PREMIÈRE PARTIE : L'APPROFONDISSEMENT DE LA COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE FRANCO-ALLEMANDE POLICIÈRE ET DOUANIÈRE
I. UNE COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE FRANCO-ALLEMANDE EN MATIÈRE POLICIÈRE ET DOUANIÈRE EXEMPLAIRE
La coopération transfrontalière policière et douanière franco-allemande s'inscrit dans le cadre d'une relation bilatérale franco-allemande intense qui se traduit par une concertation constante entre les deux Etats sur les questions bilatérales, européennes et internationales - le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) et le ministère fédéral des affaires étrangères allemand ont des échanges quotidiens -.
Au plan politique, la relation bilatérale est notamment encadrée par le traité de l'Elysée du 22 janvier 1963, dont le Président de la République a annoncé la rénovation lors de son discours de la Sorbonne afin de l'adapter aux enjeux du 21 ème siècle. Cet instrument organise des rencontres régulières au niveau politique et institutionnel entre la France et la République fédérale d'Allemagne comme une réunion des ministres des affaires étrangères au moins tous les trois mois, des rencontres régulières entre autorités responsables des deux pays dans les domaines de la défense, de l'éducation et de la jeunesse. En pratique, un conseil des ministres franco-allemand se réunit en moyenne une fois par an et des ministres de chaque pays interviennent régulièrement au conseil des ministres du pays partenaire. Compte tenu de la densité des relations économiques entre les deux pays - l'Allemagne est en effet notre premier partenaire commercial - des structures de concertation au niveau économique et financier sont venues s'ajouter au fil du temps.
La France et l'Allemagne partageant quelque 450 kilomètres de frontière commune qui s'étend, côté allemand, sur trois Länder (Sarre, Rhénanie-Palatinat et Bade-Wurtemberg) et, côté français, sur la région Grand Est (départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle), la coopération transfrontalière est dense et dynamique.
Au plan local, la coopération transfrontalière est très active. Selon les informations transmises par les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) 1 ( * ) , il existe un dialogue transfrontalier entre la préfecture de région et ses interlocuteurs allemands mais aussi entre l'ensemble des administrations concernées de part et d'autre de la frontière. Depuis 2013, trois conférences sur la coopération transfrontalière, rassemblant également les collectivités et la société civile, se sont tenues à Sarrebruck en 2013, à Metz en 2015 et au château de Hambach dans le Palatinat allemand en 2017.
La coopération transfrontalière est également structurée dans le cadre de l'espace du Rhin supérieur ainsi qu'en Euro-districts pour les agglomérations frontalières comme Strasbourg-Ortenau.
En 2015, près de 48 000 personnes résidant sur le territoire de la région Grand Est traversaient quotidiennement la frontière pour travailler en Allemagne.
1. Le cadre juridique
La coopération transfrontalière policière franco-allemande repose sur des sources de droit de natures diverses : accords bilatéraux, droit de l'Union européenne (UE), conventions internationales et régionales. Le droit de l'UE joue désormais un rôle prépondérant tandis que les accords bilatéraux jouent principalement un rôle subsidiaire d'approfondissement de formes et de mécanismes spécifiques de coopération.
S'agissant du droit européen , le renforcement de l'espace Schengen et de la création d'un espace européen de liberté, de sécurité et de justice repose principalement sur :
- la Convention d'Application de l'Accord de Schengen (CAAS) du 19 juin 1990, entrée en vigueur au 26 mars 1995 et intégrée dans le droit de l'UE au titre de « l'acquis de Schengen » 2 ( * ) ;
- la décision-cadre 2006/960 du Conseil du 18 décembre 2006 relative à la simplification de l'échange d'informations et de renseignements entre les services répressifs des États membres de l'Union européenne (« initiative suédoise ») ;
- et la décision du Conseil de l'Union européenne 2008/615/JAI du 23 juin 2008 relative à l'approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière et la migration illégale, qui a transcrit dans l'ordre juridique de l'UE la plupart des dispositions du traité dit « de Prüm » 3 ( * ) , signé le 27 mai 2005, par sept États de l'Union européenne dont la France et l'Allemagne.
S'agissant des accords bilatéraux, la coopération policière transfrontalière repose essentiellement sur l'accord relatif à la coopération dans leurs zones frontalières entre les autorités de police et douanières dit « Accord de Mondorf », signé à Mondorf-les-Bains (Luxembourg), le 9 octobre 1997. Entré en vigueur le 1 er avril 2000, cet accord, qui s'est substitué à cette date à l'accord intergouvernemental relatif à la coopération policière franco-allemande dans la zone frontalière signé en 1977, a notamment ouvert le champ de la coopération à l'ensemble des domaines de l'action policière et douanière et à compléter la liste des services compétents pour la mise en oeuvre de cette coopération. II a en outre permis la création du centre de coopération policière et douanière (CCPD) de Kehl 4 ( * ) ainsi que le développement d'une coopération directe entre services opérationnels de police et douane dans la zone frontalière. Il a également offert une panoplie extrêmement riche d'outils de coopération directe entre services opérationnels comme des patrouilles mixtes, des centres de commandement communs, la coordination du déploiement des forces et des informations réciproques en matière de recherche.
Le cadre juridique de la coopération policière franco-allemande repose par ailleurs sur un ensemble d'outils bilatéraux complémentaires , reflétant les développements thématiques de la coopération bilatérale et transfrontalière entre les deux États. Il s'agit principalement de :
- la Convention entre la France et l'Allemagne relative aux bureaux de contrôle nationaux juxtaposés et aux gares communes d'échange à la frontière franco-allemande, signée le 18 avril 1985 ;
- l'Accord intergouvernemental relatif à la coopération dans l'exercice des missions de police de la navigation sur le secteur franco-allemand du Rhin, signé le 10 novembre 2000 ;
- l'Accord intergouvernemental relatif à la réadmission et au transit des personnes en situation irrégulière, signé le 10 février 2003, et son protocole d'application signé le 19 septembre 2005 ;
- l'Arrangement technique entre le ministre de la Défense de la République française, d'une part, et le ministre de l'Intérieur du Land de Bade-Wurtemberg, le ministre de l'Intérieur du Land de Rhénanie-Palatinat et le conseiller d'État, chef du département des Affaires économiques et sociales du canton de Bâle-Ville, d'autre part, relatif à l'utilisation commune d'un sonar par la région de gendarmerie d'Alsace et ses homologues allemands et helvétiques, signé le 15 septembre 2006 ;
- et de la Déclaration commune relative au renforcement des patrouilles mixtes à bord des trains circulant dans les zones frontalières et sur les axes internationaux, signée les 2 et 6 juin 2016.
2. Un bilan très positif
La coopération policière transfrontalière entre la France et l'Allemagne est particulièrement riche et dynamique. Elle porte à la fois dans les domaines de la sécurité publique, de la police aux frontières et de la police judiciaire. Elle revêt un caractère opérationnel particulièrement marqué.
Les services du ministère de l'intérieur 5 ( * ) ont fait connaître à votre rapporteur les informations suivantes.
Sur le plan de la coopération technique , il existe une multitude d'actions dans la zone frontalière, qu'il s'agisse de formations linguistiques, d'échanges d'expertises et de bonnes pratiques ou de formations communes à finalités directement opérationnelles.
Ainsi la formation linguistique TANDEM est proposée depuis 2012 aux services de police et unités de gendarmerie du Bas-Rhin et aux services du Land de Bade-Wurtemberg . Elle s'effectue en binômes franco-allemands ayant des fonctions comparables et privilégie la prise de contact et l'immersion dans les services. Depuis 2012, 17 policiers et gendarmes français ont bénéficié de telles formations (unités motocyclistes, services de voie publique, enquêteurs spécialisés, unités d'intervention de premier niveau, etc.).
Des formations communes d'équipes de plongeurs avec les Länder de Rhénanie-Palatinat et de Bade-Wurtemberg permettent en outre de renforcer les capacités d'appui au profit des unités de sécurité publique et de police judiciaire.
Dans le domaine de la police judiciaire , l'Euro-Institut de Kehl dispense des séminaires de formation inter-services franco-allemande qui s'adressent aux enquêteurs d'unités de recherches et des unités territoriales frontalières. Des formations sont également dispensées par les CCPD de Kehl ou de Luxembourg au profit des unités.
S'agissant des services français et allemands en charge de missions de police aux frontières , des formations communes sont réalisées depuis le début de l'année 2016 (2 au CCPD de Kehl en 2016 et 3 en 2017 à Metz, Strasbourg et Paris). 47 policiers français ont bénéficié de ces formations, dont les thématiques portaient notamment sur le code pénal et le code de procédure pénale des deux pays, la mise en oeuvre des patrouilles mixtes franco-allemandes et la lutte contre la fraude documentaire.
Enfin, des exercices transfrontaliers communs , des séminaires et des stages de découvertes au sein des différentes forces de police se sont développés ces dernières années.
S'agissant de la coopération en matière de sécurité publique , des services communs franco-allemands sont régulièrement mis en oeuvre, ce qui permet à des agents des forces de l'ordre de chaque pays de participer à des opérations sur le territoire voisin. Les forces des deux pays assurent ainsi un service de prévention d'un côté ou de l'autre de la frontière par le biais de patrouilles mixtes . En 2016, les unités de la gendarmerie nationale ont réalisé ainsi 256 patrouilles mixtes en zone frontalière. Il faut également noter l'initiative portée par la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP)-67 dans le cadre de l'Euro-district Strasbourg-Ortenau en matière de patrouilles cyclistes , qui a donné lieu à la réalisation de 59 patrouilles mixtes à Kehl et à Strasbourg en 2016. Des contrôles routiers ciblés sont également organisés conjointement de part et d'autre de la frontière, à des fins de lutte contre l'insécurité routière mais également contre les vols avec effraction ou le transport illégal de déchets.
Depuis leur création et compte tenu du fait que le Rhin constitue un fleuve international au sens du droit international, les unités fluviales françaises et allemandes entretiennent et développent de longue date une coopération opérationnelle privilégiée. Ce partenariat a abouti en 2011 à la création à titre expérimental de la première unité mixte fluviale au niveau européen , qui devrait être pérennisée au travers de la signature d'un accord bilatéral spécifique. Compétente sur les 182 km du Rhin franco-allemand, cette unité assure une mission de surveillance générale sur le Rhin, de contrôle de la navigation et de prévention et de répression des infractions commises sur le fleuve et à ses abords.
S'agissant de police aux frontières , des patrouilles communes sont organisées sur les réseaux routier et ferroviaire. Sur le réseau ferroviaire, des patrouilles communes sont organisées depuis octobre 2006 dans les départements du Bas-Rhin, Haut-Rhin et de la Moselle et dans les Länder de Sarre, de Rhénanie-Palatinat et de Bade-Wurtemberg. Depuis mars 2017, des contrôles communs sont en outre mis en place sur les points de passage frontaliers afin de lutter contre l'immigration irrégulière utilisant le vecteur routier, notamment les autocars de lignes internationales.
Sur le fondement de la décision 2008/615/JAI précitée, des opérations communes dites « brigades européennes » ou « commissariats européens » ont été par ailleurs constituées dans un but préventif, à l'occasion des manifestations de grande envergure ou pour appuyer les unités territoriales dans des zones d'affluence saisonnière . 7 brigades européennes ont ainsi été organisées au profit des unités de gendarmerie de la zone frontalière en 2016. La DDSP-67 est sollicitée chaque année pour mettre à disposition des policiers au profit de Länder à l'occasion de manifestations accueillant un nombre important de ressortissants français comme le festival rock « Rock-am-Ring .
S'agissant de la coopération en matière de police judiciaire , la qualité des relations établis entre services opérationnels se conjugue avec celle des liens entre les autorités judiciaires des deux pays .
La coopération directe entre les unités frontalières se concrétise en particulier par le recueil et l'échange de renseignements d'ordre public et d'intérêt judiciaire, permettant à celles-ci d'adapter leur action opérationnelle et de définir des stratégies coordonnées, voire communes de lutte contre des formes de criminalité transfrontalières . Ces échanges, qui peuvent s'effectuer de manière directe mais auxquels les CCPD ont vocation à être associés constituent un levier majeur d'amélioration de l'efficacité opérationnelle des services pour un meilleur service rendu aux populations frontalières et une plus grande sécurité des flux transfrontaliers.
Différents mécanismes de concertation régulière ont été mis en place, dans cette perspective, entre services opérationnels de la zone frontalière :
- le mécanisme dit « Petit-Schengen » qui est la plus ancienne réunion semestrielle des forces de sécurité et de douane franco-allemandes situées dans la partie nord de la bande rhénane. Il permet des échanges réguliers entre services opérationnels et autorités judiciaires des deux pays sur les phénomènes de délinquance les plus significatifs et les modes d'investigation et de coopération les plus pertinents ;
- les réunions mensuelles tri-nationales dites « TRINAT » qui sont organisées depuis 1995 dans le cadre de la Conférence du Rhin Supérieure et qui permettent des échanges réguliers entre services opérationnels français, allemands et suisses. Ce mécanisme était initialement centré sur la zone de police allemande de Freiburg, les cantons suisses de Bâle-Ville et Bâle-Campagne et le département français du Haut-Rhin mais sa zone géographique s'est élargie depuis 2015 à la zone de police allemande de Karlsruhe, au canton suisse d'Argovie et au département français du Bas-Rhin. Ces réunions s'organisent de manière modulaire, en fonction des thématiques traitées et des priorités opérationnelles des services.
Dans le cadre de la création de l'Euro-district Strasbourg / Ortenau en 2011, un groupe d'experts dédié à la prévention et à la sécurité a été constitué au sein de ce groupement européen de coopération territoriale, associant notamment la DDSP-67, la Direction départementale de la police aux frontières (DDPAF)-67, le Groupement de gendarmerie départementale (GGD)-67, le CCPD de Kehl, le Polizeipräsidium d'Offenburg et les services locaux de la Bundespolizei ainsi que des représentants des collectivités territoriales et des parquets, afin de permettre l'émergence d'une approche intégrée des questions de sécurité à l'échelle de ce bassin de populations.
Enfin, les services opérationnels créent de plus en plus souvent des structures de coordination et d'échanges d'informations sur une base ponctuelle , afin de renforcer leur coopération contre des formes de criminalité spécifiques ou des modes opératoires particuliers.
* 1 Réponse du Gouvernement au questionnaire de la commission et audition du 18 janvier 2018.
* 2 Pour mémoire, le pendant de la CAAS pour la coopération douanière est la convention dite « Naples II » (convention établie sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, relative à l'assistance mutuelle et à la coopération entre les administrations douanières, signée à Bruxelles le 18 décembre 1997).
* 3 Conclu entre la France, la Belgique, l'Allemagne, l'Espagne, les Pays-Bas et l'Autriche.
* 4 Un accord quadripartite (France, Belgique, Luxembourg, Allemagne) de coopération policière et douanière signé le 24 octobre 2008 et entré en vigueur le 1 er décembre 2014, a par ailleurs permis la création d'un CCPD à Luxembourg.
* 5 Réponses du Gouvernement au questionnaire de la commission et audition du 18 janvier 2018.