N° 474
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018
Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 mai 2018 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de résolution européenne présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur la régulation des objets connectés et le développement de l' internet des objets en Europe ,
Par M. Jean-Marie JANSSENS,
Sénateur
et TEXTE DE LA COMMISSION
(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Martial Bourquin, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, M. Alain Bertrand, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool , vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mmes Michelle Gréaume, Annie Guillemot, MM. Xavier Iacovelli, Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mme Patricia Morhet-Richaud, MM. Robert Navarro, Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, MM. Dominique Théophile, Jean-Claude Tissot . |
Voir les numéros :
Sénat : |
361 et 429 (2017-2018) |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Conformément à l'article 73 quinquies du règlement du Sénat, votre commission des affaires économiques est chargée d'examiner la proposition de résolution européenne n° 361 (2017-2018) déposée le 15 mars 2018 par Mme Catherine Morin-Desailly sur la régulation des objets connectés et le développement de l'internet des objets en Europe.
Cette proposition de résolution est la troisième étape d'une démarche engagée par son auteure - par ailleurs présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication - depuis plusieurs années en vue de renforcer le poids de l'Union européenne et de ses États membres dans l'écosystème numérique mondial. Ainsi, après la publication d'un rapport d'information sur la gouvernance de l'internet 1 ( * ) ayant donné lieu à l'adoption d'une première résolution 2 ( * ) , Mme Morin-Desailly a été à l'initiative d'une récente résolution du Sénat sur la politique de concurrence face au numérique 3 ( * ) .
Sur invitation du président de la commission des affaires européennes, M. Jean Bizet, et de la présidente de la commission des affaires économiques, Mme Sophie Primas, le rapporteur de la commission des affaires européennes, M. André Gattolin, et votre rapporteur ont mené des auditions en commun, afin de pouvoir harmoniser leurs points de vue, qui se retrouvent dans le rapport de la commission des affaires européennes . Aussi le présent rapport revient sur la position adoptée par les rapporteurs tout en éclairant plus particulièrement certains points qui apparaissent intéressants à souligner devant votre commission des affaires économiques.
Comme le remarque le rapport de la commission des affaires européennes, « la proposition de résolution dresse un constat juste et présente des demandes exigeantes ». Ainsi, en termes généraux, les rapporteurs partagent le point de vue selon lequel les enjeux soulevés par la proposition de résolution européenne sont d'une importance absolument majeure , aussi bien pour notre économie que pour la protection de nos libertés publiques. Ces enjeux sont les suivants : émergence d'une industrie européenne, cybersécurité, et protection des données à caractère personnel 4 ( * ) . Ils s'appliquent d'ailleurs au secteur numérique dans son ensemble. Mais le fait de consacrer une résolution aux objets connectés permet de souligner que ces enjeux seront amplifiés par l'essor de ces objets.
La proposition de résolution adoptée par la commission des affaires européennes résulte d'une démarche commune aux rapporteurs des deux commissions. En conséquence, votre rapporteur n'a pas souhaité proposer à votre commission d'y apporter d'autres ajustements que le fait d'insister, dans les demandes qu'elle formule, sur l'importance de la mise en place rapide d'une stratégie industrielle européenne incluant l'internet des objets.
LES OBJETS CONNECTÉS : UNE OPPORTUNITÉ POUR L'INDUSTRIE EUROPÉENNE DU NUMÉRIQUE
La proposition de résolution met l'accent, aussi bien dans l'exposé des motifs que dans son dispositif, sur l'importance de développer les filières industrielles liées à l'internet des objets.
Si le sujet des objets connectés en lui-même est particulièrement vaste, il constitue un élément du défi économique que pose l'essor du numérique aux entreprises européennes.
LES OBJETS CONNECTÉS, LEVIERS D'OPTIMISATION POUR LES PROFESSIONNELS COMME POUR LES PARTICULIERS
Les objets connectés sont, selon le livre blanc sur l'internet des objets publié en 2016 par diverses autorités publiques françaises sous l'égide de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), des objets physiques qui « possèdent des technologies embarquées de capteurs, d'intelligence et de connectivité, leur permettant de communiquer avec d'autres objets ». En conséquence, le champ des possibles en matière d'objets connectés est infini.
Ce livre blanc précise que l'internet des objets recouvre également deux autres éléments que sont les réseaux de communications électroniques, qui permettent de transporter les données issues des objets, et l'informatique, qui apporte les outils pour le stockage, la corrélation et l'analyse de ces données. La proposition de résolution européenne n'aborde pas le volet relatif aux réseaux de communications électroniques 5 ( * ) et n'aborde, que sous certains angles, le volet informatique.
Les objets connectés permettent de réduire des coûts ou d'améliorer des capacités, aussi bien pour les particuliers que pour les professionnels. Pour les particuliers , les premiers objets connectés visaient essentiellement la « quantification » de soi : il s'agissait de bracelets ou de petits capteurs de type podomètre, principalement destinés à mesurer le nombre de pas, les calories dépensées ou le sommeil, avant que n'apparaissent les montres connectées. La croissance du marché de ce type d'objets est aujourd'hui relativement faible, leur utilité étant diversement appréciée par les consommateurs 6 ( * ) . Ont ensuite émergé les objets liés à l'habitat, comme les ampoules ou les thermostats connectés. Aujourd'hui, les enceintes intelligentes se déploient au sein des foyers. Elles sont capables de répondre à des questions, à la manière d'un moteur de recherche, mais également d'effectuer des achats en ligne, ou encore de commander les autres objets connectés de la maison. Selon une étude du cabinet GBH Insight publiée par USA today en fin d'année dernière, après les téléphones intelligents iPhone et Samsung Galaxy S8 et Note 8, ce sont les enceintes connectées Amazon Echo et les montres Apple Watch qui se sont le plus vendues parmi les produits technologiques de grande consommation en 2017 aux États-Unis 7 ( * ) .
On trouve également de très nombreux exemples d'objets connectés dans tous les secteurs d'activité professionnelle . Il s'agit alors principalement de développer des réseaux de capteurs sans fils qui communiquent des données afin qu'elles soient analysées et transformées en informations utiles pour la production. Les chaînes de logistique et de distribution ont été les premières à intégrer des puces électroniques dans les produits afin d'en assurer la traçabilité et d'optimiser leur activité, notamment les opérations de maintenance et les consommations d'énergie.
On peut également citer l'exemple du secteur agricole , dans lequel les objets connectés dotés de capteurs permettent la surveillance permanente d'une constante en vue de donner l'alerte en cas de problème : c'est notamment le cas des sondes thermiques qui avertissent d'un échauffement dans un stock de paille. Surtout, les capteurs permettent de répondre aux besoins de l'agriculture de précision, à travers un suivi régulier des cultures 8 ( * ) . On peut, par exemple, imaginer des capteurs de suivi d'humidité communiquant avec un pivot qui piloterait au plus juste les apports d'eau selon les besoins réels des différentes zones d'une parcelle. Un rapport commandé en 2015 par le Gouvernement soulignait d'ailleurs l'importance du développement des objets connectés pour améliorer l'efficacité comme l'impact environnemental de l'agriculture française 9 ( * ) . De même, le rapport du think tank Renaissance numérique sur l'agriculture connectée reste un document de référence pour se renseigner sur le sujet, notamment en ce qui concerne les entreprises qui fournissent des services numériques aux agriculteurs 10 ( * ) .
Des études conduites par l'entreprise OnFarm, qui commercialise une plateforme d'objets connectés pour l'agriculture, estiment que l'utilisation de l'internet des objets augmente en moyenne le rendement de 1,75 %, réduit le coût de l'énergie de 7 à 13 dollars par acre et diminue le volume d'eau utilisé pour l'irrigation de 8 % 11 ( * ) . L'Organisation des Nations Unies pour l'agriculture et l'alimentation a également publié des exemples d'utilisation de l'internet des objets en agriculture et promeut l'agriculture connectée 12 ( * ) . Enfin, comme le montre l'encadré ci-dessous, l'Union européenne a fait de l'internet des objets en matière agricole un axe de recherche et de développement.
LE PROJET EUROPÉEN « IOF 2020 » Le projet IoF 2020 (pour « Internet of Food and Farm 2020 »), a été lancé dans le cadre du programme-cadre de recherche de l'Union européenne intitulé Horizon 2020 13 ( * ) |
en vue de favoriser l'adoption à grande échelle des appareils et réseaux intelligents dans l'agriculture et le secteur alimentaire européens. Doté d'un budget de 35 millions d'euros, il est constitué de projets pilotes menés dans différentes régions européennes, dont trois en France 14 ( * ) , et couvrant de nombreux sous-secteurs comme les fruits, les laitages, les légumes, la viande et l'agriculture arable. Plus de 70 partenaires sont impliqués, regroupant environ 200 chercheurs. En septembre dernier, la Commission européenne communiquait par exemple les résultats d'un projet pilote situé à Boigneville, dans le département de l'Essonne, et portant sur l'utilisation de capteurs en vue de réduire l'utilisation d'eau et d'azote pour la culture du blé 15 ( * ) . |
On soulignera également que les objets connectés concernent aussi les collectivités territoriales, en ce qu'ils constituent l'une des briques technologiques essentielles des villes intelligentes 16 ( * ) , aussi bien pour la gestion de l'espace public que pour les applications liées à des services publics. La ville d'Oslo a, par exemple, installé 10 000 lampadaires connectés capables d'ajuster le niveau d'éclairage selon l'heure du coucher du soleil, la luminosité et le trafic routier 17 ( * ) .
* 1 L'Europe au secours de l'Internet : démocratiser la gouvernance de l'Internet en s'appuyant sur une ambition politique et industrielle européenne, Rapport d'information de Mme Catherine Morin-Desailly, fait au nom de la MCI sur la gouvernance mondiale de l'Internet, n° 696 tome I (2013-2014) - 8 juillet 2014
* 2 Résolution européenne du Sénat en date du 30 juin 2015 pour une stratégie européenne du numérique globale, offensive et ambitieuse.
* 3 Résolution européenne du Sénat en date du 8 septembre 2017 pour une réforme des conditions d'utilisation des mesures conservatoires prévues par le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence.
* 4 C'est-à-dire liées à une personne identifiée ou identifiable : selon l'article 4§1 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE on entend par données à caractère personnel « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (...) »
* 5 Le livre blanc précité retrace de façon exhaustive l'ensemble des enjeux qui lui sont relatifs.
* 6 Selon une étude du cabinet eMarketer publiée en décembre dernier sur l'adoption des « wearables » par les américains, moins de 20% d'entre eux utiliseront un « wearables » au cours de l'année 2018.
* 7 https://www.usatoday.com/story/tech/talkingtech/2017/12/29/iphone-once-again-top-tech-best-selling-product-2017/987850001/
* 8 Selon une étude (Christophe Castro, « Les agriculteurs ont l'oeil... numérique », Inrialty, 27 février 2012), les capteurs Libelium, implantés chez des vignerons espagnols, ont ainsi permis une réduction de 20 % des pesticides utilisés et une amélioration de 15 % de la production.
* 9 Mission gouvernementale « Agriculture Innovation 2025 », 30 projets pour une agriculture compétitive et respectueuse de l'environnement, octobre 2015.
* 10 Renaissance numérique, Les défis de l'agriculture connectée dans une société numérique, novembre 2015.
* 11 http://www.businessinsider.fr/us/internet-of-things-smart-agriculture-2016-10.
* 12 Organisation des Nations Unies pour l'agriculture et l'alimentation, E-agriculture in action, 2017
* 13 Les programmes cadres européen de recherche et développement constituent le principal instrument européen de financement de la recherche et de l'innovation en Europe. S'étalant sur plusieurs années, l'actuel programme, intitulé « Horizon 2020 », est en vigueur depuis 2014 jusqu'à 2020.
* 14 Une cartographie de ces cas d'utilisation est disponible à l'adresse suivante : https://www.iof2020.eu/trials.
* 15 https://cordis.europa.eu/news/rcn/128553_fr.html.
* 16 Pour quelques exemples en la matière, voir le rapport d'information fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat par MM. Jacques Mézard et Philippe Mouiller sur les nouvelles technologies au service de la modernisation des territoires, n° 509 (2016-2017), 19 avril 2017.
* 17 http://www.strategie.gouv.fr/actualites/smart-cities-faut-partir-besoins-usages-citoyens.