EXAMEN DES ARTICLES
TITRE IER - PRÉSERVATION DES TERRES AGRICOLES
Article 1er(article L. 143-15-1 [nouveau] du
code rural et de la pêche maritime) - Obligation pour les
sociétés d'acquérir des terres agricoles à travers
une société de portage foncier
Objet : cet article interdit aux personnes morales d'acquérir des terres agricoles sauf en créant une structure dédiée de portage foncier.
I. Le droit en vigueur
L'achat de terres agricoles est ouvert tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales. Le processus d'achat des terres agricoles est encadré par une série de règles destinées à avantager les agriculteurs par rapport aux autres types d'acheteurs.
Les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) disposent, en vertu de l'article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime, d'un droit de préemption sur les ventes de « biens immobiliers à usage agricole et de biens mobiliers qui leur sont attachés ou de terrains nus à vocation agricole ». Ce droit de préemption s'étend aux bâtiments agricoles. Il leur permet de s'interposer dans les ventes et de remplacer l'acheteur, afin de répondre à l'un des 9 objectifs fixés par l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime, notamment l'installation des jeunes agriculteurs. Les SAFER rétrocèdent ensuite les terres agricoles acquises.
Le preneur en place dispose aussi d'un droit de préemption sur les terres qu'il exploite , en vertu de l'article L. 412-1 du code rural et de la pêche maritime, dès lors qu'il est agriculteur depuis plus de trois ans. L'exercice de ce droit de préemption oblige l'acheteur à exploiter les terres pendant au moins 9 ans.
Les terres agricoles possédées par des personnes morales sont intégrées à l'actif de leur bilan, avec pour contrepartie l'émission de parts sociales. De nombreux types de sociétés peuvent détenir du foncier agricole :
- Le code rural et de la pêche maritime définit deux types de sociétés dédiées au portage foncier : les groupements fonciers agricoles (GFA) et les groupements fonciers ruraux (GFR). Les GFA sont des sociétés civiles formées seulement entre personnes physiques, avec des exceptions limitées, régies par les articles L. 322-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime. Leur but est la création ou la conservation de l'exploitation agricole. Les parts de GFA sont cessibles avec une priorité pour les autres détenteurs de parts sociales. Il s'agit d'une formule souvent utilisée pour maintenir le patrimoine foncier au sein de la famille à l'occasion de transmissions générationnelles.
Régi par l'article L. 322-22 du code rural et de la pêche maritime, le GFR est aussi une société civile de personnes, destiné à gérer des immeubles à usage agricole et forestier, et dispose d'un statut calqué sur celui du GFA.
À côté du GFA et du GFR, les propriétaires de terres agricoles peuvent créer des structures de droit commun pour le portage du foncier, comme les sociétés civiles immobilières (SCI).
Il arrive aussi que le portage du foncier ne soit pas effectué au sein de sociétés dédiées mais que les agriculteurs aient constitué des sociétés, support juridique de l'exploitation, qui détiennent en propre un capital foncier, issu d'acquisitions par la société ainsi constituée ou d'apports lors de la constitution de la société. Cet apport donne lieu à émission de parts sociales, en contrepartie.
L'exploitation agricole sous forme individuelle décline, au profit de l'exploitation sous forme sociétaire depuis une vingtaine d'années. Lors du recensement de 2010, 69 % des exploitations étaient encore sous forme individuelle mais ne représentaient plus que 43 % de la surface agricole utilisée (SAU). Les groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC) et les entreprises agricoles à responsabilité limitée (EARL) représentaient respectivement 20 et 28 % de la SAU. Enfin, les autres formes sociétaires comme les sociétés civiles d'exploitation agricole (SCEA), les sociétés anonymes (SA) ou sociétés anonymes à responsabilité limitée (SARL) représentaient pour leur part 7 % des exploitations et 9 % des surfaces.
II. La proposition de loi initiale
La proposition de loi est issue des dispositions foncières votées au Sénat et à l'Assemblée nationale durant la discussion du projet de loi Sapin.
L'article 1 er vise à faire obstacle aux acquisitions de terres agricoles directement par les personnes morales, en les obligeant à réaliser ce type d'acquisition à travers des sociétés dédiées au portage foncier . Le mécanisme d'achat prend alors la forme d'une rétrocession par voie d'apport des terres agricoles acquises par la personne morale soumise à cette nouvelle obligation au sein de la société de portage foncier. En contrepartie de cet apport, des parts sociales sont attribuées à la personne morale ayant effectué l'acquisition.
Le dispositif proposé par l'article 1 er est assorti de plusieurs limites :
- tout d'abord, la filialisation de l'acquisition ne s'applique pas lorsque la surface totale détenue par la personne morale est inférieure au seuil défini pour le contrôle des structures , dans le schéma directeur régional des exploitations agricoles ;
- ensuite, la filialisation de l'acquisition ne s'applique pas pour certains types de sociétés : les GFA et GFR, dont l'objet est précisément la propriété agricole, les SAFER, mais aussi les GAEC et EARL, au sein desquels les porteurs de parts sociales sont forcément des agriculteurs participant personnellement à l'exploitation, ou encore les associations dont l'objet principal est la propriété agricole ;
- enfin, cette obligation ne vaut que pour l'avenir : les sociétés qui détiennent déjà des terres agricoles ne devront pas les transférer à une structure de portage foncier.
Le nouvel article L. 143-15-1 du code rural et de la pêche maritime prévoit un mécanisme pour prévenir les détournements de procédure :
- pour éviter que des transferts de propriété de terres agricoles détenues par des sociétés à travers leurs filiales dédiées au portage foncier échappent au regard des SAFER, l'alinéa 3 dispose qu'en cas de cession de la majorité des parts de ces sociétés, les parts de ces filiales sont réputées cédées dans les mêmes proportions. Cette exigence de proportionnalité a été ajoutée par rapport au dispositif voté en loi Sapin II pour garantir l'équité du dispositif ;
- en outre, les SAFER disposent d'un délai de six mois pour demander au juge d'annuler la cession ou de la déclarer acquéreuse en lieu et place de l'acquéreur initial en cas de méconnaissance par une personne morale de cette obligation de filialiser.
La proposition de loi prévoit une mise en application du nouveau dispositif dans un délai de six mois.
III. Le texte de l'Assemblée nationale
Les députés n'ont apporté aucune modification à l'article 1 er de la proposition de loi.
IV. La position de votre commission
L'article 1 er reprend le dispositif voté par le Sénat en loi Sapin II. La solution consistant à imposer aux sociétés souhaitant acquérir des terres agricoles à le faire à travers une société dédiée au portage foncier avait pour but de permettre une meilleure transparence des transactions de ce type.
Elle est indissociable de l'article 3 , qui étend le droit de préemption des SAFER aux cessions partielles de parts sociales des sociétés dont l'objet principal est la propriété agricole. Dans la mesure où l'alinéa 3 de l'article 1 er oblige à une cession conjointe des parts sociales de la société de portage foncier et de la société lui ayant apporté ce foncier, ce droit de préemption pourra aussi s'exercer en cas de vente de parts des sociétés-mères.
L'application de l'article 1 er présente de nombreuses difficultés :
- tout d'abord, le mécanisme mis en place n'est pas exempt de risques de contournement : un premier contournement pourrait intervenir en créant une multitude de petites sociétés, qui se situeraient en dessous des seuils du contrôle des structures et dont les acquisitions seraient alors hors du champ d'intervention des SAFER. Un autre contournement pourrait consister à créer une holding au-dessus de la société achetant des terres agricoles. Les ventes de parts de cette société-mère équivaudront à des échanges de terres, sans être soumises au regard des SAFER ;
- ensuite, le mécanisme créé fait naître une incertitude sur le plan fiscal : quel sera le traitement réservé aux parts de la société de portage foncier ?
- en outre, des interrogations sont apparues sur le type de société pouvant être mises en place pour assurer le portage foncier . Il ne peut s'agit d'un GFA ou d'un GFR puisqu'ils ne peuvent avoir comme membres que des personnes physiques. Il ne peut s'agir d'une SCI, d'une société anonyme (SA) ou d'une société anonyme à responsabilité limitée (SARL) que s'il existe au moins deux actionnaires, c'est-à-dire si l'achat de terres agricoles regroupe plusieurs apporteurs de capitaux. Au final, la formule de la société par actions simplifiée (SAS) semblerait la plus probable pour assurer le portage de terres, à condition que son objet social soit restreint à cette seule finalité ;
- une autre critique porte sur la complexité du dispositif : la création d'une société nouvelle dédiée au portage foncier nécessite des démarches administratives et la rétrocession par voie d'apports doit faire l'objet d'un enregistrement auprès des services fiscaux ainsi que d'une publication officielle. L'intervention d'un commissaire aux apports sera également requise ;
- enfin, une difficulté pourrait apparaître pour les sociétés actuellement locataires de terres agricoles . L'obligation de passer par une société de portage foncier pour acquérir ces terres, si elles venaient à être mises en vente, pourrait rendre inopérant le droit de préemption dont bénéficie le fermier en place en vertu de l'article L. 412-1 du code rural et de la pêche maritime. En effet, ce droit de préemption est subordonné à l'exploitation personnelle du bien ainsi acquis par l'acquéreur. Le montage sociétaire exigé par l'article 1 er ne permet certainement pas de remplir cette condition.
Aussi, votre rapporteur a proposé à votre commission, qui l'a accepté, un amendement COM-7 rect ajoutant un cas de dispense de l'obligation de filialisation de l'acquisition de terres agricoles pour les personnes morales, lorsqu'une entreprise agricole constituée sous une autre forme que le GAEC ou l'EARL achète des terres dont elle est déjà locataire.
Votre commission a adopté cet article ainsi modifié. |
Article 2 (articles L. 322-2, L. 322-22 et L. 322-24 du code rural et de la pêche maritime et article 793 du Code général des impôts) - Possibilité d'acquisition, pour les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, de plus de 30 % des parts de groupements fonciers agricoles ou ruraux
Objet : cet article lève l'interdiction pour les SAFER de monter au capital des GFA et GFR au-delà 30 %.
I. Le droit en vigueur
Les articles L. 322-2 et L. 322-22 du code rural de de la pêche maritime limitent la prise de participation des SAFER à hauteur de 30 % du capital des GFA et des GFR.
La présence des SAFER dans le capital de ces structures ne peut être que temporaire, les SAFER n'ayant pas vocation à conserver dans leur patrimoine de tels actifs.
II. Le texte adopté par l'Assemblée nationale
Le dispositif proposé a pour objet de lever la limitation à 30 % du capital de la participation des SAFER aux GFA et GFR.
Les modalités d'acquisition amiables des parts de GFA et de GFR sont ainsi alignées sur les dispositions applicables à l'ensemble des sociétés sur lesquelles les SAFER peuvent exercer leur droit de préemption.
Le quatrième alinéa de l'article, introduit par les députés à l'initiative du rapporteur Dominique Potier, prévoit en outre la suppression de l'article L. 322-24 du code rural et de la pêche maritime, qui renvoie à un décret en Conseil d'État l'application des mesures relatives aux GFA et GFR. Ce décret n'a jamais été pris et n'est absolument pas nécessaire.
Le II de l'article 2, a été introduit également par amendement pour coordonner les dispositions du code général des impôts à cette suppression d'article du code rural et de la pêche maritime.
III. La position de votre commission
Les dispositions de cet article avaient été votées en loi Sapin II.
Les apports de l'Assemblée nationale ont une portée purement technique et ne posent aucune difficulté de fond.
Votre commission a adopté cet article sans modification. |
Article 3 (article L.143-1 du code rural et de la pêche maritime) - Droit de préemption des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural en cas de cession partielle de parts ou actions de sociétés agricoles
Objet : cet article étend le droit de préemption des SAFER sur les cessions partielles de parts sociales de sociétés de portage de foncier agricole.
I. Le droit en vigueur
Les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural disposent d'un droit de préemption des terres agricoles, lorsque l'exercice de ce droit de préemption poursuit l'un des objectifs énumérés à l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime.
La loi d'avenir pour l'agriculture du 13 octobre 2014 a reconnu aux SAFER un droit de préemption en cas d'aliénation à titre onéreux de la totalité des parts ou actions d'une société agricole, à condition toutefois que l'exercice de ce droit ait pour seul objet l'installation d'un agriculteur.
Or, ce droit de préemption sur les parts sociales peut être contourné par des montages juridiques passant par l'aliénation d'une partie seulement des parts ou actions d'une entreprise agricole, la SAFER ne pouvant pas alors exercer son droit de préemption.
Dans le cas de la cession de terres agricoles à une société chinoise dans le Berry, celle-ci portait sur 98 % des parts, empêchant ainsi toute intervention de la SAFER.
II. Le texte adopté par l'Assemblée nationale
Le dispositif proposé par l'article 3 a pour objet d'élargir le droit de préemption des SAFER aux cessions partielles des parts ou actions des sociétés agricoles, lorsque l'acquisition aurait pour effet de conférer au cessionnaire la majorité des parts ou actions, ou une minorité de blocage au sein de la société.
Ce droit de préemption est également étendu dans la mesure où les objectifs qui doivent être poursuivis par l'exercice de ce droit sont non seulement l'installation d'agriculteurs mais aussi le maintien ou la consolidation des exploitations agricoles existantes.
III. La position de votre commission
L'article 3 reprend lui aussi les dispositions votées en loi Sapin II. Le choix d'étendre le droit de préemption des SAFER répond au constat de l'insuffisance de l'extension de ce droit de préemption aux seules cessions totales de droits lors de la loi de 2014.
Une préemption sur une cession partielle de droits sociaux peut paraître curieuse, dans la mesure où l'un des principes de base du droit des sociétés, l' affectio societatis , suppose que les associés fassent société sur la base d'une volonté commune. La préemption s'oppose à la volonté des parties lors des cessions de parts et peut conduire à des associations forcées au sein de la société lors de la rétrocession des parts.
Or, il existe d'autres types de droit de préemption en cas de cessions partielles de parts sociales : ainsi, la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, dite « loi MOLLE », avait permis l'exercice du droit de préemption urbain sur les cessions de la majorité des parts de SCI, hors SCI familiales. La loi ALUR du 24 mars 2014 permet désormais dans certaines conditions d'exercer le droit de préemption en cas de cession d'une minorité de parts d'une SCI.
L'atteinte au droit de propriété que représente la préemption paraît donc justifiée par le but d'intérêt général que représente la préservation d'exploitations agricoles existantes ou l'encouragement de l'installation de jeunes agriculteurs.
La commission a adopté cet article sans modification. |
Article 4 (article L. 143-5 du code rural et de la pêche maritime) - Obligation de conserver cinq ans les droits sociaux reçus en contrepartie d'un apport en société
Objet : cet article oblige les personnes physiques ou morales ayant apporté des terres à une société à conserver les parts correspondantes pendant cinq ans.
I. Le droit en vigueur
L'apport en société, notamment de terres agricoles, au capital des entreprises donne droit en contrepartie à des parts sociales. Les détenteurs de ces parts sociales ne sont pas tenus de les conserver et peuvent librement les céder.
II. Le texte adopté par l'Assemblée nationale
Cet article prévoit un encadrement de l'apport en société portant sur des immeubles agricoles en introduisant un délai de conservation minimale de cinq ans des droits sociaux correspondant à cet apport et une sanction de nullité en cas de méconnaissance de cet engagement. Le dispositif prévu bloque juridiquement la possibilité d'effectuer un apport de terres en société et de céder rapidement les parts correspondantes, dans un but spéculatif.
Pendant ce délai de cinq ans, la cession des droits sociaux est possible, mais soumis à l'accord préalable de la SAFER. Ce dispositif permettra une implication de long terme des associés dans une société à objet agricole et évitera les montages juridiques spéculatifs.
III. La position de votre commission
Les dispositions de cet article avaient été votées en loi Sapin II. La durée de détention des parts sociales avait été fixée d'abord à 10 ans, avant d'être réduite en cours de discussion. Une durée de cinq ans est suffisante.
Votre commission a adopté cet article sans modification. |
Article 5 (article L. 142-4 du code rural et de la pêche maritime) - Possibilité, pour les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, de maintenir leur participation au capital d'une société de personnes jusqu'à cinq ans, pour rétrocéder ensuite les droits acquis
I. Le droit en vigueur
L'acquisition de biens fonciers par les SAFER conduit à des rétrocessions obéissant à des critères strictement définis et liés à l'objet même des SAFER. Les terres ou les exploitations acquises sont ainsi rétrocédées à l'issue d'une période transitoire qui ne peut excéder cinq ans. Au cours de cette période, l'article L. 142-4 du code rural et de la pêche maritime prévoit que les SAFER prennent toutes les mesures conservatoires nécessaires au maintien des biens en état d'utilisation et de production.
Ces dispositions s'appliquent en cas d'acquisition amiable ou en cas d'utilisation du droit de préemption par les SAFER.
II. Le texte adopté par l'Assemblée nationale
Cet article permet aux SAFER de maintenir leur participation au capital d'une société de personnes jusqu'à cinq ans, le temps d'effectuer la rétrocession de ces droits.
III. La position de votre commission
Il s'agit là d'une disposition nécessaire pour tirer les conséquences de l'extension du droit de préemption des SAFER, qui disposeront d'un délai de cinq ans pour effectuer les rétrocessions de parts sociales acquises en vertu des pouvoirs conférés par la présente proposition de loi.
Votre commission a adopté cet article sans modification. |
Article 6 (intitulé de la section 3 du chapitre II du titre Ier du livre III et articles L. 312-3 et L. 312-4 du code rural et de la pêche maritime) - Barème de la valeur des terres agricoles
Objet : cet article supprime le répertoire départemental de la valeur des terres agricoles au profit du barème indicatif établi au niveau ministériel.
I. Le droit en vigueur
La section 3 du chapitre II du titre I er du Livre III du code rural et de la pêche maritime est consacrée à la question de la transparence du marché foncier agricole.
Cette transparence est assurée par la publication de données sur les valeurs vénales des terres agricoles à travers plusieurs instruments prévus par la loi :
L'article L. 312-3 du code rural et de la pêche maritime prévoit que dans chaque département, la commission départementale d'aménagement foncier (CDAF) tient un répertoire qui précise, pour chaque catégorie de terres agricoles et par région naturelle :
- la valeur vénale moyenne ;
- la valeur locative moyenne ;
- et la valeur de rendement moyenne des terres agricoles.
Ces données doivent constituer un élément d'appréciation du juge pour la fixation de la valeur des terres agricoles, en cas de litige.
Dans l'attente de la publication de ces répertoires, l'article L. 312-4 du code rural et de la pêche maritime donne mission au ministre de l'agriculture de publier un barème indicatif de la valeur vénale moyenne des terres agricoles, établi pour chaque département par région naturelle et par nature de culture .
Le dernier barème a été publié par un arrêté du 11 août 2016 portant fixation du barème indicatif de la valeur vénale moyenne des terres agricoles en 2015. Ce barème indique des prix dominants, des prix minimum et maximum constatés lors des transactions. Il ne concerne que les cessions et n'indique pas la valeur locative moyenne ou encore la valeur de rendement.
II. La proposition de loi initiale
L'article 6 de la proposition de loi reprend une disposition adoptée durant la discussion de la loi Sapin II, censurée ensuite pour des raisons de procédure par le Conseil constitutionnel, qui vise à remplacer le répertoire départemental, jamais mis en oeuvre, par le barème fixé par le ministre de l'agriculture.
Les dispositions réglementaires prises pour l'application de l'article L. 312-3 du code rural et de la pêche maritime ne sont en effet jamais intervenues, si bien que seul le barème ministériel est aujourd'hui disponible .
La proposition de loi supprime donc l'article L. 312-3 qui concerne le répertoire et réécrit l'article L. 312-4 qui régit le barème, pour faire du barème non plus un instrument provisoire mais un instrument de référence , publié chaque année par le ministre de l'agriculture.
Ce barème de la valeur vénale des terres agricoles conserve le même degré de précision : il doit décliner la valeur des terres par département, par région naturelle à l'intérieur des départements et par nature de culture, en tenant compte des ventes effectuées dans l'année, et le cas échéant au cours des cinq années précédentes. Il doit constituer une référence pour les juges lors des contestations sur les prix, par exemple en cas de préemption des SAFER avec révision de prix.
Tirant les conséquences de la suppression du répertoire au profit du barème, l'intitulé de la section 3 du chapitre II du titre I er du Livre III du code rural et de la pêche maritime devient « Le barème de la valeur des terres agricoles ».
III. Le texte de l'Assemblée nationale
Les députés n'ont apporté aucune modification à l'article 6, ni en commission ni en séance.
IV. La position de votre commission
Votre rapporteur était favorable à cette mesure de simplification et de clarification lors de la discussion du projet de loi Sapin II et soutient la réintroduction de cette disposition au sein de la présente proposition de loi.
La commission a adopté cet article sans modification. |
Article 7 (article L. 221-2 du code de l'urbanisme) - Assouplissement du régime de concession temporaire de terres à usage agricole
Objet : cet article assouplit les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent accorder sur leurs réserves foncières aux agriculteurs des concessions temporaires de terres à usage agricole.
I. Le droit en vigueur
Pour la mise en oeuvre de leurs grands projets, l'État, les collectivités territoriales, ou leurs établissements publics, ainsi que des syndicats mixtes sont autorisés par l'article L. 221-1 du code de l'urbanisme à acheter des terres ou des bâtiments, si nécessaire par expropriation, pour constituer des réserves foncières.
En attendant la réalisation des projets, ces réserves foncières peuvent faire l'objet de concessions temporaires . Les terres agricoles de ces réserves peuvent ainsi être louées, en dehors des règles du statut du fermage. Il s'agit en effet de ne pas laisser ces terrains à l'abandon dans l'intervalle entre leur acquisition et leur aménagement.
L'article L. 221-2 du code de l'urbanisme précise que lorsque les terres à usage agricole sont concédées, il ne peut être mis fin à ces concessions que moyennant un préavis d'au moins un an.
II. La proposition de loi initiale
L'article 7 de la proposition de loi reprend une disposition adoptée durant la discussion de la loi Sapin II, censurée ensuite pour des raisons de procédure par le Conseil constitutionnel, qui visait à assouplir le régime de la concession temporaire de terres agricoles.
L'existence d'un délai d'une année peut être en effet considéré comme plutôt long, pouvant amener les collectivités territoriales qui sont dans l'incertitude des dates de début d'opérations d'aménagement à refuser d'accorder de telles concessions temporaires.
Le dispositif proposé par l'article 7 :
- permet un préavis plus court : trois mois avant la levée de récolte ou trois mois avant la fin de l'année culturale ;
- conserve le délai de droit commun d'un an, mais en ajoutant une indemnisation de l'agriculteur en cas de destruction de culture avant récolte .
III. Le texte de l'Assemblée nationale
Les députés n'ont apporté aucune modification à l'article 7, ni en commission ni en séance.
IV. La position de votre commission
Votre rapporteur souligne que la modification apportée au régime de concession temporaire des terres agricole est plus complexe qu'elle n'y paraît. Certes, le raccourcissement à trois mois du délai de préavis dans certains cas constitue un assouplissement du régime actuel, qui exige dans tous les cas un préavis d'une année.
Mais dans le même temps, le délai de préavis d'un an est assorti d'une obligation nouvelle pour le concédant, consistant à prévoir une indemnisation dans le cas où la culture serait détruite avant récolte. Cette condition nouvelle sécurise davantage l'agriculteur concessionnaire de terres à titre précaire, mais en même temps, pourrait conduire les collectivités territoriales, ne souhaitant pas engager des frais à l'occasion de la récupération de leurs terres pour des opérations d'aménagement, à hésiter avant d'accorder de telles concessions.
Malgré cette réserve, votre commission n'a pas apporté de modification à cet article, le Sénat s'étant déjà prononcé favorablement lors de sa séance du 6 juillet 2016 sur ce sujet.
La commission a adopté cet article sans modification. |
Article 7 bis (articles L. 411-11 et L. 411-73 du code rural et de la pêche maritime) - Suppression de la commission nationale paritaire des baux ruraux et des comités techniques départementaux
Objet : cet article supprime deux organes consultatifs : la commission nationale paritaire des baux ruraux et les comités techniques départementaux.
I. Le droit en vigueur
a- La commission consultative paritaire nationale des baux ruraux
L'article L. 411-11 du code rural et de la pêche maritime prévoit que les prix des fermages sont fixés entre des minima et maxima définis par arrêté préfectoral.
L'alinéa 11 du même article précise que ces minima et maxima sont fixés par les préfets sur proposition de la commission consultative paritaire départementale des baux ruraux (CCPDBR). Si les commissions départementales ne se mettent pas d'accord, la loi prévoit de saisir, le cas échéant, la commission consultative paritaire nationale des baux ruraux (CCPNBR). Enfin, en cas de carence des commissions, le préfet fixe lui-même par arrêté ces minima et maxima.
Les grilles de minima et maxima doivent être révisées tous les 6 ans.
L'article R. 414-5 du code rural et de la pêche maritime précise la composition de la CCPNBR qui comprend des représentants des bailleurs et des fermiers et métayers. Il en va de même à l'échelle départementale pour les CCPDBR, régis par l'article R. 414-1 du même code.
b- Le rôle des comités techniques départementaux.
Prévu par l'article L. 411-73 du code rural et de la pêche maritime, le comité technique départemental (CTD) est chargé de donner un avis, dans les deux mois, lorsque les propriétaires de terres agricoles ont refusé ou n'ont pas répondu aux demandes des preneurs d'effectuer des travaux d'amélioration des terres louées.
Lorsque les CTD donnent un avis favorable, les fermiers en place peuvent effectuer les travaux demandés, sauf si le propriétaire saisit le tribunal paritaire des baux ruraux.
L'article R. 411-20 du code rural et de la pêche maritime retient une composition très réduite du CTD, présidé par le préfet ou ses représentants et réunissant cinq représentants de la profession agricole désignés sur proposition de la CCPDBR.
Les CTD ont un rôle essentiellement technique qui se situe dans une phase précontentieuse, lorsque preneur et bailleur sont en désaccord sur les travaux devant être réalisés sur les fonds loués.
II. Le texte de l'Assemblée nationale
À l'initiative du rapporteur M. Dominique Potier, mais aussi de nombreux de ses collègues, les députés ont adopté en commission 6 amendements identiques supprimant la CCNBR et les CTD, dont les missions sont transférées aux commissions paritaires départementales des baux ruraux (CCPDBR).
La suppression de la CCNBR s'appuie sur le fait qu'elle n'est plus constituée depuis la dernière le dernier renouvellement des assesseurs des tribunaux paritaires des baux ruraux de 2010.
Les députés justifient la suppression des CTD par leur inexistence dans certains départements. Dans un souci de simplification, leurs missions pourraient donc être exercées par les CCPDBR.
Pour laisser un délai de préparation aux professionnels, l'article 7 bis prévoit une entrée en vigueur différée au 1 er janvier 2018 de ces dispositions.
III. La position de votre commission
Votre rapporteur partage le souci de simplification du droit et des procédures, mais à condition que les procédures préservent l'intérêt des agriculteurs, mais il n'est pas certain que les mesures proposées par l'article 7 bis aient des effets si positifs :
- d'abord, le recours à la CCPNBR peut être utile pour ne pas laisser les préfets seuls trancher les litiges en matière de fixation des minima et maxima encadrant les prix des fermages. Des décisions prises par l'autorité administrative en dehors de consensus professionnels risquent de donner lieu à des contentieux sur les arrêtés préfectoraux, qui constituent autant de facteurs d'incertitude pour les agriculteurs ;
- ensuite, le transfert des missions des CTD aux CCPDBR présente certes l'avantage de supprimer une commission départementale. Mais les CCPBR réunissent plus d'une douzaine de participants, contre six pour les CTD, ce qui n'allégera pas le coût des procédures. En outre, les CCPDBR ont plutôt une mission visant à définir la politique départementale des baux ruraux et non à régler des cas particuliers. Par ailleurs, des conflits d'intérêt pourront être soulevés en cas de saisine ultérieure du tribunal paritaire des baux ruraux (TPBR) sur des litiges dont a eu à connaître la CCPDBR, dans la mesure où les membres de cette commission sont souvent les mêmes que ceux des tribunaux. Il convient donc de conserver les CTD.
Estimant que l'article 7 bis constitue une fausse bonne idée, votre rapporteur a proposé à votre commission, qui l'a accepté, un amendement COM-3 supprimant cet article.
La commission a supprimé cet article. |
TITRE II - DÉVELOPPEMENT
DU BIOCONTRÔLE
Article 8 A (nouveau) (article L. 253-7 du code
rural et de la pêche maritime) - Possibilité d'utilisation de
produits phytopharmaceutiques conventionnels faute d'efficacité des
produits de substitution
Objet : cet article crée une exception à l'interdiction d'utiliser des produits phytopharmaceutiques classiques pour les utilisateurs non professionnels et les collectivités territoriales, lorsque les méthodes alternatives de fonctionnement pas.
I. Le droit en vigueur
L'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime prévoit que l'autorité administrative, c'est-à-dire le ministre de l'agriculture au niveau national et les préfets dans les départements, a la possibilité, même lorsque les produits phytopharmaceutiques ont fait l'objet d'une procédure d'autorisation, de prendre des mesures d'interdiction ou d'encadrement de leur utilisation.
L'article L. 253-7 va même plus loin en créant des obligations encore plus strictes pour certaines catégories d'utilisateurs de ces produits :
- l es collectivités territoriales , tout d'abord, ne peuvent plus utiliser de produits conventionnels pour leurs espaces verts, forêts, voiries ou promenades accessibles ou ouverts au public. Seuls les produits de biocontrôle et les substances à faible risque leur sont autorisés. Toutefois, une possibilité d'utiliser les produits conventionnels est préservée pour les zones étroites ou difficiles d'accès comme les échangeurs routiers. Cette interdiction s'applique à compter du 1 er janvier 2017 ;
- il en va de même à partir du 1 er janvier 2019 pour tous les utilisateurs non-professionnels , notamment les particuliers pour les traitements de leurs jardins.
Pour ces utilisateurs, seuls les produits mentionnés au IV de l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime peuvent être employés : il s'agit des produits de biocontrôle et des substances à faible risque selon la classification européenne.
Cette interdiction comporte une exception : l'utilisation de produits phytopharmaceutiques conventionnels est possible dans le cadre des mesures de lutte obligatoires prescrites par les autorités administratives contre les organismes nuisibles.
II. La position de votre commission
Le cadre juridique actuel interdit d'utiliser des techniques conventionnelles de lutte contre des menaces sanitaires sur les plantes dans les collectivités territoriales et pour les particuliers, alors même qu'aucune solution alternative n'existerait .
Cette situation n'est pas une situation théorique : le cas des buis montre bien qu'il existe une réelle impasse pour les propriétaires de buis, qui sont attaqués par plusieurs parasites provoquant leur dépérissement. Concernant les attaques de pyrale, des solutions alternatives aux produits classiques ont été développées et semblent donner des résultats intéressants. En revanche, il n'existe aujourd'hui aucune technique de biocontrôle pour lutter contre la cylindrocladiose, contre laquelle seuls des traitements fongicides conventionnels ont un réel effet.
À l'initiative de notre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ, le ministre de l'agriculture avait été interrogé le 11 octobre 2016 sur le sujet et indiquait qu'il faudrait peut-être « autoriser le recours à des doses extrêmement faibles de phytosanitaires durant des périodes transitoires pour sauver les buis et les jardins à la française, qui font partie de notre patrimoine ».
Or, il n'est pas possible de faire jouer l'exception au titre des mesures de lutte obligatoire à l'interdiction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques conventionnels pour les buis des collectivités ou des particuliers. En effet, l'article L. 251-3 du code rural et de la pêche maritime ne permet à l'autorité administrative d'inscrire dans la liste des organismes nuisibles faisant l'objet de mesures de lutte obligatoire que les dangers sanitaires de première catégorie et de deuxième catégorie définis à l'article L. 201-1 du même code.
Or, le classement de la cylindrocladiose du buis en danger de première ou de deuxième catégorie ne semble pas envisageable. Seul un classement en troisième catégorie paraît possible, et cette catégorie n'ouvre pas droit à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques classiques.
Votre rapporteur a donc proposé à votre commission, qui l'a accepté, un amendement COM-4 visant à créer une nouvelle exception à l'interdiction d'utilisation de produits phytopharmaceutiques conventionnels par les collectivités territoriales et par les particuliers .
Cet amendement complète l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime pour autoriser ces produits, à condition qu'il s'agisse de produits ayant fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché, et dans la mesure où les produits de biocontrôle existants et les préparations naturelles peu préoccupantes ne permettent pas de lutte contre un danger sanitaire, quelle que soit sa classification.
Une telle disposition permettra de donner un cadre juridique à la lutte contre la cylindrocladiose du buis , mais aussi à d'éventuelles nouvelles menaces qui apparaîtraient et ne pourraient pas être traitées par des techniques alternatives aux produits conventionnels.
La commission a adopté cet article additionnel. |
Article 8 (article L. 254-1 du code rural et de la pêche maritime) - Dispense d'agrément pour l'application des produits de biocontrôle.
Objet : cet article supprime l'exigence d'un agrément pour l'application de produits de biocontrôle ne faisant pas l'objet d'une classification et les substances de base.
I. Le droit en vigueur
La loi Grenelle II de l'environnement de 2010 avait renforcé les exigences en matière de produits phytopharmaceutiques, à la fois sur les entreprises et sur les agriculteurs, en imposant une double obligation :
- une obligation de détenir un agrément pour tous les opérateurs qui soit vendent, soit appliquent en prestation de service, soit conseillent les utilisateurs de ces produits ;
- une obligation de détenir un certificat pour les personnes qui vendent ou appliquent ces produits à titre professionnel.
L'agrément phytosanitaire est régi par les articles L. 254-1 et L. 254-2 du code rural et de la pêche maritime, tandis que le certificat phytosanitaire dénommé « certiphyto » est régi par l'article L. 254-3 du même code.
L'agrément, qui concerne les entreprises et non les personnes physiques, est subordonné à la souscription d'une assurance couvrant la responsabilité civile et professionnelle ainsi qu'à une certification périodiquement contrôlée, accordée par un organisme certificateur.
L'agrément pour l'application en prestation de service de produits phytopharmaceutiques n'est pas exigé lorsque l'application est effectuée par des agriculteurs dans le cadre de l'entraide, par des agriculteurs titulaires du certiphyto sur de petites parcelles ou lorsque les produits utilisés sont des produits de biocontrôle, figurant sur une liste nationale à laquelle renvoie l'article L. 253-5 du code rural et de la pêche maritime.
Le biocontrôle bénéficiait donc déjà depuis le Grenelle de l'environnement d'un régime dérogatoire.
Mais le biocontrôle a fait l'objet en 2014 d'une définition légale à l'article L. 253-6 du code rural et de la pêche maritime plus large que celle retenue à l'article L. 253-5 : aux termes de l'article L. 253-6, les produits de biocontrôle sont des « agents et produits utilisant des mécanismes naturels dans le cadre de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures ». Quatre catégories de produits de biocontrôle sont identifiées aujourd'hui :
- les macro-organismes, qui font l'objet d'une réglementation spécifique ;
- les micro-organismes ;
- les médiateurs chimiques, comme les phéromones et les kairomones
- et enfin les substances naturelles d'origine végétale, animale ou minérale.
Toutes ces catégories doivent ainsi pouvoir faire l'objet d'une exemption d'agrément pour leur application, indépendamment de leur inscription sur la liste ministérielle, dès lors que ces produits ne présentent pas de dangerosité.
II. La proposition de loi initiale
L'article 8 de la proposition de loi vise donc à faire évoluer la rédaction de l'article L. 254-1 du code rural et de la pêche maritime.
La dispense d'agrément pour l'application de produits phytopharmaceutiques en prestation de service est précisée concernant les produits de biocontrôle : cette dispense vaudra pour tous les produits de biocontrôle définis comme tels à l'article L. 253-6 du code rural et de la pêche maritime et ne faisant pas l'objet d'une classification au titre des textes européens. Cette rédaction étend la dispense d'agrément au-delà de la liste ministérielle mais exclut de dispense d'agrément des produits de biocontrôle qui pourraient présenter des dangers.
III. Le texte de l'Assemblée nationale
Outre un amendement rédactionnel, les députés ont adopté en commission un amendement du rapporteur, M. Dominique Potier, étendant la dispense d'agrément pour l'application des produits phytopharmaceutiques aux produits considérés comme des substances de base par le règlement européen de 2009, comme la prêle, le vinaigre ou encore le bicarbonate de sodium.
En effet, ces produits sont considérés comme ne présentant pas de danger, ce qui justifie leur classement en substance de base. Il serait incohérent de dispenser d'agrément l'application des produits de biocontrôle et pas l'application des substances de base, qui ne présentent théoriquement pas de danger.
IV. La position de votre commission
Votre rapporteur ne propose pas d'apporter de modifications à cet article qui semble donner satisfaction à l'ensemble des acteurs auditionnés : agriculteurs, fabricants, distributeurs.
Le marché du biocontrôle, alternative aux produits phytopharmaceutiques conventionnels, est d'ailleurs en plein développement . La dispense d'agrément pour les applicateurs de ces produits constitue un encouragement à diffuser les pratiques alternatives de protection des plantes.
Votre rapporteur souhaite cependant que, sans aller jusqu'à l'agrément obligatoire, des contrôles puissent être effectués sur les pratiques professionnelles des applicateurs de produits de biocontrôle afin de prévenir le risque d'exposer les agriculteurs à des opérateurs peu scrupuleux proches du charlatanisme.
Votre commission a adopté, à l'initiative de votre rapporteur, un amendement rédactionnel COM-5, qui ne remet pas en cause l'exonération d'agrément pour les prestations de service portant sur l'application de produits de biocontrôle.
La commission a adopté cet article ainsi modifié. |
Article 9 (article L. 254-3 du code rural et de la pêche maritime) - Dispense de certificat individuel pour l'application des produits de biocontrôle.
Objet : cet article supprime l'exigence de certiphyto pour les utilisateurs de médiateurs chimiques et les substances de base.
I. Le droit en vigueur
Depuis le Grenelle de l'environnement, les agriculteurs professionnels utilisant des produits phytopharmaceutiques doivent détenir un certificat individuel, le certiphyto.
Un délai avait été laissé pour l'obtenir : depuis novembre 2015, il est désormais pour tout professionnel devant utiliser de tels produits.
Début 2015, l'organisme de formation professionnelle des agriculteurs VIVEA (Fonds pour la formation des entrepreneurs du vivant) estimait que 92 % des agriculteurs avaient suivi la formation permettant d'obtenir la certification.
Le certificat est attribué à l'issue d'une formation d'une durée de deux jours. Il a une durée de validité de 5 ans.
Le certiphyto vise à améliorer la connaissance des agriculteurs sur les techniques de lutte phytosanitaire, sur les produits disponibles ou encore leurs conditions d'utilisation. Il vise à encourager la diffusion de bonnes pratiques, plus économes en produits phytopharmaceutiques et plus adaptées aux besoins de protection de plantes cultivées.
L'article L. 254-3 du code rural et de la pêche maritime ne prévoit pas d'exception à l'obligation de détenir un certiphyto : toute personne physique qui utilise des produits phytopharmaceutiques dans le cadre de son activité professionnelle, que ce soit à titre salarié, pour son propre compte, ou dans le cadre d'un contrat d'entraide à titre gratuit, doit détenir ce certificat.
II. La proposition de loi initiale
L'article 9 exonère de certiphyto l'application d'une catégorie de produits de biocontrôle : les médiateurs chimiques.
L'application de telles techniques par des agriculteurs ne pose pas problème puisqu'ils disposent désormais tous ou presque du certiphyto. En règle générale, leur personnel permanent est également titulaire du certiphyto, ce qui est plus rarement le cas pour les personnels recrutés à titre temporaire.
Or, l'intérêt de disposer d'un certiphyto pour la pose de médiateurs chimiques comme les pièges à pyrales est inexistant . De tels produits sont d'ailleurs vendus également aux utilisateurs non professionnels et ne nécessitent que des précautions d'emploi très limitées.
Ainsi, l'exigence de certiphyto pour le personnel temporaire agit plutôt comme un frein au déploiement de méthodes de biocontrôle, dans la mesure où, pour certaines cultures comme la vigne, le recours à ces techniques nécessite beaucoup de personnel mais sur une période limitée.
L'article 9 modifie donc l'article L. 254-3 du code rural et de la pêche maritime pour ne pas exiger de certiphyto pour l'utilisation de médiateurs chimiques au sens de l'article L. 253-6 du même code.
III. Le texte de l'Assemblée nationale
Dans le prolongement de l'amendement adopté à l'article 8, les députés ont adopté en commission, à l'initiative du rapporteur Dominique Potier, un amendement étendant la dispense de certiphyto pour l'application de substances de base au sens du règlement européen de 2009.
L'exigence de certiphyto dans ces situations paraît en effet excessive compte tenu de la nature de ces produits.
IV. La position de votre commission
Votre rapporteur partage l'analyse des députés sur l'inutilité du certiphyto pour l'utilisation de médiateurs chimiques ou de substances de base . Il a proposé à votre commission, qui l'a accepté, un amendement purement rédactionnel COM-6, qui conserve l'exonération de certiphyto proposée par l'Assemblée nationale.
La commission a adopté cet article ainsi modifié. |
Article 10 (articles L. 254-10 à L. 254-10-8 [nouveaux] du code rural et de la pêche maritime) - Mise en place d'un système de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP)
Objet : cet article rétablit les certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques prévus par une ordonnance de 2015 annulée par le Conseil d'État.
I. Le droit en vigueur
Prise en application de l'article 55 de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, l' ordonnance n° 2015-1244 du 7 octobre 2015 mettait en place un dispositif expérimental de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP) inspiré du modèle du dispositif des certificats d'économie d'énergie (CEEE).
L'objectif de ce dispositif était d'encourager des actions concourant à réaliser des économies de produits phytopharmaceutiques, pouvant être ensuite valorisées par ceux qui s'engagent volontairement dans ces actions.
Pris en application de l'ordonnance, le décret n° 2016-1166 du 26 août 2016 a précisé les conditions de fonctionnement des CEPP, prévoyant notamment la publication par le ministre de l'agriculture d'un bilan annuel sur la période d'expérimentation qui s'étend jusqu'en 2022.
Comme six autres ordonnances prises en application de la loi agricole de 2014, l'ordonnance n° 2015-1244 avait déjà fait l'objet du dépôt d'un projet de loi de ratification, déposé le 16 décembre 2015 au Sénat.
II. La proposition de loi initiale
L'article 10 de la proposition de loi prévoyait une ratification explicite de l'ordonnance n° 2015-1244. L'insertion de cet article dans la proposition de loi est surprenante, dans la mesure où il existe déjà un instrument législatif de ratification, même s'il n'a pas encore été inscrit à l'ordre du jour.
Cet article 10 s'analyse plutôt comme une astuce de procédure, permettant, au cas jugé très probable au moment du dépôt de la proposition de loi le 21 décembre 2016 où le Conseil d'État annulerait l'ordonnance, de reprendre l'intégralité de ses dispositions annulées dans la proposition de loi en cours de discussion.
Le 28 décembre 2016, le Conseil d'État, saisi d'un recours en excès de pouvoir le 20 novembre 2015 contre l'ordonnance n° 2015-1244, a en effet annulé cette ordonnance pour un motif de procédure, sans même examiner les motifs de fond : l'absence de consultation du public préalable à l'adoption de l'ordonnance a été jugée contraire aux exigences de l'article L. 120-1 du code de l'environnement, qui prévoient une telle consultation pour les dispositions qui ont une incidence directe et significative sur l'environnement. Le dispositif des CEPP a été jugé comme entrant dans cette catégorie.
III. Le texte de l'Assemblée nationale
En commission, tirant les conséquences de l'annulation par le Conseil d'État de l'ordonnance n° 2015-1244, les députés ont adopté à l'initiative conjointe du rapporteur Dominique Potier, de M. Lionel Tardy et de M. Antoine Herth, trois amendements supprimant l'article 10.
En séance, les députés ont en revanche adopté un amendement du Gouvernement assorti de trois sous-amendements du rapporteur pour restaurer l'ensemble des dispositions de l'ordonnance annulée, assorties de rectifications de pure forme.
Cet amendement et ces trois sous-amendements créent une nouvelle section 3 au sein du chapitre IV du titre V du livre II du code rural et de la pêche maritime, contenant les nouveaux articles L. 254-10 à L. 254-10-8.
L' article L. 254-10 met en place une expérimentation, uniquement en métropole, du 1 er juillet 2016 au 31 décembre 2022, portant sur l'émission de CEPP.
L' article L. 254-10-1 met à la charge des distributeurs de produits phytopharmaceutiques destinés aux professionnels, dénommés « obligés », une obligation de mettre en place des actions visant à réaliser des économies de produits phytopharmaceutiques. Le texte ne distingue pas selon les catégories de distributeurs : coopératives et sociétés commerciales classiques sont également concernées.
Cette obligation est exprimée en nombre de CEPP devant être détenus. Elle est calculée sur la base des ventes servant d'assiette à la redevance pour pollution diffuse (RPD) et proportionnelle aux quantités de substances actives dans les produits. En pratique, le ministère de l'agriculture a fixé un objectif global de réduction de 20 % des quantités de produits phytopharmaceutiques vendus par les distributeurs par rapport à la moyenne des cinq dernières années, fixant ainsi en conséquence la quantité de CEPP devant être obtenue par les distributeurs à 17,65 millions de CEPP . L'atteinte des objectifs sera vérifiée durant l'année 2021. Sur les 1 647 « obligés », 50 sont redevables de la moitié des CEPP exigés.
D'autres acteurs exerçant des activités de conseil aux agriculteurs peuvent aussi mener des actions et bénéficier en contrepartie de CEPP.
Les modalités de distribution de CEPP ont vocation à être précisées par voie réglementaire. C'est précisément l'objet de l'article 7 du décret n° 2016-1166 précité, qui indique que les actions permettant la distribution de CEPP sont conformes à des actions standardisées arrêtées par le ministre chargé de l'agriculture. La valeur en certificats de chaque action standardisée prend en compte son potentiel de réduction de l'usage et de l'impact des produits phytopharmaceutiques, sa facilité de mise en oeuvre, son bilan économique et son potentiel de déploiement. À ce jour, une vingtaine de fiches action auraient été validées comme l'utilisation de filets anti-insecte pour lutter contre le carpocapse sur les pommiers, ou encore la pose de diffuseurs de phéromones contre les lédidoptères ravageurs dans les vergers. Une cinquantaine de fiches-actions seraient en cours de validation.
Les articles L. 254-10-2 et L. 254-10-3 donnent une base juridique à un marché des CEPP, en permettant des échanges de certificats entre acteurs économiques et en prévoyant leur comptabilisation dans un registre national informatisé.
L' article L. 254-10-4 sanctionne l'insuffisante détention de CEPP au 31 décembre 2021 par une pénalité financière dont le montant est renvoyé à l'autorité administrative. Le décret de 2016 avait fixé cette pénalité à 5 € par CEPP manquant, et le montant total dû par opérateur est plafonné à 5 millions d'euros. Cette pénalité ne sera payée qu'en 2022, si elle devait intervenir.
Les articles L. 250-10-5, L. 250-10-6 et L. 250-10-7 prévoient des inspections et contrôles du dispositif des CEPP ainsi que des sanctions en cas d'obstacles aux inspections et contrôles ou de fraude.
L' article L. 254-10-8 , enfin, renvoie les modalités d'application du dispositif d'expérimentation des CEPP à un décret en Conseil d'État.
IV. La position de votre commission
a- Les critiques du dispositif des CEPP.
Les fabricants et distributeurs de produits phytopharmaceutiques ont exprimé leur désaccord avec le dispositif des CEPP, ce désaccord se matérialisant par des recours contre l'ordonnance et contre le décret.
Le mécanisme des CEPP est d'abord contesté sur le plan des principes : il instaure en effet une sorte de responsabilité du fait d'autrui aux distributeurs, alors même que la décision finale d'achat de produits phytopharmaceutiques relève des agriculteurs et que l'adoption de bonnes pratiques donnant lieu à la distribution de CEPP dépend du bon vouloir de ces derniers : les distributeurs ne disposent pas de moyens directs d'échapper à la pénalité instaurée par l'ordonnance. En outre, la réduction effective des quantités de produits phytopharmaceutiques est fonction du contexte agronomique. Les industriels comme les distributeurs mettent en avant une approche par la réduction des risques liés à l'utilisation des produits, à travers un meilleur usage ou encore une meilleure protection des agriculteurs et des riverains, plutôt qu'une approche par la réduction des quantités utilisées.
Ensuite le mécanisme des CEPP est contesté au nom de la distorsion de concurrence entre distributeurs français et étrangers : en effet, les obligations des distributeurs sont calculées sur la base des quantités de produits phytopharmaceutiques déclarées à l'occasion de la collecte de la redevance pour pollution diffuse (RPD) régie par l'article L. 213-10-8 du code de l'environnement. Or, cette RPD n'est collectée que pour la distribution de produits sur le territoire national. Lorsque les mêmes produits sont achetés à l'étranger, les utilisateurs doivent eux-mêmes reverser la RPD, mais les distributeurs étrangers ne sont assujettis à aucune obligation d'acquérir des CEPP. Il n'existe d'ailleurs aucune « référence des ventes » qui pourrait servir de base à un calcul d'une obligation de produire des CEPP pour les distributeurs installés hors du territoire national.
Enfin, le mécanisme des CEPP fait l'objet d'une critique quant à la complexité du mécanisme et aux effets pervers qu'il pourrait entraîner. La reconnaissance des pratiques et actions pouvant donner lieu à émission de CEPP passe par un comité d'évaluation et peu de fiches-actions ont été aujourd'hui validées. Une critique porte aussi sur l'importance des pièces justificatives à présenter pour obtenir la reconnaissance des CEPP. Les professionnels s'interrogent aussi sur les risques de voir les distributeurs déréférencer certains produits à fort coefficient de risque pour atteindre rapidement l'objectif des CEPP.
b- Une piste intéressante : passer de la sanction à la récompense.
Les critiques du mécanisme des CEPP ne sont pas toutes pleinement justifiées. En particulier, la mise en oeuvre des CEPP n'est pas si difficile : une fois validées, les fiches-actions donnent des indications claires permettant de savoir comment obtenir des CEPP et les procédures de distribution des certificats sont dématérialisées.
Votre rapporteur note aussi que les CEPP peuvent avoir pour effet de réduire les quantités de produits phytopharmaceutiques utilisés, mais ne l'imposent pas mécaniquement : l'obligation porte seulement sur le fait de mettre en place des actions d'économie de produits phytopharmaceutiques , mais n'interdit pas de les utiliser, notamment si la pression parasitaire l'exige.
Votre rapporteur s'inquiète cependant des effets économiques pour les agriculteurs du dispositif des CEPP : la sanction pour non atteinte des objectifs d'acquisition de CEPP pour les distributeurs, même plafonnée à 5 millions d'euros par opérateur, pourrait conduire à renchérir le coût des produits utilisés, qui est toujours supporté in fine par l'agriculteur.
Plutôt qu'une écologie punitive, il convient d'encourager une écologie positive , qui donne des incitations par la récompense plus que par la sanction. Aussi, votre rapporteur a émis des doutes quant à la pertinence du mécanisme de sanction prévu au nouvel article L. 254-10-4 du code rural et de la pêche maritime.
Il est tout à fait possible d'envisager la mise en oeuvre d'actions d'économies de produits phytopharmaceutiques de manière moins punitive, en supprimant la sanction. Les fiches-actions pourraient être conservées, en utilisant les ressources de la RPD pour inciter les agriculteurs à les adopter sur leur exploitation.
Votre rapporteur a déposé en ce sens un amendement COM-2 qui a été adopté par votre commission, supprimant les alinéas 13 à 16 de l'article 10 de la présente proposition de loi.
La commission a adopté cet article ainsi modifié. |
TITRE III - DISPOSITIONS
DIVERSES
Article 11(supprimé) - Gage
Objet : cet article gage les effets de la proposition de loi pour assurer la neutralité de son impact sur les finances publiques.
I. Le droit en vigueur
L'article 40 de la Constitution ne permet pas par une initiative parlementaire, qu'il s'agisse d'une proposition de loi ou d'un amendement, de créer une charge publique ou de diminuer les recettes des collectivités publiques.
Des mesures compensatrices doivent donc être prévues au moment de l'initiative parlementaire, pour permettre l'examen de celle-ci.
II. La proposition de loi initiale
L'article 11 prévoyait donc de compenser les effets de la proposition de loi en relevant à due concurrence la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom).
III. Le texte de l'Assemblée nationale
Le Gouvernement a proposé en séance aux députés, qui l'ont accepté, un amendement levant le gage et supprimant de ce fait l'article 11.
En levant le gage, le Gouvernement marque son accord avec les dispositions de la proposition de loi.
IV. La position de votre commission
Votre commission prend acte de la levée du gage par le Gouvernement.
La commission a maintenu la suppression de cet article. |