N° 715
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2017-2018
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 septembre 2018 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN NOUVELLE LECTURE , pour l' équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine , durable et accessible à tous ,
Par M. Michel RAISON et Mme Anne-Catherine LOISIER,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Martial Bourquin, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, M. Alain Bertrand, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool , vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard , secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mmes Michelle Gréaume, Annie Guillemot, MM. Xavier Iacovelli, Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mme Patricia Morhet-Richaud, M. Robert Navarro, Mme Sylviane Noël, MM. Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, MM. Dominique Théophile, Jean-Claude Tissot . |
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : |
Première lecture : 627 , 838 , 902 et T.A. 121
Commission mixte paritaire : 1147 Nouvelle lecture : 1135 rect. , 1175 et T.A. 171 |
Sénat : |
Première lecture : 525 , 563 , 570 , 571 et T.A. 132 (2017-2018)
Commission mixte paritaire : 647 et 648 (2017-2018)
Nouvelle lecture : 714 , 716 et 719 (2017-2018) |
AVANT-PROPOS
Après l'échec inédit de la commission mixte paritaire sur un alinéa pourtant voté à l'identique dans les deux chambres, l'Assemblée nationale a confirmé, en nouvelle lecture, son intransigeance à l'égard des propositions du Sénat.
En première lecture, le Sénat s'était pourtant montré constructif, tentant d'améliorer le projet de loi afin qu'il traduise mieux les attentes exprimées au sortir des États généraux de l'alimentation.
En balayant d'un revers de main ses principaux apports, l'Assemblée nationale a traité le travail sénatorial par le mépris .
Même la création du fonds d'indemnisation des victimes professionnelles des produits phytopharmaceutiques, mesure de justice votée à l'unanimité au Sénat qui transcende les clivages partisans, n'aura pas trouvé grâce à ses yeux.
Loin de rapprocher les points de vue, la nouvelle lecture à l'Assemblée a été l'occasion, pour la majorité gouvernementale, d'aggraver encore le déséquilibre d'un texte qui échouera non seulement à relever le prix payé aux agriculteurs, mais aura même l'effet inverse sur leurs revenus, par l'addition des charges nouvelles qu'il instaure.
Sans l'intervention de l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires pour proposer ou valider des indicateurs en cas de défaut de l'interprofession, les producteurs seront à la merci d'indicateurs élaborés de toutes pièces par la grande distribution, qui y travaille déjà.
En plus de peser sur les charges des paysans, ces contraintes supplémentaires vont considérablement alourdir celles des collectivités territoriales.
Pourront-elles financer, dans le même temps, l'amélioration de la qualité des repas servis dans les cantines et le renouvellement à marche forcée de tout leur matériel pour répondre à l'interdiction, dès 2020, des boîtes ou plateaux-repas en plastique ?
Sur la forme, nombre de dispositions pourtant substantielles n'ont fait l'objet d'aucune étude d'impact, voire ont été adoptées en nouvelle lecture en méconnaissant la Constitution.
La constitutionnalité d'autres dispositions est aussi contestable sur le fond : ainsi, le fait de réserver l'usage des drones pour l'épandage sur les terrains en pente à une certaine catégorie d'agriculteurs constitue une atteinte claire au principe d'égalité, sans lien avec l'objectif poursuivi qui ne vise qu'à renforcer la sécurité des personnes.
Dès lors, le Sénat ne saurait cautionner par son vote un projet de loi qui, en multipliant les contraintes sans augmenter les revenus, trahit l'esprit des États généraux de l'alimentation et ruine les espoirs des agriculteurs.
Au vu de l'ensemble de ces désaccords, sur la méthode comme sur le fond, votre commission vous propose d'adopter la présente motion.
Tout démontre en effet, dans l'attitude du Gouvernement et de sa majorité, que le Sénat ne gagnera rien à amender à nouveau le texte - sauf à donner l'impression d'en endosser la logique et d'en assumer les défauts - puisqu'aucune de ses propositions ne sera reprise.
À l'inverse, l'adoption de la question préalable se veut un signe fort adressé à l'exécutif et à sa majorité : il est temps d'entendre les agriculteurs, de répondre à leur mal-être non par un surcroît de normes et de charges, mais par des protections renforcées et un partage équitable de la valeur qui soient à la hauteur de leurs efforts et du service qu'ils rendent à la société .
Au cours de sa réunion du 19 septembre 2018, votre commission a décidé de proposer au Sénat d'opposer la question préalable au projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous. En conséquence, elle n'a pas adopté de texte sur le projet de loi. |
I. UN REVIREMENT INACCEPTABLE DE LA MAJORITÉ GOUVERNEMENTALE SUR LA CONSTRUCTION DES PRIX AGRICOLES ET LA FERMETURE À TOUTE TENTATIVE DE COMPROMIS
A. UNE LECTURE INQUIÉTANTE DE LA CONSTITUTION : FAIRE ÉCHOUER UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE SUR UN POINT D'ACCORD ENTRE LES ASSEMBLÉES
En première lecture, les deux chambres avaient amendé, en des termes strictement identiques, un alinéa de l' article 1 er très attendu par le monde agricole : celui portant sur la construction des indicateurs qui formeront la base des formules de prix des nouveaux contrats entre les acteurs .
La rédaction initiale du projet de loi était en effet insatisfaisante. Elle revenait à laisser aux parties la liberté de construire leur propre indicateur, exposant ainsi la partie la plus faible, c'est-à-dire le producteur, à se voir imposer un indicateur construit par l'acheteur.
Au terme des débats en première lecture à l'Assemblée nationale, une proposition plus mesurée et adaptée aux réalités agricoles avait été adoptée en séance publique, malgré les avis défavorables du rapporteur et du Gouvernement, le sujet dépassant les clivages politiques.
Cette version du texte donnait aux organisations interprofessionnelles pour mission de diffuser des indicateurs. Leur décision étant prise à l'unanimité, un indicateur interprofessionnel faisait donc figure d'indicateur de référence recueillant l'assentiment de l'ensemble des parties prenantes, parfois même jusqu'au distributeur.
À défaut d'accord interprofessionnel, les indicateurs pouvaient être proposés soit par l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) ou FranceAgriMer, soit par toute autre partie, par exemple une organisation de producteurs, à la condition que l'indicateur proposé soit validé par l'OFPM ou FranceAgriMer.
En première lecture, le Sénat avait retenu, au mot près, la même rédaction, les intervenants de tous bords politiques la jugeant satisfaisante et soulignant son importance dans la discussion générale.
Malgré cet accord, le rapporteur de l'Assemblée nationale devait s'opposer, à la surprise générale, au maintien de cette rédaction en commission mixte paritaire, conduisant à son échec.
Bien qu'elle fut certes juridiquement recevable - l'article 1 er n'ayant pas été adopté conforme dans son entièreté -, une telle remise en cause d'un alinéa conforme heurte gravement le fonctionnement de la navette parlementaire tel que défini dans la Constitution.
D'une part, le rapporteur d'une assemblée en commission mixte paritaire est censé défendre les positions adoptées par sa chambre, y compris contre son propre avis.
D'autre part, l'esprit d'une commission mixte paritaire est de chercher à régler des points de désaccord, non d'en ajouter de nouveaux.
De manière sans doute inédite, la commission mixte paritaire a donc échoué à raison d'une disposition sur laquelle les majorités des deux chambres étaient... d'accord .