II. PLAN ÉTUDIANTS : ENTRE ESPOIRS ET INQUIÉTUDES
Dans sa déclaration de politique générale prononcée le 4 juillet 2017, le Premier ministre s'était ému du recours au tirage au sort dans 169 licences publiques : « Enfin, scandale absolu, des bacheliers, y compris parmi les plus méritants, se retrouvent exclus par tirage au sort des filières universitaires qu'ils ont choisies. Où est l'égalité ? Où est le mérite ? Où est la République ? Nous ne pouvons plus accepter » .
Une intense concertation a été engagée par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation avec les acteurs de l'enseignement supérieur et de l'enseignement scolaire. Onze groupes de travail se sont réunis pendant trois mois, entre juillet et octobre 2017, et leurs travaux ont abouti à un rapport général remis à la ministre par le recteur Daniel Filâtre, le 19 octobre dernier. 29 ( * )
C'est sur la base de ce rapport que, le 30 octobre dernier , le Premier ministre a présenté un Plan Étudiants , comportant vingt mesures.
Les principales mesures du Plan Étudiants - « mieux accompagner l'orientation au lycée » par l'instauration d'un second professeur principal en classe de terminale, l'examen par le conseil de classe du projet d'orientation de chaque élève, et la formulation d'un avis communiqué ensuite aux établissements d'enseignement supérieur ; - « un accès plus juste et plus transparent dans le supérieur » par la suppression du tirage au sort, la définition d'« attendus » pour l'accès à chaque filière, et la possibilité pour un établissement de n'inscrire un candidat qu'à la condition qu'il accepte de bénéficier de certains dispositifs d'accompagnement ; - « une offre de formation post-baccalauréat sur mesure et rénovée » par la personnalisation des parcours de licence, le tutorat et la mise en place de dispositifs d'accompagnement pédagogiques ; - « des conditions de vie étudiante au service de la réussite » par le rattachement des nouveaux étudiants au régime général de la Sécurité sociale dès 2018 et un plan de 60 000 logements. |
Le Plan Étudiants contient des avancées qu'il faut saluer mais est aussi porteur d'inquiétudes. Votre rapporteur sera vigilant dans le suivi de sa mise en oeuvre afin qu'il remplisse véritablement son objectif de réussite des étudiants.
A. LE PLAN ÉTUDIANTS PRÉSENTE D'INDÉNIABLES AVANCÉES
1. Une meilleure orientation au lycée et le renforcement du continuum bac-3/bac+3
S'agissant des avancées, votre rapporteur salue les efforts faits en matière d'orientation au lycée, dans l'esprit du continuum bac-3/bac+3 qui, jusqu'à présent, n'avait pas connu de réelle concrétisation.
a) Le deuxième professeur principal
L'introduction en classe de terminale d'un deuxième professeur principal pour accompagner les élèves dans leur orientation est intéressante. Elle se heurte cependant, ainsi qu'on le voit dans les lycées actuellement, à la faiblesse du vivier de professeurs volontaires pour exercer cette mission 30 ( * ) . Il aurait pu aussi être choisi de maintenir un seul professeur principal par classe mais d'instaurer dans chaque établissement des référents spécialisés par type de formation (CPGE 31 ( * ) , IUT, STS, université).
Sur le choix de ce professeur principal comme interlocuteur privilégié des lycéens sur l'orientation , votre rapporteur ne peut que se réjouir. Ce sont ces professeurs, bien plus que les psychologues de l'Éducation nationale, qui sont les plus à même de conseiller les étudiants dont ils sont plus proches, dont ils connaissent mieux le profil et qui les accompagnent au quotidien 32 ( * ) .
Se pose néanmoins la question de leur formation initiale et continue sur les formations existantes et les métiers d'aujourd'hui et de demain. Une mission d'information de notre commission sur les ÉSPÉ avait d'ailleurs pointé du doigt l'insuffisante formation continue des professeurs 33 ( * ) .
b) Les « attendus »
La publication d'« attendus », interface entre l'enseignement scolaire et l'enseignement supérieur, permettront, au fil des années, aux élèves d'orienter leur parcours et le développement de leurs compétences dans une optique d'entrée dans le supérieur dès le début de leur scolarité au lycée.
Une étude de droit comparée du Sénat démontre que « rares sont les pays dans lesquels une qualification générale suffit pour s'inscrire dans l'université et la filière de son choix. Avant même de candidater et sans même entrer dans un processus sélectif, l'étudiant doit souvent faire preuve d'autres prérequis ou aptitudes spécifiques propres à attester de sa capacité à réussir dans un parcours donné à l'université. Le plus souvent il faut que le choix de la formation supérieure soit cohérent avec le profil des études secondaires (filières, options) » 34 ( * ) . Parmi les pays européens étudiés, seule la Belgique permet, comme la France, l'entrée à l'université sur une simple qualification générale, sans prérequis ou vérifications d'aptitudes particulières.
Le rapport de la mission d'information de votre commission demandait l'instauration de « prérequis ». La différence sémantique peut sembler mince avec les « attendus ». Néanmoins, votre rapporteur considère que les prérequis ont une dimension obligatoire, alors que les attendus peuvent n'être qu'informatifs.
c) Les autres dispositifs : semaines de l'orientation, avis du chef d'établissement, etc.
Le Plan Étudiants consacre également deux semaines à l'orientation en classe de terminale . Votre rapporteur y est bien évidemment favorable, estimant cependant que l'éventuelle orientation vers l'enseignement supérieur doit se travailler bien en amont, dès la classe de seconde et qu'il convient de prendre gare à la multiplication des « journées » et des « semaines » thématiques que l'on propose aux élèves et dont les intérêts relatifs doivent parfois être hiérarchisés.
Quant à l'avis que le chef d'établissement devra porter sur chacun des voeux de chacun des élèves de terminale, en concertation avec ses collègues enseignants, votre rapporteur y est également favorable considérant que le rôle de conseil et d'orientation fait partie intégrante de la mission de l'enseignant. Il ne faut cependant pas sous-estimer le caractère difficile de l'exercice ni la charge de travail que cela représentera pour les chefs d'établissement, amenés à formuler quelques 350 avis par conseil de classe 35 ( * ) ainsi que pour les professeurs principaux qui devront préparer ces avis.
Une fois dans le supérieur, l'orientation n'est pas terminée et le Plan Étudiants contient quelques innovations intéressantes pour poursuivre la démarche : directeurs d'études, modules de remédiation 36 ( * ) et individualisation des parcours. Votre rapporteur y est favorable, estimant que ces dispositifs vont enfin « mettre l'étudiant au coeur de l'université », dans un nouvel état d'esprit dont certaines universités se sont déjà emparées (notamment dans le cadre du plan « Réussite en licence » mis en place par Valérie Pécresse) mais qui doit encore être généralisé.
Des dispositifs de remédiation proches de la procédure de « oui si » prévue dans Parcoursup existent dans d'autres systèmes à l'étranger, par exemple en Italie où l'université peut imposer des formations supplémentaires à l'étudiant dont le diplôme serait insuffisant. Des examens y sont organisés par les universités, non pour bloquer les inscriptions mais pour attribuer des « dettes pédagogiques » aux étudiants qui devront alors remplir des « obligations de formation complémentaires à la discrétion des universités ». En Belgique également, pour les études vétérinaires, les candidats doivent participer à un test d'orientation « pour mesurer leurs connaissances et envisager des remises à niveau ou des activités préparatoires ». Aux Pays-Bas, certains programmes de licence peuvent imposer au candidat de se soumettre à une « procédure d'adéquation » qui débouche sur des recommandations (réorientation, renforcement) 37 ( * ) .
Le plan « Réussite en licence » de décembre 2007 L'objectif du plan pluriannuel de réussite en licence était de diviser par deux le taux d'échec en première année à l'université. Doté de 730 millions d'euros sur 2008-2012, soit une hausse de 43% des moyens en cinq ans, ce plan prévoyait un accompagnement personnalisé des étudiants : cinq heures hebdomadaires d'encadrement pédagogique supplémentaires par étudiant et pour chaque année de licence, un enseignant référent, du tutorat ... Le contenu de la licence était également rénové avec l'instauration d'une première année fondamentale davantage pluridisciplinaire et recentrée sur les fondamentaux. Ce plan reposait sur trois piliers : 1. Rénover le contenu de la licence générale de l'université pour l'inscrire dans la logique d'une maitrise progressive des connaissances et des compétences. 2. Mettre en oeuvre l'orientation et l'accompagnement des étudiants : signature d'un contrat de réussite, qui contient des engagements réciproques comme par exemple la mise en place de tutorat en cas de difficultés. Chaque établissement doit afficher sur le site national d'orientation les places disponibles pour chaque filière, les taux de réussite aux examens et les taux d'insertion professionnelle. Les possibilités de réorientation sont ainsi ouvertes dès la fin du premier semestre et en fin de première année. Les crédits acquis pouvant être transférés dans d'autres cursus de formation. 3. Mobiliser les filières professionnelles courtes pour la réussite de tous les étudiants : accès de droit aux IUT des bacheliers technologiques avec une mention « Bien » et « Très Bien » et l'instauration d'un système de bonus pour les IUT qui, au-delà de la moyenne nationale de 32 % accueillent des étudiants de bacs technologiques et professionnels (qui faisait suite au décret de 2007 affectant prioritairement les bacheliers professionnels et technologiques mention « Bien » et « Très Bien » en STS) ; réorientation les étudiants en échec en formations généralistes par mobilisation des places vacantes en IUT et en STS ; refonte de la carte des formations de STS et d'IUT. Source : archives sur le site internet du MESRI |
Votre rapporteur considère cependant qu'il faut aller plus loin que les pistes ébauchées par le Plan Étudiants, et préparer l'orientation bien avant la terminale afin que le projet de chaque jeune ait le temps de murir et de traiter la quantité d'informations qui sont disponibles ; Parcoursup regroupe plus de 13 000 formations différentes !
2. Enfin l'introduction de la sélection à l'université française !
Votre rapporteur se félicite que le Gouvernement ait clairement mis fin au tirage au sort qui constitue un véritable scandale et génère incompréhensions et injustices. Il se réjouit également de l'introduction de la sélection à l'entrée du premier cycle.
a) Une sélection ...
La sélection dans l'enseignement supérieur n'est pas une nouveauté. D'ores et déjà 55 % des places offertes à l'entrée dans le supérieur sont sélectives et elles sont plébiscitées par les futurs étudiants. Mais un « tabou idéologique » restait attaché à ce mythe de la non-sélection entretenu dans le texte même du code de l'éducation : « les dispositions relatives à la répartition entre les établissements et les formations excluent toute sélection » 38 ( * ) .
L'introduction de la sélection à l'entrée du master il y a moins de deux ans avait constitué une première avancée, largement accompagnée par le Sénat et tout particulièrement par notre ancien collègue Jean-Léonce Dupont. À cette occasion, le Sénat avait plaidé pour la généralisation de « la sélection pour tous » , gage au final d'une « réussite pour tous ». Car il est bien certain que ce mythe de la non-sélection avait abouti à un système extrêmement pervers de sélection par l'échec au niveau de la licence, avec son cortège de désillusions et d'amertumes.
Votre rapporteur est donc bien évidemment totalement favorable à l'introduction de la sélection dans toutes les filières de l'enseignement supérieur afin que chacun choisisse sa formation. Mais cela implique nécessairement qu'en retour il soit lui-même choisi par l'établissement, dans une logique de « contrat de réussite » bénéfique à chacun.
b) ... mais une sélection non assumée
Le projet du Gouvernement, s'il va incontestablement dans le bon sens, aurait donc pu être plus ambitieux et volontariste.
Votre rapporteur regrette l'hypocrisie consistant à n'instaurer soit-disant la sélection « que » dans les filières en tension, alors que la non-hiérarchisation de près de 28 voeux au maximum par candidat aboutira nécessairement à « tendre » et donc rendre de facto sélectives la quasi-totalité des filières.
Hypocrisie également d'une procédure présentée abusivement comme donnant le dernier mot à l'étudiant alors que ce dernier mot appartient, dans le texte du projet de loi, de jure et de facto au seul recteur.
* 29 Daniel Filâtre, op. cit.
* 30 Les professeurs principaux reçoivent une indemnité de l'ordre de 1 200 € par an à ce titre. 33,9 millions d'euros sont prévus par le ministère de l'Éducation nationale en 2018.
* 31 Classes préparatoires aux grandes écoles.
* 32 Pour une orientation réussie de tous les élèves, op. cit.
* 33 Communication de la commission de la culture, de l'éducation et du Sénat sur « l'an II des ESPE », par Mme Colette Mélot et M. Jacques-Bernard Magner. http://www.senat.fr/presse/cp20150722.html
* 34 Allemagne, Argentine, Autriche, Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède et Suisse. Voir annexe au présent rapport.
* 35 Dans l'hypothèse d'une classe de 35 élèves qui auraient formulé une moyenne de 10 voeux chacun.
* 36 Ces modules pourront prendre plusieurs formes : des unités d'enseignement soit supplémentaires soit en substitution (soutien disciplinaire, méthodologie, orientation) ; des semestres supplémentaires ; voire une année préalable dite « propédeutique » ou « année 0 » (comme il en a existé dans le système d'enseignement supérieur français jusqu'en 1966).
* 37 Cf. Étude de droit comparé annexée au présent rapport.
* 38 Première phrase du troisième alinéa de l'article L. 612-3.