III. UN VOLET PERFORMANCE MARQUÉ PAR UN PROBLÈME D'IMPUTATION INÉDIT
A. UN PROBLÈME D'IMPUTATION INÉDIT QUI INVITE À FAIRE ÉVOLUER LE DISPOSITIF DE PERFORMANCE
1. Des ruptures statistiques importantes
Le dispositif de performance repose sur les données administratives de l'état 4001, dont la continuité statistique est remise en cause par la mise en place de nouveaux logiciels de rédaction des procédures au sein des deux forces.
En janvier 2015, l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a ainsi confirmé que la mise en place de nouveaux logiciels de rédaction des procédures au sein de la gendarmerie nationale (LRPGN) et de la police nationale (LRPPN) s'est traduite par des ruptures statistiques importantes qui empêchent d'effectuer des comparaisons fiables d'une année sur l'autre 19 ( * ) .
La mission sur l'enregistrement des plaintes par les forces de sécurité intérieure est parvenue à identifier les causes de ces ruptures statistiques : « déplacements d'enregistrement entre contraventions et délits créant une remontée en niveau des délits constatés, ces déplacements étant sans doute dus à la fiabilisation de l'enregistrement permise par le nouvel outil ; bascules entre index de l'état 4001, liées à une meilleure précision de l'indexation ; prise en compte d'infractions spécifiques dans les index appropriés, alors qu'elles étaient répertoriées jusque-là dans des index généralistes ; plus marginalement, choix différents d'index du fait de leur ordre de présentation dans le menu déroulant » 20 ( * ) .
Ainsi, la mission estime que « 2016 constituera la première année de référence fiable pour les statistiques de la délinquance enregistrée par les forces de sécurité intérieure ».
2. Une évolution indispensable du dispositif de performance
Comme l'a rappelé votre rapporteur spécial lors de l'examen de la loi de règlement 2014, de telles ruptures statistiques justifieraient que les données issues des enquêtes de victimation soient utilisées dans le cadre du dispositif de performance , ce qui supposerait toutefois d'en revoir le calendrier ou le délai de traitement 21 ( * ) .
L'enquête « Cadre de vie et sécurité », réalisée depuis 2007 par l'Insee et l'ONDRP, permet de mesurer l'évolution de la délinquance en interrogeant 23 000 ménages sur les faits dont ils ont pu être victimes lors des deux dernières années.
L'utilisation des données issues de cette étude annuelle pourrait contribuer à remédier à trois faiblesses de l'état 4001.
Premièrement, les données administratives ne permettent pas de rendre compte des infractions non déclarées aux forces de police et de gendarmerie.
Deuxièmement, l'évolution de ces données est difficile à interpréter, compte tenu du fait qu'une partie du travail des forces de police et de gendarmerie consiste précisément à inciter à la révélation d'infractions.
Troisièmement, les données de l'état 4001 peuvent aisément être l'objet de manipulations .
À titre d'illustration, la préfecture de police a, jusqu'à une période récente, mis en place des stratégies institutionnalisées visant à minorer la réalité de la délinquance. Dans un rapport publié en 2014, une mission de contrôle menée par les corps d'inspection au sein de 14 conscriptions de la préfecture de police a en effet mis en évidence « une tendance lourde et ancienne à déqualifier statistiquement des faits de délinquance en minorant soit leur gravité, soit leur volume au sein de l'état 4001 » 22 ( * ) .
Trois principales stratégies étaient mobilisées par les agents pour sous-estimer l'ampleur de la délinquance :
- la « déqualification », qui permet de faire sortir certains faits de l'état 4001 ou du champ des infractions les plus sensibles de l'index, avec un « taux de mauvaises indications évidentes » compris entre 17 % et 23 % des faits sur les échantillons analysés ;
- le « déstatage » pur et simple de 6 % à 8 % des faits constatés, pratique qui consiste à attribuer un « coefficient 0 » pour un fait constaté ou à supprimer la fiche statistique générée automatiquement par le logiciel d'enregistrement ;
- le « report d'enregistrement », pratique « mise en place de manière organisée et centralisée » qui consiste à cesser prématurément la comptabilisation des faits de délinquance en fin de mois lorsque l'objectif risque de ne pas être atteint, avec pour conséquence la constitution d'un « important portefeuille glissant » de faits reportés d'un mois sur l'autre.
L'utilisation des données de l'enquête de victimation est d'autant plus importante que de nouvelles stratégies de déqualification sont susceptibles d'émerger.
À titre d'illustration, dans le cadre d'une note interne du 19 octobre 2015 révélée par un média 23 ( * ) , la préfecture de police indique qu'une case dédiée à la COP21 devrait permettre « d'isoler les faits de délinquance liés à cette conférence » en attribuant « le contexte `COP21' à tout type d'infraction en lien avec cet événement », y compris lorsque la victime « est agressée durant son séjour en marge de la conférence », qu'il s'agisse « d'agressions physiques, d'atteintes aux biens, de dégradations, de menaces, d'outrages ou de violences à dépositaires [de l'autorité], d'escroquerie, d'abus de confiance ou d'utilisations frauduleuses de moyens de paiement ».
Si cette case dédiée pourrait permettre d'adapter le dispositif policier en temps réel à l'évolution de la menace, votre rapporteur spécial sera particulièrement attentif, compte tenu en particulier du spectre particulièrement large des faits auxquels peuvent être attribués le « contexte `COP21' », à ce que cette évolution ne conduise pas une nouvelle fois à sortir ou minorer certains faits relevant de l'état 4001.
* 19 Bulletin mensuel de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, ISSN 2265-9110, janvier 2015.
* 20 Rapport sur l'enregistrement des plaintes par les forces de sécurité intérieure publié le 12 juillet 2013 et co-écrit par Michel Rouzeau (IGA), Jean-Christophe Sintive (IGA), Christian Loiseau (IGPN), Armand Savin (IGPN), Claude Loron (IGGN) et Isabelle Kabla-Langlois (INSEE), p. 8
* 21 Rapport n° 604 sur la loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2014, tome II (2014-2015), fait au nom de la commission des finances et déposé le 8 juillet 2015.
* 22 Werner Gagneron (IGA), Marc Le Dorh (IGA), Yves Jobic (IGPN) et Eric Proix (IGPN), « Enregistrement des plaintes par les forces de sécurité intérieure sur le ressort de la préfecture de police », 3 mars 2014.
* 23 Laurent Borredon, « COP21: la Préfecture de police redoute un climat de délinquance », Vu de l'intérieur, 11 novembre 2015.