votre rapporteure avait donc recommandé, en première lecture, la suppression d'une mesure dont le seul effet certain serait d'occasionner une hausse des charges pour les agriculteurs , alors même que ce projet de loi visait à augmenter leur revenu.

Pour les mêmes motifs, le Sénat avait également supprimé, en première lecture, l' article 14 bis interdisant les mêmes pratiques commerciales sur les produits biocides.

Bien qu'aucun élément nouveau n'ait été apporté entre temps pour éclairer la représentation nationale sur les effets de ces dispositions , les rapporteurs pour le Sénat avaient malgré tout proposé en commission mixte paritaire, en vue de la recherche d'un compromis, de rétablir l'esprit de la mesure en la ciblant sur les seules remises, rabais et ristournes assises sur les quantités de ventes .

En revanche, si le nombre de points de livraison était optimisé, si l'acheteur proposait des formations aux utilisateurs ou si les conditions de stockage étaient améliorées, ces pratiques commerciales auraient été maintenues.

En substituant une logique qualitative à une logique quantitative , la rédaction proposée par vos rapporteurs avait le mérite d'inciter les acheteurs en place à « monter en gamme » tout en supprimant les pratiques commerciales incitant à l'achat. Elle n'a malheureusement pu être discutée en commission mixte paritaire.

En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a finalement rétabli sa rédaction initiale des articles 14 et 14 bis , soit l'interdiction pure et simple de tous remises, rabais et ristournes sur les produits phytopharmaceutiques et les produits biocides.

2. La seule proposition du Sénat ayant pu être évoquée a pourtant été reprise dans le texte final pour mieux délimiter le champ de l'ordonnance sur les coopératives

Étonnamment, la seule proposition que les rapporteurs pour le Sénat sont parvenus à présenter en commission mixte paritaire, malgré les remontrances répétées du président de la commission mixte paritaire, a été reprise, presque mot pour mot, par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Elle consiste à mieux définir le champ de l'habilitation à légiférer par ordonnances prévue à l' article 8 pour modifier le régime des coopératives agricoles .

En première lecture, le Sénat avait estimé à la quasi-unanimité que la rédaction proposée, excessivement large, revenait à signer un « chèque en blanc » au Gouvernement , lui permettant de détricoter le modèle coopératif agricole sans contrôle du Parlement autre qu'une simple association, promise par le ministre en séance, des parlementaires à la rédaction de l'ordonnance. Sur la proposition de votre rapporteur, le Sénat avait donc restreint le champ de l'habilitation demandée par le Gouvernement aux seuls éléments précis dont il disposait alors, à savoir la réforme du Haut Conseil de la coopération agricole et la révision des modalités d'intervention du médiateur de la coopération agricole.

En commission mixte paritaire, les rapporteurs pour le Sénat ont proposé une rédaction de compromis circonscrivant précisément la réforme de la partie législative du code rural relative aux coopératives aux seules annonces faites par le Gouvernement à ce stade, soit :

- le renforcement de la lisibilité et la transparence des informations contenues dans les documents transmis aux associés coopérateurs ;

- l'amélioration de la lisibilité et la transparence des modalités de détermination du prix et de la répartition des résultats de la coopérative au travers de l'élaboration des documents appropriés ;

- la mise en place d'une meilleure coordination temporelle entre le contrat d'apport et le bulletin d'adhésion ;

- l'établissement d'une proportionnalité entre les indemnités financières induites par le départ anticipé d'un associé coopérateur et le préjudice subi à la suite de ce départ par les autres associés coopérateurs.

En nouvelle lecture, le rapporteur de l'Assemblée nationale a donc repris cette proposition de rédaction d'origine sénatoriale, en précisant que les indemnités financières en cas de départ anticipé devraient prendre en compte « le cas où le départ est motivé par une modification du mode de production », par cohérence avec la rédaction retenue à l'article 1 er en nouvelle lecture par les députés sur le volet « coopératives ».

Votre rapporteur rappelle simplement que la loi d'avenir pour l'agriculture 5 ( * ) avait déjà modifié le cadre existant pour répondre aux mêmes objectifs et que la parution de ses derniers textes d'application ne date que de la fin d'année 2017. Il est par conséquent difficile d'en faire le bilan.

Même si les arguments de fond évoqués au Sénat en première lecture pour s'opposer à cette habilitation demeurent valables, votre rapporteur se félicite malgré tout, sur la forme, de la meilleure délimitation du champ de l'ordonnance , qui permettra tant aux coopératives d'être rassurées sur l'ampleur de la réforme qu'aux parlementaires de ne pas se voir priver d'un débat de fond sur l'avenir d'acteurs essentiels à la survie des territoires ruraux.


* 4 À une exception près, lue sur l'insistance des rapporteurs pour le Sénat. Pour s'opposer à l'examen de ces propositions, le président de la commission mixte paritaire a fait valoir qu'au vu du désaccord de fond sur l'article 1 er , il n'y avait pas lieu de discuter plus avant.

* 5 Loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.

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