EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 10 février 2015 sous la présidence de M. Christian Cambon, vice-président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de Mme Josette Durrieu sur le projet de loi n° 198 (2014-2015) autorisant la ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et la République de Moldavie, d'autre part, signé le 27 juin 2014 à Bruxelles.
Après l'exposé de la rapporteure, un débat s'est engagé.
M. Robert del Picchia . - Les titres II et III de cet accord portent respectivement sur la politique étrangère et de sécurité, et sur la coopération en matière de liberté, sécurité et justice. Or je me suis rendu, à plusieurs reprises, en Moldavie, mais je n'ai jamais passé de frontière. La frontière entre la Roumanie et la Moldavie est inexistante.
Le rapprochement avec la Moldavie est, certes, souhaitable, mais n'est-il pas quelque peu inconséquent de ne pas disposer de frontière effective avec ce pays ?
Mme Josette Durrieu . - L'État moldave a été créé en 1991. Par conséquent, il faut respecter sa souveraineté, son intégrité. L'histoire fait qu'une partie de la Moldavie a été roumaine (la Bessarabie), mais pas l'autre (la Transnistrie). L'État de Moldavie réunit ces deux parties. Nous sommes face à un État constitué, qui souhaite le rester. La guerre de Transnistrie fut déclenchée par la crainte d'une union de la Moldavie à la Roumanie. Le président de la République a alors organisé des consultations qui ont conduit à rejeter très largement une telle union.
M. Daniel Reiner . - La Moldavie est effectivement un pays très européen. Un rapprochement dans le cadre du partenariat oriental est souhaitable. Mais la Moldavie comporte la Transnistrie, qui a fait sécession. Qu'en est-il de l'accord d'association et de son application sur cette partie du territoire ?
Mme Josette Durrieu . - En premier lieu, l'accord d'association est signé avec la Moldavie dans son ensemble. La Transnistrie en fait partie, puisque sa sécession n'est reconnue par aucun État de la communauté internationale.
Mais, en second lieu, l'accord d'association ne prévoit son application à la Transnistrie qu'à partir du moment où la situation politique sera légitime. L'article 462 de l'accord stipule : « En ce qui concerne les régions de la République de Moldavie sur lesquelles son gouvernement n'exerce aucun contrôle effective, le présent accord ou son titre V (Commerce et questions liées au commerce) ne commenceront à s'appliquer que lorsque la République de Moldavie garantira la mise en oeuvre et le respect intégraux, respectivement, du présent accord ou de son titre V (Commerce et questions liées au commerce) sur l'ensemble de son territoire ». Cela signifie que lorsque la situation sera régularisée en Transnistrie, l'accord s'appliquera sur l'ensemble du territoire de la Moldavie.
D'ici là, l'accord ne s'applique pas en Transnistrie.
La mission EUBAM d'assistance au contrôle de la frontière entre la Moldavie et l'Ukraine a donné des résultats inattendus. Les trafics qui se développaient en Transnistrie, à partir du port d'Odessa, ont été interrompus. En contrepartie, il a été proposé aux entreprises de Transnistrie de légitimer leur existence professionnelle et leur activité commerciale en Moldavie. Une voie de normalisation de la situation a ainsi été ouverte, grâce au levier économique. Je me suis rendue en Transnistrie en novembre dernier. La situation a beaucoup évolué en vingt ans. Une normalisation est perceptible. Les habitants de Transnistrie veulent commercer avec tout le monde, y compris avec l'Europe. De ce point de vue, l'accord d'association peut apporter une contribution à la résolution du conflit.
M. Joël Guerriau . - La question de la Transnistrie est au coeur de ce projet de loi. Or il existe trois freins à la régularisation de la situation :
- Il s'agit d'une enclave « russe » entre la Moldavie et l'Ukraine, avec une présence de l'armée russe - la 14ème armée.
- La Transnistrie représente 40 % du PNB de la Moldavie. Quand on parle de partenariat économique, on ne peut pas ne pas en tenir compte. C'est une région industrielle, dotée d'une centrale hydroélectrique.
- Enfin, la Transnistrie n'est pas concernée par la francophonie, puisque 32 % des habitants sont moldaves, 30 % sont russes et 28 % sont ukrainiens. 58 % de la population de ce territoire n'est donc en rien concernée.
La notion même de Transnistrie (« au-delà du Dniestr ») est francophone. Les termes d'origine ukrainienne ou russe (« sur le Dniestr ») désignent un territoire plus large.
Vous nous dites que l'accord s'appliquera à la Transnistrie lorsque la situation sera régularisée, mais cela fait vingt-trois ans que cette situation est gelée. Quelques années pourraient s'écouler avant l'application effective du présent projet de loi. Nous ne nous engageons peut-être pas à grand-chose...
Mme Josette Durrieu . - La non-application de l'accord en Transnistrie n'empêchera pas son application dans le reste de la Moldavie. Elle signifie seulement que, dans l'immédiat, la Transnistrie n'en bénéficiera pas.
Ces conflits gelés n'ont pas été résolus militairement et nous ne parvenons pas à les résoudre politiquement. La solution pourrait-elle être économique ? C'est ce que j'ai essayé de vous faire percevoir en relatant mon expérience de l'EUBAM. Les Moldaves ont été sages : ils ont senti très tôt qu'il fallait exploiter cette piste économique.
Vous avez dit fort justement que la Transnistrie était une enclave « russe ». Vous évoquez la 14 ème armée de l'URSS, commandée par le général Alexandre Lebed, qui comptait 15.000 hommes. Il en reste 1500. Beaucoup d'armes sont restées. Le dépôt d'armes de Colbasna est toujours présent. Les militaires russes ont été démobilisés sur place. Ce sont eux qui constituent la population russe de Transnistrie, que vous évoquiez. Cette réalité est incontestable. Le problème est de savoir si nous souhaitons modifier la nature du conflit. La Transnistrie était effectivement une grande région industrielle de l'URSS. En la perdant, la Moldavie a perdu une grande part de son activité. C'est un vrai problème, que nous devons aborder avec mesure, en considérant que la Moldavie est, en quelque sorte, un verrou sur cette frontière est de l'Europe.
Enfin, la Moldavie est réellement un pays francophone. Son histoire est européenne. Il ne serait pas complètement excentrique de considérer ce pays comme faisant partie de l'Europe.
M. Aymeri de Montesquiou . - La connaissance du dossier et l'enthousiasme de la rapporteure sont contagieux. Néanmoins, plusieurs questions subsistent : tout d'abord, celle abordée par notre collègue Joël Guerriau sur la Transnistrie, mais aussi celle de l'instabilité politique et du ralentissement économique qui affectent la Moldavie. Le rapprochement avec ce pays est-il réellement une « bonne affaire » pour l'Union européenne, alors que sa périphérie connaît des tensions dont l'issue est incertaine ? Ne faudrait-il pas attendre que ces tensions diminuent, pour prendre position ? Quel profit en tire l'Union européenne ?
Mme Josette Durrieu . - Cette question ne me paraît pas devoir être abordée en termes d' « affaire » ou de « profit ». La Moldavie a, pour l'Europe, un positionnement stratégique important. La Transnistrie est un point d'appui supplémentaire pour la Russie, qui en possède d'autres à l'extérieur de ses frontières. L'Europe a intérêt à une stabilisation de sa frontière orientale.
L'instabilité politique de la Moldavie est un phénomène momentané. La démocratie y est, en réalité, solide. La Moldavie a résisté à toutes les crises politiques. Elle est l'État issu de l'URSS qui possède le parti communiste le plus fort. Son score ne s'est effrité qu'aux dernières élections, au profit d'ailleurs du parti socialiste, qui est pro-russe. Face à ces partis, une coalition pro-européenne gouverne depuis 2009, malgré de nombreux aléas. L'Europe a compris qu'il fallait aider la Moldavie à se stabiliser. C'est l'objet du présent accord.
M. Michel Billout . - Cet accord d'association est avant tout un accord de libre-échange. Son principal moteur est la transformation d'une économie qui me paraît, pour le moment, être aux antipodes de celles des pays de l'Union européenne. Certes, la Moldavie est proche de la Roumanie. Toutefois, je ne suis pas encore convaincu de l'apport de l'Union européenne à la Roumanie, en termes économiques. Étant donné le prix que la Croatie a dû payer pour entrer dans l'Union européenne, je ne suis pas persuadé que le rapprochement avec l'Europe soit le meilleur moyen de stabiliser un pays.
Ce rapprochement constitue néanmoins pour les Moldaves un espoir important, qui a été exprimé démocratiquement.
Pour ces raisons, je m'abstiendrai sur ce projet de loi.
Mme Josette Durrieu . - C'est en Moldavie que le parti communiste est resté le plus puissant le plus longtemps. Il l'est toujours. Mais l'ancien président de la République communiste, Vladimir Voronine, est l'un de ceux qui ont accompagné la démarche européenne de la Moldavie. Souhaitons-nous participer à la stabilisation de ce pays ? La mise en oeuvre d'un accord de libre-échange est-elle le meilleur moyen de l'accompagner ? Ces questions se posent. Mais la stabilisation de la Moldavie est, en tout état de cause, essentielle.
Suivant l'avis de la rapporteure, la commission adopte le rapport ainsi que le projet de loi précité.