III. TITRE III. POUR L'ÉGALITÉ RÉELLE

Le titre III comporte un ensemble de mesures censées lutter contre les discriminations de toute nature et favoriser la cohésion sociale et nationale, ainsi que l'intégration, dans diverses dimensions de notre société (vie quotidienne, travail, fonction publique etc.).

Il est le plus hétérogène des trois titres de ce texte. Les députés y ont trouvé matière à introduire la proposition de loi sur l'ancrage territorial de l'alimentation, à interdire la fessée, ou encore à supprimer la condition de nationalité pour l'exercice des professions de débitant de boissons, chirurgien-dentiste ou entrepreneur de pompes funèbres.

Ce titre III commence par conférer de nouvelles prérogatives aux conseils citoyens pourtant fraîchement créés puisqu'ils n'existent que depuis 2014 par la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, et donc concrètement depuis beaucoup moins longtemps puisqu'il a fallu que les communes concernées (les conseils citoyens sont constitués dans les QPV) les mettent en place. Ces conseils citoyens ont eu à peine le temps de commencer à agir que le projet de loi les dote déjà d'instruments de conflit avec le conseil municipal ! Votre commission s'oppose au pouvoir d'interpellation du préfet dont ils seraient dotés et par voie de conséquence à la nomination d'un délégué du Gouvernement suite à une telle interpellation.

Votre commission approuve l'amélioration de l'accessibilité à la fonction publique pour favoriser la mixité sociale et diversifier les profils, lutter contre les « plafonds de verre ». Mais elle est réservée sur certains dispositifs excessifs, difficilement applicables, ou créant, une fois encore, des contraintes nouvelles aux collectivités pour un bénéfice plus qu'incertain. Il en est ainsi de la collecte obligatoire de données statistiques sur les candidats aux concours administratifs, qui pose des problèmes au regard du droit à la vie privée, de la présentation des plans de formation aux assemblées délibérantes des collectivités territoriales, ou encore de l'alternance entre hommes et femmes à la présidence des jurys de concours administratifs.

Votre commission a également supprimé la disposition visant à introduire un député et un sénateur dans le jury de l'ENA, l'activité des parlementaires devant être concentrée sur leurs fonctions législatives et de contrôle du Gouvernement, incompatibles avec les exigences de calendrier d'un tel jury.

Pour finir sur ce volet fonction publique, votre commission accueille favorablement la création d'un nouveau contrat d'accès aux emplois de catégorie A et B pour des jeunes sans emploi, à condition de l'expérimenter six ans sur l'ensemble des trois fonctions publiques afin de mieux appréhender son articulation avec les dispositifs existants.

Vient ensuite une série de dispositions pénales relatives en particulier à la liberté d'expression et à la liberté de la presse . Il s'agit de punir plus sévèrement les actes ou discours discriminatoires ou y incitant, et de tenter de mieux les prévenir. Votre commission spéciale approuve globalement ce volet et l'a enrichi en insérant des propositions du récent rapport d'information de nos collègues François Pillet et Thani Mohamed Soilihi relatif à l'équilibre de la loi du 29 juillet 1881 à l'épreuve d'Internet.

Fidèle à la doctrine de la commission des lois du Sénat, elle propose de cibler avec davantage de précision les infractions visées pour éviter de porter atteinte sans nécessité à des libertés fondamentales. Ainsi, elle n'est pas favorable à une pénalisation de la négation et de la banalisation des crimes contre l'humanité, de réduction en esclavage, de guerre et de génocide. Cette disposition poserait de multiples problèmes, dont ceux des frontières de la liberté d'expression qui sont de plus en plus complexes à cerner. Ni le législateur ni les magistrats ne peuvent se muer en juge de l'Histoire.

De même, votre commission n'est pas favorable à la multiplication des critères de discrimination dont le bizutage (déjà sanctionnable selon le droit existant), le lieu de résidence ou la langue. La liste des critères de discrimination doit laisser une marge d'interprétation au juge. Ce dernier serait en en effet en grande difficulté face à la multiplication de « cases » trop étroites pour y faire entrer les situations réelles.

L'Assemblée nationale a ajouté divers dispositifs destinés à favoriser la diversité dans les médias et la publicité . Votre commission spéciale approuve le rôle confié au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de veiller au respect de la dignité des femmes dans la publicité. Ella l'a même étendu à l'ensemble des personnes apparaissant dans ces émissions. Elle est en revanche plus réservée sur la nouvelle contrainte imposée aux programmes télévisés de refléter sans préjugé la diversité de la société française, charge étant au CSA d'en contrôler l'application, notamment à l'aide d'indicateurs quantitatifs et qualitatifs fournis par les diffuseurs. Ce dispositif est nettement moins étayé et beaucoup plus incertain dans sa mise en oeuvre : comment, par exemple, les programmes acquis à l'étranger pourraient-ils refléter la société française ? Le dialogue entretenu à ce sujet par le CSA avec les diffuseurs, action qui porte sur l'ensemble de la politique éditoriale des chaînes, et singulièrement sur le respect de la diversité a été privilégié par votre commission spéciale.

Les dispositions venant ensuite portent sur l' éducation . Votre commission spéciale s'oppose - ainsi que le Sénat l'avait fait en 2015 - à la création d'un droit d'accès à la cantine des écoles primaires, qui représenterait une nouvelle contrainte pour les communes ou les EPCI, s'agissant d'un service public facultatif.

Les questions relatives aux cantines scolaires ont été le prétexte pour les députés d'introduire les dispositions issues de la proposition de loi relative à l'ancrage territorial de l'alimentation. Outre le fait que ce dispositif est dépourvu de lien avec le texte, il faut rappeler que le Sénat a adopté le 19 mai dernier une version de cette proposition de loi, désormais en instance à l'Assemblée nationale.

Votre commission est favorable en revanche aux dispositifs ayant pour but de favoriser l'accès des élèves de foyers modestes à des stages d'observation dans les administrations publiques ou à l'élargissement des dispositifs du type des conventions conclues par Sciences Po avec des établissements d'éducation prioritaire.

Après la modification du régime applicable aux gens du voyage (évoquée au titre II), les députés ont abrogé des restrictions de nationalité devenues obsolètes pour l'exercice de certaines professions (débitant de boisson, chirurgien-dentiste, entrepreneur de pompes funèbres) ; abrogation approuvée par votre commission.

De même, votre commission approuve les articles additionnels adoptés par les députés tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes au sport, ou à protéger les femmes étrangères victimes de violence conjugale en leur accordant automatiquement un titre de séjour. En revanche, elle rejette une protection du même type pour les victimes de « violences familiales », non pour des raisons de principe, mais parce que cette notion est insuffisamment précise (selon quel degré de filiation ? etc) et l'application serait de ce fait difficile.

Après quelques articles essentiellement techniques portant sur la procédure pénale, l'Assemblée nationale a ajouté un volet relatif au droit du travail qui suscite dans l'ensemble la désapprobation de votre commission spéciale. L'ouverture aux associations de la capacité d'agir contre les discriminations dans l'entreprise fait l'objet d'un dispositif très différent dans le projet de loi « Justice du XXIe siècle », pourtant également adopté par les députés en nouvelle lecture. La prise en compte des discriminations dans les marchés publics serait très difficilement applicable et apparaît contraire au droit communautaire. La possibilité de substituer au lundi de Pentecôte férié un autre jour de congé payé enfonce un coin dans les principes de notre droit du travail alors que la loi « travail » vient de refondre les règles relatives aux jours fériés. La formation à la non-discrimination à l'embauche tombe sous le coup du principe retenu par votre commission de supprimer les nouvelles contraintes imposées aux entreprises, de même que l'obligation faite aux sociétés de plus de 500 salariés d'inclure dans leur rapport annuel une foule d'informations nouvelles sur les questions environnementales, sociales, de personnel, de droits de l'homme et de lutte contre la corruption. Ce dernier dispositif relève d'une directive européenne qu'il faudra éviter de surtransposer et pourrait être abordé plus sereinement dans la proposition de loi « Devoir de vigilance des sociétés-mères », en cours de discussion devant le Parlement. Enfin, l'article confiant aux préfets la coordination de la politique d'inclusion dans l'emploi des jeunes résidant en quartier difficile enfonce une porte ouverte et n'a rien à faire dans la loi.

Les articles ultimes du projet de loi forment un agglomérat de dispositions diverses sans véritable lien entre elles, plus ou moins opportunes. Votre commission spéciale a supprimé toutes celles qui sont non normatives, du domaine règlementaire, relevant d'un autre texte en discussion ou demandant un rapport. Elle approuve toutefois le toilettage opéré par notre collègue député Victorin Lurel abrogeant d'anciens dispositifs relatifs à l'époque coloniale et à l'esclavage.

Enfin, elle a écarté, après échanges avec le Ministère de l'Intérieur, la proposition de naturalisation des personnes résidant à Madagascar et qui n'avaient obtenu ni la nationalité malgache ni la nationalité française à l'indépendance de l'île en 1947. Si la situation de ces personnes justifie un examen particulier, il convient toutefois de veiller à ne pas ouvrir une brèche aux conséquences incalculables dans nos principes du droit de la nationalité, comme l'a affirmé M. Bernard Cazeneuve devant l'Assemblée nationale.

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission spéciale a adopté le projet de loi dans la rédaction qu'elle propose au Sénat.

Page mise à jour le

Partager cette page