E. UNE FOIS ENCORE, LA PROGRAMMATION DES DÉPENSES DE CONTENTIEUX A ÉTÉ DÉBORDÉE EN GESTION
L'action 6 du programme 216 est consacrée aux dépenses de contentieux et de protection fonctionnelle en lien avec les activités du ministère de l'intérieur.
Votre rapporteur spécial appelle régulièrement l'attention sur les dérapages de ces dépenses qui, en exécution, sont toujours très supérieures aux prévisions de la loi de finances initiale. Tel est encore une fois le cas cette année.
Données relatives aux dépenses de
contentieux
et de protection fonctionnelle
Source : Cour des comptes, d'après ministère de l'intérieur et LFI
* Estimation ministère de l'intérieur
Le tableau ci-dessus récapitule les données historiques et les prévisions du ministère de l'intérieur pour l'exercice 2017. Celles-ci se sont révélées trop optimistes puisque les dépenses effectives ont atteint 139,3 millions d'euros, soit 24 millions d'euros de plus qu'anticipé et, surtout, 84,3 millions de plus que les dotations de la loi de finances initiale.
Le taux de couverture des dépenses effectives de contentieux par les crédits initiaux (39,5 %) s'est ainsi considérablement dégradé en 2017, de près de 12,8 points.
La réduction de la charge des dépenses de contentieux de près de 14 millions d'euros l'an dernier a fait place à une progression de 56,7 millions d'euros soit davantage que les crédits demandés dans le projet de loi de finances de l'année.
Ces évolutions sont attribuées à différentes causes : des reports de charges de l'exercice 2016 sur 2017, et l'existence de contentieux exceptionnels.
Ces explications témoignent l'une d'une gestion budgétaire particulièrement critiquable, l'autre d'une appréciation difficile à réaliser. Les contentieux exceptionnels tendent à devenir habituels.
Il est heureux que le ministère se soit attaché à réagir. Les mesures adoptées pour améliorer la situation ont été exposées dans le rapport consacré au projet de loi de finances pour 2018.
Votre rapporteur spécial suivra avec vigilance les résultats obtenus. Il ne peut à ce stade que s'interroger sur la cohérence entre la contrainte d'emplois exercée sur la mission, qui peut conduire à une raréfaction des capacités de suivi et d'expertise, et l'objectif poursuivi ainsi que sur certaines intentions exprimées.
F. UN BUDGET DE TRANSITION : QUEL AVENIR POUR L'ÉTAT DE PROXIMITÉ ?
Votre commission des finances a publié l'an passé un rapport de contrôle budgétaire consacré à l'échelon le plus local de l'administration générale de l'État, celui des sous-préfectures 11 ( * ) .
Celles-ci ont été prises dans un processus de progressive dégradation de leurs moyens dans un contexte où leurs missions ont tardé à trouver un socle de doctrine solide.
Dans le même temps, tant l'État que les collectivités territoriales ont suivi des réorganisations marquées par l'émergence de pôles de gestion publique plus puissants mais aux logiques géographiques plus vastes et ainsi exposées aux risques d'un éloignement par rapport au local.
Dans ce contexte, le ministère de l'intérieur revendique sa vocation à représenter l'État dans ses circonscriptions administratives les plus traditionnelles (arrondissements, départements).
De fait, la plupart des emplois financés par la mission relèvent de l'échelon départemental.
Source : rapport annuel de performances de la mission pour 2017
Le tableau ci-dessus extrait du RAP pour 2017, dont il faut regretter qu'il ne détaille pas les emplois affectés dans les sous-préfectures, fait ressortir cette prépondérance, 89 % des emplois de la mission étant positionnés à l'échelon départemental ou infra-départemental.
Néanmoins, il illustre également une tendance à une recomposition des effectifs du ministère de moins en moins proches du terrain. C'est ainsi qu'en 2017 se constate une augmentation de 70 % des effectifs régionaux (+ 697 ETPT) contre une baisse de 526 ETPT au niveau départemental.
L'évolution des ETP présents au 31 décembre de l'année traduit plus spectaculairement encore cette évolution puisque entre 2016 et 2017, la baisse atteint 2 200 ETP.
On doit voir dans ces modifications de positionnement géographique des agents l'impact du « Plan préfecture nouvelle génération ».
Le développement des effectifs régionaux correspond, d'une part, au renforcement des secrétariats généraux pour les affaires régionales, d'autre part, au déploiement de plates-formes se substituant pour les fonctions suivantes à des moyens autrefois localisés plus à proximité : les centres partagés de comptabilité Chorus, les agents des centres d'expertise et de ressources titres (CERT) et ceux des pôles d'appui juridique (PAJ).
Par ailleurs, certains agents sont désormais « gérés » au niveau régional : les services de naturalisation, les guichets uniques d'accueil des demandeurs d'asile (GUDA).
Ces réorganisations sont passibles d'appréciations différenciées.
La professionnalisation d'un certain nombre de fonctions incombant au ministère peut certainement justifier des regroupements. Néanmoins, deux écueils doivent être évités : la perte de visibilité des conditions réelles pouvant entourer localement certaines situations, la perte d'expertise par des services territorialisés pouvant éprouver un sentiment de dépossession par des structures éloignées développant des doctrines propres.
En toute hypothèse, le constat s'impose d'une administration générale de l'État qui se fait moins accessible.
Il est certes de bonne politique d'exploiter les opportunités offertes par le numérique. Encore faut-il qu'il n'en résulte pas de difficultés supplémentaires pour les usagers du service public. Le recours au numérique a particulièrement touché la délivrance des titres sécurisés qui, petit à petit, a marginalisé le rôle de la plupart des mairies de notre pays et suscité des difficultés nouvelles pour la partie de la population française qui éprouve encore bien des obstacles pour accéder au numérique, soit qu'elle ne soit pas couverte par des infrastructures performantes, soit qu'elle manque des équipements nécessaires ou, tout simplement, de la maîtrise des nouvelles technologies.
Ces situations ne sont pas si rares qu'elles puissent être négligées.
Elles supposent de conserver des conditions d'accès physiques aux services et, ainsi, de résorber les situations d'éloignement résultant de la fermeture des services de proximité.
Or, celles-ci devraient encore s'accentuer dans le cadre de la nouvelle directive nationale d'orientation des préfectures et des sous-préfectures et de l'idéal d'une « France sans guichets », autrement dit sans contact entre les usagers et l'État prestataire de services et sans visibilité de l'État pour nombre de nos concitoyens, porté par le plan « préfectures nouvelle génération ».
L'année 2017 a permis d'illustrer les écueils d'une numérisation à marche forcée telle que la dessinait le PPNG.
Le ministère a dû se résoudre à mettre en place quelque 300 points d'accès numérique. Équipés d'un ordinateur ils sont servis par des volontaires du service civique et restituent sur des bases plus fragiles une forme de service public de proximité trop hâtivement délaissé.
Si cette adaptation est bienvenue, elle doit rappeler toute l'attention qu'il convient d'apporter aux conditions pratiques de conduite des réformes.
Il est étonnant sur ce point que le ministère ait pu présenter une prévision d'emploi si nettement éloignée de sa réalisation. Les écarts entre les prévisions de la loi de finances initiale et la localisation effective des effectifs (voir le tableau ci-dessus) conduisent à s'interroger sur la gestion prévisionnelle des emplois du ministère.
* 11 « Sous-préfectures : l'État à proximité ». Rapport d'information de M. Hervé Marseille, fait au nom de la commission des finances n° 420 (2016-2017) - 15 février 2017.