LA PRISE EN COMPTE DE POSITIONS FORTES EXPRIMÉES PAR LA FRANCE

L'accord intègre ce que l'on est en droit d'attendre de ces accords de libre-échange dits « de nouvelle génération ». Mais, au regard des inquiétudes souvent légitimes et des impatiences que peuvent inspirer les laborieuses négociations du Traité transatlantique (TTIP), l'accord avec le Canada propose des avancées importantes sur au moins trois points :

- tout d'abord, l'accès aux marchés publics canadiens, tant au niveau de l'État fédéral qu'à celui des provinces ou des municipalités . La part des marchés publics canadiens ouverte aux opérateurs de l'Union européenne pourrait passer de 10 % à plus de 30 % ;

- en second lieu, la reconnaissance des indications géographiques, dans un pays pourtant immergé dans la culture des marques. 142 IG européennes, dont 42 françaises - en plus des vins et spiritueux - sont ainsi reconnues et protégées ; En effet l'accord de 2003 entre l'UE et le Canada sur les vins et spiritueux est intégré dans l'accord . Il sécurisait déjà de nombreuses appellations vinicoles françaises et européennes et a permis d'alléger diverses contraintes administratives et commerciales canadiennes dans ce secteur, au bénéfice des exportateurs européens.

La prise en compte de la totalité des IG françaises - souhaitée par les auteurs de la proposition de résolution , n'aurait pas été véritablement pertinente : d'abord parce que tous les produits français sous IG ne sont pas exportés vers le Canada ; ensuite car les indications géographiques françaises protégées dans l'accord ont été sélectionnées pour leur degré d'exposition à des risques d'usurpation . Au demeurant, le choix des indications géographiques françaises à protéger au Canada a été fait en concertation avec les opérateurs.

L'accord intègre la nouvelle mouture de règlement des différends Investisseurs-États , dénommé désormais sous le nouvel acronyme d' ICS (Investment Court System) ou SJI (Système judiciaire pour l'Investissement). Au-delà du changement de nom, c'est une nouvelle ambition, de nouvelles exigences, qui répondent d'ailleurs aux demandes auxquelles le Sénat a pris toute sa part : la réaffirmation claire du droit imprescriptible et souverain des États à réguler ; la professionnalisation des arbitres, le mécanisme d'appel, et bientôt l'institutionnalisation d'une Cour permanente. En termes d'éthique et de transparence, ce progrès, voulu par la France, est positif.

Les auteurs de la proposition de résolution s'interrogent sur quatre points : les modalités du mécanisme d'appel ; la clause anti-contournement juridique de la nouvelle procédure ; la poursuite de la mise en oeuvre de la procédure, pour trois années , au-delà même d'un éventuel rejet final du Traité ; enfin la notion d'expropriation indirecte . Sur ces quatre points, votre rapporteur souhaite apporter les précisions suivantes :


Points soulevés par les auteurs de la proposition de résolution européenne concernant le Système judiciaire sur l'Investissement (ICS)

Sur les modalités pratiques du mécanisme d'appel - Le Canada a accepté le principe d'un mécanisme d'appel des sentences, dans le cadre du toilettage juridique de l'accord, soit quelques semaines seulement après la finalisation, fin 2015, de la nouvelle approche européenne en matière de protection des investissements et de règlement des litiges investisseur-État. Compte tenu de ce calendrier, l'UE et le Canada ont décidé de renvoyer à une décision ultérieure certains aspects techniques liés au fonctionnement du tribunal d'appel (procédures relatives à l'introduction des demandes d'appel, nombre et rémunération des membres du tribunal d'appel, etc.) L'existence et le mandat d'un tel tribunal d'appel sont toutefois d'ores et déjà actés.

Sur la clause « anti-contournement » juridique - L'accord prévoit des dispositions visant à prémunir les États contre les plaintes abusives d'investisseurs étrangers. Ainsi, une filiale canadienne d'une entreprise établie dans un pays tiers ne pourra se prévaloir des dispositions de l'AECG qu'à la condition que cette filiale ait été légalement établie au Canada, qu'elle y exerce réellement des activités et qu'elle détienne effectivement un investissement au sein de l'Union européenne. L'Union européenne et ses États membres pourront se prémunir contre les éventuels recours intentés par des filiales canadiennes qui ne rempliraient pas ces conditions. Une entreprise se devra, pour pouvoir prétendre à la qualité d'investisseur, d' exercer des activités commerciales « substantielles » sur le territoire où elle est établie , condition que ne remplirait donc pas une société écran immatriculée au Canada par une entreprise d'un pays tiers.

Enfin, un investisseur ne pourra soumettre une plainte lorsque son « investissement a été fait au moyen de déclarations frauduleuses, de dissimulation, de corruption ou d'une conduite équivalant à un abus de droit ». Cette disposition empêchera ainsi telle entreprise originaire d'un pays tiers d'établir une filiale au Canada alors qu'un litige est sur le point de naître avec l'Union européenne ou l'un de ses États membres ; ou telle autre qui redirigerait ses actifs vers une filiale canadienne existante dans le seul but d'intenter un recours. Dans de pareils cas, un tribunal prononcera l'irrecevabilité de la plainte et ordonnera le remboursement des frais de procédure engagés par la partie défenderesse.

Sur la prolongation pour trois ans du système de Cour sur les investissements (ICS) après un éventuel rejet de l'accord - L'accord prévoit en effet que, si l'application provisoire de l'accord prend fin et s'il n'entre pas en vigueur, les dispositions relatives au règlement des litiges investisseur-État pourront être invoquées pendant une durée supplémentaire de trois ans, à compter de la date à laquelle il serait mis un terme à l'application provisoire. Cette disposition ne trouverait à s'appliquer que dans l'hypothèse où le chapitre relatif aux investissements serait appliqué à titre provisoire, ce qui ne sera pas le cas, le dispositif ICS étant exclu du périmètre de l'application provisoire.

Sur la notion d'expropriation indirecte - Les dispositions de l'accord définissent clairement la notion d'expropriation (directe ou indirecte), de même que les critères devant être appréciés par les juges pour qualifier l'existence d'une expropriation, ou encore les modalités de calcul de la compensation à laquelle peut prétendre un investisseur qui serait dépossédé de son investissement. Par ailleurs, une mesure d'application générale et non-discriminatoire destinée à protéger l'environnement, la santé ou une autre cause d'utilité publique ne saurait en principe être qualifiée d'expropriation, sauf si elle produit des effets manifestement disproportionnés au regard de l'objectif poursuivi, suivant en cela une approche comparable à celle des tribunaux français et européens.

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