EXAMEN EN COMMISSION
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M. François-Noël Buffet , rapporteur . - En première lecture, le Sénat a largement réécrit ce texte en élaborant un contre-projet plus cohérent, et en abordant l'ensemble des sujets migratoires que sont l'asile, les politiques d'intégration et la lutte contre l'immigration irrégulière.
Ainsi, en matière de lutte contre l'immigration irrégulière, nous avons renforcé les peines complémentaires d'interdiction du territoire, réduit le nombre de visas accordés aux pays les moins coopératifs qui refusent de délivrer les laissez-passer consulaires, réorganisé la durée de la rétention administrative, interdit le placement en rétention des mineurs isolés et encadré celui des mineurs accompagnant leur famille.
S'agissant du droit d'asile, nous avons maintenu à 30 jours le délai de recours contre une décision de rejet de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).
S'agissant de l'immigration étudiante, nous avons aussi réintroduit la visite médicale des étudiants étrangers, afin de répondre à un grave enjeu de santé publique.
En matière d'intégration, nous avons prévu un investissement renforcé dans les cours de français et amélioré les dispositifs d'insertion sur le marché de l'emploi des étrangers en situation régulière.
Enfin, nous avons souhaité soutenir les collectivités territoriales, en proposant d'insérer les places d'hébergement des demandeurs d'asile dans le décompte des logements sociaux de la loi « solidarité et renouvellement urbains » (SRU), et en créant un fichier national biométrique des étrangers déclarés majeurs à l'issue de leur évaluation par un département.
Malgré le dialogue constructif que nous avions engagé avec l'Assemblée nationale, la commission mixte paritaire du 4 juillet dernier n'a pas pu parvenir à un accord.
Je regrette néanmoins que le texte adopté par les députés en nouvelle lecture ne prenne que très peu en compte les préoccupations majeures exprimées par le Sénat.
Malgré tout, il y a quelques points d'accord : le maintien à 30 jours du délai de recours devant la CNDA et l'adaptation du droit du sol à Mayotte, deux mesures introduites par le Sénat ; ainsi que la création d'un fichier comportant les empreintes digitales et une photographie des étrangers se présentant comme des mineurs non accompagnés.
Néanmoins, le texte transmis au Sénat en nouvelle lecture constitue, à mon sens, une véritable occasion manquée pour la politique migratoire de notre pays.
Des désaccords majeurs persistent notamment sur les modalités d'organisation de la rétention administrative. Le séquençage adopté par l'Assemblée nationale est en effet à la fois peu protecteur pour les étrangers et très contraignant pour l'autorité administrative et les tribunaux. En outre, le texte adopté par l'Assemblée nationale permettrait de placer en rétention un mineur accompagnant sa famille pendant 90 jours, alors que nous avions, au Sénat, instauré un « plafond » de 5 jours.
De même, nous avons pu constater un certain manque de considération pour l'action des collectivités territoriales en faveur de l'accueil des demandeurs d'asile, alors que le Sénat avait adopté plusieurs mesures visant à les soutenir.
Enfin, l'Assemblée nationale a adopté deux mesures clairement contraires à la règle de « l'entonnoir », résultant de l'article 45 de la Constitution : il s'agit de la suppression du rôle de coordination des centres provisoires d'hébergement (CPH) en matière d'intégration des réfugiés, à l'article 9 bis du projet de loi, et d'une habilitation à légiférer par ordonnance pour réformer le contentieux du droit d'asile devant les juridictions administratives et créer des procédures d'urgence devant la CNDA, à l'article 27.
Par conséquent, je vous propose de déposer au nom de la commission une motion tendant à opposer au projet de loi la question préalable, ce qui conduirait le Sénat à rejeter le texte transmis par l'Assemblée nationale, afin que celle-ci porte l'entière responsabilité de son contenu et sachant que rien ne permet d'augurer la moindre perspective d'amélioration.
M. Jean-Yves Leconte . - Nous comprenons les contraintes d'agenda et d'organisation du travail parlementaire, mais nous ne partageons pas cette volonté de ne pas débattre du fond des désaccords qui existent entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Certaines dispositions adoptées par notre assemblée mériteraient d'être de nouveau soutenues !
De même, il ne faut pas théâtraliser les désaccords entre chacune des majorités des deux chambres : l'esprit du texte adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale n'est pas très différent de celui que lui avait transmis le Sénat. Ainsi, je constate que les avancées obtenues grâce au groupe Socialiste et républicain ont été supprimées, tout comme les marqueurs habituels du groupe Les Républicains en matière de quotas migratoires. Sur le fond, je pense, qu'en l'absence de désaccord entre la majorité sénatoriale et celle de l'Assemblée nationale sur la politique d'asile et d'immigration, cela ne doit pas beaucoup vous déranger de laisser le dernier mot à l'Assemblée nationale.
M. Philippe Bas , président . - Il me semblait pourtant, cher collègue, que votre groupe avait déposé une motion tendant à opposer la question préalable en première lecture...
M. Jean-Yves Leconte . - En juin dernier, nous avons débattu de l'opportunité de ce projet de loi, sachant que les négociations européennes en cours nous conduiraient certainement à adopter des mesures de transposition.
À l'époque, nous avions considéré qu'il n'y avait pas lieu de modifier la loi, la question étant avant tout celle des moyens de la politique migratoire.
Dès lors qu'une nouvelle loi est en passe d'être adoptée, il faut en discuter jusqu'au bout, et en particulier de ses aspects les plus néfastes.
En outre, la décision du Conseil constitutionnel en date du 6 juillet dernier sur le principe de fraternité doit être prise en compte au regard de la suppression du délit de solidarité. Il serait regrettable que le Sénat ne participe pas à cette réflexion...
M. Alain Richard . - Notre groupe ne partage pas tout à fait la position du rapporteur sur la prise en compte par l'Assemblée nationale des améliorations apportées par le Sénat : en particulier, les mesures en matière de gestion des procédures d'immigration ont été reprises.
Nous comprenons qu'il soit recouru à la procédure de la question préalable, afin d'éviter une « lecture pour rien », chacun ayant réfléchi à sa position. L'Assemblée nationale n'aurait en effet guère de raisons de retenir davantage de mesures adoptées par le Sénat.
S'agissant de la procédure, la demande d'habilitation à légiférer par ordonnances pour revoir les règles contentieuses devant la CNDA ayant été longuement débattue en séance publique, la règle de « l'entonnoir » pourrait ne pas s'appliquer, même si, finalement, le Sénat a refusé cette habilitation.
M. Philippe Bonnecarrère . - Notre groupe comprend la préoccupation du rapporteur. En revanche, cette question préalable nous attriste pour deux raisons : d'une part, le texte améliore le droit existant ; d'autre part, nous étions dans l'idée non pas de présenter un contre-projet, mais de faire aboutir une réforme du droit d'asile et de la politique d'immigration compréhensible par nos concitoyens et permettant un meilleur fonctionnement de nos institutions. Nous avons également souligné les aspects européens de cette question.
L'échec de la commission mixte paritaire rend plus complexe la lecture des dispositions prévues dans ce projet de loi et seuls les extrêmes y trouveront satisfaction.
Notre groupe, à l'exception d'une dizaine d'entre nous, sera majoritairement défavorable à cette motion tendant à opposer la question préalable. Néanmoins, je pense qu'aucun des groupes de notre assemblée n'est prêt à assumer une nouvelle lecture et n'a préparé tous les amendements utiles à cette fin.
M. Philippe Bas , président . - Vous souhaitiez vivement, M. Philippe Bonnecarrère, un accord en commission mixte paritaire, espérant que le vote par votre groupe d'un certain nombre de dispositions aurait permis à la négociation d'avoir lieu dans de bonnes conditions pour le Sénat, ce qu'ont empêché les décisions politiques qui ont été prises. J'entends également que vous ne souhaitez pas faire obstacle à la question préalable, même si votre groupe y est majoritairement défavorable...
M. Jean-Pierre Sueur . - Je souscris aux propos de M. Jean-Yves Leconte. Au nom de mon groupe, j'avais défendu en première lecture une motion tendant à opposer la question préalable parce que ce texte ne nous semblait pas utile, ce qu'a d'ailleurs souligné le Conseil d'État, précisant qu'aucune des lois précédemment adoptées en 2015 et en 2016 n'avait été évaluée. En outre, ce projet de loi ne prend pas en compte les questions européennes, d'intégration, etc.
Nous avons là affaire à une « question préalable de confort ». Tous ceux qui la voteront ne partagent pas forcément les mêmes idées sur le sujet. Par ailleurs, je m'inquiète de l'évolution du rôle institutionnel du Sénat. Sur des textes comme celui-ci, il est recouru constamment à la procédure accélérée, alors que, voilà quelques années, le Sénat y aurait consacré deux semaines en première lecture, avec ensuite deux lectures avant la réunion de la commission mixte paritaire. Pour notre part, nous avons déposé 29 amendements pour cette nouvelle lecture et pensons qu'il est utile de poursuivre le débat.
Si nous avions un mode de fonctionnement plus apaisé, l'Assemblée nationale pourrait reprendre les amendements adoptés par le Sénat en nouvelle lecture. Nous nous privons ainsi de la possibilité de faire valoir nos positions après la commission mixte paritaire. C'est pourquoi, dans le cadre de la révision constitutionnelle, nous sommes très attentifs à la procédure qui sera prévue après la commission mixte paritaire.
M. Philippe Bas , président . - Il est prévu que la session extraordinaire se termine demain.
En inscrivant l'examen de ce texte à notre ordre du jour de cet après-midi, le Gouvernement ne nous laisse guère de choix. Cet ordre du jour prioritaire nous contraint à des procédures exagérément rapides.
M. Jean-Pierre Sueur . - Je le réprouve !
M. Philippe Bas , président . - Je rappelle que la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a aussi été examinée sous le régime de la procédure accélérée. On peut donc toujours changer de point de vue d'une année à l'autre !
M. Jean-Pierre Sueur . - Je veux être objectif : la dérive tendant à une quasi-généralisation de la procédure accélérée ne date pas de ce Gouvernement, elle a largement pris corps lors du quinquennat précédent, pour devenir systématique. Auparavant, il y a 10, 15 ou 20 ans, elle était beaucoup plus rare. Ainsi, le projet de loi constitutionnelle est le seul, depuis une année, à être examiné selon la procédure normale ! Et en inscrivant ce texte l'avant-dernier jour de la session extraordinaire, le Gouvernement présuppose le dépôt d'une motion de procédure. Mais nous pourrions faire le choix de mener le débat, auquel cas ce texte ne serait pas adopté au cours de cette session.
M. Alain Richard . - Je précise que nous comprenons les raisons pratiques et de cohérence qui guident le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable, mais que nous nous abstiendrons.
EXAMEN DE LA MOTION TENDANT À OPPOSER LA
QUESTION PRÉALABLE
ET DES AMENDEMENTS
M. François-Noël Buffet , rapporteur . - Nous avons tous regretté l'engagement de la procédure accélérée sur ce texte très important. En outre, les débats à l'Assemblée nationale et les choix retenus par nos collègues députés ont montré les divergences entre nos deux assemblées. Tout espoir d'accord ultime paraît vain et, compte tenu de ces désaccords profonds, il ne nous paraît pas utile d'aller plus loin. Ainsi, à titre d'illustrations, notre souhait de transformer l'aide médicale d'État en aide médicale d'urgence n'a pas été retenu ; de même que n'a pas été retenue notre proposition de systématiser la peine d'interdiction judiciaire du territoire, sauf décision contraire du juge.
Par ailleurs, la règle de « l'entonnoir » ne s'applique pas si les dispositions proposées sont en relation directe avec des dispositions intégrées au texte de première lecture et restant en discussion. Tel n'est pas le cas pour les deux dispositions litigieuses aux articles 9 bis et 27 du projet de loi que nous considérons avoir été adoptées en méconnaissance de l'article 45 de la Constitution. S'agissant de l'habilitation à légiférer par ordonnances pour réformer le contentieux de l'asile, si ces dispositions ont bien été débattues en première lecture, elles n'ont pas été adoptées et donc a fortiori pas été intégrées au texte de première lecture. Aucune disposition restant en discussion ne permettait donc de les réintroduire en nouvelle lecture. Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose d'adopter la motion tendant à opposer la question préalable.
La motion est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi ; les amendements deviennent satisfaits ou sans objet.
Le sort des amendements examinés par la commission des lois est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 2
|
|||
M. LECONTE |
14 |
Conditions d'octroi de la carte de résident des réfugiés |
Satisfait
|
Article 3
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|||
M. LECONTE |
24 |
Information des membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire |
Satisfait
|
M. LECONTE |
25 |
Contenu de l'examen médical diligenté par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) |
Satisfait
|
Article 5
|
|||
M. LECONTE |
17 |
Inclusion dans le rapport annuel de l'OFPRA de données quantitatives et qualitatives par pays d'origine et langue d'instruction des demandes d'asile |
Satisfait
|
M. LECONTE |
16 |
Précision sur la définition des pays d'origine sûrs pour garantir qu'un pays ne puisse y figurer s'il y est recouru à la persécution, la torture ou des traitements inhumains contre les personnes transgenres |
Satisfait
|
M. LECONTE |
15 |
Extension aux associations de défense des personnes homosexuelles et des personnes transgenres du droit de saisir le conseil d'administration de l'OFPRA d'une demande tendant à l'inscription ou la radiation d'un État sur la liste des pays sûrs |
Satisfait
|
M. LECONTE |
1 |
Maintien du droit en vigueur s'agissant des demandes d'asile tardive |
Satisfait
|
M. LECONTE |
26 |
Possibilité pour un demandeur d'asile privé d'entretien personnel pour raisons médicales de fournir à l'OFPRA les éléments utiles à l'instruction de sa demande, dans un délai fixé par décret en Conseil d'État |
Satisfait
|
M. LECONTE |
18 |
Possibilité pour un demandeur d'asile d'être accompagné lors de son entretien à l'OFPRA par le représentant d'une association de lutte contre les persécutions fondées sur le sexe ou de défense des droits des personnes transgenres |
Satisfait
|
Article 6
|
|||
M. LECONTE |
2 |
Suppression des dispositions relatives à la vidéo-audience devant la Cour nationale du droit d'asile |
Satisfait
|
Article 9
|
|||
M. LECONTE |
19 |
Modalités d'octroi des conditions matérielles d'accueil |
Satisfait
|
M. LECONTE |
22 |
Révision triennale du schéma national d'accueil des demandeurs d'asile |
Satisfait
|
M. LECONTE |
3 |
Modalités de mise en oeuvre de l'hébergement directif |
Satisfait
|
M. LECONTE |
23 |
Renvoi à un décret en Conseil d'État pour définir des normes minimales en matière d'hébergement |
Satisfait
|
Article 9
ter
|
|||
M. LECONTE |
4 |
Suppression de l'article |
Satisfait
|
Article 9
quater
|
|||
M. LECONTE |
5 |
Suppression de l'article |
Satisfait
|
Article 10 B
|
|||
M. LECONTE |
6 |
Suppression de l'article |
Satisfait
|
Article 12
|
|||
M. LECONTE |
13 |
Modalités d'éloignement des personnes détenues |
Satisfait
|
Article 15
ter
|
|||
M. LECONTE |
7 |
Interdiction de tout placement en rétention d'un mineur, y compris lorsqu'il accompagne sa famille |
Satisfait
|
Article 16
|
|||
M. LECONTE |
8 |
Suppression de l'allongement de la durée de la rétention administrative |
Satisfait
|
Article 19
ter
|
|||
M. LECONTE |
9 |
Abrogation du « délit de solidarité » |
Satisfait
|
Article additionnel après l'article 19 ter |
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M. LECONTE |
10 |
Création d'un délit d'entrave à l'exercice du droit d'asile |
Satisfait
|
Article 20
|
|||
M. LECONTE |
20 |
Extension du périmètre du passeport talent |
Satisfait
|
Article 23
|
|||
M. LECONTE |
11 |
Suppression des dispositions tendant à ce que le demandeur d'asile présente concomitamment sa demande d'admission au séjour et sa demande d'obtention d'un autre titre de séjour |
Satisfait
|
Article 26
bis
|
|||
M. LECONTE |
12 |
Réforme de l'accès au marché du travail des demandeurs d'asile |
Satisfait
|
Article 33
bis
A
(Supprimé)
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|||
M. LECONTE |
21 |
Accès facilité à la carte de séjour pluriannuelle |
Satisfait
|
Article 33
bis
|
|||
M. LECONTE |
27 |
Mise à disposition de données relatives aux flux migratoires en outre-mer |
Satisfait
|
M. LECONTE |
28 |
Mise à disposition de données relatives aux autorisations de travail accordées ou refusées à des étrangers |
Satisfait
|
M. LECONTE |
29 |
Mise à disposition de données relatives au placement en rétention de mineurs |
Satisfait
|