Rapport n° 674 (2016-2017) de M. Philippe BONNECARRÈRE , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 20 juillet 2017

Disponible au format PDF (436 Koctets)

Tableau comparatif au format PDF (100 Koctets)


N° 674

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 juillet 2017

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne présentée par Mme Catherine MORIN-DESAILLY en application de l'article 73 quinquies du Règlement, pour une réforme des conditions d' utilisation des mesures conservatoires prévues par le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence ,

Par M. Philippe BONNECARRÈRE,

Sénateur

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Émorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, M. Claude Haut, Mmes Sophie Joissains, Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard, Alain Vasselle.

Voir le numéro :

Sénat :

613 (2016-2017)

AVANT-PROPOS

Conformément à l'article 73 quinquies du règlement du Sénat, votre commission des affaires européennes est chargée d'examiner la proposition de résolution européenne n° 613 (2016-2017) pour une réforme des conditions d'utilisation des mesures conservatoires prévues par le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence, déposée par notre collègue Mme Catherine Morin-Desailly le 5  juillet 2017.

La proposition de résolution européenne prend appui sur la « Stratégie pour un marché unique du numérique en Europe » lancée par une communication de la Commission européenne du 6 mai 2015 et les conclusions du Conseil européen des 22 et 23 juin 2017 sur l'importance que revêt le bon fonctionnement du marché unique y compris le marché unique du numérique. Elle met en oeuvre la faculté prévue par l'article 88-4 de la Constitution qui permet au Sénat de formaliser une proposition de résolution européenne sur « tout document émanant d'une institution européenne ».

Le bon fonctionnement du marché intérieur, qui est l'un des piliers de la construction européenne, exige une concurrence libre et non faussée. À cet effet, les acteurs de marché, et singulièrement les entreprises, sont tenus de respecter des règles qui bénéficient à la fois aux consommateurs, qui ont accès aux biens et services au prix du marché, et aux entreprises, qui doivent veiller à rester compétitives. L'abus de position dominante influence la structure du marché et tend à aggraver la faiblesse du degré de concurrence ; le développement de l'activité des acteurs européens se trouve ainsi menacé par certains comportements des plateformes numériques incompatibles avec des conditions de concurrence équitable.

L'auteure de la proposition de résolution estime que la Commission européenne n'intervient pas avec suffisamment d'efficacité dans la lutte contre les abus de position dominante dans ce secteur : les délais d'enquête et de sanction face à de tels comportements laissent en effet perdurer des situations d'atteinte à la concurrence qui nuisent gravement aux entreprises européennes dont elles pénalisent parfois irrémédiablement les capacités de développement. La récente condamnation de la société mère de l'entreprise américaine Google pour un abus de position dominante sur le marché des moteurs de recherche de treize pays européens qui confère depuis plusieurs années un avantage illégal à son service de comparaison de prix, n'est ainsi intervenue qu'à l'issue d'une procédure qui a duré plus de sept années, alors même que le rythme des évolutions dans ce secteur est particulièrement rapide.

Pour faciliter une réaction plus rapide et donc plus efficace lorsque l'urgence le justifie, notre collègue, qui suit attentivement depuis plusieurs années le développement du numérique, secteur d'activité crucial s'il en est, souhaite que la Commission européenne ait la possibilité effective de mettre en oeuvre les mesures provisoires prévues à l'article 8 du règlement (CE) n° 1/2003 qui organise les procédures d'enquête et de sanction en matière d'entente et d'abus de position dominante. Elle propose, à cet effet, un assouplissement, sur le modèle du texte français, de l'un des critères de définition du risque d'atteinte à la concurrence : celui du caractère irréparable du préjudice résultant du comportement de l'entreprise dominante.

Après avoir évoqué les difficultés de la lutte européenne contre les pratiques anticoncurrentielles des plateformes numériques (I), le présent rapport examinera dans quelle mesure cette proposition d'assouplissement est susceptible de faciliter la mise en oeuvre de mesures conservatoires par la Commission européenne en cas d'abus de position dominante sur le marché européen et les compléments qui pourraient lui être utilement apportés pour renforcer et accélérer l'effectivité de la lutte contre de tels comportements (II).

LA LUTTE EUROPÉENNE CONTRE LES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES DES PLATEFORMES NUMÉRIQUES N'EST PAS SUFFISAMMENT EFFICACE

Le développement accéléré du numérique et le poids relatif prépondérant de quelques grands acteurs enclins à abuser de leur position dominante sur le marché européen exigent une régulation concurrentielle réactive pour accompagner l'émergence et le développement des acteurs économiques européens. Or, en l'état, cette régulation manque encore trop souvent d'efficacité car les mesures coercitives interviennent trop tardivement.

DES ACTEURS ENCLINS À ABUSER DE LEUR POSITION DOMINANTE

Les grandes plateformes numériques exercent une position dominante de fait sur l'économie mondiale qui tend à s'accroître. Leur stratégie de développement des services qu'elles offrent est en effet susceptible de générer des abus de position dominante particulièrement préjudiciables à l'économie européenne.

UNE POSITION DOMINANTE DE FAIT SUR UNE PART CROISSANTE DE L'ÉCONOMIE MONDIALE

Les grandes plateformes ont conduit la construction de leurs positions dominantes en plusieurs étapes.

La numérisation des contenus culturels a permis l'émergence de puissantes plateformes numériques

À partir des années 2000 s'est ouverte la numérisation la plus simple techniquement : celle des contenus culturels et de l'information. Cette première vague a permis l'émergence des « GAFA » 1 ( * ) , les géants du numérique, et d'une série de positions dominantes.

Au centre de la révolution numérique se trouvent en effet les plateformes numériques - moteurs de recherche, marchés électroniques, fournisseurs de contenus, médias sociaux -, qui permettent aux internautes d'interagir, d'échanger et de commercer en « surfant » sur plus d'un milliard de pages Internet.

Le principal enjeu apparu avec la numérisation des contenus est la profusion de positions dominantes, un débat régulièrement cristallisé par le moteur de recherche Google et sa part de marché mondiale de 90 % des requêtes. Les utilisateurs ont intérêt à recourir à la même plateforme pour avoir accès à la base la plus large de vidéos, d'articles, de morceaux de musique... Or les marchés numériques n'ont pas de taille critique (les rendements sont croissants) et le coût marginal est faible : ajouter une nouvelle vidéo ou un nouveau morceau ne coûte presque rien. Il en résulte que la plateforme la plus compétitive devient à terme dominante.

Les marchés des contenus numériques sont ainsi monopolistiques, voire oligopolistiques : Facebook pour les réseaux sociaux, Spotify (et Deezer ) pour le streaming musical, Apple et l'achat de musique, Netflix et les séries télévisées, TripAdvisor dans le conseil touristique, Wikipédia pour l'encyclopédie, YouTube (et Dailymotion ) pour les vidéos, etc.

Les effets de réseaux et le développement de l'offre de services en ligne

Les plateformes tirent désormais leur puissance des effets réseaux qui alimentent une dynamique de croissance souvent exponentielle de l'offre de services en ligne. Des pans entiers des secteurs et des modèles d'entreprises traditionnels comme les transports, l'hôtellerie, ou encore le commerce sont ainsi transformés par la « plateformisation » de l'économie qui détermine l'offre de nouveaux services économiques et sociétaux.

Un petit nombre de plateformes a réussi, en l'espace de quelques années, à capter une part croissante de la création de valeur, ce qui tend à bouleverser les règles du jeu économique, la nouvelle répartition du profit entre entreprises s'effectuant pour une part entre celles qui savent mettre les outils Internet au coeur de leur modèle d'entreprise et les autres.

Les services susceptibles d'être offerts sur les plateformes sont autant de relais de croissance, singulièrement en Europe, pour les citoyens, les entreprises et les collectivités publiques qui entendent exploiter la formidable opportunité offerte par la généralisation de l'Internet. Or les grandes plateformes historiques, qui ont pris une avance décisive pour y développer avec succès de nouveaux services, bénéficient incontestablement d'une situation de position dominante dont elles sont tentées d'abuser.

Tel pourrait d'ailleurs être également le cas des nouvelles plateformes de services qui ont connu un développement particulièrement rapide au cours des dernières années et qui mettent en relation clients et offreurs de services, en particulier des entreprises traditionnelles : hôtels, compagnies aériennes, restaurants ou encore professionnels de santé, etc.

DES PRATIQUES ABUSIVES PARTICULIÈREMENT PRÉJUDICIABLES À L'ÉCONOMIE EUROPÉENNE

De nouveaux enjeux de politiques publiques sont apparus avec le développement du numérique : outre la nécessité d'une régulation concurrentielle, les questions afférentes à la propriété et à la protection des données ou encore le traitement fiscal des entreprises numériques qui mettent en oeuvre en la matière des stratégies d'optimisation particulièrement offensives, sont autant de problématiques qui dépassent le cadre du présent rapport mais dont la criticité n'en est pas moindre.

Les grands acteurs, qui ont mis en place les plateformes et sont aussi les premiers à y développer des services, sont fortement tentés d'évincer toute concurrence en la matière. Ils tendent, ce faisant, à abuser de leur position dominante, notamment pour mettre systématiquement en avant leurs produits, voire exclure ou cantonner les initiatives de tiers.

Ce n'est pas la position dominante qui est incriminée mais bien l'abus d'une telle position. Celui-ci est susceptible d'être sanctionné dès lors qu'il emporte une restriction de la concurrence sur une partie géographique du marché européen ou sur un produit, au profit exclusif d'une ou plusieurs entreprises dont l'objectif est d'éliminer leurs concurrents.

La liste non limitative de pratiques abusives figurant à l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ou les plaintes enregistrées par les autorités nationales de concurrence, dont l'Autorité de la concurrence française, ainsi que les faits identifiés dans les procédures pour abus de position de dominante conduites par la Commission européenne illustrent ces comportements d'éviction particulièrement préjudiciables aux acteurs européens.

DÉFINITION EUROPÉENNE DE L'ABUS DE POSITION DOMINANTE

Article 102 du TFUE (ex-article 82 TCE)

Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.

Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :

a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables,

b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,

c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.

L'EFFICACITÉ LIMITÉE DE LA RÉGULATION EUROPÉENNE DE LA CONCURRENCE EN MATIÈRE NUMÉRIQUE

Pour que les acteurs européens soient en mesure de se développer et donc pour l'avenir de l'économie européenne, il est crucial que les règles de concurrence puissent pleinement jouer et que les grandes plateformes n'abusent pas de leur position dominante.

La surveillance et la répression des abus de position dominante relèvent de la politique de concurrence du marché européen qui vise à éliminer les pratiques anticoncurrentielles, et singulièrement les abus de position dominante particulièrement développés dans le secteur numérique, afin de permettre un fonctionnement harmonieux de ce marché, au bénéfice des consommateurs et du développement des entreprises européennes.

En matière numérique, la taille des acteurs et, partant, le champ de leurs ambitions dépassant par nature les compétences territoriales des autorités nationales de concurrence, c'est principalement à la Commission qu'il revient de veiller à ce que les opérateurs respectent les règles de concurrence sur le marché européen. Or, force est de constater que le régulateur européen a longtemps privilégié l'organisation de la concurrence et que la répression des anomalies que sont les comportements anticoncurrentiels, qui n'a pas été sa priorité, n'est pas pleinement efficace.

DES PROCÉDURES DE SANCTION LOURDES ET DES DÉLAIS INADAPTÉS À LA RAPIDITÉ DES ÉVOLUTIONS DANS LE SECTEUR NUMÉRIQUE

Depuis l'entrée en vigueur du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, le contrôle des pratiques concurrentielles est décentralisé auprès des autorités nationales de concurrence. Toutefois la Commission européenne traite les infractions les plus graves, en particulier les abus de position dominante qui concernent plusieurs États membres, ce qui est le cas des pratiques des plateformes numériques.

L'établissement des faits et les procédures à mettre en oeuvre sont par nature longs et complexes. Il en résulte un fort décalage avec le rythme particulièrement rapide des évolutions dans le secteur numérique, décalage préjudiciable à l'émergence et au développement d'acteurs européens.

De multiples étapes pour assurer le respect du contradictoire

La charge de la preuve d'infractions aux règles concurrentielles incombe à la Commission.

La première étape de l'analyse consiste à apprécier si l'entreprise est en situation dominante. Il convient de prendre en compte à cet égard non seulement sa part de marché mais également la puissance économique de ses concurrents et l'existence ou non d'une concurrence latente. La Cour de justice a ainsi eu l'occasion de préciser que la position dominante « concerne une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs » 2 ( * ) .

Il faut ensuite examiner si cette position fait l'objet d'une exploitation abusive et rechercher si le comportement abusif a un objet ou un effet restrictif de concurrence sur le marché, autrement dit si, par son comportement, l'entreprise influence la structure du marché et tend à y aggraver la faiblesse du degré de concurrence. La Cour de justice a en effet estimé qu'en interdisant l'exploitation abusive d'une position dominante sur le marché, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, l'article 102 du traité vise « les comportements qui sont de nature à influencer la structure du marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence » 3 ( * ) .

Dès lors, le traité visant non seulement les pratiques susceptibles de causer un préjudice immédiat aux consommateurs (abus d'exploitation), mais également celles qui portent atteinte à « une structure de concurrence effective » 4 ( * ) , l'entreprise qui détient une position dominante doit s'abstenir de porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée 5 ( * ) (abus d'exclusion), par exemple en mettant en oeuvre une politique de prix ne poursuivant d'autre finalité économique que celle d'éliminer ses concurrents pour pouvoir, ensuite, tirer profit de la réduction du degré de concurrence existant encore sur le marché 6 ( * ) .

Une fois les faits établis, à l'issue d'investigations qui peuvent être très longues en dépit des pouvoirs contraignants, éventuellement assortis d'astreintes, dont elle dispose pour obtenir des renseignements (article 18 du règlement (CE) n°1/2003), recueillir des déclarations (article 19) et procéder à des inspections sur pièces et sur place (articles 20 et 21), la Commission doit mettre en oeuvre une procédure contradictoire (article 27).

Ce n'est qu'au terme de ce processus et une fois qu'elle a dûment établi et qualifié les faits constitutifs d'un abus de position dominante qu'elle peut :

- faire cesser l'infraction constatée en obligeant l'entreprise, éventuellement sous astreintes journalières dans la limite de 5 % du chiffre d'affaires quotidien, à mettre fin à celle-ci, en particulier par des mesures correctrices de nature structurelle ou comportementale (article 7) ;

- et lui infliger une sanction pécuniaire dans la limite de 10 % du chiffre d'affaires (article 23).

Des délais inadaptés à la rapidité des évolutions en matière numérique

Force est de constater que ce contrôle a posteriori n'est pas pleinement efficace en raison principalement du temps nécessaire pour établir et caractériser les fais puis dialoguer avec les plateformes numériques, avant de pouvoir mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles.

Les différentes procédures engagées à l'encontre de Google en sont l'illustration : il n'aura pas fallu moins de sept années à la Commission pour mener à bien une première procédure sur la mise en avant systématique par l'entreprise de son service de comparateur de prix dans ses pages de résultats de recherche, au détriment de ses concurrents, tandis que plusieurs autres procédures sont toujours pendantes.

On peut ainsi s'interroger sur la volonté politique du précédent commissaire de faire prospérer ces procédures.

SANCTION DE GOOGLE POUR AVOIR SYSTÉMATIQUEMENT FAVORISÉ SON COMPARATEUR DE PRIX

Google a introduit un premier service de comparateur de prix en 2004. À compter de 2008, son moteur de recherche a systématiquement accordé une position de premier plan à ce service et rétrogradé les services de comparaison de prix concurrents dans ses résultats de recherche grâce à la domination exercée sur le marché de la recherche générale sur Internet.

Les investigations conduites par la Commission européenne à compter de 2010 ont conduit à l'analyse de volumes considérables de données, dont 5,2 téraoctets de résultats de recherche pour quelque 1,7 milliard de demandes. Une vaste enquête de marché a en outre été lancée auprès de plusieurs centaines de sociétés clientes et concurrentes.

En avril 2013, la Commission a proposé à Google de formuler des engagements pour corriger les comportements anticoncurrentiels constatés mais l'entreprise a finalement rejeté cette proposition en avril 2015.

En mars puis en juillet 2015, la Commission a communiqué des griefs à Google et à sa société mère Alphabet , concluant que la société avait abusé dans tous les pays de l'Espace économique européen, à l'exception de la République tchèque, de sa position dominante en favorisant systématiquement son service de comparateur de prix dans ses pages de résultats de recherche. Elle estime qu'il résulte de ce mode de sélection des réponses que les internautes n'ont pas accès aux résultats les plus pertinents en réponse à leurs requêtes, situation qui est de nature à porter préjudice aux consommateurs et à l'innovation sur le marché.

Après sept ans d'enquête, d'investigations particulièrement lourdes et de très nombreux échanges contradictoires, la Commission a infligé à Google , le 27 juin 2017, conformément à l'article 23, 2 a), 3 et 4 du règlement (CE) 1/2003, une amende dont le montant, supérieur à 2,4 milliards d'euros, a été calculé sur la base de la valeur des recettes enregistrées par l'entreprise dans treize pays pendant plusieurs années grâce à ce service de comparaison de prix. L'entreprise doit en outre mettre un terme à son comportement dans un délai de 90 jours et s'abstenir de renouveler un tel comportement ; à défaut, elle est passible d'astreintes journalières et ce jusqu'à la cessation de l'infraction .

LES AUTRES PROCÉDURES ENGAGÉES À L'ÉGARD DE GOOGLE

En 2015, la Commission a adressé à Google une autre communication de griefs portant sur les restrictions qu'elle a imposées à la capacité de certains sites tiers d'afficher des publicités contextuelles émanant de ses concurrents. Grâce à sa plateforme AdSense for Search, l'entreprise place en effet de telles publicités non seulement sur son site mais également, en tant qu'intermédiaire, sur des sites tiers - par exemple ceux de journaux ou d'opérateurs de télécommunications -, pratique dont la Commission estime qu'elle est de nature à empêcher ses concurrents existants et potentiels, y compris les autres fournisseurs de services de recherche et plateformes de publicité en ligne, d'accéder à ce secteur important du point de vue commercial et de s'y développer.

Google fait par ailleurs l'objet d'une communication de griefs d'où il résulte que l'entreprise aurait également abusé de sa position dominante en imposant des restrictions aux fabricants d'appareil Android et aux opérateurs de réseaux mobiles, comportement qui aurait eu pour effet d'empêcher d'autres moteurs de recherche, systèmes s'exploitation et navigateurs de lui faire concurrence, faute de pouvoir accéder à certains débouchés commerciaux.

Du fait de la longueur des procédures, les comportements ne respectant pas les règles de concurrence sont ainsi susceptibles de perdurer, au détriment des consommateurs et des entreprises concurrentes ou des initiatives qui ne peuvent se développer.

Le Parlement européen s'en est d'ailleurs ému dans sa résolution du 19 janvier 2016 sur le rapport annuel de l'Union européenne sur la politique de concurrence lorsqu'il s'est interrogé sur la durée des investigations dans les dossiers Google et du fait qu'à ce stade elles ne produisaient aucun effet visible 7 ( * ) .

LA RECHERCHE PRIORITAIRE DE LA PRISE D'ENGAGEMENTS CONTRAIGNANTS PAR LES ENTREPRISES ET L'ABANDON DES MESURES CONSERVATOIRES

Depuis une dizaine d'années, la Commission a privilégié la recherche de la prise d'engagements contraignants par les entreprises et renoncé à ordonner des mesures conservatoires. Ne se contentant pas d'appliquer simplement le droit de la concurrence, elle mène en effet une politique de concurrence et c'est dans ce cadre qu'elle fait un usage discrétionnaire des outils dont elle dispose.

Des engagements contraignants mais qui n'établissent pas l'abus de position dominante

La Commission privilégie la procédure prévue par l'article 9 du règlement (CE) n°1/2003 mais, là encore, les délais de mise en oeuvre sont longs dans la mesure où il lui faut d'abord finaliser ses investigations et informer les entreprises concernées de son évaluation préliminaire.

ENGAGEMENTS

ART. 9 DU RÈGLEMENT (CE) N° 1/2003

1. Lorsque la Commission envisage d'adopter une décision exigeant la cessation d'une infraction et que les entreprises concernées offrent des engagements de nature à répondre aux préoccupations dont la Commission les a informées dans son évaluation préliminaire, la Commission peut, par voie de décision, rendre ces engagements obligatoires pour les entreprises. La décision peut être adoptée pour une durée déterminée et conclut qu'il n'y a plus lieu que la Commission agisse.

2. La Commission peut rouvrir la procédure, sur demande ou de sa propre initiative :

a) si l'un des faits sur lesquels la décision repose subit un changement important;

b) si les entreprises concernées contreviennent à leurs engagements, ou

c) si la décision repose sur des informations incomplètes, inexactes ou dénaturées fournies par les parties.

Cette politique a été conduite avec un certain succès dans les secteurs énergétiques pour interrompre des pratiques d'éviction de concurrents effectifs ou potentiels ou encore promouvoir des remèdes structurels comme la cession de tout ou partie des réseaux par les sociétés intégrant production et distribution 8 ( * ) . Au cours des quinze dernières années, la Commission a ainsi validé 30 engagements.

On observera toutefois que, là encore, avant que ces procédures n'aient été engagées et ne soient menées à terme, les comportements abusifs perduraient depuis longtemps ainsi que le montre l'exemple de Microsoft, finalement sanctionné en 2009 pour la préinstallation conjointe systématique d'Internet explorer et de Windows sur les ordinateurs portables proposés à la vente depuis plusieurs années.

Plus récemment, Amazon a offert plusieurs engagements sur les clauses proposées depuis quelques temps aux éditeurs pour la distribution de livres numériques, clauses que Commission estimait susceptibles de diminuer la capacité et l'incitation des éditeurs et des autres plateformes de livres numériques à concevoir des livres numériques nouveaux et innovants ainsi que des services de distribution d'ouvrages numériques différents. Début mai 2017, la Commission a adopté une décision conférant un caractère contraignant à ces engagements pour les cinq prochaines années.

Si la procédure d'engagements tend à faciliter la mise en oeuvre par l'entreprise des mesures qu'elle a proposées, elle exige toutefois des investigations préalables approfondies et risque donc d'intervenir trop tardivement.

Au surplus, elle n'établit pas in fine les faits car l'entreprise poursuivie n'a pas à acquiescer aux griefs qui lui sont reprochés. Dès lors, les entreprises victimes des pratiques anticoncurrentielles ne peuvent prendre appui sur ces engagements pour obtenir réparation sur le fondement d'infractions établies. En privilégiant cette approche, la Commission se considère avant tout comme le protecteur de la concurrence, renvoyant aux autorités et aux juridictions nationales le soin de protéger les droits individuels des entreprises victimes de tels agissements et de réparer le préjudice causé.

Il convient de relever en outre que le rejet d'une offre d'engagements, comme Google pour son comparateur de prix, a pour effet d'allonger encore la procédure et de laisser perdurer d'autant les comportements anticoncurrentiels.

On signalera toutefois que, lorsqu'elle peut être menée à terme, la procédure d'engagements emporte une garantie d'efficacité : si l'entreprise ne respecte pas ses engagements, elle est en effet susceptible de se voir infliger une amende à concurrence de 10 % de son chiffre d'affaires, et ce sans que la Commission ait à prouver une violation des règles de concurrence.

L'absence de mesures conservatoires

L'article 8 du règlement (CE) n° 1/2003 prévoit que la Commission européenne peut prendre d'office des mesures dites provisoires en cas d'urgence justifiée par le fait qu'un « préjudice grave et irréparable risque d'être causé à la concurrence ».

Il subordonne la mise en oeuvre de cette procédure à un « constat prima facie d'infraction » dont les délais d'établissement sont généralement substantiels. Il exige en outre que la Commission justifie du caractère grave et irréparable du préjudice, cette dernière condition apparaissant particulièrement exigeante.

Avant l'entrée en vigueur du règlement (CE) n° 1/2003, la Commission a eu recours par quatre fois à cette procédure, sur le fondement de l'ordonnance de la CJCE 9 ( * ) qui a largement guidé la rédaction de l'article 8. Paradoxalement elle a totalement renoncé depuis lors à prononcer des mesures provisoires alors qu'elle a conduit pas moins de 122 enquêtes au titre des articles 101 (entente et concentration) et 102 (abus de position dominante) et souligné dans plusieurs dossiers le risque de dommages à très court terme. C'est ainsi par exemple que, dans un certain nombre de cas, le refus de fourniture de biens a emporté la liquidation de l'entreprise victime du refus avant même la clôture de la procédure.

Il est malaisé de déterminer les raisons d'une telle abstention alors même qu'avec les mesures provisoires, la Commission dispose d'un outil puissant que les articles 23, 2 b) et 24, 1 b) du règlement (CE) n° 1/2003 assortissent de peines d'amende et d'astreintes en cas de non-respect de celles-ci. L'analyse de la part respective d'explication relevant des difficultés dans l'allocation des moyens de la direction générale compétente, de la stratégie privilégiée par la Commission ou des insuffisances juridiques de cet outil mériterait d'être approfondie mais on peut penser qu'une part importante de l'explication de cette abstention réside dans les exigences très fortes de l'article 8.

VERS UNE NOUVELLE APPROCHE DE L'UNION EUROPÉENNE

La Commission européenne semble avoir tardé à prendre la pleine mesure des risques que les positions dominantes dans le domaine numérique font peser sur les acteurs européens et ce n'est que récemment qu'elle a introduit cette préoccupation dans la stratégie numérique européenne qu'elle a été chargée de définir et dont elle assure le suivi.

De leur côté, les autorités nationales de la concurrence se sont efforcées, à des degrés divers il est vrai, de promouvoir la prise de mesures provisoires comme le montre l'analyse de leurs pratiques en la matière à laquelle elles ont procédé en 2003, analyse assortie d'une recommandation pour une mise en oeuvre effective et efficace.

Enfin, le Parlement européen et tout récemment la commissaire européenne en charge de la concurrence ont évoqué l'opportunité de recourir à des mesures provisoires.

L'INTRODUCTION D'UN VOLET CONCURRENTIEL DANS LA STRATÉGIE NUMÉRIQUE POUR L'UNION EUROPÉENNE

La prise de conscience par l'Union européenne du retard pris dans l'innovation et la régulation numérique ainsi que de sa faiblesse à l'égard des grands acteurs privés de l'Internet apparaît récente, son approche en la matière ayant en effet longtemps été limitée à la mise en place d'un marché unique 10 ( * ) . Il a fallu attendre la nouvelle Commission, présidée par M. Jean-Claude Juncker, pour que le numérique soit envisagé dans toutes ses dimensions : emploi, croissance, équité et changement démocratique.

La Commission a ainsi présenté le 6 mai 2015 11 ( * ) une stratégie numérique pour l'Europe qui comprend seize initiatives, regroupées en trois piliers : le renforcement du marché unique européen, la régulation concurrentielle et la politique industrielle.

La régulation concurrentielle des plateformes numériques y est identifiée comme une nécessité, la Commission relevant à cet égard que la puissance grandissante de certaines plateformes sur le marché s'accompagne d'un « manque de transparence quant à la manière dont elles utilisent les informations qu'elles obtiennent, leur pouvoir de négociation par rapport à celui de leurs clients, qui peut se refléter dans les conditions qu'elles pratiquent (en particulier à l'égard des PME), la promotion de leurs propres services au détriment des concurrents et des politiques tarifaires non transparentes, ou des restrictions concernant la fixation des prix et les conditions de vente ». Et d'ajouter qu'alors même que certaines plateformes en ligne sont désormais devenues des acteurs économiques à part entière dans de nombreux secteurs de l'économie, « la manière dont elles utilisent leur puissance sur le marché pose un certain nombre de problèmes ».

En 2015, la Commission a lancé une enquête sectorielle sur le commerce électronique et souligne plus particulièrement, dans son rapport sur la politique de concurrence 2015 12 ( * ) , le rôle clé des moteurs de recherche qui guident les consommateurs dans l'environnement numérique. Dans ce même rapport, elle déclare que ce marché est l'« une de ses priorités en matière de mise en oeuvre ».

Dans une communication du 25 mai 2016 sur les plateformes en ligne et le marché du numérique 13 ( * ) , la Commission a indiqué qu'il convenait d'examiner les politiques commerciales des plateformes pour garantir un « environnement économique équitable et propice à l'innovation ».

Récemment, le 10 mai 2017, la Commission a annoncé, dans le cadre de son examen à mi-parcours de la « Stratégie pour le marché unique numérique 14 ( * ) », qu'avant la fin de l'année en cours, elle élaborerait des instruments législatifs destinés à lutter contre les clauses contractuelles et pratiques commerciales déloyales constatées dans les relations de plateformes à entreprise, sur la base d'une analyse d'impact approfondie. Elle indique par ailleurs avoir engagé plusieurs dialogues avec lesdites plateformes et, surtout, confirme qu'elle entend faire usage de ses prérogatives dans l'application du droit de la concurrence pour permettre une concurrence équitable dans le secteur des plateformes.

Le dernier Conseil européen des 22 et 23 juin 2017, qui a rappelé l'importance que revêt le bon fonctionnement du marché unique et la nécessité de poursuivre les efforts afin d'atteindre le niveau d'ambition affiché, a mentionné spécifiquement le marché unique numérique dans ses conclusions. Plus précisément, celles-ci ont mis l'accent sur la nécessité d'un meilleur contrôle du respect des règles qui y sont liées 15 ( * ) .

LA MISE EN oeUVRE PAR LES AUTORITÉS NATIONALES DE CONCURRENCE DE LA FACULTÉ DE PRONONCER DES MESURES CONSERVATOIRES EN CAS DE SUSPICION RAISONNABLE D'ATTEINTE AUX RÈGLES DE CONCURRENCE

L'analyse des décisions des différentes autorités nationales de concurrence montre une grande diversité tant du cadre juridique des mesures conservatoires que dans la pratique qu'elles en ont développées.

Une pratique peu développée des mesures conservatoires

En décembre 2013, les autorités nationales de concurrence ont adopté une recommandation sur le pouvoir de prendre des mesures provisoires pour une mise en oeuvre effective des règles européennes de concurrence, en particulier lorsqu'il est avéré que la décision au fond interviendra trop tardivement pour éviter la disparition des concurrents de l'entreprise qui abuse d'une position dominante.

L'article 5 du règlement (CE) n° 1/2003 prévoit en effet que ces autorités, agissant d'office ou sur une plainte, peuvent ordonner de telles mesures. De manière générale, il apparaît que les lois nationales reprennent le plus souvent les critères de l'article 8 du règlement : l'urgence, le dommage sérieux et irréparable à la concurrence, la présomption sérieuse d'une infraction au droit de la concurrence. Certaines autorités nationales ont une vision plus large du dommage qui concerne aussi bien les intérêts économiques généraux que l'intérêt général, l'économie dans son ensemble ou celle d'un secteur défini et les intérêts des consommateurs.

La difficulté la plus sérieuse concerne la suspicion d'atteinte à la concurrence dont la caractérisation est plus ou moins exigeante selon l'interprétation qu'en donnent les autorités et les juridictions qui contrôlent leurs décisions en la matière.

Enfin, l'urgence étant un élément déterminant de la mise en oeuvre de ces procédures, les autorités nationales y accordent une attention toute particulière. Pour autant, les mesures qu'elles prennent ont souvent une durée insuffisante pour prévenir le dommage qui les a conduites à intervenir. Quant au suivi de la mise en oeuvre effective des mesures, il apparaît particulièrement inégal, certaines autorités n'étant pas dotées de pouvoirs coercitifs suffisants.

La recommandation adoptée par les autorités nationales de concurrence comporte un certain nombre de suggestions d'harmonisation sur ces différents points pour une mise en oeuvre effective de mesures conservatoires.

Fin 2015, votre commission des affaires européennes s'est penchée sur l'application des règles de concurrence par les autorités nationales de concurrence, dans le cadre de la consultation publique lancée par la Commission européenne « Habiliter les autorités de concurrence à appliquer les règles de concurrence plus efficacement ».

À la suite de ce rapport 16 ( * ) , votre rapporteur a déposé une proposition de résolution européenne recommandant une harmonisation de l'application des règles européennes de concurrence par les autorités nationales 17 ( * ) , qui a été examinée par votre commission et est devenue résolution du Sénat le 20 mars 2016 18 ( * ) .

Une proposition de directive tendant à renforcer les moyens des autorités nationales de concurrence

Dans la suite de la consultation qu'elle avait lancée en 2015, la Commission européenne a publié le 24 mars 2017 une proposition de directive (COM (2017) 142) visant à doter les autorités de concurrence des États membres de davantage de moyens pour mettre en oeuvre plus efficacement les règles de concurrence pour garantir le bon fonctionnement du marché intérieur. Ce texte devrait être l'occasion de remédier aux insuffisances et aux divergences constatées en la matière.

En favorisant une plus grande convergence des textes et des pratiques, notamment sur les mesures conservatoires, il pourrait prévenir l'apparition de risques de distorsion concurrentielle entre les États membres à raison de la politique concurrentielle mise en oeuvre.

LA DEMANDE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET LES RÉFLEXIONS DE LA COMMISSAIRE À LA CONCURRENCE

Le Parlement européen a relevé le non recours à des mesures provisoires dans sa résolution du 19 janvier 2016 sur le rapport annuel de l'Union européenne sur la politique de concurrence et demandé à la Commission de déterminer si de telles mesures ne pourraient pas être prises sur le marché unique.

Tout récemment, à la suite de la décision Google , la commissaire européenne en charge de la concurrence, Mme Margrethe Vestager, a indiqué que la Commission examinait les conditions de mise en oeuvre de mesures provisoires en cas d'abus de position dominante. Elle a précisé à cet égard qu'il convenait d'identifier les raisons pour lesquelles cet instrument n'est pas habituellement utilisé avant d'indiquer que la pratique française en la matière ferait l'objet d'un examen attentif.

La Direction générale de la concurrence a toutefois relativisé la portée de ces propos en rappelant depuis lors que ce sujet était examiné parmi d'autres.

RENFORCER ET ACCÉLÉRER L'EFFECTIVITÉ DE LA LUTTE CONTRE LES ABUS DE POSITION DOMINANTE DANS LE DOMAINE NUMÉRIQUE

Après avoir mis l'accent sur la nécessité de procédures plus rapides et plus efficaces en matière de lutte contre les abus de position dominante dans le domaine numérique afin de permettre le développement des acteurs européens, nécessité maintes fois réaffirmée par le Sénat au cours des dernière années, la proposition de résolution européenne présentée par notre collègue Mme Catherine Morin-Desailly, invite le Gouvernement à faire valoir auprès des institutions européennes l'opportunité d'une modification de l'article 8 du règlement (CE) n° 1/2003 sur le modèle l'article L.464-1 du code de commerce français que met en oeuvre l'Autorité de la concurrence.

Le règlement (CE) n° 1/2003 étant en vigueur depuis longtemps, la question de sa réforme va prochainement se poser à la Commission. La proposition de résolution que nous examinons pose certains des termes du débat et pourra, souhaitons-le, utilement nourrir ces travaux.

UNE PRÉOCCUPATION RÉCURRENTE DU SÉNAT : LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉGULATION CONCURRENTIELLE EFFECTIVE DU MARCHÉ NUMÉRIQUE

Le Sénat a eu l'occasion de l'affirmer à plusieurs reprises : la domination de fait des plateformes numériques par quelques grands acteurs mondiaux doit inciter à une particulière vigilance. Or la mise en oeuvre du droit européen de la concurrence à l'égard des plateformes numériques n'est pas pleinement satisfaisante, même si certaines décisions récentes vont dans la bonne direction.

LE RAPPORT DE LA MISSION COMMUNE D'INFORMATION POUR UNE NOUVELLE STRATÉGIE EUROPÉENNE DANS LA GOUVERNANCE DE L'INTERNET (2014)

Le rapport présenté en juillet 2014 par notre collègue Mme Catherine Morin-Desailly, au nom de la mission commune d'information du Sénat « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance de l'Internet » 19 ( * ) , a montré combien les enjeux du développement du numérique sont cruciaux pour le marché européen, ses consommateurs et ses entreprises. Il déplore à cet égard le retard pris par l'Europe en la matière et dénonce « les insuffisances inhérentes à la régulation concurrentielle ex post et le temps pris à mettre fin aux abus de position dominante dans l'économie numérique ».

LA RÉSOLUTION EUROPÉENNE POUR UNE STRATÉGIE EUROPÉENNE DU NUMÉRIQUE GLOBALE, OFFENSIVE ET AMBITIEUSE (2015)

Dans la continuité de leurs travaux, Mme Morin-Desailly et le président de la mission commune d'information, notre collègue M. Gaëtan Gorce, ont déposé le 4 mai 2015 une proposition de résolution européenne pour une stratégie européenne du numérique globale, offensive et ambitieuse 20 ( * ) .

Devenu résolution européenne du Sénat le 30 juin 2015 21 ( * ) , le texte fait valoir que « la régulation des acteurs qui font partie de l'écosystème européen du numérique doit se faire offensive pour améliorer la répartition de la valeur au bénéfice des acteurs européens » et demande que la Commission européenne mette en oeuvre une stratégie à l'égard des « goulets d'étranglement » que sont devenues les grands plateformes.

La résolution insiste notamment sur la nécessité de mettre fin aux abus de position dominante dans un univers « dont la vitesse d'évolution rend irréversible l'éviction de certains acteurs de marché ». Elle recommande, pour ce faire, d'améliorer le droit européen de la concurrence et d'adopter des règles spécifiques pour « encadrer » les plateformes numériques structurantes pour l'économie, « afin de rééquilibrer les relations avec les tiers proposant des services, applications et contenus et d'assurer le libre accès des usagers aux services, applications et contenus de leur choix ».

LA PROPOSITION D'UNE RÉGULATION DES MOTEURS DE RECHERCHE

En avril 2015, le Sénat a adopté, sur proposition de Mme Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, M. Jean Bizet, président de notre commission des affaires européennes, et M. Jean Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques, un amendement au projet de loi pour la croissance de l'activité et l'égalité des chances économiques, visant à confier à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) une mission de régulation des moteurs de recherche.

Lors des débats les auteurs de l'amendement ont tout particulièrement mis l'accent sur l'utilisation par certaines plateformes de certains algorithmes pour favoriser leurs applications ou leurs services propres par rapport à ceux de leurs concurrents.

Votée contre l'avis du Gouvernement, cette disposition ne figure pas dans le texte définitif de la loi.

UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE POUR FACILITER LA MISE EN oeUVRE DE PROCÉDURES CONSERVATOIRES

C'est au moment où la Commission européenne prend des mesures coercitives à l'égard des plateformes numériques qui abusent de leur position dominante, prépare des instruments législatifs destinés à lutter contre des pratiques déloyales pour permettre une concurrence équitable dans ce secteur et a engagé des dialogues avec lesdites plateformes, que notre collègue Mme Catherine Morin-Desailly propose que le Sénat réaffirme sa préoccupation en la matière et préconise une modification de l'article 8 du règlement de 2003. Une telle modification permettrait que la Commission européenne puisse effectivement prendre des mesures ex ante face à des comportements anticoncurrentiels portant une atteinte grave et immédiate à l'économie du secteur ou à l'intérêt des consommateurs.

Mme Morin-Desailly dénonce à nouveau, dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution européenne qu'elle a déposée, le caractère particulièrement préjudiciable de la situation actuelle en raison du « hiatus entre la célérité avec laquelle se développe l'économie numérique et les délais considérables qu'exigent les enquêtes et sanctions au titre des règles de concurrence ». Les délais de mise en oeuvre des investigations nécessaires et des processus décisionnels qui y font suite sont en effet d'autant plus longs, on l'a rappelé, qu'il est particulièrement complexe d'établir les faits face à des entreprises peu transparentes et rarement enclines à admettre le caractère abusif de leur comportement.

Partant du constat que les récentes décisions de la Commission européenne à l'égard d'acteurs majeurs du numérique 22 ( * ) qui méconnaissent les règles de concurrence en abusant de leur position dominante, n'ont pu intervenir qu'à l'issue de longues procédures contentieuses - ce qui nuit au développement des acteurs européens du numérique -, elle estime qu'il est nécessaire de rendre opérationnelle la prise de mesures conservatoires en amont des engagements et sanctions et préconise à cet effet une modification de l'article 8 du règlement (CE) n°1/2003.

L'EXEMPLE FRANÇAIS EN MATIÈRE DE MESURES CONSERVATOIRES : SOUPLESSE DU CADRE ET DE LA PRATIQUE

En droit français, les conditions légales de mise en oeuvre de mesures conservatoires sont moins restrictives que celles que l'article 8 du règlement (CE) n°1/2003 impose à la Commission européenne. Au surplus, elles font l'objet d'une appréciation souple par l'Autorité de la concurrence, appuyée par la Cour de cassation. Justifiées par l'urgence, ces mesures sont prises dans des délais rapides, de l'ordre de deux à trois mois.

Cette spécificité est compatible avec le cadre européen qui prévoit que les autorités nationales de concurrence doivent pouvoir ordonner des mesures provisoires (article 5) et coopérer entre elles et avec la Commission européenne, mais ne fixe pas les critères de mise en oeuvre de telles mesures par ces autorités.

En vertu de l'article L.464-1 du code de commerce, l'Autorité de la concurrence peut ainsi, après avoir entendu les parties et le commissaire du Gouvernement, prendre les mesures conservatoires qui lui semblent nécessaires dès lors que la pratique en cause porte une atteinte « grave et immédiate à l'économie générale, à celle des secteurs intéressés, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ». Ces mesures doivent être strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence.

ARTICLE L.464-1 DU CODE DE COMMERCE

L'Autorité de la concurrence peut, à la demande du ministre chargé de l'économie, des personnes mentionnées au dernier alinéa de l'article L.462-1 ou des entreprises et après avoir entendu les parties en cause et le commissaire du Gouvernement, prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires.

Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante.

Elles peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur. Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence.

Dans son premier rapport d'activité pour 1987, le Conseil de la concurrence, qui a précédé l'Autorité de la concurrence, rappelait que le temps est un facteur important en droit de la concurrence et soulignait combien la faculté de prononcer des mesures conservatoires « témoigne d'un souci de réalisme économique ». L'ordre public économique ne peut en effet être efficacement préservé si la possibilité de rétablir la concurrence a structurellement disparu.

L'urgence est ainsi le fondement de toute mesure conservatoire et en définit le cadre.

L'URGENCE, FONDEMENT DES MESURES CONSERVATOIRES

L'urgence n'est pas définie par les textes alors même qu'elle est le fondement qui justifie des mesures provisoires. Son appréciation a été largement comprise par la pratique décisionnelle.

Le périmètre très large des circonstances justifiant le recours à des mesures rapides

L'article L.464-1 du code de commerce ne restreint pas le périmètre des circonstances nécessitant la mise en oeuvre de mesures conservatoires.

Il ressort de la pratique décisionnelle du régulateur français de la concurrence que ces mesures sont tout particulièrement mises en oeuvre pour la neutralisation de comportements d'exclusion directe ou indirecte du marché d'une ou plusieurs entreprises qui risquent de disparaître en cours de procédure.

Le Conseil de la concurrence puis l'Autorité de la concurrence ont ainsi largement recouru à ces mesures depuis 1999 dans les secteurs des communications électroniques ou de la distribution d'énergie, soit à la demande de l'entreprise victime d'une exclusion, soit, plus habituellement, lorsqu'un opérateur dominant utilise ses relations avec ses clients, fournisseurs, distributeurs ou salariés pour marginaliser puis évincer des concurrents.

Les marchés les plus concernés ont d'abord été les grands secteurs de réseaux libéralisés et ouverts à la concurrence comme les communications électroniques, la poste, l'énergie et les transports, sur le marché de gros comme sur le marché de détail. Le suivi des abus de position dominante sur les marchés émergents a également fait l'objet d'une attention particulière afin que l'opérateur historique ne puisse pas préempter le nouveau marché en tirant profit de sa position dominante.

À compter de 2006 et surtout 2007, le rythme des mesures provisoires s'est accéléré avec, respectivement, trois et six décisions. Dans les années récentes des mesures conservatoires, ont été ordonnées dans le domaine numérique : ainsi le 30 juin 2010, à la demande de la société Navx sur les conditions de traitement du service qu'elle offrait par la régie publicitaire Adwords de Google. En revanche, la demande introduite en 2015 par Gibmedia sur la politique de contenu de cette régie a été rejetée.

Un examen de la pratique contestée qui n'oblige pas à un constat prima facie

L'article L.461-1 du code de commerce exige que la demande de mesures conservatoires soit formée accessoirement à une saisine au fond. Dès lors qu'aux termes de l'article L.462-6 du même code, l'Autorité de la concurrence doit examiner si les pratiques dont elle est saisie portent atteinte à la concurrence, il lui incombe d'apprécier les conséquences des pratiques contestées mais sans avoir, à ce stade, à caractériser lesdites pratiques.

La Cour de cassation s'est écartée à cet égard de l'approche restrictive de l'article 8 du règlement de 2003 pour faire prévaloir le texte français qui ne comporte pas la condition de fond d'un constat prima facie d'infraction. Dans son rapport annuel pour 2004, elle a ainsi exposé que le Conseil de la concurrence n'avait pas « à être convaincu, à la différence de la Commission, d'une présomption d'atteinte raisonnablement forte aux règles de concurrence » pour prononcer des mesures conservatoires.

Depuis 2005, la Cour admet que des mesures conservatoires peuvent être décidées « dès lors que les faits dénoncés, et visés par l'instruction de la procédure au fond, apparaissent susceptibles, en l'état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique contraire » 23 ( * ) aux dispositions prohibant l'abus de position dominante.

La jurisprudence de la chambre commerciale assigne par ailleurs une fonction propre aux mesures conservatoires : assurer l'efficacité d'une future décision sur le fond. On notera que la loi espagnole du 15 juin 2007 va dans le même sens. Le juge britannique semble en revanche plus exigeant : il a annulé la seule décision de cette nature prise par l' Office of fair trading .

Une atteinte immédiate à des intérêts largement définis

À la différence du règlement européen ou de la loi allemande, le code de commerce ne vise pas seulement l'atteinte à la concurrence mais à un ensemble d'intérêts protégés : l'économie générale, celle du secteur intéressé, celui des consommateurs ou de l'entreprise plaignante.

L'immédiateté de l'atteinte quant à elle renvoie à un dommage actuel mais la pratique décisionnelle et la jurisprudence montrent qu'une marge d'aléa peut être prise en compte dès lors que l'atteinte existe en puissance et que toutes les conditions de sa réalisation sont réunies. Il est ainsi également possible de prévenir la réalisation d'une atteinte irrémédiable à venir.

Par ailleurs, si l'urgence le commande, la mesure peut être prise à tout moment de la procédure en cours dès lors qu'il est établi que l'atteinte est devenue immédiate.

L'URGENCE, CADRE DES MESURES CONSERVATOIRES

Les mesures conservatoires sont prises à l'aune de l'urgence.

En cas d'atteinte grave et immédiate

Les deux critères de gravité et d'immédiateté doivent être établis. En effet, la seule gravité de pratiques dont l'effet sur la concurrence n'est pas démontré ne suffit pas à justifier des mesures conservatoires.

Quant à l'immédiateté, elle fait l'objet d'un examen in concreto , en considération de l'urgence.

Enfin, l'atteinte doit résulter des pratiques dénoncées, donc être apparue à la suite de celles-ci, ce qui commande une analyse de causalité précise afin de déterminer si celle-ci est directe.

Des mesures à caractère temporaire et strictement nécessaire

Les mesures provisoires sont adoptées dans l'attente d'une décision sur le fond. Elles ont, par nature, un caractère temporaire.

Par ailleurs, elles doivent être limitées à ce qui est strictement nécessaire pour faire face à l'urgence. Le respect du principe de proportionnalité impose ainsi une appréciation in concreto , spécifique à chaque cas d'espèce.

Ces mesures peuvent prendre des formes variées, en particulier des obligations de faire ou de ne pas faire à la charge des entreprises mises en cause, et à elles seules.

Dans une décision de 2010 concernant le service AdWords , l'Autorité de la concurrence a ainsi constaté que les pratiques de Google avaient profondément affecté les revenus et le potentiel de croissance de la société requérante, rendant très difficile une deuxième levée de fonds pour financer son développement. Ces pratiques rendaient en effet très improbable la continuation de l'activité de l'entreprise dont les deux tiers du chiffre d'affaires était constitué par le service évincé par Google . Elle a en conséquence enjoint à Google de rétablir dans les cinq jours le compte de la requérante et de clarifier dans les quatre mois la portée de son règlement opposé au requérant ainsi que les procédures pouvant conduire à suspendre le compte d'un annonceur 24 ( * ) .

POUR UNE MODIFICATION DU RÈGLEMENT ET DE LA PRATIQUE EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE MESURES PROVISOIRES

La mise en oeuvre de mesures provisoires exige qu'il soit préalablement procédé à une analyse économique des effets du préjudice invoqué. Elle implique également l'établissement d'un point de vue économique du caractère difficilement réparable de celui-ci : un effet de forclusion peut se développer dans un marché où les barrières à l'entrée sont élevées ou comprennent des effets de réseau. Par ailleurs, les mesures provisoires doivent ordonner des remèdes clairs comme la fin d'un reflux d'accès, de livraison ou de licence. Enfin, il convient de veiller à ce que les mesures transitoires restent dans le cadre strict qu'impose la situation et, en particulier, qu'elles ne soient pas susceptibles d'emporter des effets difficilement réversibles sur le marché.

La proposition de résolution recommande très utilement d'améliorer le cadre juridique de mise en oeuvre d'une telle approche. Elle suggère à cet effet une modification de l'article 8 du règlement européen (CE) n°1/2003 pour rendre plus opérationnel le dispositif européen.

Votre rapporteur souscrit pleinement à cette proposition qu'il propose de compléter par deux autres dispositions tirées de l'exemple français. Enfin, il conviendrait d'appeler la Commission européenne à mettre effectivement en oeuvre des mesures conservatoires lorsque l'urgence le commande et que les conditions sont réunies.

ASSOUPLIR ET ÉLARGIR LES CONDITIONS DE MISE EN oeUVRE DES MESURES PROVISOIRES EN CAS D'ABUS DE POSITION DOMINANTE

On l'a vu, l'article 8 du règlement (CE) n°1/2003 autorise la Commission à prendre d'office des mesures provisoires sans attendre la conclusion de la procédure, mesures dont le prononcé, outre l'urgence, est subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives : justification qu'un préjudice grave et irréparable risque d'être causé à la concurrence par lesdites pratiques et un constat prima facie d'infraction aux règles de concurrence.

Ce sont ces deux conditions qui pourraient être utilement revues ainsi que le champ des intérêts protégés.

La caractérisation du préjudice : substituer l'immédiateté au caractère irréparable

L'exigence de la preuve du caractère irréparable du préjudice est par nature particulièrement difficile à démontrer. Autant un tel effet a pu être établi en cas d'accord anticoncurrentiel, en particulier d'entente prohibée par l'article 101 du TFUE, autant la Commission européenne semble avoir estimé ne pas être en mesure de mettre en oeuvre ce dispositif en cas d'abus de position dominante.

Or l'immédiateté, autrement dit l'imminence ou le caractère prévisible à très brève échéance des effets du comportement en cause dont la gravité doit par ailleurs être établie, paraît mieux répondre à l'urgence, qui justifie en tout état de cause la procédure. Au surplus, sa démonstration est plus aisée.

Il est donc proposé d'approuver la proposition de modification de l'article 8 du règlement (CE) n° 1/2003 figurant aux alinéas 17 et 18 de la proposition de notre collègue, sous réserve de supprimer, dans le commentaire qui l'accompagne, la mention de l'exigence de preuve que le droit français n'impose pas.

Alléger l'exigence d'un constat prima facie d'infraction

L'exigence d'un constat documenté d'infraction qualifiée suppose que les investigations soient suffisamment poussées pour établir le caractère infractionnel des faits qui font l'objet de la procédure.

Le texte et la pratique française permettent, on l'a rappelé, de mettre en oeuvre de telles mesure dès lors que les faits dénoncés apparaissent susceptibles, en l'état des éléments du dossier, de constituer une pratique contraire aux règles de concurrence.

Cette approche pourrait également être utilement suggérée à la Commission européenne par l'adjonction dans la proposition de résolution européenne d'une demande supplémentaire de modification du règlement de 2003 tendant à substituer à l'obligation d'un constat prima facie celle du constat que la pratique relevée (dénoncée) porte une atteinte grave et immédiate.

Étendre le champ des intérêts protégés justifiant des mesures conservatoires

Le texte français prend en compte une liste très large d'intérêts alors que le texte européen se limite à l'atteinte à la concurrence, même s'il est vrai que celle-ci est le principal motif retenu dans les décisions ordonnant des mesures conservatoires.

Une telle différence d'approche peut être justifiée au regard des rôles respectifs de la Commission et des autorités nationales de concurrence. Pour autant, elle mérite réflexion et il serait bienvenu que la Commission élargisse son champ de préoccupations pour pouvoir prendre rapidement, en tant que de besoin, des mesures provisoires afin de suspendre des comportements emportant des conséquences immédiates non seulement pour les intérêts de la concurrence mais aussi, plus spécifiquement, de l'économie générale, d'un secteur particulier, des consommateurs ou d'une entreprise plaignante.

Il est en conséquence proposé que le champ des intérêts protégés justifiant des mesures provisoires ne vise plus seulement l'atteinte aux règles de concurrence mais comprenne également l'ensemble de ces intérêts.

ENGAGER LA COMMISSION À ORDONNER DES MESURES PROVISOIRES LORSQUE L'URGENCE ET LA GRAVITÉ DES MENACES L'EXIGENT

La Commission européenne a renoncé à mettre en oeuvre des mesures conservatoires en cas de suspicion d'abus de position dominante. Or la gravité des menaces que certains comportements font peser sur la viabilité même d'acteurs européens exige de ne pas attendre l'issue de procédures dont on a vu que les délais peuvent être particulièrement longs.

Il est vrai qu'elle peut craindre que sa responsabilité extra contractuelle soit engagée en cas d'annulation des mesures par le juge européen s'il peut être établi que celles-ci ont causé un préjudice à l'entreprise qui en fait l'objet. Il convient toutefois de rappeler à cet égard que trois conditions particulièrement exigeantes doivent être réunies pour qu'une telle demande puisse prospérer : une violation suffisamment caractérisée d'une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, un préjudice réel et certain qui peut consister en une perte ou un manque à gagner, la preuve rapportée par le requérant du lien de causalité directe entre le dommage subi et l'action de l'institution.

Il est donc proposé de demander à la Commission d'examiner plus systématiquement l'opportunité de prendre de telles mesures dès lors que les conditions sont réunies, autrement dit de revoir sa pratique en la matière au vu des conséquences fatales de certains comportements d'éviction sur le fondement de critères révisés et assouplit dans le sens proposé.

Votre rapporteur avait envisagé de proposer en outre que l'article 8 du règlement (CE) n°1/2003 soit complété pour que la Commission européenne soit tenue de répondre lorsqu'elle est saisie d'une demande de mesures provisoires et se voit donc imposer l'obligation de justifier, le cas échéant, le rejet de la requête, afin que les acteurs puissent être éclairés, à ce stade de la procédure, sur l'analyse qu'elle fait des conséquences immédiates de la poursuite des pratiques qu'elle investigue. C'est en effet de sa propre initiative, dans le cadre d'un pouvoir discrétionnaire, que la Commission peut actuellement prendre de telles mesures, à la différence de l'Autorité de la concurrence française qui est tenue de statuer sur de telles demandes.

Il lui est toutefois apparu qu'une telle contrainte pourrait retarder d'autant la procédure au fond et que cette proposition être perçue comme une marque de défiance par la Commission, analyse qu'a partagée la commission des affaires européennes.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission s'est réunie le jeudi 20 juillet 2017 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par le rapporteur, M. Philippe Bonnecarrère, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet , président. - Merci monsieur le rapporteur pour vos explications sur ce sujet assez complexe. Je me réjouis que notre commission ait été réactive sur cette question aux implications importantes. Plus on pourra obtenir une harmonisation au niveau communautaire, plus le marché unique sera efficace.

M. Alain Richard. - Il s'agit d'une question-clé pour l'évolution de l'Union européenne dans les prochaines années, compte tenu du développement de l'économie numérique. Je rejoins intégralement les recommandations du rapporteur. Il faut bien percevoir les incidences d'un tel changement de termes. D'ailleurs, je suis toujours mal à l'aise lorsqu'il est question de terminologie dans un texte européen. En effet, tous les textes européens importants ont été négociés en langue anglaise. Quelle que soit la procédure, l'expression « irréparable » signifie « non susceptible d'être réparé par une indemnité financière » ; ce qui place, pour ainsi dire, la barre très haut. En réalité, la majorité des préjudices économiques, même prolongés, est susceptible d'être réparée par la voie indemnitaire ; ce qui écarte l'immense majorité des préjudices du champ d'application de ce pouvoir d'intervention en urgence. Je suppose que le terme anglais, qui a été traduit dans les autres langues des États membres, recouvre bien un tel concept. Si c'est le cas, le fait de passer à « immédiat » induit ipso facto un effet juridique radical. Telle est bien la voie du changement de texte qui s'impose. Il convient d'expliquer également la relative inertie de la Commission européenne. Je me souviens, à cet égard, d'une discussion avec notre ancien collègue M. Roland Ries sur la thématique de la concurrence ferroviaire qui relève de la compétence de la Commission européenne. Si la Commission est l'organe de défense des intérêts généraux de l'Union d'un point de vue institutionnel et est compétente, à ce titre, en matière de droit de la concurrence, son fonctionnement ne cadre plus avec l'évolution économique. En outre, les décisions de la Commission en matière de concurrence sont collégiales, ce qui génère une force d'inertie au-delà de l'effet d'entraînement dont le commissaire en charge de la concurrence peut être à l'origine. Ainsi, la question de l'abus de position dominante des grands acteurs d'Outre-Atlantique porte atteinte aux intérêts d'une grande majorité des économies européennes, à l'exception toutefois de celle des États qui sont devenus des alliés objectifs de ces GAFA. Ces États, de taille plus réduite, sont devenus des obligés ou des bénéficiaires des retombées de l'activité de ces grands groupes, et peuvent ainsi porter la contradiction au sein de l'Union européenne. Sur le sujet des mesures provisoires, je rejoins tout à fait les observations de notre rapporteur. Un corps quasi-juridictionnel ou qui a, à tout le moins, l'obligation de respecter un vaste champ de procédures, est toujours embarrassé d'en venir à une procédure provisoire de type référé, alors qu'il sait qu'il va devoir ultérieurement se prononcer sur le fond. Par ma simple expérience du contentieux administratif, une juridiction me semble pouvoir, forte des éléments dont elle dispose au niveau du référé, aboutir à une première solution avant de pouvoir justifier, lors de l'examen au fond, d'une autre solution. En termes de lisibilité et de sentiment d'avoir dit le droit de la manière la moins faillible possible, personne n'aime cela ! Un changement de perspective devra intervenir pour que la Commission européenne se mette à faire du référé ! Les préjudices occasionnés par les GAFA sur l'ensemble de l'économie européenne sont suffisamment importants pour convaincre la Commission, garante des intérêts économiques généraux de l'Union, d'évoluer sur cette question. Une telle démarche suppose enfin une coalition d'États mobilisés et soucieux de défendre leurs intérêts économiques.

Mme Colette Mélot. - Je voudrais féliciter notre collègue rapporteur pour sa belle démonstration de la pertinence de ce sujet et souligner l'opportunité de s'en saisir dans le contexte actuel. C'est là un enjeu majeur sur lequel travaille notre collègue Mme Morin-Desailly qui a déjà commis plusieurs rapports sur ce sujet. Dans un monde où le numérique est omniprésent et s'avère une source de domination, la prise de conscience des abus de position dominante et de la faiblesse de la réponse de l'Union européenne est générale. D'ailleurs, c'est un sujet transverse que la ministre de la culture, Mme Françoise Nyssen, a récemment évoqué, à l'occasion de ses propos sur les droits d'auteur.

M. André Reichardt. - Je souhaite également féliciter notre collègue, M. Philippe Bonnecarrère, pour la qualité de son rapport. J'épouse totalement ses conclusions. Il est indispensable que soient au plus vite modifiés les termes de l'article 8 du règlement de 2003, comme y invite le texte de cette proposition de résolution. Au-delà des termes mêmes, il sera beaucoup plus facile à la Commission de dresser le constat d'une atteinte grave et immédiate que de prouver un préjudice grave et irréparable, comme vient de le souligner notre collègue M. Alain Richard. On ne se situe pas au même niveau : en effet, le constat est une chose tandis que le préjudice en est la conséquence. D'où la difficulté, bien vue par le rapporteur, pour la Commission de pouvoir interdire en référé sans devoir extrapoler et alléguer un préjudice irréparable pour pouvoir agir. Ce n'est tout de même pas simple ! Que l'on puisse, comme en droit français, procéder rapidement en référé, et non au bout de sept ans, quitte, au fond, ultérieurement à juger que l'on s'est trompé, me paraît fondamental. Le texte européen n'a pas évolué alors que le contexte a changé. Je salue cette proposition de résolution européenne et je souhaite que la réglementation bientôt en vigueur puisse désormais correspondre à l'évolution économique induite notamment par le développement du numérique.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Je remercie nos collègues pour leurs interventions qui achèvent d'éclairer le sujet. Il est exact que, pour prendre des mesures provisoires, il est nécessaire de convaincre le collège des commissaires dont les positions peuvent s'avérer divergentes. Vous avez vous-mêmes interrogé l'ambassadeur estonien sur ces questions et pu mesurer la distance qui était la sienne par rapport à nos positions. M. Alain Richard, vous avez évoqué les changements de pratique de la Commission : à sept jours près, la dernière mesure provisoire a été prise il y a seize ans, dans l'affaire NDC-Elst. Depuis lors, aucune mesure provisoire n'est intervenue. La Commission est très pertinente dans son action de négociations préalables. Elle privilégie ainsi les engagements qui lui permettent de mobiliser son arsenal de sanctions. D'ailleurs, infliger une sanction de 1 % ou de 5 % peut induire des conséquences financières importantes pour des groupes extra-européens, une forme d'extra-territorialité, à l'instar de ce que connaît actuellement le groupe BNP Paribas avec les autorités américaines, qui pourrait être amené à provisionner de nouveaux montants suite aux dernières sanctions dont il a fait l'objet. À cet égard, le droit de la concurrence européen me semble participer d'une forme d'extra-territorialité. Engagement, procédure contractuelle préalable, puis sanction : alors que la Commission européenne demeure pertinente au début et à la fin de la chaîne des procédures, c'est en son milieu, c'est-à-dire en matière de mesures provisoires, que se posent les problèmes.

S'agissant du texte de la proposition, je vous invite à porter votre attention sur les points 21 et suivants, après les considérants sur les enjeux de souveraineté numérique. Le point 21 propose de substituer le caractère immédiat de l'atteinte à celui de son caractère « irréparable » ; je n'y reviens pas. Le point 22 propose d'alléger les éléments de preuve que doit produire la Commission et substitue à l'obligation d'établir un constat prima facie d'infraction le constat que la pratique relevée porte une telle atteinte. Cette expression de prima facie qui figure dans le règlement de 2003 illustre, comme l'a évoqué notre collègue M. Alain Richard, l'utilisation de termes latins plutôt spécifiques au droit anglo-saxon.

M. Alain Richard. - Je m'en remets à vous sur ce point !

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Je ne suis pas certain, en tout cas, que cette expression latine ait la même signification pour nous. Un allègement est ainsi proposé. Par ailleurs, pour donner suite aux échanges que nous avons eus avec les praticiens du droit, il convient d'élargir la sphère des intérêts protégés et d'aller au-delà de la simple atteinte aux règles de concurrence en prenant en compte celles qui visent l'économie générale, les secteurs intéressés, voire les consommateurs ou l'entreprise plaignante. L'idée sous-jacente à cette démarche est ainsi de reconnaître que l'exclusion d'un opérateur porte atteinte à la concurrence. Nous avons d'ailleurs évoqué ces points 21, 22 et 23 avec Mme Isabelle de Silva qui préside désormais l'Autorité de la concurrence. Si elle valide l'ensemble de nos propositions, elle m'a, en revanche, demandé de faire montre de moins d'enthousiasme sur le point 24 qui porte sur les demandes de mesures provisoires déposées par les entreprises auprès de la Commission lorsqu'elles dénoncent un abus de position dominante. En effet, la commission devrait motiver son refus de prendre des mesures provisoires. Selon Mme de Silva, une telle proposition serait certainement écartée par les commissaires et risquerait de reporter la révision du règlement de 2003. En outre, elle risquerait de figer la procédure, en obligeant la Commission à un acte administratif supplémentaire. C'est la raison pour laquelle je vous propose la suppression du point 24. Enfin, le point 25 demande effectivement à la Commission d'utiliser les mesures provisoires qui sont à sa disposition. Je vous propose de retenir le texte de la proposition ainsi élargie par rapport à ce qu'avait proposé notre collègue, Mme Catherine Morin-Desailly.

M. Jean Bizet , président. - En enlevant le point 24 ?

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Tout à fait.

M. Jean Bizet , président. - Monsieur le Rapporteur, je souhaiterais que nous ayons également un dialogue avec Mme de Silva sur ces questions, comme nous l'avons fait, du reste, avec son prédécesseur. De tels échanges ne peuvent que contribuer à faire bouger les lignes sur des questions comme celle qui nous occupe aujourd'hui !

M. Alain Richard. - J'imagine que les réticences exprimées par Mme de Silva s'expliquent par le risque d'effets collatéraux !

M. Jean Bizet , président. - Je vous remercie, Monsieur le Rapporteur, pour la qualité de vos explications. Je pense que chacune et chacun d'entre vous a approuvé cette proposition de résolution. Je me propose, au nom de la commission, d'adresser le rapport au président Juncker. En outre, je vous propose de demander que ce sujet soit débattu aux prochaines COSAC, et notamment celle qui se déroulera en novembre prochain, sous présidence estonienne. Outre le numérique, il faut aussi s'intéresser à l'intelligence artificielle qui, comme le souligne le dernier rapport de l'OPECST, bouleverse nos vies. Notre commission est ainsi dans la réactivité face à des sujets qui vont bouleverser le quotidien de nos concitoyens.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution ;

Vu les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne ;

Vu l'article 8 du règlement (CE) n° 1/2003 du 16 décembre 2002 du Conseil relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ;

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 6 mai 2015, intitulée « Stratégie pour un marché unique numérique en Europe » (COM (2015) 192) ;

Vu les conclusions du Conseil européen des 22 et 23 juin 2017 ;

Vu l'article L 464-1 du code de commerce ;

Vu la résolution européenne adoptée par le Sénat le 30 juin 2015 pour une stratégie européenne du numérique globale, offensive et ambitieuse ;

Vu le rapport d'information sénatorial « L'Europe au secours de l'Internet : démocratiser la gouvernance de l'Internet en s'appuyant sur une ambition politique et industrielle européenne », (n° 696 tome I, 2013-2014) - 8 juillet 2014 - de Mme Catherine MORIN-DESAILLY, fait au nom de la mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'Internet ;

Considérant que la souveraineté numérique est un enjeu politique majeur pour l'Union européenne ;

Considérant que cette souveraineté ne peut être exercée que par le biais d'un tissu économique et entrepreneurial dynamique qui doit être protégé des abus de position dominante ou des situations monopolistiques suscitées par les grands groupes étrangers ;

Considérant que le droit européen de la concurrence doit être l'outil privilégié pour garantir la croissance des entreprises et des acteurs européens du numérique vers une taille critique permettant à l'Union de parachever sa souveraineté technologique ;

Considérant que la longueur des procédures contentieuses engagées par la Commission européenne au nom du respect de la concurrence fait obstacle à la préservation d'un objectif affiché et ambitieux de développement des technologies européennes ;

Considérant que la législation européenne actuelle relative au déclenchement de mesures conservatoires est trop restrictive pour avoir un effet significatif sur la préservation de l'équilibre du marché européen de l'industrie du numérique ;

Considérant de surcroît que la procédure de l'article 8 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité n'a pas été déclenchée depuis l'entrée en vigueur du règlement en 2004 en dépit de la concentration toujours plus forte des entreprises du numérique autour de grands groupes étrangers ;

Considérant qu'en droit français, l'article L. 464-1 du code de commerce permet de façon plus opérationnelle à l'Autorité de la concurrence d'imposer, en cas d'urgence, des mesures conservatoires aux entreprises dont le comportement anticoncurrentiel porte une atteinte grave et immédiate à l'économie en général, à celle du secteur concerné, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ;

Demande, en conséquence, que l'article 8 du règlement CE n° 1/2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues par les articles 81 et 82 du traité, soit modifié afin de revoir, dans l'esprit de l'article L. 464-1 du code de commerce, les conditions de mise en oeuvre des mesures provisoires que la Commission européenne peut prendre en cas de comportement susceptible de porter atteinte à la concurrence et alléger l'exigence de qualification dudit comportement ;

Fait valoir que ces modifications conduiraient à :

- assouplir les critères de définition du risque d'atteinte à la concurrence résultant de la pratique en cause (« préjudice grave et irréparable ») pour prévoir « le constat d'une atteinte grave et immédiate » ;

- alléger l'obligation pour la Commission d'établir un « constat prima facie d'infraction » en lui substituant celle du constat que la pratique relevée porte une telle atteinte ;

- élargir le champ des intérêts protégés justifiant des mesures provisoires en ne visant plus seulement l'atteinte « aux règles de concurrence » mais également « à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante » ;

Demande à la Commission d'utiliser effectivement l'instrument des mesures provisoires lorsque l'urgence le justifie et dès lors que les conditions permettant sa mise en oeuvre sont réunies ;

Invite le Gouvernement à défendre et faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.


* 1 Pour Google , Apple , Facebook et Amazon.

* 2 Arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 38.

* 3 Arrêt Hoffman-La Roche/Commission, précité, point 91 ; arrêts du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 70 ; AKZO/Commission, précité, point 69, et du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C-95/04 P, Rec. p. I-2331, point 66.

* 4 Arrêt du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, Rec. p. 215, point 26.

* 5 Arrêt Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, précité, point 57.

* 6 Arrêt AKZO/Commission, précité, point 70.

* 7 P8_TA(2016)0004.

* 8 La Commission a ainsi obtenu des séparations structurelles des groupes allemands EON (2008) et RWE (2010) ainsi que du groupe pétrolier italien ENI (2011).

* 9 CJCE 792/79 ordonnance du 17 janvier 1980 Camera Care c/ Commission .

* 10 COM(2012) 784 final « Une stratégie numérique pour l'Europe : faire du numérique un moteur de la croissance européenne. »

* 11 COM(2015) 192 final « Stratégie pour un marché unique du numérique en Europe . »

* 12 Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions sur la politique de concurrence 201, SWD(2016) 198 final.

* 13 COM(2016) 288 final - Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur « Les plateformes en ligne et le marché unique numérique- Perspectives et défis pour l'Europe. »

* 14 COM(2017) 228 final - Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur « L'examen à mi-parcours de la mise en oeuvre de la stratégie pour le marché unique numérique - Un marché connecté pour tous . »

* 15 CEUCO 8/17 CONCL 3 Réunion du Conseil européen (22 et 23 juin 2017) - Conclusions.

* 16 Rapport d'information n° 396 (2015-2016) de M. Philippe Bonnecarrère, fait au nom de la commission des affaires européennes « Mieux appliquer le droit européen de la concurrence au niveau national : pour une convergence maîtrisée » , 11 février 2016.

* 17 Proposition de résolution européenne n° 403 (2015-2016), présentée, au nom de la commission des affaires européennes, par M. Philippe Bonnecarrère, 15 février 2016.

* 18 Résolution n° 112 (2015-2016) du Sénat le 20 mars 2016.

* 19 Rapport d'information n°696 (2013-2014) de Mme Catherine Morin-Desailly, « L'Europe au secours de l'Internet : démocratiser la gouvernance de l'Internet en s'appuyant sur une ambition politique et industrielle européenne », 8 juillet 2014 .

* 20 Proposition de résolution européenne n°423 (2014-2015), présentée par Mme Catherine Morin-Desailly et M. Gaëtan Gorce, 4 mai 2015.

* 21 Résolution n°122 (2014-2015) du Sénat le 30 juin 2015.

* 22 Voir supra .

* 23 C. cass, 8 novembre 2005, TPS.

* 24 Décision précitée de l'Autorité de la concurrence 10-MC-01 du 30 juin 2010 relative à la demande de mesures conservatoires présentée par la société Navx.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page