E. AUDITION DE M. JACQUES TOUBON, DÉFENSEUR DES DROITS

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Nous poursuivons nos travaux par l'audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. De nombreuses dispositions du projet de loi entrent dans son champ de compétence, comme le droit au logement, la lutte contre les discriminations ou la réforme de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

Monsieur le Défenseur des droits, vous vous êtes exprimé sur l'ensemble de ces points lors de votre audition devant la commission spéciale de l'Assemblée nationale le 31 mai dernier. Depuis, le texte a beaucoup évolué. Nous souhaiterions donc que vous nous présentiez votre position sur ce projet de loi en insistant, notamment, sur les modifications apportées par l'Assemblée nationale.

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits . -Je ne peux commencer cette audition sans dire à Mme Dominique Estrosi-Sassone, élue de la ville de Nice, ce que je pense de ce qui s'est passé le 14 juillet, les sentiments d'affection et de tristesse que j'éprouve, étant moi-même niçois. L'examen de ce texte doit être marqué par un contexte dramatique.

Ce projet de loi est globalement positif. Dans son état d'origine, puis après son examen par les députés, il comporte indiscutablement un certain nombre d'avancées dans les domaines de la compétence du Défenseur des droits, en particulier dans la lutte contre les discriminations. Il reste toutefois partiel. Son contenu n'est pas exactement équivalent à son titre ambitieux, étant plus limité, mais aussi plus superficiel par rapport à la profondeur des réalités et des sentiments d'injustice, d'inégalité, de ségrégation ressentis dans notre société. Ce projet de loi essaie d'apporter des réponses à certaines difficultés mais son action est tardive et trop peu profonde.

Il ne comporte par ailleurs aucune disposition sur l'une des données négatives de la société française, présente dans bien des parties de notre territoire : le retrait et l'affaiblissement des services publics.

Au sein du titre I er sur la citoyenneté et la participation, l'article 15 bis A crée un parrainage civil célébré en mairie : quelle est la nature de la responsabilité des marraines et parrains ?

La possibilité pour tout mineur doté de son discernement de créer ou de participer à une association (article 15 ter) est une recommandation du Défenseur des droits faite en février de l'année dernière au Comité des droits de l'enfant des Nations unies.

L'article 19 bis introduit à l'article 21-25-2 du code civil la dématérialisation de la procédure d'acquisition de la nationalité française. Cela peut sembler un progrès, mais la dématérialisation des procédures exclut nombre d'usagers qui ne peuvent accomplir leurs démarches. Cette avancée technique constitue, pour 20 à 25 % de la population de notre pays, un obstacle à l'accès au droit et se révèle, notamment pour les étrangers, très ambivalente. Elle mériterait que son impact soit étudié.

Le projet de loi, en son titre II, introduit de la mixité sociale dans l'habitat et améliore la méthode d'attribution des logements sociaux : le Défenseur des droits se trouve largement en accord. Nous sommes toutefois fort marris que l'Assemblée nationale ait reculé sur une de ces dispositions par rapport au projet de loi initial.

La mixité sociale consiste en la possibilité pour toutes les catégories sociales de se retrouver dans tous les quartiers, sans confinement dans des ghettos. Nous avons soutenu une approche rénovée du concept consistant à prévoir 25 % des attributions hors quartiers en politique de la ville au premier quartile des demandeurs de logement, c'est-à-dire les plus pauvres. Contrairement à toute la politique menée depuis un quart de siècle consistant à faire en sorte que les classes moyennes aillent dans les quartiers en politique de la ville, ce qui a échoué, il s'agit d'essayer de favoriser l'accès des demandeurs de logement les plus pauvres au logement social dans des quartiers non défavorisés. C'est un changement de vision. Le Défenseur des droits - et auparavant la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE)-, dans des propositions en 2009 et 2010, et le Médiateur de la République considèrent cette solution comme la seule efficace. Or un compromis a été trouvé entre la majorité de l'Assemblée nationale, les représentants des maires et des intercommunalités et le Gouvernement qui craignait un amendement prévoyant des quotas, ce qui aurait été conceptuellement l'inverse de la mixité. Le texte adopté par l'Assemblée consiste à maintenir le pourcentage de 25 % mais à laisser la main aux élus locaux, en particulier au président de l'intercommunalité. C'est un recul. Nous souhaitons que l'alinéa 34 de l'article 20, qui enlève à cet article son caractère progressiste et novateur, soit abrogé.

Les dispositions sur les procédures d'attribution des logements sociaux nous conviennent mais nous restons sur notre faim. La rédaction du projet de loi est restée insuffisante à l'Assemblée nationale. Nous avons proposé que les intercommunalités s'assurent de la conformité des dispositifs avec les droits fondamentaux des demandeurs préalablement à leur adoption, soit les articles L. 441-1-8 et 441-2-10 du code de la construction et de l'habitation. Nous recommandons la création d'une obligation d'évaluation annuelle de ces dispositifs afin de garantir leur adéquation avec les droits fondamentaux des demandeurs dans le temps, pour s'assurer qu'ils ne soient pas dévoyés. Enfin, nous souhaitons, conformément à notre recommandation de 2013 après l'évaluation du projet de cotation du logement social de la ville de Paris, la création d'une obligation de vérification du respect des droits par les systèmes de qualification de l'offre, afin qu'ils ne conduisent pas à conditionner les attributions aux caractéristiques des occupants en place, et ce pour éviter la reproduction de pratiques d'exclusion - que nous constatons dans les dossiers que nous recevons.

Je soutiens toute une série de dispositions sur les gens du voyage inclues dans la partie sur le logement social, notamment, à l'article 29, la prise en compte des terrains locatifs familiaux qui sont aménagés à leur profit dans le décompte des logements sociaux, que nous avions recommandée en 2014. Le Défenseur des droits, avec des parlementaires, tente d'éviter que les lois et leur application soient discriminatoires pour les gens du voyage. Nous approuvons donc l'abrogation du statut de 1969. Nous souhaitons que les maires, et leurs représentants au Sénat, soutiennent ces dispositions.

J'appelle votre attention sur l'article 33 quindecies modifiant l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000, qui pourrait avoir des conséquences procédurales perverses. En l'état actuel du droit, le maire peut interdire par arrêté le stationnement des résidences mobiles en dehors des aires aménagées. En cas de violation, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain occupé peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. Cette mise en demeure peut être contestée devant le tribunal administratif, dont le président doit statuer dans les 72 heures. Lorsque la mise en demeure n'est pas suivie d'effet dans le délai fixé, le préfet peut procéder à l'évacuation forcée.

En vertu de l'article 33 quindecies, si la mise en demeure était contestée, le juge administratif statuerait dans un délai de 48 heures et non plus de 72 heures. Nous considérons que ce raccourcissement facilitera l'expulsion, accroissant l'urgence à trouver une solution alternative d'installation, et donc contribuera à ce que nous dénonçons : l'errance des gens du voyage. Il faudrait peut-être reconsidérer cette disposition.

La prise en compte des aides personnalisées au logement (APL) ou des allocations logement à caractère social et familial dans les ressources du ménage est une disposition positive puisque les demandeurs aux ressources les plus faibles se trouvaient jusqu'à présent exclus de l'accès au logement social. Néanmoins, les APL ne seront prises en considération dans le calcul des ressources que dans le cadre du calcul d'un taux d'effort net défini par décret : il faut donc attendre pour connaître les effets de cette disposition.

La notion de sous-occupation définie par l'article 28 quater B modifiant l'article L.621-2 du code de la construction et de l'habitation mérite d'être retenue. Elle vise les logements dont le nombre de pièces habitables, cuisine exceptée, est supérieur de plus d'un au nombre de personnes qui y ont leur résidence principale, soit un F3 pour une personne ou un F4 pour deux personnes. C'est le genre de dispositions, recommandées par le Défenseur des droits, qui, souvent, ne sont pas prises en considération alors qu'elles peuvent être extrêmement importantes pour nos concitoyens.

Le titre III intitulé « Pour l'égalité réelle », très divers au départ, l'est encore plus après son examen par l'Assemblée nationale.

Les mesures de lutte contre l'illettrisme sont bonnes, mais il serait temps, à partir de la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1994 et de 1999, de mettre en place un véritable droit fondamental à la langue française, qui pourrait être érigé par le législateur.

Je suis en contradiction avec l'article 41 qui introduit un nouveau critère légal de discrimination, la « capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français ». On a compris, en lisant les débats de l'Assemblée nationale, qu'il s'agirait d'éviter que soient discriminées les personnes qui ont un accent ou qui s'expriment dans une langue régionale ou locale. J'appelle l'attention du Sénat sur le fait que ceci pourrait nous entraîner extrêmement loin, et que nous serions complètement à côté de la plaque par rapport aux vrais critères de discrimination. Le Gouvernement, comme la rapporteure de l'Assemblée, Mme Chapdelaine, se sont opposés à cette disposition, qui a néanmoins été votée.

En matière de liberté de la presse, le Défenseur des droits est, depuis le début, dans la ligne des articles 37 et 38, soutenant en particulier le durcissement des poursuites, au sein de la loi du 29 juillet 1881, de tous les actes de racisme, de xénophobie, d'antisémitisme, de sexisme, d'injures. Nous sommes très favorables à l'extension par l'article 38 des circonstances aggravantes de racisme et d'homophobie à l'ensemble des crimes et délits. De même, le sexisme constituera une circonstance aggravante pour certains crimes et délits, selon notre recommandation.

En revanche, j'appelle votre attention concernant un sujet sur lequel le projet de loi est pour le moins imprudent, ou inconséquent. Il substitue dans la loi de 1881, à la notion d'infraction commise à raison de l'appartenance ou de la non appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une race- l'article 132-76 du code pénal -, une notion d'infraction commise pour des raisons racistes ou à raison de l'appartenance ou non appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une nation ou une religion déterminée.

Le débat sur le mot « race » a été engagé depuis de nombreuses années. Il a une portée symbolique que je ne méconnais pas. Le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne emploie le mot « race » à deux reprises, comme la Commission contre le racisme et l'intolérance du Conseil de l'Europe. Ces instances ont bien pris soin de ne pas fragiliser les dispositifs de lutte contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme en refusant d'enlever ce mot pour le remplacer par des périphrases, comme « raisons racistes ». Nul ne connaît aujourd'hui les effets juridiques de cette démarche qui supprime le mot « race » tout en conservant le substantif « racisme » ou l'adjectif « raciste » pour qualifier certains actes. Dès lors que la notion de race est abolie, peut-on conserver le concept de racisme pour en tirer des effets de droit ? Si, à l'inverse, on admet que la notion de racisme doit persister dans nos textes en tant qu'elle renvoie à un point de vue subjectif, pourquoi en irait-il autrement des termes de « race » et de « racial » ? Je dis, depuis longtemps, et Dominique Baudis avant moi, que nous risquons de fragiliser les procédures contentieuses en cours, les incriminations à caractère pénal étant d'interprétation stricte.

Je m'interroge, en outre, sur les conséquences probatoires d'une telle substitution qui imposerait au juge d'interroger le mobile raciste du criminel ou du délinquant, ce qui risquerait d'amoindrir l'efficacité de la répression de tels actes. Vos collègues de l'Assemblée nationale ont écourté le débat. Votre commission devrait s'en saisir.

La loi Savary du 22 mars 2016 dispose que les atteintes à caractère sexiste dans les transports publics collectifs font l'objet d'un bilan annuel transmis au Défenseur des droits, à l'Observatoire national des violences faites aux femmes et au Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes. Rien n'empêche que les atteintes à caractère raciste fassent l'objet d'un bilan annuel du même type. Par conséquent, je recommande que l'on complète l'article L.532-1 du code des transports en y inscrivant les atteintes à caractère raciste. Chacun sait combien les transports urbains et périurbains sont un cadre propice à ce genre d'infractions.

Enfin, il me paraît très négatif d'introduire à l'article 225-1-2 du code pénal le critère de victime de faits de bizutage, alors que le bizutage est déjà inscrit comme un délit pénal spécifique à l'article 225-16-1 du même code, dès lors qu'il implique des faits à caractère humiliant ou dégradant. Ce serait méconnaître totalement le droit des discriminations tel qu'il s'est développé en France depuis les années 1980 jusqu'aux grandes directives européennes des années 1990 et 2000 et notamment la loi de mai 2008 qui constitue le corpus principal pour les critères de discrimination. Le droit des discriminations a pour objet de mettre en lumière les facteurs d'inégalité fondés sur les spécificités d'une personne, qui interviennent pour mettre en échec des politiques sociales, pour exclure ou pour miner les talents reconnus comme sources de distinctions objectives. Il vise en principe des critères qui relèvent de caractères inhérents à la personne. La législation consacrée à la lutte contre les discriminations symbolise le refus qu'une société oppose à l'État lorsqu'il s'agit de pénaliser des individus au nom de particularités telles que le sexe, la couleur de peau, l'âge, le handicap ou l'état de santé. Je m'inquiète que l'on puisse introduire de nouveaux critères fort éloignés du droit des discriminations. D'autant que par un accroc irréparable, la loi du 22 juin 2016, votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale et au Sénat, a déjà introduit le critère de la vulnérabilité sociale dans le droit des discriminations. Les spécialistes s'interrogent encore sur la manière de l'appliquer.

Le bizutage, l'aptitude à parler une autre langue que le français, tous ces critères élargis risqueraient d'affaiblir la lutte contre les discriminations et pour l'égalité, en la rendant moins efficace. Et cela, alors même qu'une autre partie du texte fait exactement l'inverse en alignant les motifs discriminatoires. Ces dispositions que nous avons contribué à établir avec la chancellerie et les ministères concernés comblent les lacunes, les retards ou les inconséquences de la loi de 2008 ou d'autres textes du code pénal. Par exemple, alors que ; dans le cadre de l'emploi ; les discriminations pour l'accès aux biens et services sont couvertes à la fois par des dispositions pénales et par le droit du travail, hors de ce cadre la voie de recours civil - qui demeure la plus efficace - n'était pas ouverte. L'article 44 du projet de loi y remédie pour notre plus grande satisfaction. Nous sommes également très favorables à l'article 41 qui ajoute le critère de perte d'autonomie dans la liste de ceux qui sont prohibés à l'article 225-1 du code pénal.

En première lecture, l'Assemblée nationale a laissé de côté trois propositions pourtant importantes. L'article 225-1 du code pénal mentionne le « patronyme » comme critère de discrimination, alors que l'article 1132-1 du code du travail fait référence au « nom de famille ». Je ne doute pas que le Sénat, législateur impeccable, souhaitera retenir une dénomination unique. Ce serait aller dans le sens de l'histoire, puisqu'en 2008, le terme « patronyme » a été supprimé de beaucoup d'articles du code civil. Nous préférerions donc « nom de famille ».

Nous souhaiterions que la notion d'aménagement raisonnable soit consacrée comme corollaire du principe général de non-discrimination à l'égard des personnes handicapées. Nous mettrions ainsi notre loi en conformité avec l'article 2 de la Convention internationale pour les personnes handicapées et surtout avec la directive européenne du 27 novembre 2000 que nous avons insuffisamment transposée.

Enfin, nous souhaiterions que le texte prévoie un recours civil pour les personnes victimes de harcèlement sexuel commis dans d'autres domaine que celui de l'emploi, afin qu'elles puissent bénéficier de l'aménagement de la preuve prévu par la loi du 27 mai 2008. C'est parce que le renversement de la charge de la preuve n'existe pas au pénal que les condamnations sont si rares. Nous avons la possibilité de faire aboutir les réclamations en matière de discriminations. Complétons la loi du 27 mai 2008 par une nouvelle définition de la discrimination qui recouvrira le harcèlement dans sa définition la plus large.

À la suite d'une recommandation du Défenseur des droits, en 2013, l'Assemblée nationale a adopté l'article 47, qui garantit l'égalité de l'accès aux cantines scolaires. C'est une bonne mesure, même si beaucoup parmi vous craignent la charge supplémentaire que cela représentera pour les communes. Ne pas assurer l'égalité de l'accès aux cantines scolaires, c'est nier le droit à l'éducation pour tous.

Quant aux emplois fermés, réservés exclusivement aux nationaux, le texte de l'Assemblée nationale a contribué à en diminuer le nombre. Beaucoup de nos propositions ont été retenues. Le contexte s'y prête, puisque la cour d'appel de Paris doit se prononcer sur l'affaire des 900 employés marocains de la SNCF. Pendant vingt-cinq ans, on a refusé d'accorder le statut de cheminots à plusieurs centaines de personnes, alors qu'elles accomplissaient exactement le même travail que les autres, au nom du critère discriminant de leur nationalité. L'Assemblée nationale a restreint la catégorie des emplois fermés uniquement à ceux qui présentent un risque pour la sécurité ou la souveraineté de l'État. C'est le moins que l'on puisse faire.

Enfin, nous avons proposé que toutes les entreprises soient soumises à l'obligation de produire des indicateurs, des tableaux et des évaluations mesurant leur action en matière de lutte contre les discriminations et de promotion de l'égalité. On éviterait ainsi de cacher derrière quelques cas particulièrement médiatisés les stéréotypes et les préjugés qui entraînent couramment des discriminations dans la politique des ressources humaines. Ces indicateurs existent. C'est un miroir qu'il faut tendre aux entreprises.

Dans la loi Rebsamen du 17 août 2015, il est prévu que la négociation annuelle sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et la qualité de vie au travail porterait aussi sur les mesures permettant de lutter contre toute discrimination en matière de recrutement dans l'emploi et l'accès à la formation professionnelle. Si l'intention est louable, le texte ne mentionne aucun indicateur, ni aucun objectif de progression précis. Il se trouve que nous devons transposer, avant le 6 décembre 2016, la directive 2014-95 relative à la publication d'informations non financières et d'informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes. Voilà l'occasion de prévoir les indicateurs nécessaires pour documenter l'égalité de traitement et la prévention des discriminations. Un certain nombre de dispositions ont été prises aux articles 36 A et 47 sexies du texte ainsi qu' à l'article 61 bis qui fait obligation à toute entreprise employant au moins cinquante salariés ou spécialisée dans le recrutement de prévoir une formation de non-discrimination à l'embauche au moins une fois tous les cinq ans. Nous souhaitons que ces dispositifs soient maintenus, mais nous recommandons aussi que l'on prévoie par décret les modalités concrètes d'un audit sur les discriminations et la création d'un référent « Egalite » au sein des entreprises. C'est ainsi que l'on favorisera une politique de ressources humaines dirigée vers la promotion de l'égalité.

Dernier point qui ne manquera pas de susciter un long débat, les amendements proposés à l'Assemblée nationale sur les contrôles d'identité subjectifs ont été repoussés à la demande du Gouvernement. Un accord a ensuite été trouvé avec la majorité sur l'expérimentation des « caméras piétons ». Nous continuons à penser que le concept d'égalité est écorné si les contrôles d'identité ne sont pas rigoureusement contrôlés et encadrés de manière à garantir leur objectivité.

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Nous vous remercions pour votre exposé très détaillé, grâce auquel nous avons pu apprécier votre regard sur les modifications apportées par l'Assemblée nationale.

Mme Françoise Gatel, rapporteur . - Vous avez su reconnaître que l'intention qui préside à ce texte est louable, surtout dans le contexte actuel. La proposition de loi sur l'obligation d'accueillir les enfants à la cantine est arrivée au Sénat à l'initiative de M. Schwarzenberg. Je sais le respect que vous avez pour les élus locaux qui siègent nombreux au Sénat. Cependant, il faut mesurer l'importance du sujet. Avons-nous connaissance de situations choquantes où des enfants auraient été volontairement écartés d'un service de cantine par des élus locaux ? Je le crois d'autant moins qu'une telle éviction serait difficilement possible : les associations de parents d'élèves et l'opposition monteraient aussitôt au créneau. Sans compter qu'une telle mesure rend la situation inéquitable pour les enfants scolarisés dans des communes où il n'y a pas de service de cantine.

En ce qui concerne l'avancement de l'âge de la majorité à 16 ans, j'entends la nécessité d'inclure les jeunes dans la société et de les rendre responsables et citoyens. Imaginez, cependant, la responsabilité considérable qui pèserait sur les parents d'un mineur qui deviendrait trésorier d'une association. Le texte prévoit d'  « informer » les parents plutôt que de « solliciter l'autorisation ». Le diable est dans les détails.

Nous nous interrogeons également sur la force et la pertinence de multiplier les critères de discrimination. Les inventaires restent souvent partiels. Faut-il y faire figurer les victimes du bizutage ? Je n'en suis pas certaine. La notion de perte d'autonomie ne va pas de soi non plus.

L'article 38 du projet de loi prévoit une circonstance aggravante de sexisme. N'y aurait-il pas un problème de constitutionnalité si deux circonstances aggravantes se cumulaient sur un même fait ? En effet, il y a déjà une circonstance aggravante dans certains crimes, comme le viol ou les violences conjugales.

Vous souhaitez une réforme de la loi de 1880 sur la liberté de la presse et notamment l'interdiction de l'excuse de provocation dont pouvaient bénéficier les auteurs d'injures publiques. Cette disposition ne réduit-elle pas de manière excessive la marge d'interprétation du juge dans des dossiers sensibles, à une époque où règne le politiquement correct. Vous l'avez dit à propos du mot « race » : il ne suffit pas de supprimer les mots pour supprimer les choses.

Enfin, l'article 38 ter pénalise la constatation, la banalisation ou la négation d'un crime contre l'humanité. La décision du Conseil constitutionnel de 2012 sur le génocide arménien pose problème, même s'il ne s'agit pas de nier la réalité de ce génocide. L'article 68 qui veut sanctionner les parents qui châtient est également perturbant. On peut être d'accord. Cependant, l'article interdit également la fessée. Un juge excessif pourrait retirer l'autorité parentale sur ce motif. Quel parent n'a jamais été au moins tenté de donner une fessée ? Et qui d'entre nous n'en a pas reçu ?

M. Jean-Claude Lenoir . - Nous en avons tous reçu... Et pourtant, nous sommes là.

Mme Françoise Gatel . - Les excès d'interprétation sont monnaie courante. Bientôt, on ne pourra même plus s'adresser à son enfant de manière un peu autoritaire.

Quant à l'expérimentation des « caméras piétons », je considère qu'il est difficile de demander à un policier municipal de filmer ou de donner un récépissé. En revanche, c'est une réalité, dans notre pays, certaines personnes sont plus contrôlées que d'autres.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur . - Vous approuvez le schéma pour renforcer la mixité sociale et la réforme de l'attribution des logements sociaux qui figurent au titre II. Nous savons bien, au Sénat, que c'est le maire qui incarne l'ancrage dans les territoires. Or, le titre II prive le maire de certains pouvoirs et compétences pour les confier à l'État, sur des sujets qui relèvent de la réalité de terrain, à une échelle très fine. Vous proposez même d'aller plus loin que le texte en mettant fin sans délai aux délégations du contingent préfectoral. Ce ne sont plus les communes mais les EPCI qui créeront une commission d'attribution. Les maires sont pourtant les mieux à même de suivre à la cage d'escalier près l'attribution des logements. Pourtant, vous donnez une voix prépondérante aux présidents des EPCI dans ces commissions d'attribution. Toutes ces dispositions nourriront le débat. Le maire doit rester au centre du dispositif.

Vous avez proposé une nouvelle définition de la sous-occupation des logements. Avez-vous idée du nombre de logements qui seraient concernés par cette nouvelle définition ? Quelles conséquences aura-t-elle pour la gestion du parc HLM ? Il faut surtout pouvoir proposer aux personnes qui sont en sous-occupation des logements qui répondent à leurs attentes et à leurs besoins. On sait bien que c'est là que le bât blesse.

Enfin, le texte supprime la notion de « commune de rattachement » qui limitait le nombre de gens du voyage à 3 % de la population communale. Qu'adviendra-t-il si on supprime ce dispositif ? S'il n'y aura pas forcément d'incidence sur les grandes métropoles, qu'en sera-t-il dans les petits territoires ?

M. Jacques-Bernard Magner . - Merci pour cet exposé sur un texte que vous jugez positif. En tant que maire, je procède assez régulièrement à des parrainages civils. Ce type de parrainage n'est cependant pas vraiment reconnu comme un acte d'état-civil officiel.

En ce qui concerne la pré-majorité associative, qui jugera de la capacité de discernement des jeunes ?

Enfin, l'article 3 prévoit l'accès des mineurs à la réserve citoyenne. Dans la mesure où cette intégration exige des compétences particulières, faut-il maintenir cet accès dès 16 ans ?

M. René Danesi . - Je n'ai pas bien compris le lien que vous avez établi en introduction entre les événements qui se sont produits depuis dix-huit mois et les profondes discriminations qui ont cours dans la société. Sauf erreur, les auteurs des attentats, tous islamistes, avaient des motivations religieuses. Il ne s'agit pas de combattants de l'égalité, de la citoyenneté, de l'intégration ou de l'ascenseur social. Ces terroristes ont surtout des problèmes psychologiques. Aucun n'a été victime du déterminisme social ; certains ont même fait des études supérieures. Laisser entendre le contraire nous affaiblit dans la guerre que nous devons mener et qui a été importée du Moyen Orient. Aux États-Unis, les attentats résultent de conflits raciaux et sociaux. En France, les événements qui ont cours depuis dix-huit mois sont importés du Moyen Orient, pour des raisons religieuses.

M. Yannick Vaugrenard . - Je ne vous interrogerai pas sur le projet de loi mais sur votre prise de position sur le 21 ème critère de discrimination : la discrimination pour cause de vulnérabilité sociale. C'est après avoir rédigé un rapport sur la pauvreté que j'ai déposé une proposition de loi introduisant ce critère. La stigmatisation dont souffrent les pauvres - double peine ! - est d'autant plus inacceptable que la fraude sociale ne représente, en tout, que 4 milliards d'euros, contre 26 milliards d'euros pour la fraude à l'impôt sur le revenu, ou 60 milliards d'euros de manque à gagner en raison des fuites de capitaux - c'est-à-dire l'équivalent annuel de la charge de notre dette publique... Il faut le dire ! D'où ma proposition de loi, qui a été adoptée quasiment à l'unanimité au Sénat le 18 juin 2015 - M. Bas, président de la commission des lois, avait déclaré qu'il la votait - et à l'Assemblée nationale le 14 juin 2016.

Geneviève de Gaulle-Anthonioz, présidente de l'organisation non gouvernementale ATD Quart Monde, s'est battue pendant des années pour la reconnaissance de ce critère, comme l'ensemble des associations caritatives et humanitaires, et M. Baudis avait demandé un 20 ème critère, relatif au lieu de résidence, et ce 21 ème , que j'ai eu l'honneur d'introduire. Je regrette que vous y soyez défavorable, alors qu'il aurait une grande valeur symbolique, surtout en ce moment.

M. Jacques Toubon . -Le Défenseur des droits est au moins aussi attentif que vous à ce que nul ne soit stigmatisé, surtout en raison de sa pauvreté. Une grande partie des quelque 80 000 réclamations que j'ai traitées l'an passé concernent d'ailleurs des personnes vulnérables. Mais cette question, qui tenait en effet à coeur à Geneviève de Gaulle-Anthonioz, comme au père Wresinski, ne relève pas de la mise en place d'une prohibition supplémentaire.

M. Yannick Vaugrenard . - C'est vous qui le dites.

M. Jacques Toubon . - Entre refuser cette stigmatisation et se donner les instruments de droit, dont je dispose, dont disposent les juges, pour qu'elle n'existe pas, il y a aussi loin que de la coupe aux lèvres. Or votre texte n'est pas applicable.

M. Yannick Vaugrenard . - Si.

M. Jacques Toubon . - Non. C'est toute la question. L'accès au droit, notamment pour les plus vulnérables, doit être amélioré par des politiques publiques. Dans aucune situation, ce critère ne pourrait être invoqué - sauf à s'appuyer sur les critères qui existent déjà : apparence physique, âge, handicap... Je vous soutiens entièrement sur le fond. Pour atteindre nos objectifs, il faut emprunter une autre voie.

M. Yannick Vaugrenard . - M. Baudis ne partageait pas votre point de vue.

M. Jacques Toubon . - En effet, et je l'assume.

M. Jean-Claude Carle . - Vous nous demandez de soutenir l'amendement relatif à l'accès à la cantine, ce que je peux comprendre dans votre position. Pour autant, je ne le soutiendrai pas car il n'apporte rien de nouveau. Le cadre législatif permet déjà de condamner toutes les discriminations. De plus, nous parlons de cas ponctuels et marginaux. Tous ont été réglés, dans les communes de droite comme de gauche. Enfin, cet amendement créerait une rupture d'égalité puisqu'il ne concerne que les communes qui ont ce service. Et il coûterait très cher aux collectivités territoriales, alors que leurs dotations diminuent.

Un cas de saturation très médiatisé à Thonon-les-Bains concernait en réalité uniquement le jeudi midi, qui était jour de marché. Le maire a réglé le problème. Nul besoin de créer par la loi un carcan supplémentaire.

Mme Evelyne Yonnet . - Sur le 21 ème critère de discrimination, la vulnérabilité sociale, je suis d'accord avec M. Vaugrenard. La pauvreté se voit immédiatement sur une personne. Je suis élue d'Aubervilliers, l'une des communes les plus pauvres de France, avec une forte immigration...

M. Jacques Toubon . - Vous-même, vous reconnaissez la multiplicité des critères !

Mme Evelyne Yonnet . - Nous parlons de discriminations qui vous empêchent d'être embauché...

M. Jacques Toubon . - En dissolvant des critères précis dans un critère général qui l'est moins, je crains que nous ne fassions reculer la lutte contre les discriminations.

Mme Evelyne Yonnet . - Je maintiens mes propos.

Dans les cantines, c'est surtout la place qui manque. Ne culpabilisons donc pas les maires en confondant ce problème avec le cas de communes posant des règles réservant la cantine à certaines catégories. Enfin, vous avez utilisé le mot « race ». Certes, on parle de la race humaine... Mais pouvez-vous préciser votre pensée ?

Mme Maryvonne Blondin . - Qu'entendez-vous par « refus d'aménagement raisonnable » pour les personnes handicapées ?

Vous avez cité les lois de 2006, de 2008, la loi sur le dialogue social de M. Rebsamen : pourquoi n'avez-vous pas évoqué la loi sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, d'août 2014 ? La mise en oeuvre de cette loi a-t-elle fait l'objet d'un rapport ? Parmi les stéréotypes et les préjugés, ceux qui concernent les personnes transgenres sont très pénalisants, et ces personnes font l'objet d'une très forte discrimination à l'embauche, pour trouver un logement, lorsqu'elles voyagent, ou pour faire établir leurs documents d'identité.

M. Philippe Dallier . - Quelle est votre définition de la mixité sociale ? Au sens strict, il faut prendre en compte la catégorie socio-professionnelle et le niveau de revenu. Plus largement, on peut tenir compte des origines...

Certains chercheurs sont favorables à la déconcentration, d'autres vous expliquent qu'installer des pauvres dans des quartiers aisés pose de nombreux problèmes. Ne pensez-vous pas que se limiter à une définition étroite, limitée à la catégorie socio-professionnelle, revient à se voiler la face ? Habitant la Seine-Saint-Denis depuis 53 ans, j'ai toujours été favorable à la politique de peuplement. Je vois ce que c'est que de ne pas prendre en compte les problèmes de mixité d'origines. Dans notre pays, on refuse de le faire, de peur de catégoriser les gens. Pour compréhensible qu'elle soit, cette réticence nous prive d'outils. Ce texte me semble aller dans le bon sens, car la mixité sociale doit être assurée de la cage d'escalier à la métropole, mais je ne vois pas quels outils supplémentaires il apportera.

M. Henri Tandonnet . - Je suis surpris par la tonalité centralisatrice de ce texte. Je ne crois pas que le préfet règlera les difficultés de vie dans les quartiers. Vous avez évoqué les naufragés du numérique, mais il y a aussi beaucoup de naufragés de l'administration centrale, qu'on retrouve souvent dans les mairies, où ils trouvent une solution. Quelle proportion des requêtes que vous recevez concerne les collectivités territoriales ?

M. Jacques Toubon . - Questions intenses ! Je ne suis ni parlementaire ni membre du Gouvernement. Oui, ce texte est re-centralisateur. Je pense, pour ma part, qu'une décentralisation exacerbée crée un risque d'accroissement de l'inégalité, et que la centralisation est une garantie d'égalité. Pour autant, je comprends bien que ce texte hérisse les sénateurs, comme l'avait fait la proposition de loi de Mmes Michelle Meunier et Muguette Dini sur la protection sociale de l'enfance. C'est toute la question : il faut choisir entre le respect de la liberté de chaque territoire et la volonté d'atteindre un objectif national par une loi. Quelles que soient les insuffisances de ce texte, il est porteur de cette ambition. Et, Défenseur des droits, j'entends que les droits fondamentaux soient mis en oeuvre de la même façon sur les quelque 550 000 kilomètres carrés du territoire de notre République.

Oui, avancer l'âge de la majorité à seize ans est risqué, mais faire émerger les droits le plus tôt possible est un progrès. Il faut faire parler les enfants dans les affaires qui les concernent. À cet égard, les écarter de la procédure du divorce est un recul. Le risque est réel, mais il mérite d'être couru. Même remarque pour le parrainage civil - mais à quoi s'engage le parrain, ou la marraine ?

Je suis d'accord : il ne faut pas multiplier les critères de discrimination. Mais de quoi parle-t-on ? Avons-nous un instrument pour empêcher que des centaines de milliers de personnes ne soient maltraitées parce que le critère d'autonomie n'aura pas été transformé en critère de perte d'autonomie ? Le Défenseur des droits doit pouvoir intervenir dans les établissements spécialisés, et notamment dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

La disposition sur les cantines est préventive. La proposition de M. Schwartzenberg supposait que chaque mairie se mette à la tête d'un service public de restauration, ce qui se heurtait aux contraintes financières. Le Sénat l'a donc rejetée. Pourtant, les situations qui l'ont motivée vont se multiplier. Il ne faudrait pas que nous nous trouvions dans l'impossibilité de mettre fin à des comportements discriminatoires. Voter cette disposition ouvre en quelque sorte un parachute.

La loi de 1881 sur la liberté de la presse cherche un équilibre entre la liberté d'expression et la dignité des personnes. Cet équilibre est bouleversé par l'irruption des réseaux sociaux et par la violence croissante qu'on observe dans notre société. Il faut mieux prendre en compte la lutte contre le racisme ou la xénophobie dans les procédures qui garantissent la liberté d'expression. Par exemple, la loi de 1881 interdit la requalification des faits, ce qui protège, en réalité, l'auteur de l'injure, ainsi que son complice, le directeur du journal - Henri Rochefort voulait que les journaux retrouvent une liberté d'expression que le Second Empire avait fortement bridée. Cette disposition empêche des victimes de diffamation d'entamer des poursuites. Le présent texte modifie la procédure pour éviter de telles mises en échec. Bien sûr, les avocats que vous entendrez vous tiendront des propos différents, selon qu'ils défendent les publicistes ou les associations. Mais la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a pris position pour ce texte, qui renforce la répression.

J'ai combattu en 1990 la loi Gayssot, car je pense que ce n'est pas la loi qui fait l'Histoire, et que si l'Histoire a besoin de la loi, c'est qu'il y a des doutes. Cette loi n'a pas donné lieu aux abus que l'on pouvait craindre. Allons-nous l'étendre au-delà de la négation de la Shoah ? L'Assemblée nationale y est favorable. Cela mérite d'être discuté.

Nous avons pris position, dans la lignée de la Convention internationale des droits des enfants, pour la suppression des châtiments corporels. Le texte adopté ne prévoit pas de sanctions pénales, ce qui est intelligent, et se place sur le plan pédagogique. Sur ce point, la France n'a aucune raison d'être l'une des rares exceptions en Europe.

Le débat sur les contrôles d'identité n'aura pas d'issue dans le contexte sécuritaire actuel, ni avant les élections de l'an prochain. Chaque année, des millions d'interventions de la police, de la gendarmerie ou des services de sécurité dans les transports n'ont pas d'existence juridique. La relation est pourtant très asymétrique entre le dépositaire de la force publique et le simple citoyen. Certes, il existe une déontologie, mais la loi prive d'existence juridique les simples contrôles d'identité, ce qui n'est pas satisfaisant. La cour d'appel de Paris a rendu un arrêt en juin 2015, qui est soumis à la cour de cassation. Attendons le résultat de la procédure. L'usage de caméras ne peut être utile que si l'enregistrement est déclenché dans toute intervention, et non au gré du policier ou du gendarme.

Le Sénat est l'assemblée des élus locaux, et ceux-ci ont des pouvoirs accrus depuis 1982. À vous de vous prononcer sur les pouvoirs de maires. Pour ma part, je ne peux pas considérer comme une bonne idée de leur donner le dernier mot sur la mixité sociale - j'ai pourtant été maire du 13 ème arrondissement de Paris pendant dix-huit ans et je travaille sans cesse avec des élus locaux. À vrai dire, 40 % de nos réclamations concernent la sécurité sociale. Cela dit, les contraintes prévues par ce texte, qui encadrent la liberté du maire, me semblent positives, même si elles écornent la libre administration des communes. Nous sommes favorables à la suppression de la commune de rattachement pour les gens du voyage, comme nous souhaitons la suppression du statut de 1969 car nous défendons l'égalité.

À M. Danesi, je dirai que, si le motif religieux est de loin le premier mobile des comportements criminels des terroristes, ce serait une erreur de penser qu'il est importé, et que les individus en question mettent en oeuvre des ordres donnés depuis l'extérieur. Il faut aussi prendre en compte des données sociales, économiques et culturelles, politiques, territoriales, nationales... Cette loi ne peut donc apporter que des débuts de solution. Nous avons laissé se créer dans notre pays des systèmes à plusieurs vitesses, qui sont un terreau profond des inégalités. Je n'apporte ni explication ni excuse à ces crimes abominables, mais nous devons prendre en compte la réalité sociale de notre pays, qui est plus abimée qu'on ne le croit, et revêt à certains égards des aspects tragiques. On a vu à Nice comment la violence s'est banalisée. Elle monte dans notre société comme l'herbe dans les prés. À cela, il n'y a ni explication ni remède unique.

Le critère du revenu des demandeurs de logements sociaux est sans doute un peu mécanique, mais il évite la catégorisation. S'il n'y a pas de statistiques ethniques, nombre d'études reposent, par exemple, sur le lieu de naissance des parents. Je comprends bien le point de vue des sénateurs et des sénatrices, mais dois vous faire part de mon propre point de vue. Mon rôle est d'essayer de réduire le hiatus entre le droit proclamé et le droit réalisé. Même s'il est partiel, ce texte aborde de grands débats. J'espère que vous irez parfois dans le sens que je préconise.

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Nous y travaillerons tout l'été !

M. Jacques Toubon . - Voici un extrait de l'article 2 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées : « La discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus d'aménagement raisonnable. On entend par « aménagement raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n'imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l'exercice, sur la base de l'égalité avec les autres, de tous les droits de l'homme et de toutes les libertés fondamentales ». C'est donc une obligation de moyens qui devrait trouver une traduction dans le droit des discriminations

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Merci.

Page mise à jour le

Partager cette page