III. LA POSITION DE LA COMMISSION : APPROFONDIR ET COMPLÉTER LE PROJET DE LOI
A. ADOPTER LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI, RENFORCER LEUR EFFICACITÉ, ET GARANTIR LEUR SÉCURITÉ JURIDIQUE
1. Sur le renforcement des moyens et des procédures
Sur le principe, l'esprit de ce texte - le renforcement de la lutte contre la fraude - ne peut être que partagé et les dispositions qui relèvent de la commission des finances sont globalement accueillies favorablement .
Toutefois, force est de constater que les différents dispositifs proposés par le Gouvernement , s'ils ne sont pas en eux-mêmes contestables, sont en réalité bien souvent de portée modeste .
Ils pourraient à tout le moins être améliorés, et surtout complétés . C'est ce qui a guidé le travail de votre rapporteur qui a abouti aux amendements adoptés par la commission des finances.
S'agissant tout d'abord de la lutte contre les logiciels dits « permissifs » (article 2), qui permettent de dissimuler des recettes, des transactions ou des flux de marchandises, on peut regretter que l'extension aux agents des douanes ne porte que sur le volet « éditeurs » du dispositif, qui permet à l'administration d'obtenir communication du code-source des logiciels, ou à défaut d'infliger des sanctions à leurs éditeurs.
Dans la mesure où les agents des douanes sont susceptibles d'avoir à connaître de cas d'utilisation de logiciels de caisse frauduleux par des commerçants, notamment dans le cadre de contrôles sur les contributions indirectes (débits de tabacs, de boissons alcooliques etc.), la commission a donc également étendu à la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) le volet « utilisateurs » du dispositif , qui fait obligation aux commerçants d'utiliser des logiciels de caisse certifiés.
À l'article 3 relatif à la transmission d'informations entre les administrations, la commission a également adopté, à l'initiative de Nathalie Goulet, un dispositif permettant aux agents des douanes de vérifier si les voyageurs qui sollicitent une restitution de la TVA sur leurs achats en France remplissent bien la condition de non-résidence fiscale.
S'agissant de la transmission automatique des revenus par les plateformes en ligne (article 4), la commission ne peut que se féliciter de la reprise de ce dispositif, qui constitue la reconnaissance par le Gouvernement des travaux conduits depuis plusieurs années par son groupe de travail sur la fiscalité et le recouvrement de l'impôt à l'heure de l'économie numérique, notamment à l'occasion de son rapport n° 481 (2016-2017) du 29 mars 2017, intitulé « La fiscalité de l'économie collaborative : un besoin de simplicité, d'unité et d'équité 19 ( * ) ».
Dans le détail, ce dispositif appelle toutefois quelques réserves , la principale tenant à la nature des informations qui seront demandées afin d'assurer l'identification des utilisateurs. Il convient à cet égard d'adopter une approche graduée, et de réserver la demande et la vérification du numéro fiscal, de loin la plus efficace mais sans doute aussi la plus lourde, aux utilisateurs présentant des enjeux significatifs , c'est-à-dire dont les revenus annuels excèderaient un certain seuil, dont la fixation revient au pouvoir réglementaire.
La commission a apporté une série d'améliorations au dispositif , afin notamment que les informations transmises puissent alimenter directement la déclaration pré-remplie des contribuables , et qu'elles ne se limitent pas à un simple outil de recoupement dans le cadre de contrôles ponctuels. Cela suppose, notamment, que les plateformes précisent de manière simple la qualification des revenus déclarés quand elles en ont connaissance (bénéfices industriels et commerciaux ou bénéfices non commerciaux, biens ou services, mais aussi revenus exonérés tels que le partage de frais ou les ventes d'occasion), comme le font d'ailleurs les autres tiers déclarants (établissements financiers, employeurs etc.).
Elle a également étendu la transmission automatique aux organismes de sécurité sociale , sur proposition de notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales.
Complémentaire de la déclaration automatique, un abattement de 3 000 euros bénéficiant aux revenus perçus via des plateformes et déclarés automatiquement par celles-ci a également été adopté. Celui-ci avait déjà été adopté par le Sénat à plusieurs reprises et à une large majorité. Son objectif est double :
- d'une part, il incite les utilisateurs à choisir des plateformes qui respectent cette obligation , dans un contexte où son respect par les plateformes étrangères est encore incertain, et où l'administration ne dispose de toute façon pas des moyens nécessaires au contrôle des centaines de plateformes existantes : l'incitation complète ici utilement la sanction ;
- d'autre part, il permettra de simplifier la fiscalité applicable aux petits compléments de revenus occasionnels des particuliers , imposables au premier euro. Dans le monde « physique », cela ne posait pas de problème : ces sommes passaient le plus souvent « sous le radar ». Mais demain l'administration connaîtra tous les revenus à l'euro près, et ne pourra pas perdre son énergie pour les montants les plus faibles : le temps est venu de simplifier les choses, comme l'ont fait plusieurs autres pays européens (Royaume-Uni, Belgique, Italie, Danemark etc.).
2. Sur le renforcement des sanctions
S'agissant de l'extension du « name and shame » aux sanctions administratives prononcées en matière fiscale, prévue à l'article 6, un aménagement du dispositif a paru indispensable à votre commission.
D'abord, ainsi que l'avait souligné le Conseil d'État dans son avis sur le présent projet de loi, la création d'une commission spécifique chargée d'apprécier la justification de la décision de l'administration de rendre publique une sanction prononcée à l'encontre d'une personne morale ne s'impose pas . Aussi votre commission a-t-elle supprimé cette disposition en confiant cette mission à la commission des infractions fiscales (CIF).
Surtout, compte tenu de l'écho que serait susceptible de recevoir une sanction fiscale rendue publique et des conséquences qu'elle pourrait entraîner pour l'image d'une entreprise, votre commission a adapté le dispositif afin de permettre la publication des sanctions une fois qu'elles sont devenues définitives . Sans cela, une personne morale pourrait être publiquement sanctionnée à tort et le préjudice porté à son image pourrait être difficile à corriger.
De même, plusieurs améliorations ont été apportées au mécanisme de sanction des intermédiaires exerçant une profession de conseil juridique, comptable ou financier prévu à l'article 7 .
La liste des prestations pouvant conduire à prononcer une amende, fixée de manière non limitative et juridiquement imprécise, a été clarifiée .
Surtout, votre commission a relevé les difficultés induites par le fait que la sanction de l'intermédiaire puisse intervenir parallèlement à celle appliquée au contribuable , alors que celui-ci pourrait la contester sur le fond et obtenir gain de cause. Il convient également de préserver le respect du droit au recours de chacun.
C'est pourquoi votre commission a prévu que la sanction à l'encontre du tiers ne saurait intervenir qu'à condition que la sanction initiale prononcée à l'égard de son client soit devenue définitive .
S'agissant enfin de l'ajout des pays de la liste européenne des paradis fiscaux à la liste des États et territoires non coopératifs (ETNC) (article 11), l'examen détaillé du projet de loi fait apparaître un contraste saisissant entre la présentation des choses et leur réalité . En effet, les deux listes ne comportent chacune que sept États, dont aucun n'est un centre majeur de la finance mondiale. En outre, seuls les pays de la liste européenne qui ne respectent pas le critère dit « offshore » se verraient appliquer l'ensemble des sanctions prévues pour les ETNC, les autres n'en subissant qu'une petite partie (6 sur 24).
Dans ces conditions, « l'élargissement » de la liste se résume à l'ajout de l'archipel de Palaos , dont le poids financier n'est pas significatif, et auquel la France n'a jamais adressé la moindre demande d'information au cours des dernières années.
La moindre des choses est sans doute d'inclure, parmi les critères de la liste française, celui de l'échange automatique d'informations , et non plus à la demande. C'est le sens d'un amendement adopté par la commission, qui a également amélioré l'information du Parlement sur les motifs justifiant un ajout ou retrait.
* 19 Rapport n° 481 (2016-2017) du 29 mars 2017, « La fiscalité de l'économie collaborative : un besoin de simplicité, d'unité et d'équité », fait par MM. Éric Bocquet, Michel Bouvard, Michel Canevet, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, André Gattolin, Charles Guené, Bernard Lalande et Albéric de Montgolfier au nom de la commission des finances.