PREMIÈRE PARTIE : UN CONTEXTE PARTICULIÈREMENT SENSIBLE
I. UN ACCORD IMPORTANT POUR L'UKRAINE
A. UNE NATION A L'HISTOIRE MOUVEMENTÉE ET A L'IDENTITÉ RÉCENTE
Tout au long de l'histoire, le territoire de l'Ukraine actuelle a été soumis à des influences diverses (la Pologne et l'Empire austro-hongrois à l'ouest, l'empire ottoman au sud et la Russie à l'est) et n'a constitué que tardivement un Etat. Il en résulte une identité composite, dont l'affirmation comme nation est relativement récente.
1. La Rous de Kiev
Au V e siècle, ce territoire accueille les tribus slaves venues du nord qui s'installent le long des fleuves. Au IX e siècle se constitue la Rous de Kiev , vaste principauté s'étendant de la Baltique à la Mer Noire et premier Etat slave de l'Histoire. C'est alors un Etat puissant, situé à un carrefour commercial stratégique et qui noue des alliances dynastiques avec d'autres Etats européens (ainsi, en 1051, le roi de France Henri 1 er épouse Anne, fille du prince Iaroslav le Sage). En 911, les princes de Kiev assiègent même Constantinople et en obtiennent un traité de commerce. En 988, un prince de Kiev, Volodymyr le Grand, adopte la religion chrétienne et christianise la Rous.
Après trois siècles de prospérité, celle-ci se désagrège progressivement sous l'effet de luttes internes et de la montée en puissance des Mongols ou Tatars, qui détruisent Kiev en 1240 . Une partie du peuple de la Rous fuit alors vers le nord et l'est, le siège de l'orthodoxie se déplaçant de Kiev à Moscou. C'est pourquoi la Russie se voit comme une descendante de la Rous et a longtemps considéré l'Ukraine comme la « Petite Russie ».
Emergent alors sur ce territoire de nombreuses principautés, dont l'une des plus importantes est la Galacie , qui s'unit à la Volhynie et adopte à cette occasion la religion catholique. L'invasion lituanienne repousse ensuite les Tatars au-delà du Dniepr (qui s'implantent sur les bords de la Volga, les rives nord de la Mer noire et en Crimée) et débouche sur la constitution du Grand-Duché de Lituanie (1386-1434), qui s'étend de la Baltique à la Mer Noire, est à l'époque le plus grand Etat d'Europe. Cependant que la Pologne conquiert en 1385 la Galicie-Volhynie. Le Grand-Duché de Lituanie et le Royaume de Pologne finissent par s'unir en 1569 (République des deux Nations). Les élites aristocratiques, sous l'influence polonaise, adoptent le catholicisme, donnant naissance à l'église ukrainienne gréco-catholique, dite uniate (1596), alors que les paysans ukrainiens restent orthodoxes.
2. La tentative d'Etat cosaque
C'est parmi ceux-ci que se dessine au XV e siècle, une nouvelle tentative de créer un Etat ukrainien indépendant. Fuyant les grands domaines et le servage de l'ouest et du centre de l'Ukraine, des paysans « cosaques » (dénomination issue d'un mot turc signifiant « dissident ») constituent dans les steppes du bas Dniepr une entité autonome, le « Sitch », fondée sur une forme de démocratie directe (leur chef, le hetman, étant élu par acclamation). Tolérés par la Pologne, les cosaques se révoltent régulièrement contre celle-ci pour accroître leur autonomie et finissent par s'allier avec le souverain moscovite Alexis Mikhaïlovitch en 1654 (traité de Péréïaslav), à l'initiative de l'hetman Bogdan Khmelnytskyï.
3. La période russe et soviétique
Cette alliance ouvre la voie à la Russie , qui soumet progressivement les cosaques et intègre la partie de l'Ukraine située à l'est du Dniepr dans son empire. Sous le règne de Catherine II, au XVIII e siècle, elle enlève l'ouest et le sud de l'Ukraine à la Pologne et à l'empire ottoman (la Crimée est annexée en 1783). Le gouverneur Grigori Potemkine est alors chargé de mettre en valeur ces territoires du sud-est, dénommés « Nouvelle Russie ».
L'idée nationale ukrainienne se développe dans la seconde moitié du XIX e siècle , notamment en Galicie, qui constitue à l'époque un foyer de rayonnement culturel au sein de l'empire austro-hongrois. A la faveur de la dislocation de celui-ci pendant la première guerre mondiale, une République populaire ukrainienne (UNR) est proclamée le 20 novembre 1917.
Néanmoins, durant les deux années qui suivent, l'Ukraine devient le champ de bataille de plusieurs armées adverses (UNR, armée allemande, armée blanche monarchiste, armée rouge, anarchistes), avant de devenir une république socialiste intégrée à l'URSS . Toute manifestation d'un sentiment national est alors réprimée. La période soviétique est notamment marquée par la grande famine (Holodomor) provoquée par la collectivisation des terres, qui reste un épisode douloureux dans la mémoire nationale (5 à 7 millions de morts).
Profitant de l'attaque allemande contre l'URSS en juin 1941, une armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) se constitue et cherche à obtenir l'indépendance. Cette insurrection sera écrasée et ses acteurs déportés en Sibérie.
4. L'Ukraine depuis l'indépendance
C'est à la faveur de la dissolution de l'Union soviétique que le mouvement national refait surface. L'indépendance de l'Ukraine, dans ses frontières issues de l'ex-URSS, est proclamée le 24 août 1991. Le parlement adopte une nouvelle Constitution le 28 juin 1996. La nouvelle monnaie nationale, la hryvnia, est mise en circulation le 2 septembre 1996.
Les dix premières années de l'indépendance ukrainienne sont marquées par un effondrement de la production, suivi, à partir des années 2000, d'un retour à une forte croissance , dont les bénéfices sont répartis de manière très inégale.
Lors du scrutin présidentiel de 2004, la contestation de la rue et la pression internationale entraînent l'annulation d'un second tour frauduleux. La « Révolution orange » mobilise de très nombreux Ukrainiens contre un système de pouvoir jugé corrompu et peu respectueux des droits fondamentaux (trucage des élections, disparition de journalistes). Elle conduit à la victoire de l'ancien Premier ministre pro-européen Viktor Iouchtchenko qui promeut une construction nationale et identitaire basée sur la reconstitution du passé ukrainien, le développement de la langue ukrainienne et oriente le pays vers l'OTAN et l'UE.
Néanmoins, des divisions apparaissent au sein du pouvoir, qui paralysent les réformes. Le 7 février 2010 , Viktor Ianoukovitch , Premier ministre de 2006 à 2007, puis chef de l'opposition (Parti des régions ), est élu président avec 49% des suffrages (contre 45,5% pour Mme Ioulia Tymochenko). Les élections législatives d'octobre 2012, remportées par le Parti des régions, sont entachées de nombreuses irrégularités en amont (Ioulia Tymichenko n'a, par exemple, pas pu se présenter) et en aval des opérations de vote. La période 2010-2013 est marquée par une « re-présidentialisation » du système politique (invalidation de la réforme constitutionnelle de 2004), le lancement de procédures judiciaires contre les membres du précédent gouvernement (« justice sélective » qui conduit notamment à la condamnation et à l'incarcération de Ioulia Tymochenko) et un recul des libertés (pressions sur les médias audiovisuels, manipulations lors des élections locales de 2010). En politique extérieure, Viktor Ianoukovitch opère un rapprochement avec la Russie, symbolisée par la reconduction jusqu'en 2042 du bail de la flotte russe à Sébastopol.
La dernière étape de cette lente affirmation d'une nation ukrainienne sera la révolution de l'Euromaïdan et le conflit actuel avec la Russie (cf. infra ).