AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages , présenté en Conseil des ministres le 26 mars 2014 et adopté un an plus tard, le 24 mars 2015, par l'Assemblée nationale, s'inscrit dans un contexte bien particulier. À la manière du projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte, dont il rejoint tant la lettre que l'esprit, il porte en lui une dichotomie entre le moment présent et le temps long , entre l'action immédiate et l'évolution historique. Il cherche à répondre à un double enjeu : être le moment pour agir et porter une capacité d'entraînement. Près de quarante ans après la dernière loi sur la nature , la loi n°76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, ce projet de loi est aussi examiné par le Sénat dans le contexte immédiat de la tenue à Paris, en décembre 2015, de la Conférence internationale sur le climat, la COP 21, où il nous faudra à la fois être exemplaires et agir sans attendre.

Nous savons aujourd'hui que la perte de biodiversité menace notre survie sur Terre et qu'elle nous impose d'agir très rapidement. Nous savons que le taux actuel de disparition des espèces est le plus élevé jamais enregistré, c'est-à-dire qu'entre 17 000 et 100 000 espèces disparaissent chaque année. Nous savons qu'une espèce de plante sur huit est menacée d'extinction. Nous savons que 30 % des abeilles ont disparu en 2014. Nous savons qu'un cinquième de toutes les espèces vivantes pourrait disparaître dans les trente prochaines années. Et nous savons que l'Homme y est pour quelque chose . Nous savons que nos activités accélèrent cette évolution. Nous savons que les espèces végétales et animales s'éteignent au moins 1 000 fois plus vite qu'elles ne le faisaient avant que les humains peuplent la planète. Une étude publiée fin juin par des universitaires de Stanford et Berkeley estime que la faune de la Terre est en train de subir sa sixième grande extinction de masse . Pour eux la planète n'a jamais perdu ses espèces animales à un rythme aussi élevé depuis l'extinction des dinosaures, il y a soixante-six millions d'années, et cette extinction pourrait concerner l'homme...

Et pourtant, en dépit de ces certitudes de plus en plus solides, notre comportement ne change presque pas ; notre modèle de développement économique reste le même ; notre façon de penser notre rapport à la planète a du mal à évoluer.

Votre rapporteur, qui a entendu plus de 180 personnes, 96 organismes et reçu une cinquantaine de contributions a souhaité aborder ces questions de la manière la plus large, sans préjugé ni idée préconçue, et s'est rapidement rendu compte que, si tous les acteurs partagent le même constat, ce dernier n'emportait presque aucune conséquence individuelle.

La préservation, la protection et la mise en valeur de la biodiversité ne doivent plus être considérées aujourd'hui seulement comme une contrainte statique, mais plutôt comme une opportunité dynamique , le « kairos » grec, c'est-à-dire l'instant critique à ne pas manquer. C'est le temps du changement de paradigme.

Comme le disait Hubert Reeves dans « L'Univers expliqué à mes petits-enfants » : « Le mot écologique veut dire qui a rapport à la maison. Nous malmenons notre maison, c'est-à-dire la biosphère, et tous ses habitants ». Ce projet de loi n'est pas écologique au sens politique du terme, mais en ce qu'il entend associer tous les acteurs pour protéger le vivant. Le Pape François, dans son encyclique « Laudato si », souligne qu'il « ne suffit pas de concilier, en un juste milieu, la protection de la nature et le profit financier, ou la préservation de l'environnement et le progrès » . Il poursuit : « sur ces questions, les justes milieux retardent seulement un peu l'effondrement. Il s'agit simplement de redéfinir le progrès.»

Votre rapporteur souhaite aussi insister sur le lien entre le présent projet de loi et le texte sur la transition énergétique , dont le Sénat est en train d'achever l'examen en nouvelle lecture, qui abordent, tous les deux, des sujets étroitement liés au problème du changement climatique et à la menace que ce dernier fait peser sur l'avenir de notre planète. Ces sujets sont les facettes différentes d'une même « crise » profonde . À la sixième extinction qui vient, nous devons répondre par une véritable mutation.

Le projet de loi comporte 7 titres et 138 articles après son passage à l'Assemblée nationale, alors que le projet initial ne comportait que 72 articles.

Votre rapporteur, au cours de ses travaux et étant donnée la complexité de certains enjeux, a néanmoins tenté de suivre trois priorités :

- la volonté de dépassionner les débats afin de construire des solutions pragmatiques aux difficultés liées à la perte de la biodiversité et aux menaces qui pèsent sur elle, tout en prenant en compte les actions et les efforts déjà engagés par les différents acteurs ainsi que les contraintes liées aux particularités des territoires ou des activités ;

- la consécration d'une vision « dynamique » et moderne de la biodiversité , fondée sur une approche des « interactions » et sur la « valorisation économique » de la biodiversité ;

- l'importance de la biodiversité ultramarine , envers laquelle nous avons un double devoir : celui de la préserver et de la mettre en valeur et celui de faire en sorte que nos actions soient appropriées et conduites par nos compatriotes ultramarins qui en sont les dépositaires.

Ce triple objectif ainsi qu'une approche ouverte, positive et pragmatique de votre rapporteur ont permis à votre commission d'adopter un texte à la fois ambitieux et équilibré sur un sujet majeur pour l'avenir de nos territoires, de nos concitoyens et de la planète.

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