II. L'INSERTION D'UN GRAND NOMBRE DE « CAVALIERS LÉGISLATIFS »
Surtout, votre rapporteur constate que les vingt-huit articles additionnels adoptés par l'Assemblée nationale n'ont pas , à l'exception de l'article 5 septdecies et du I de l'article 7 bis , pour objet d'adapter notre procédure pénale à des règles de l'Union européenne.
Nombre de dispositions ont ainsi pour but d'apporter des modifications, substantielles pour certaines, à la législation pénale sans qu'un texte communautaire nous y contraigne :
- article 3 bis : exercice des fonctions dévolues au service pénitentiaire d'insertion et de probation à Saint-Pierre-et-Miquelon ;
- article 4 quater A : obligation d'informer une victime de la possibilité de saisir le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) ;
- article 4 quater : instauration d'une sur-amende destinée à financer l'aide aux victimes, assise sur le montant des amendes pénales et douanières recouvrées mais aussi sur le montant des sanctions pécuniaires prononcées par certaines autorités administratives indépendantes ;
- article 5 bis A : possibilité pour la juridiction de prononcer un huis-clos pour le jugement des délits et crimes contre l'humanité et crimes de guerre et de faire témoigner des personnes de manière anonyme ;
- article 5 quater A : caractère exécutoire de la peine de contrainte pénale à compter de la notification à l'intéressé s'il est absent lors de l'audience ;
- article 5 quinquies : lorsque la juridiction prescrit à une personne reconnue coupable d'un délit passible d'une peine d'emprisonnement le suivi d'un stage de citoyenneté, possibilité de prononcer cette peine en l'absence du prévenu à l'audience dès lors qu'il a fait connaître par écrit son accord et qu'il est représenté par son avocat ;
- article 5 sexies : modification similaire à celle de l'article 5 quinquies quand la juridiction décide de condamner le prévenu à une peine de travail d'intérêt général ;
- article 5 septies A : lorsqu'une peine consiste dans l'obligation d'accomplir un stage, la durée de celui-ci ne peut excéder un mois et son coût, s'il est à la charge du condamné, ne peut excéder le montant de l'amende encourue pour les contraventions de la troisième classe ;
- article 5 septies B : précision juridique relative aux modalités de prononcé des peines d'emprisonnement ;
- article 5 septies C : modalités d'application des sursis avec mise à l'épreuve pour les personnes se trouvant en état de récidive légale ;
- article 5 septies : même objet que les articles 5 quinquies et 5 sexies quand la juridiction ordonne un sursis à exécution de la peine d'emprisonnement en l'assortissant d'une obligation de travail d'intérêt général ;
- article 5 octies : possibilité pour le juge de l'application des peines de convertir en contrainte pénale une peine d'emprisonnement suivant la condamnation d'un délit de droit commun comportant une peine d'emprisonnement ferme de six mois au plus ;
- article 5 nonies : possibilité d'appliquer à la phase d'instruction les dispositions simplifiant la gestion des scellés issues de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, en particulier la réduction à un mois du délai dans lequel le propriétaire d'un bien sous scellés doit le reprendre après une mise en demeure ;
- article 5 decies : encadrement des délais d'examen des appels et pourvois en cassation formés contre une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel ;
- article 5 undecies : création d'une obligation à la chambre de l'instruction de mentionner les éléments à charge et à décharge lorsqu'elle met en accusation une personne et ordonne son renvoi devant la cour d'assises ;
- article 5 duodecies : passage de deux à six mois du délai maximum dans lequel le procureur de la République peut inviter à comparaître devant un tribunal une personne qui lui est déférée ;
- article 5 terdecies : passage de huit jours à un mois du délai d'examen des requêtes en dessaisissement d'un parquet ;
- article 5 quaterdecies : précision relative aux réductions supplémentaires de peine pouvant être accordées aux condamnés qui manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale ;
- article 5 quindecies : modification des conditions dans lesquelles le juge de l'application des peines peut ordonner une mesure d'aménagement de peine ou de conversion de peine d'emprisonnement ;
- article 5 sexdecies : modification des dispositions du code de procédure pénale relatives à l'emprisonnement encouru pour défaut de paiement d'un jour-amende ;
- article 5 septdecies A : modalités selon lesquelles le parquet a la faculté d'informer l'administration ou un organisme compétent de l'existence d'une enquête ou d'une instruction en cours concernant une personne dont l'activité professionnelle ou sociale est placée sous le contrôle ou l'autorité de cette administration ou de cet organisme et que la transmission de cette information paraît nécessaire à l'exercice de ce contrôle ou de cette autorité. Cet article définit également les modalités selon lesquelles le parquet informe l'autorité administrative de l'existence d'une condamnation ou d'une procédure judiciaire afférant à plusieurs types d'infractions et concernant une personne exerçant une activité professionnelle ou sociale impliquant un contact habituel avec des mineurs ;
- article 5 septdecies B : limitation dans le temps des effets d'une mesure administrative de suspension temporaire de participation à la direction et à l'encadrement d'institutions et d'organismes soumis aux dispositions législatives ou réglementaires relatives à la protection des mineurs accueillis en centre de vacances et de loisirs, ainsi que de groupements de jeunesse. Cet article étend également aux activités exercées à titre bénévole les sanctions applicables aux personnes exerçant contre rémunération l'une des fonctions de professeur, moniteur, éducateur, entraîneur ou animateur d'une activité physique ou sportive alors que cet exercice leur est interdit suite à une condamnation ou la prise d'une mesure administrative ;
- article 5 septdecies C : élargissement du régime de sanctions administratives prévu à l'article L. 914-6 du code de l'éducation aux chefs d'établissement privé d'enseignement du premier degré ;
- article 5 septdecies D : élargissement des cas d'interdiction d'exploiter ou de diriger l'un quelconque des établissements, services ou lieux de vie et d'accueil régis par le code de l'action sociale et des familles, d'y exercer une fonction à quelque titre que ce soit, ou d'être agréé au titre des dispositions du même code ;
- article 5 septdecies E : extension aux services pénitentiaires d'insertion et de probation de la faculté d'avoir directement accès au bulletin n° 1 du casier judiciaire des condamnés ;
- article 5 septdecies : suppression d'une référence dans le code de la route à une directive annulée par la Cour de justice de l'Union européenne pour faire référence aux « instruments de l'Union européenne » ;
- article 6 bis : correction d'une malfaçon de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique qui a supprimé la pénalisation des dons aux partis politiques par les personnes morales ;
- article 7 bis : entrée en vigueur différée de plusieurs articles de la loi.
L'adjonction de ces dispositions nouvelles, dont certaines portent des modifications lourdes sur le plan juridique et politique, pose tout d'abord un problème de principe dans la mesure où le Sénat n'a pu, en sa qualité de première assemblée saisie et compte tenu de l'engagement de la procédure accélérée, les examiner dans des conditions satisfaisantes en commission et en séance publique et engager un dialogue avec l'Assemblée nationale dans le cadre de la navette parlementaire. Surtout, au regard de l'objet du projet de loi initial, votre rapporteur estime que ces articles additionnels constituent des « cavaliers législatifs » au regard de l'article 45 de la Constitution et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière 5 ( * ) .
À cet égard, votre rapporteur ne partage pas le point de vue du rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Dominique Raimbourg, qui estime, dans son rapport de nouvelle lecture, que « la procédure pénale [...] constitue bien, au-delà des seules mesures de transposition, l'objet même du texte aujourd'hui soumis » à l'examen du Parlement. En effet, la recevabilité des amendements en première lecture s'apprécie au regard de l'objet du texte d'origine ou du texte transmis. Or, initialement, le projet de loi ne contenait que des dispositions relatives à la transposition de textes européens, comme en attestent l'exposé des motifs du projet de lois 6 ( * ) ou sa présentation par la garde des sceaux devant le Sénat 7 ( * ) . Il ne saurait par ailleurs être tiré argument du fait que le Sénat ait ensuite adopté, à l'initiative du Gouvernement, deux amendements 8 ( * ) qui n'avaient pas pour objet la transposition d'un texte européen, pour asseoir la recevabilité, au regard de l'article 45 de la Constitution, de l'ensemble de ces vingt-huit articles additionnels.
* 5 Voir, pour une loi de transposition, la décision n° 2007-549 DC du 19 février 2007 (loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament) ainsi que les nombreuses décisions rendues depuis la révision de la Constitution de 2008 sur l'absence de lien indirect avec l'objet du texte (2009-584 DC, 2009-589 DC, 2010-607 DC, 2010-617 DC, 2011-629 DC, 2011-637 DC, 2011-640 DC, 2012-649 DC et 2013-679 DC).
* 6 « Le présent projet de loi a pour objet de transposer les trois décisions-cadres précitées », exposé des motifs du projet de loi initial n° 482 (2013-2014), p. 4.
* 7 « [...] les trois décisions-cadres que le projet de loi transpose concernent précisément la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, donc leur application effective dans les différents pays européens. [...] Par ailleurs, la commission des lois a accepté, et je l'en remercie, d'introduire dans le texte des dispositions figurant dans deux autres directives européennes pour lesquelles nous disposons encore d'un délai.[...] Voilà donc l'essentiel des dispositions contenues dans ce texte. Évidemment, il s'agit toujours de dispositions extrêmement techniques, pointilleuses sur le plan juridique, mais qui font sens en termes de construction d'un espace européen de sécurité, de liberté et de justice. Il s'agit non seulement de faire évoluer les droits, mais aussi de rechercher plus d'efficacité judiciaire, afin que la liberté de circulation des personnes ne se traduise pas, d'une part, par l'impunité pour les auteurs d'infractions, et, d'autre part, par une protection inégale pour les victimes. » (intervention de la garde des sceaux devant le Sénat le 5 novembre 2014, JO Sénat du 6 novembre 2014, p. 7765-7766).
* 8 Le premier amendement tirait les conséquences d'une censure du juge constitutionnel sur les gardes à vue applicables en matière de criminalité organisée ; le second visait à rendre exécutoire par provision une décision d'incarcération pour non-respect d'obligations liées à une contrainte pénale.