B. COMPLÉTER LE TEXTE PAR DES MESURES PLUS AMBITIEUSES

La commission des finances a complété le projet de loi par dix articles additionnels .

Elle a principalement souhaité, outre améliorer l'efficacité et le contrôle du recouvrement de l'impôt, répondre au constat de l'absence de deux sujets actuellement majeurs dans le cadre de la lutte contre la fraude : la lutte contre la fraude à la TVA en matière de commerce en ligne et surtout, la réforme de la procédure applicable aux poursuites pénales pour fraude fiscale, autrement appelé le « verrou de Bercy », aujourd'hui très largement critiqué.

1. Adopter plusieurs dispositifs tendant à améliorer l'efficacité du contrôle et du recouvrement de l'impôt.

La commission a notamment rétabli la possibilité pour l'administration de procéder à des transactions, y compris dans les cas où des poursuites pénales seraient engagées , comme elle pouvait le faire avant 2013. Il convient à cet égard de rappeler que la transaction ne peut en aucun cas porter sur le montant des droits éludés, mais permet seulement, par une atténuation des pénalités administratives, de garantir un recouvrement rapide et efficace. Par ailleurs, elle ne met en aucun cas fin aux poursuites pénales engagées .

Afin de garantir un usage transparent de cette faculté de transaction, le rapport publié chaque année sur le sujet serait enrichi. En outre, le président et le rapporteur général des commissions des finances seraient informés annuellement des transactions relatives à des faits transmis à la justice pénale ou d'un montant significatif.

À l'initiative de Nathalie Goulet, la commission des finances a également étendu au blanchiment la liste des infractions pénales pour lesquelles les agents de la direction générale des finances publiques (DGFiP) concourent aux enquêtes menées sur instructions du procureur de la République.

Enfin, la commission a adopté deux mesures proposées par Nathalie Delattre, rapporteur pour avis de la commission des lois et tendant respectivement à :

- autoriser la conclusion d'une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) en matière de fraude fiscale, comme c'est déjà notamment le cas pour les délits de blanchiment ;

- inscrire dans la loi la jurisprudence « Talmon » qui permet au parquet de poursuivre le délit de blanchiment de fraude fiscale même sans plainte préalable de l'administration.

2. Renforcer la lutte contre la fraude sur Internet en impliquant les plateformes en ligne

S'agissant de la fraude sur Internet, la commission a adopté un article instituant un régime inédit de responsabilité solidaire des plateformes en ligne pour le paiement de la TVA due par les vendeurs qui y exercent leur activité. Cette responsabilité solidaire pourrait être mise en oeuvre dans le cas où la plateforme n'a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la régularisation des vendeurs qui lui auraient été formellement signalés par l'administration fiscale.

Le Royaume-Uni s'est doté d'un régime similaire en 2016, dont la mise en oeuvre est une réussite : 2 100 procédures ont été lancées, et le nombre de vendeurs hors-UE enregistrés auprès de l'administration est passé de 1 600 en 2015 à 28 000 en 2018, représentant un total de 220 millions de livres sterling de recettes supplémentaires.

On ne peut que déplorer, par contraste, la passivité de la France , qui semble subir cette fraude estimée à au moins un milliard d'euros par an avec une certaine passivité : seules 3 000 sociétés sont enregistrées en 2017 , 18 contrôles ont été effectués, pour 2,1 millions d'euros de droits et pénalités notifiés, et 485 496 euros effectivement recouvrés.

Sur le même sujet, la commission a prévu la possibilité de prélever la TVA au moment de la transaction ( split payment ), lui aussi issu des propositions du groupe de travail. Ce mécanisme est à l'étude dans plusieurs pays, et notamment au Royaume-Uni.

Si le contrôle et le recouvrement de l'impôt est parfois très difficile dans le secteur de l'économie numérique, c'est parce que ses principaux acteurs sont, bien souvent, établis à l'étranger . Ils ne s'estiment donc pas liés par les mesures retenues au niveau national, notamment, par le droit de communication de l'administration fiscale, et pourraient vouloir s'exonérer des obligations relatives à la déclaration automatique. En réponse à cet obstacle, la commission a adopté un dispositif permettant d'appliquer, le cas échéant, à leurs filiales françaises les amendes encourues à ce titre .

Enfin, la commission a adopté un article interdisant aux plateformes de verser des revenus à leurs utilisateurs sur des cartes prépayées .

3. Réformer la procédure applicable aux poursuites pénales en matière de fraude fiscale : la suppression du « verrou de Bercy » pour les dossiers les plus graves

L'un des principaux éléments absents du projet de loi est un dispositif communément connu sous le nom de « verrou de Bercy ».

Pour mémoire, ce dispositif souvent discuté au Sénat comprend deux éléments. D'une part, les poursuites pénales pour fraude fiscale ne peuvent être engagées sur la plainte de l'administration fiscale . D'autre part, cette plainte doit être précédée d'un avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF), un organisme administratif indépendant composé de vingt-quatre magistrats élus par leurs corps et de quatre personnalités qualifiées nommées par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Le Sénat a déjà travaillé plusieurs fois sur ce dispositif. En particulier, il a examiné le 16 mai dernier une proposition de loi du groupe socialiste et républicain renforçant l'efficacité des poursuites contre les auteurs d'infractions financières et supprimant le « verrou de Bercy ». Il a rejeté ce texte, sur le rapport de Jérôme Bascher 20 ( * ) , parce qu'il était incomplet : il supprimait le monopole de l'administration sans prévoir de mécanisme pour organiser le flux des dossiers.

L'Assemblée nationale a elle aussi mené un travail approfondi sur les conditions d'engagement des poursuites pénales en matière de fraude fiscale, avec la constitution d'une mission d'information, dont le président était Éric Diard et la rapporteure Émilie Cariou 21 ( * ) . Le rapport remis le 23 mai dernier propose notamment que les dossiers les plus graves fassent l'objet d'un examen conjoint obligatoire par l'administration et le parquet afin de déterminer l'opportunité d'engager des poursuites.

Le présent projet de loi se prête à une véritable réforme de la procédure conduisant à l'engagement de poursuites pénales.

Votre rapporteur, qui s'est rendu à la direction générale des finances publiques et dans plusieurs de ses services à compétence nationale, avec le président de la commission, a constaté que l'administration accomplit un travail efficace pour recouvrer le mieux possible les sommes dues à l'État .

Il considère toutefois que le dispositif manque de transparence . Les critères selon lesquels un dossier issu du contrôle fiscal doivent ou ne doivent pas faire l'objet de poursuites pénales sont décrits dans de simples circulaires au demeurant fort peu explicites, alors que les enjeux sont importants pour les finances publiques mais aussi pour le respect du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques.

Il est donc arrivé à la conclusion que le « verrou de Bercy » n'avait plus lieu d'être .

Sur sa proposition et conformément au principe posé par le Conseil constitutionnel, la commission a remplacé le « verrou de Bercy » par une transmission obligatoire au parquet des dossiers issus du contrôle fiscal les plus graves, c'est-à-dire lorsqu'ils respectent trois critères cumulatifs :

- des pénalités de 80 % au moins ont été appliquées sur un dossier issu du contrôle fiscal ;

- le montant des droits fraudés est supérieur à un seuil qui sera fixé par décret en Conseil d'État ;

- enfin, soit le contribuable a déjà commis les mêmes faits au cours des années récentes, soit ceux-ci relèvent de la fraude fiscale aggravée au sens du code général des impôts (acte commis en bande organisée, comptes ouverts à l'étranger, recours à des prête-noms ou à une fausse identité, domiciliation fictive à l'étranger...).

Par principe, l'administration sera tenue de déposer plainte lorsque ces critères sont réunis . Si toutefois des motifs propres au dossier justifient selon elle que le dossier ne fasse pas l'objet de poursuites, elle ne déposera pas plainte mais en informera le Parquet. Celui-ci pourra alors décider dans tous les cas de l'opportunité ou non d'engager les poursuites.

Ce mécanisme supprime donc le risque que l'administration « garde pour elle » des dossiers qui justifieraient, en raison de leur gravité ou de leur exemplarité, une transmission à l'autorité judiciaire.


* 20 Voir le rapport n° 446 (2017-2018) de M. Jérôme Bascher, fait au nom de la commission des finances, sur la proposition de loi renforçant l'efficacité des poursuites contre les auteurs d'infractions financières et supprimant le « verrou de Bercy », 18 avril 2018.

* 21 Rapport d'information de la mission d'information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, Assemblée nationale, 23 mai 2018.

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