D. AUDITION DE MME ERICKA BAREIGTS, SECRÉTAIRE D'ÉTAT CHARGÉE DE L'ÉGALITÉ RÉELLE

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Nous accueillons Mme Ericka Bareigts, secrétaire d'État chargée de l'égalité réelle, puis nous recevrons M. Jacques Toubon, défenseur des droits.

Madame La ministre, vous défendez le projet de loi « égalité et citoyenneté » avec Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable auditionnée la semaine dernière par notre commission, et M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, qui sera entendu la semaine prochaine.

Vous êtes plus particulièrement en charge du titre III intitulé « Pour l'égalité réelle ». Le nombre d'articles de ce titre a été multiplié par 10 : il est passé de 7 dans le projet de loi initial à 75 dans le texte qui nous est transmis. Nous ne comptons pas poursuivre sur cette lancée, plutôt réduire le volume !

Les sujets concernés sont très divers : ils vont de l'élargissement des voies d'accès à la fonction publique à la pénalisation de la négation des crimes contre l'humanité en passant par le droit d'inscription dans les cantines scolaires ou la suppression de la condition de nationalité pour les dirigeants des entreprises de pompes-funèbres.

Dans un premier temps, pouvez-vous nous présenter les principales dispositions de ce titre III et les modifications apportées par l'Assemblée nationale ? Puis Mme Françoise Gatel, rapporteure de la commission spéciale sur ce titre, ainsi que notre autre rapporteure, Mme Dominique Estrosi Sassone, vous interrogeront. Je donnerai ensuite la parole à l'ensemble de nos collègues.

Mme Ericka Bareigts, secrétaire d'État chargée de l'égalité réelle . - Merci de me recevoir. Je ne balaierai pas l'ensemble des nombreux points abordés dans ce texte, enrichi par le travail parlementaire. Je me concentrerai sur quelques thèmes majeurs. Nous souhaitons que ce projet de loi soit un texte de rassemblement autour de la République, surtout dans une période où elle subit de graves attaques. Mes pensées vont aux victimes, à leurs proches, à ceux qui souffrent, et aux services de police et de santé qui les secourent.

Nous avons la forte volonté de renforcer nos valeurs, de les traduire dans le quotidien des citoyens, car trop d'entre eux perçoivent le message républicain comme illusoire et se défient du projet républicain. Nous voulons y répondre ensemble, ouvrir une voie et fermer la porte au repli sur soi, à la montée de la défiance, du racisme, de l'exclusion. Nous voulons réaffirmer les principes républicains qui fondent notre identité.

Ce projet de loi a été construit avec les acteurs de la société civile, les citoyens, car le texte a été ouvert à la consultation sur une plateforme numérique. Notre méthode, c'est le faire-ensemble pour le vivre-ensemble.

J'en viens aux mesures du titre III intitulé « Pour l'égalité réelle ». L'égalité réelle signifie que chacun doit être en capacité de s'insérer dans la République ; l'État a une exigence, celle de garantir à tous les citoyens les conditions de l'émancipation et du bien-être, en luttant contre les déterminismes sociaux liés à la couleur de peau, au sexe, au lieu d'habitation, aux opinions. Il faut renforcer les garde-fous contre tous les phénomènes d'exclusion.

Le titre III comprend quatre chapitres, le premier étant consacré aux conseils citoyens. La demande de démocratie participative et de démocratie directe est forte. Les conseils citoyens visent à associer la société civile à la définition des politiques publiques, afin que les décisions répondent mieux à leurs besoins. Ils ont été créés en 2014 dans la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine : 650 fonctionnent déjà, plus de 200 sont en cours de constitution. Y participent les habitants, les associations et les responsables locaux. Le gouvernement souhaite leur accorder plus de pouvoirs, pour donner plus de force à la parole citoyenne. Ils auront une capacité d'interpellation pour modifier le contrat de ville. Après analyse de la requête par les services de l'État, les préconisations du préfet seront portées devant le conseil municipal et les assemblées délibérantes des autres collectivités signataires. Le contrat de ville pourra ainsi être amendé sous l'impulsion des citoyens. Le travail parlementaire a permis de préciser tant les modalités d'interpellation par les conseils citoyens que le rôle des élus et du comité de pilotage du contrat ; les délégués du gouvernement ont été rétablis, ils sont utiles pour résoudre certains problèmes. Ce volet du texte est une vraie avancée pour l'expression citoyenne.

Deuxième chapitre, la maîtrise de la langue. Environ 6 millions de personnes ne maîtrisent pas la langue française, dont 3 millions qui sont allées à l'école de la République, et pas seulement outre-mer où les problèmes d'illettrisme sont encore plus vifs. Il est fondamental de maîtriser la langue française pour exercer sa citoyenneté, accéder à l'emploi et à ses droits. La moitié de ces 3 millions de personnes sont salariées, ce qui implique bien des difficultés pour elles. Il est indispensable de maîtriser la langue pour s'intégrer pleinement et c'est pourquoi le ministre de l'intérieur a voulu, par la loi du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France, renforcer les exigences à cet égard. Nous créons aujourd'hui une Agence de la langue française pour la cohésion sociale et le projet de loi concrétise une logique de parcours de la langue française tout au long de la vie. Ainsi l'amélioration de la maîtrise de la langue française figurera dans les programmes de formation professionnelle continue et d'intégration des étrangers. Le travail parlementaire a, là encore, renforcé les dispositions : je songe à la maîtrise des compétences numériques ou aux dispositifs de lecture pour les personnes handicapées, qui entrent dans le champ de la formation continue. La lutte contre l'illettrisme a été étendue à la formation continue dans la fonction publique territoriale.

Troisième volet, ouvrir l'accès à la fonction publique, qui est garante des principes républicains et de la poursuite de l'intérêt général. Ma collègue Annick Girardin et moi poursuivons l'objectif que des jeunes aux parcours très variés puissent intégrer la fonction publique ; 10 000 apprentis seront recrutés dans la fonction publique d'État. Dans les classes préparatoires intégrées, 1 000 places supplémentaires seront ouvertes à la rentrée. Le troisième concours sera généralisé dans les trois fonctions publiques, pour une plus grande diversité des recrutements, quelle que soit l'activité professionnelle antérieure, sous condition d'une durée d'activité qui inclura les périodes d'apprentissage.

L'Assemblée nationale a enrichi ce volet : publication d'un rapport biannuel sur la lutte contre les discriminations et prise en compte de la diversité sociale dans les trois fonctions publiques ; meilleure information des jeunes ; mention dans les avis de concours du principe d'égal accès aux emplois de la fonction publique ; nouveau contrat de droit public en alternance, s'adressant aux chômeurs de moins de 28 ans, avec un accompagnement pour préparer les concours de catégories A et B dans la fonction publique d'État.

Quatrième volet, la lutte contre toutes les formes de discrimination. La mobilisation doit être générale contre ce fléau qui déconstruit le lien social. C'est un enjeu national à porter collectivement car les actes de racisme ont augmenté de 25 % en 2015. La fermeté s'impose : la répression des injures à caractère raciste et discriminatoire est renforcée, alignée sur celle des provocations et diffamations à caractère raciste car l'effet destructeur est le même. Les auteurs de ces infractions pourront être contraints de suivre un stage d'apprentissage des devoirs du citoyen et des valeurs de la République. Cette peine aura une visée pédagogique : il s'agit d'apprendre les règles de vie en société. Les circonstances aggravantes de sexisme, racisme, homophobie ou transphobie seront généralisées à l'ensemble des infractions prévues par le code pénal.

Il faut aussi mener un travail pédagogique concernant notre regard sur la différence. Les médias ont leur rôle à jouer, puisque les Français passent en moyenne deux heures vingt par jour devant la télévision. Celle-ci est un outil puissant dans la construction des représentations mentales. L'obligation de meilleure représentation de la diversité s'appliquera aux chaînes nationales - y compris aux services de l'audiovisuel public - et ces dernières en rendront compte annuellement au CSA, qui pourra appliquer des sanctions. La République doit veiller à ce que l'ensemble de ses enfants aient leur place dans la société.

Les poursuites judiciaires seront facilitées contre les expressions négationnistes ou racistes. Plus souple, la loi de 1881 sur la liberté de la presse permettra de poursuivre les auteurs de discours haineux. La liste des associations pouvant agir en justice a été élargie. Une réflexion parlementaire a été menée sur la répression de l'apologie, de la banalisation et de la négation des crimes contre l'humanité. Ces dispositions, qui donneront toute sa force à la loi Taubira du 21 mai 2001, sont une co-construction législative. La négation des crimes contre l'humanité sera poursuivie devant les juridictions.

Enfin, les mêmes opportunités de réussite doivent être données à tous les jeunes. Nous avons travaillé, avec la ministre de l'éducation nationale, pour inscrire les pôles de stage dans la loi, afin de lutter contre l'inégalité d'accès aux stages de troisième et aux stages de lycée professionnel. Nous souhaitons également élargir à de nouveaux établissements d'enseignement supérieur le dispositif des élèves méritants des zones d'éducation prioritaire (ZEP) qui a été instauré à l'institut d'études politiques (IEP) de Paris en 2001.

L'Assemblée nationale est revenue sur les activités interdites aux ressortissants étrangers, discrimination qui avait suscité le vote, transpartisan, d'une proposition de loi en février 2009 au Sénat. La chirurgie dentaire, les débits de boissons et les pompes-funèbres doivent être ouverts aux étrangers, ce qui ne change rien à l'encadrement légal de ces professions ni aux conditions de diplôme et de qualification.

La République doit être exemplaire mais exigeante. Un équilibre a été trouvé et je souhaite que le travail parlementaire se poursuive en ce sens.

Mme Françoise Gatel, rapporteur . - Cette audition se déroule dans un contexte particulier, qui hélas se répète. Ce projet de loi répond à l'obligation de reconstruire une communauté nationale, une identité républicaine, avec le devoir d'accueillir chacun au nom de la fraternité mais également en exigeant de chacun un sens de la responsabilité. Nous avons à consentir un effort long, volontaire, courageux, pour réinscrire dans la République une génération plus habituée aux droits qu'aux devoirs. Comme le disait le président John Kennedy, « ne te demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande ce que tu peux faire pour ton pays ».

L'attention portée aux territoires prioritaires de la politique de la ville est légitime, mais je souhaiterais que l'on n'oublie pas l'exclusion sociale qui affecte les territoires ruraux isolés.

Je suis étonnée également que l'État en vienne à créer une agence de la langue française pour combler les manques d'un système scolaire dont trois millions d'élèves ont pu sortir illettrés.

Mais j'en viens à mes questions. L'article 36 B bis organise la collecte de données relatives à « l'environnement social et professionnel » des candidats aux concours de la fonction publique. Quelles données  seraient précisément concernées ? Pourquoi les conserver dans les dossiers des fonctionnaires ? N'y a-t-il pas là une atteinte à la vie privée des candidats ?

L'article 36 septies crée un nouveau contrat de droit public pour les jeunes sans emploi, mais pourquoi la fonction publique d'État est-elle la seule concernée ? Ne faudrait-il pas l'élargir à la fonction publique hospitalière ainsi qu'à la fonction publique territoriale ?

En matière de lutte contre les discriminations, les inventaires ne seront jamais exhaustifs. Le projet de loi ajoute à la liste des critères de discrimination la perte d'autonomie ou encore le bizutage. Est-il nécessaire de les intégrer de cette manière dans la loi ? En multipliant les critères - dont l'interprétation n'est pas toujours simple et qui éventuellement entreront en concurrence entre eux - on aura sans doute plus de difficultés à protéger les personnes concernées.

L'article 38 porte sur les circonstances aggravantes générales pour acte raciste - critère auquel l'Assemblée nationale a ajouté le sexisme. Or cette circonstance aggravante est déjà prévue dans certains crimes ou délits, comme le viol et les violences conjugales. N'y aura-t-il pas un problème de constitutionnalité, puisque deux circonstances aggravantes vont se cumuler pour un même motif et concernant un même fait ?

L'article 38 ter pénalise la négation, la minoration ou la banalisation du crime contre l'humanité. Ce thème revient comme un marronnier... Ce crime doit être reconnu par un juge national ou international. N'est-ce pas placer le juge en juge de l'histoire, comme parfois le législateur ? Le sujet au coeur de l'article est le génocide arménien. Or le Conseil constitutionnel a déjà déclaré inconstitutionnelles les dispositions d'une loi de 2012 qui pénalisaient la négation du génocide arménien dans la mesure où elles étaient attentatoires à la liberté d'expression.

L'article 68 qui traite de la « fessée » vise à mettre la France en conformité avec les dispositions internationales sur la protection de l'enfance. Certes, la maltraitance des enfants existe, et nous y sommes tous opposés. Mais si les parents qui portent la main sur la partie inférieure du corps de l'enfant commettent un délit, jusqu'où va-t-on ?

Enfin l'article 62 concerne la reddition de comptes par les entreprises. On transpose partiellement une directive portant sur le devoir de vigilance : un débat spécifique a déjà eu lieu, entre les deux assemblées, au sujet de cette directive. Pourquoi insérer cette disposition dans le présent projet de loi ?

Ce texte est plein de bonnes intentions mais fort hétéroclite. Et surtout, où sont les moyens financiers ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur . - Aux articles 34 et 34 bis, les conseils citoyens auront un pouvoir d'interpellation, en saisissant le préfet « des difficultés particulières » rencontrées par les habitants : la formulation est bien large et vos explications seront bienvenues... La gouvernance est partagée entre l'État et les collectivités dans les contrats de ville, mais les collectivités n'ont pas ce droit de saisine du préfet !

M. Philippe Dallier . - Ma question concerne l'égal accès des candidats aux postes de catégories A et B dans la fonction publique. N'importe qui peut se présenter aux concours. Les épreuves écrites sont anonymes. Les oraux se font toujours avec des jurys, donc plusieurs examinateurs. Les garanties contre les discriminations sont là, que voulez-vous de plus ? Laissez-vous entendre que les dés sont pipés ? Jusqu'où voulez-vous aller ?

M. Yannick Vaugrenard . - « Égalité et citoyenneté », l'intitulé est ambitieux ; ne vaudrait-il pas mieux mentionner que l'on cherche à « tendre vers » ? Car nous savons bien qu'on n'y arrivera jamais... Quant aux droits et devoirs de la nouvelle génération, celle des 18-30 ans, je rappelle qu'elle sera la première à avoir des conditions de vie en recul sur les précédentes : nous avons eu de la chance de ne pas connaître ce sort. Il faut donc faire en sorte que la société aille mieux, qu'elle soit moins exigeante avec ceux à qui on demande tant - tant de diplômes, par exemple, pour décrocher un emploi. Soyons avant tout attentifs à cette jeunesse qui peut parfois se sentir en déshérence. J'ajoute que la France, dans les classements PISA de l'OCDE, est l'un des pays où l'écart de perspectives professionnelles et sociales est le plus fort entre les milieux d'origine. Tout est joué dès la maternelle, le nombre de mots possédés par l'élève dit tout de son avenir. Quant aux médias, les enfants passent souvent plus de temps devant l'écran de télévision que devant leurs professeurs. La banalisation de la violence est regrettable. Enfin, ces 10 000 apprentis dans la fonction publique bénéficieront aussi de l'ambitieux effort d'apprentissage de la langue... à quoi devrait s'ajouter, selon moi, un apprentissage de la philosophie.

M. Daniel Dubois . - Il y a le conseil municipal, les adjoints, les comités de quartiers. Ces conseils citoyens sont-ils vraiment utiles ? Croyez-vous que dans les quartiers sensibles, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) mène sa politique sans concertation ? Que les maires et les élus peuvent faire aboutir leurs projets sans concertation ?

M. René Vandierendonck . - Les conseils citoyens sont la traduction d'un concept qui vient de loin... Ils poseront problème au Sénat. D'autant qu'après la réforme territoriale, nous attendons toujours les propositions du gouvernement pour organiser le fonctionnement de l'organe délibérant dans les métropoles !

Il est dommage que la législature se termine comme elle a commencé, par un texte sur la reconnaissance du génocide arménien, alors que le Parlement n'a pas à dire l'histoire. J'aurais préféré trouver dans ce texte des dispositions concrètes pour les jeunes diplômés des quartiers éligibles à la politique de la ville. Il serait plus judicieux d'accompagner une cohorte de bacheliers, qui n'accèdent pas à l'université ou n'y réussissent pas, et de diplômés qui ne trouvent pas de stages en entreprise. Ce n'est pas une proposition suspecte, elle vient du précédent président !

Pourquoi une discrimination entre les fonctions publiques, puisque seule la fonction publique d'État serait concernée par le nouveau contrat de droit public pour l'accès aux postes de catégories A et B ? Enfin, les contrats de ville sont déjà signés, faudra-t-il tout refaire ?

M. Jean-Claude Carle . - Renforcer la maîtrise de la langue française, j'y souscris car 30 % des élèves entrent en sixième en ayant de grosses lacunes... Ce qui montre l'importance de l'école primaire, dans un pays où le déterminisme social est total. Aujourd'hui, douze minutes par semaine et par enfant sont consacrées à l'apprentissage de la langue. Or le texte ne dit rien des solutions pour rendre à l'école sa vocation d'assurer l'égalité des chances. La mesure concernant les établissements privés qui ne sont pas sous contrat est une fausse bonne idée.

M. Jacques Mézard . - Dans ce texte incantatoire, peu de solutions pratiques, effectivement, sinon des punitions, ce qui est devenu habituel dans les textes que nous examinons...

L'article 38 ter a été introduit par amendement du gouvernement dans des conditions originales, le jour même de l'attentat d'Istanbul. Il a été retiré durant 45 minutes, puis présenté à nouveau... Vous cherchez à contourner la décision du Conseil constitutionnel que nous avons obtenue en 2012 et, ce faisant, vous opposez au lieu de rassembler les deux communautés présentes sur notre sol, Turcs et Arméniens. Je ne conteste pas le génocide mais les lois mémorielles n'ont pas leur place dans notre législation. N'est-ce pas une disposition simplement électoraliste ?

Mme Françoise Cartron . - La loi de refondation de l'école de 2013 a prévu la scolarisation à deux ans à la maternelle des enfants qui ne parlent pas la langue française : c'est bien l'objectif que vous poursuivez. Quel sera le rôle de l'Agence de la langue française pour la cohésion sociale ?

Les inégalités devant le stage de troisième sont criantes : qui va se charger de l'accompagnement des jeunes afin qu'ils puissent voir d'autres milieux que leur univers familial ?

Une dernière question : pourquoi les chirurgiens-dentistes, les responsables d'entreprises de pompes-funèbres ou les tenanciers de débits de boissons ne peuvent-ils être, aujourd'hui, des étrangers ?

M. Jean-Claude Lenoir, président . - C'est la question que nous nous posons tous !

M. Alain Richard . - Sur l'article 38 ter, les risques juridiques sont sérieux. Si au moins on bornait la nouvelle incrimination aux cas où le crime contre l'humanité a donné lieu à une condamnation par une juridiction nationale ou internationale... Pour le génocide arménien, la seule condamnation a émané d'une juridiction d'exception de l'empire ottoman. Si au moins on se limitait à viser les personnes condamnées pour avoir nié, minoré ou banalisé de façon outrancière des crimes de génocide... Mais le texte vise aussi les cas où la négation, minoration ou banalisation - il n'est pas question de condamnation - constitue une incitation à la violence ou à la haine. Cela est contraire à la décision du Conseil constitutionnel de 2012 et ne deviendra pas une disposition légale. J'ai du mal à imaginer que le Conseil d'État ou le Secrétariat général du gouvernement ont pu estimer le contraire !

M. Jacques-Bernard Magner . - Ce texte arrive à point nommé. Depuis janvier 2015, les assauts contre les valeurs républicaines se succèdent. Il est nécessaire de réaffirmer nos valeurs, en particulier l'égalité, sinon c'est notre devise nationale qui deviendra incantatoire. L'égalité est difficile à définir dans une société pluriculturelle et mixte.

La nouvelle Agence de la langue française pour la cohésion sociale n'entre-t-elle pas en concurrence avec l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme ? Les organismes ne sont-ils pas suffisamment nombreux ?

Mme Hélène Conway-Mouret . - Je partage les propos de M. Magner. Ce texte, qui rappelle les fondamentaux de notre République, est un signal fort dont nous avons besoin. L'égalité ne s'affiche pas, elle se vit au quotidien.

La maîtrise de la langue française est-elle seulement une aspiration ? Le réseau d'enseignement à l'étranger, très performant, peut servir de laboratoire de ce qui réussit auprès d'un public non francophone, dans un milieu qui ne l'est pas non plus - les enfants y atteignent un bilinguisme parfait.

Qu'est-il attendu de la réserve citoyenne ? Comment faire en sorte que les publics les moins à même de s'engager puissent être motivés et non laissés pour compte, ce qui contribuerait davantage au creusement du fossé ?

Mme Christine Prunaud . - Tout le monde s'interroge sur l'utilité de la création de cette agence de la langue française. Il faudrait profiter de ce projet de loi pour s'attarder sur la nécessité de renforcer l'école maternelle. Les enfants n'entrent plus dans les écoles publiques avant l'âge de trois ans ou trois ans et demi. En Bretagne, les écoles privées font leur publicité sur le fait qu'elles accueillent les enfants dès deux ans. Une réflexion sur ce sujet reste à mener.

Vous évoquez l'embauche de 10 000 apprentis dans la fonction publique d'État. À partir de quel âge ? Dans quels services ?

Il est bon de renforcer la lutte contre le racisme et l'homophobie. Parmi les peines sont cités des stages d'apprentissage des devoirs du citoyen et des valeurs de la République : où auront-ils lieu et par qui seront-ils dispensés ? Avez-vous rencontré des associations laïques ou de jeunesse ?

J'ai les mêmes interrogations que mes collègues sur les conditions d'exercice des professionnels des pompes-funèbres.

M. Jean-Pierre Sueur . - Le troisième alinéa de l'article 35 du projet de loi dispose que « les actions de lutte contre l'illettrisme et en faveur de l'apprentissage et de l'amélioration de la maîtrise de la langue française ainsi que des compétences numériques font partie de la formation professionnelle tout au long de la vie. Tous les services publics, les collectivités territoriales et leurs groupements, les entreprises et leurs institutions sociales, les associations et les organisations syndicales et professionnelles concourent à l'élaboration et la mise en oeuvre de ces actions dans leurs domaines d'action respectifs. » Cela signifie-t-il que tout le monde lutte contre l'illettrisme ? C'est très bien, mais je préférerais que l'on mette en oeuvre ce qui a déjà été décidé, en prévoyant un nombre d'heures important dédiées à l'apprentissage de la langue française à l'école maternelle et à l'école élémentaire. Il n'est pas inéluctable que les enfants ne sachent pas lire ni écrire en 6 e . Il faut se centrer sur les fondamentaux et insister sur la nécessité d'y consacrer du temps.

Mme Sophie Primas . - Merci à M. Sueur pour son intervention qui reprend en tout point mes convictions.

Dans mon département des Yvelines, il existe des écoles où l'on enseigne aux enfants à ne surtout pas apprendre le français - elles sont signalées aux préfets. Quel contrôle exerçons-nous ? J'y vois une vraie source de non fraternité.

Je ne me résous pas aux enfants perdus de la République, ces enfants qui n'ont pas de structuration familiale ni de culture, pas d'autorité paternelle, peu d'autorité maternelle. Ils sont dans les rues, attrapés par la police municipale puis nationale, et deviennent les cibles de réseaux, avec les conséquences que l'on connaît.

Madame la ministre, n'affaiblissez pas le rôle des maires qui est fondamental. Un mandat de six ans est déjà très court pour mettre en oeuvre un programme.

Mme Maryvonne Blondin . - On a beaucoup insisté sur l'apprentissage du français dans les écoles maternelles. J'y souscris - en Bretagne, dans les années 1950, on a commencé à accueillir les enfants dès l'âge de deux ans et Rennes est une académie d'excellence qui connaît une grande réussite au brevet. Mais il faut une formation tout au long de la vie, dans les entreprises et les autres corps professionnels. Les personnes qui ont appris à lire mais n'ont pas utilisé leurs savoirs ont besoin de cette deuxième chance.

Mme Ericka Bareigts, secrétaire d'État . - Je suis très heureuse que ce texte suscite autant de remarques. Il porte des mesures concrètes, importantes. Je reprends le début du propos de la rapporteure Françoise Gatel : il y a des droits, des obligations dans notre communauté nationale et une construction à réaliser en commun, sans affaiblissement des uns ou des autres.

J'étais élue territoriale, j'ai été présidente d'une communauté d'agglomération, j'ai été en charge de l'éducation en tant qu'adjointe au maire à Saint-Denis de La Réunion. Nous avons porté des projets de grande dimension de rénovation urbaine. Faire ensemble, avec les conseils citoyens, n'est pas un signe d'affaiblissement. L'État travaille avec les villes et les intercommunalités.

Par le passé, certains citoyens n'étaient pas satisfaits parce que les objectifs des projets ne répondaient pas à leurs attentes. Si nous les avions interrogés, certaines politiques publiques auraient peut-être eu plus d'efficience. Parfois, nous n'avons pas pu modifier des contrats en cours d'exécution qui se révélaient imparfaits et créaient l'insatisfaction. C'est pour éviter cette situation que nous créons les conseils citoyens. Les projets qui modifient pour des décennies les liens dans les quartiers, les transports, l'économie, doivent être mieux élaborés, sans qu'il y ait de risque d'affaiblissement puisque tout est construit ensemble.

L'article 36 C bis répond aux discriminations dans la fonction publique évoquées par le rapport de M. Yannick L'Horty, contre lesquelles il faut des dispositions législatives. Un point sur l'avancée de ce combat sera fait tous les deux ans. C'est pourquoi nous prévoyons le recueil de certaines données, en respect de la réglementation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). .

Des discussions sur le sexisme ont été menées à l'Assemblée nationale. Nous avons considéré qu'il était nécessaire de repréciser cette qualification dans certains cas.

En matière de langue française, la vraie efficience passe par des politiques publiques à l'école, dès la maternelle, pour qu'il n'y ait plus d'enfants qui sortent de l'école sans maîtrise de la langue. C'est le sens de la loi de refondation de l'école. L'éducation dès la maternelle défait les enfermements des enfants et crée la réussite éducative. Dans ce projet de loi, nous considérons les adultes, soit un stock de personnes en situation d'illettrisme estimé à trois millions, outre-mer inclus. Ce n'est pas la globalité du problème, puisque six millions de personnes pâtissent de difficultés à divers degrés.

Actuellement, il n'existe pas de parcours de la langue française, mais des prises en charge différentes selon le statut de la personne. Celle-ci peut être accompagnée pendant trois mois avant que tout s'arrête. Combien de personnes suivent un apprentissage en pointillé ? C'est contre ce phénomène que nous avons visé tous les acteurs à tous les échelons. L'Agence de la langue française pour la cohésion sociale aura pour fonction de coordonner, d'évaluer, de donner de la visibilité à toutes ces politiques publiques parsemées et clairsemées, pas forcément efficientes, et ce sans effacer ce qui fonctionne. Je tiens à saluer le travail de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme, qui continuera à jouer un rôle dans le champ de la maîtrise de la langue française.

L'accueil dès l'âge de deux ans à l'école maternelle dans les réseaux d'éducation prioritaire renforcés (REP et REP+) fait l'objet d'une mesure portée par le Gouvernement. Certains petits ont besoin d'une vie sociale et d'une scolarisation plus tôt que d'autres. Les études montrent qu'un accompagnement éducatif important apporte un différentiel de mille mots, selon que le milieu est stimulant ou non, et ce jusqu'à l'âge de six ans : le retard n'est ensuite plus rattrapable. Ce serait une fatalité. Mais il faut remonter aux causes, regarder toute la ligne de l'action. Le problème ne naît pas aux 18 ans de la personne.

Le stage en classe de 3 e est essentiel. La première expression de la non inclusion d'un jeune, le premier retour violent qu'il a sur son origine, l'absolue fermeture des portes, se font lors de la recherche de ce stage. On lui demande qui il est et qui soutient sa demande. Vous avez, chacun, des exemples dans vos territoires de rêves qui se brisent contre certains murs.

Les députés ont souhaité donner une valeur législative aux 300 plateformes de stages coordonnées avec l'Éducation nationale et des entreprises.

L'article 38 ter est le résultat d'une longue co-construction, née d'un amendement du député Victorin Lurel adopté en commission. Il pâtit sûrement des fragilités que vous soulignez, monsieur le ministre Alain Richard, mais c'est une porte que nous ouvrons. La minoration, la banalisation de certains actes conduisent à l'expression de la haine, à une incitation à la violence. Il est important de le valoriser dans ce texte.

L'article 62 correspond à une directive qui, de fait, sera intégrée dans la législation. Sa transposition, qui doit avoir lieu avant la fin de cette année, a fait l'objet d'une démarche parlementaire volontariste.

Le député Goldberg a écrit un rapport parlementaire sur les métiers fermés. Nous avons analysé les amendements déposés par les députés et n'avons trouvé aucune raison technique de ne pas les accepter.

M. Alain Richard . - Le principe supérieur est que l'on ne peut pas ouvrir à des non nationaux des professions qui concourent à l'exercice de la souveraineté. Pourquoi y aurait-il doute ? Le dentiste procède à des identifications potentiellement criminelles ; l'opérateur de pompes funèbres doit appliquer la législation funéraire ; quant aux exploitants de débits de boisson, peut-être est-ce parce qu'ils vendent des timbres-amendes ?

Mme Ericka Bareigts, secrétaire d'État . - Ils concourent à la souveraineté mais ne l'exercent pas.

Le bizutage est cité dans deux articles du projet de loi. Ce n'est pas le bizutage lui-même qui est visé mais bien la discrimination dont fait l'objet la personne qui a résisté au bizutage.

L'âge à partir duquel les apprentis sont acceptés dans la fonction publique est de 15 ans.

M. Jean-Claude Lenoir, président . - Merci, madame la ministre.

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