II. DE LA LOI SUR LA NATURE AU PROJET DE LOI DE RECONQUÊTE DE LA BIODIVERSITÉ : D'UNE VISION STATIQUE À UNE APPROCHE DYNAMIQUE DE LA PROTECTION DE LA BIODIVERSITÉ
Le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages adopté par l'Assemblée nationale, compte 138 articles répartis en 7 titres : - Titre I : Principes fondamentaux - Titre II : Gouvernance de la biodiversité - Titre III : Agence française pour la biodiversité - Titre III bis : Gouvernance de la politique de l'eau - Titre IV : Accès aux ressources génétiques et partage juste et équitable des avantages - Titre V : Espaces naturels et protection des espèces - Titre VI : Paysage |
A. UNE TENDANCE GÉNÉRALE AU RENFORCEMENT DE LA PROTECTION DE LA NATURE
Il est difficile de circonscrire le périmètre juridique de protection de la nature, tant on est passé du « presque rien » au « presque tout » dans ce domaine. Globalement, notre droit est aujourd'hui totalement intégré dans un système international et européen de protection du patrimoine naturel dont les obligations sont de plus en plus précises.
Beaucoup de chemin a été parcouru depuis la loi du 2 mai 1930 sur la protection des monuments naturels et des sites qui, la première, dévoile clairement dans son intitulé une intention de protéger la nature . Mais il faut attendre la loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature pour confirmer cette volonté, même si au niveau international la France adhère déjà à des conventions sur la protection du patrimoine mondial ou sur les zones humides, par exemple.
S'ensuivent de grandes lois telles que la loi Montagne (1985), la loi Littoral (1986), la loi Paysage (1993) ou la loi sur le renforcement de la protection de l'environnement (1995), qui ont toutes pour objectif d' empêcher l'aggravation des atteintes à l'environnement par les pollutions, le développement anarchique de l'urbanisation ou le gaspillage des ressources naturelles . Aujourd'hui le code de l'environnement cherche avant tout à « conserver » les espèces de faune et de flore sauvages, et à « préserver » les paysages, l'air, l'eau et le sol. Il s'inscrit lui-même dans un cadre juridique de plus en plus constitutionnalisé , depuis l'adoption de la Charte de l'environnement en 2005.
• En matière de préservation de la biodiversité , l'émergence d'une véritable politique n'a été rendue possible qu'après qu' un inventaire des espèces animales et végétales menacées ait été rendu obligatoire. Il est confié au Muséum d'histoire naturelle qui l'a lancé en 1982 en délimitant les zones de protection du patrimoine naturel d'intérêt écologique, floristique ou faunistique (ZNIEFF) : près de 15 000 ZNIEFF ont été recensées , couvrant 25% du territoire français.
En parallèle, les notions de trame et de réseau écologique sont apparues dans les années 1990, dans le contexte de la convention de Rio sur la diversité biologique et de la directive européenne « Habitats », comme outil de restauration et protection de la biodiversité et d'aménagement du territoire. Mesure phare du Grenelle de l'environnement (2007), les trames vertes et bleue s constituent un réseau de continuités écologiques terrestres et aquatiques, identifiées dans les schémas régionaux de cohérence écologique et prises en compte dans les documents d'urbanisme. En reliant les espaces protégés par des corridors écologiques , elles permettent aux espèces animales ou végétales de se déplacer pour assurer leur cycle de vie .
S'y ajoute le réseau Natura 2000 constitué d'un ensemble de sites naturels européens, terrestres et marins, identifiés pour la rareté ou la fragilité des espèces sauvages, animales ou végétales, et de leurs habitats. Dans ces zones, les activités économiques et les aménagements ne sont pas interdits, mais doivent faire l'objet d'une « évaluation d'incidence » . La France a inscrit environ 1 750 sites , dont plus de 200 sites marins, ce qui représente environ 13 % du territoire et concerne plus de 13 000 communes.
• En ce qui concerne plus spécifiquement la protection des espèces menacées , plusieurs conventions sont d'abord intervenues au niveau international : Convention de Ramsar (1971) sur la protection des zones humides d'importance internationale, Conventions de Washington (1973) sur le commerce international des espèces menacées d'extinction (CITES), Convention de Bonn (1979) sur la conservation des espèces migratrices.
Pour la pêche maritime, une véritable police de la haute-mer a été organisée : des conventions internationales protègent les espèces (phoques à fourrures, baleines) contre les prises abusives et cherchent à assurer, dans certaines zones, une gestion rationnelle des stocks : convention pour l'Atlantique du Nord-Est (1946 et 1992), traité de Washington (1959) et protocole de Madrid (1991).
Autrefois éloignée de ces préoccupations, la Cour internationale de justice de La Haye (CIJ) est aujourd'hui impliquée beaucoup plus systématiquement : elle a par exemple récemment rendu un arrêt condamnant le Japon à la demande de l'Australie, en ce qui concerne la chasse à la baleine (CIJ, 31 mars 2014).
La France a progressivement adapté sa réglementation pour s'inscrire dans ce mouvement. Le droit commun de la chasse vise ainsi un prélèvement raisonnable sur les ressources naturelles renouvelables, alors que des règles spécifiques s'appliquent à la chasse aux nuisibles et à celle des migrateurs. La loi sur l'eau du 30 décembre 2006 lie quant à elle étroitement la pêche en eau douce à la protection et à la gestion intégrée des milieux aquatiques.
Parallèlement, la France a procédé à des réintroductions d'espèces historiquement présentes comme le vautour, le chamois ou le lynx. Celles du loup et de l'ours sont plus difficiles, suscitant notamment les protestations des éleveurs.
• Enfin, des outils de protection spatiale complètent cette architecture. Outre les lois généralistes sur certains espaces fonctionnels , la protection des espaces naturels repose sur des délimitations spécifiques : loi du 2 mai 1930 sur les sites, loi du 9 janvier 1993 sur les paysages, loi du 22 juillet 1960 sur les parcs naturels complétée par la loi du 14 avril 2006 qui distingue parcs nationaux, parcs régionaux, parcs marins, espaces naturels sensibles et réserves naturelles.
Une protection ciblée de certains écosystèmes est également mise en oeuvre. La protection des biotopes repose sur des arrêtés préfectoraux au titre de l'article R. 411-15 du code rural. En ce qui concerne les zones humides , milieux caractérisés par la présence d'eau dans le sol à une faible profondeur (marais, lagunes vasières, estuaires, tourbières), les grands principes sont définis au niveau international par la convention de Ramsar du 2 février 1971, qui couvre 43 sites en France .
Le droit français n'accueille pas de disposition spécifique sur ce point, et la protection des zones humides repose avant tout sur l' application des législations connexes (sites, réserves, Natura 2000, etc.). La loi Grenelle II du 12 juillet 2010 prévoit cependant l'acquisition par les collectivités de 20 000 hectares de zones humides pour lutter contre l'artificialisation des sols, et un plan national d'action en faveur des milieux humides a été mis en place pour la période 2014-2018.