II. UNE POLITIQUE CONVENTIONNELLE DE LA RÉADMISSION FONDÉE SUR DES ACCORDS EUROPÉENS ET BILATÉRAUX

La prévention de l'immigration clandestine figure au nombre des objectifs de l'Union européenne, au titre de sa politique générale de gestion des flux migratoires.

A. UNE POLITIQUE EUROPÉENNE STRUCTURANTE FACE AUX ACCORDS BILATÉRAUX PRÉDOMINANTS

A titre liminaire, vos rapporteurs tiennent à rappeler que le traité instituant la Communauté européenne (TCE) 24 ( * ) dispose que l'article 63, paragraphe 3, point b) prévoit en effet que « le Conseil [...] arrête [...] des mesures relatives à la politique d'immigration, dans les domaines suivants : immigration clandestine et séjour irrégulier , y compris le rapatriement des personnes en séjour irrégulier ».

L'objectif de lutte contre l'immigration clandestine a été institué en 1999 lors du sommet de Tempere . En 2005 , l'Union Européenne a adopté le principe général de la mise en place d'une « approche équilibrée, globale et cohérente », dans un souci de gestion efficace de l'immigration. Ainsi, l'Union collabore étroitement avec des pays non membres afin d'élaborer des mesures qui encouragent l'immigration légale, tout en luttant contre celle clandestine .

Enfin, l e programme de Stockholm , adopté en 2009 , a identifié comme priorités de la feuille de route européenne, la gestion et le contrôle des frontières extérieures de l'Union, la lutte contre la traite et le trafic d'êtres humains ainsi que l'encouragement du départ volontaire des non citoyens de l'Union en situation irrégulière sur son territoire .

1. Une politique européenne dynamique

La politique de retour forcé, mise en oeuvre, dans le cadre normatif européen, par chaque Etat membre de l'Union, doit s'inscrire dans le respect de la directive « retour » 25 ( * ) .

L'Union conclut également des accords de réadmission 26 ( * ) avec les Etats tiers , sources d'immigration irrégulière. Dès lors qu'un accord de réadmission est conclu avec un pays tiers, les dispositions de cet accord s'appliquent aux Etats membres, à moins qu'il n'existe un accord bilatéral antérieur à cet accord communautaire.

Dans ce cadre général, les accords de réadmission des personnes en séjour irrégulier visent à définir les conditions dans lesquelles doit être effectué le retour d'une personne dont le séjour n'est pas ou n'est plus autorisé sur le territoire de l'État, Partie à l'accord.

Chaque pays signataire s'engage à réadmettre sur son territoire , sans formalité, toute personne en séjour irrégulier lorsqu'elle possède sa nationalité ou a franchi ses frontières illégalement .

Ces traités constituent donc un vecteur essentiel de la lutte contre l'immigration clandestine . Ils illustrent la volonté de l'Union européenne de codifier une politique commune en matière d'asile et d'immigration tout en tenant compte de la diversité des modèles de coopération des Etats membres avec les pays tiers en matière de réadmission. C'est pourquoi, dans le cadre de ses négociations, la Commission adopte une approche standardisée adaptée à la relation entretenue avec le pays tiers.

S'agissant de l'accord communautaire serbe , le traité d'Amsterdam, de 1997, a autorisé le Conseil à accorder à la Commission des mandats de négociation d'accords de réadmission avec dix-huit pays dont la Serbie.

Parallèlement à ces accords, des mécanismes opérationnels de réadmission sont mis en oeuvre.

Figure n° 2 : Mécanismes opérationnels de réadmission

Une coopération opérationnelle est mise en place entre les Etats membres :

- assistance en cas de transit dans le cadre de mesures d'éloignement par voie aérienne ;

- organisation de vols communs pour les éloignements sous l'égide de Frontex ;

- reconnaissance mutuelle des décisions d'expulsion ;

- coopération globale dans le cadre du projet EURINT. Il s'agit d'un réseau d'Etats facilitant la procédure d'identification des étrangers en situation irrégulière, à assurer la mise en oeuvre concrète des décisions d'éloignement, à mettre en place des actions communes vis-à-vis des pays peu coopératifs ... ;

- recours au fonds européen pour le retour qui permet, notamment, de cofinancer des actions nationales visant à mettre en place une gestion intégrée des retours.

Source : ministère des affaires étrangères

2. Des accords bilatéraux conformes au modèle européen de 1994

Force est toutefois de constater que les accords communautaires de réadmission ne constitue qu'une infime fraction de l'ensemble des accords de réadmission. La compétence communautaire en ce domaine n'est pas exclusive.

La réadmission fait également l'objet de nombreux accords bilatéraux, de deux ordres :

- les premiers complètent les accords européens . Il s'agit de protocoles d'application , tels que celui conclu avec la Serbie . Ils répondent à une recherche de flexibilité afin de renforcer l'opérabilité du mécanisme.

- les seconds et plus nombreux, sont conclus en l'absence d'accord européen. Il s'agit des accords bilatéraux de réadmission, tels que celui signé avec le Kosovo. En l'espèce, l'Union n'a pas conclu d'accord de réadmission avec ce pays, dans la mesure où cinq de ses Etats membres ne le reconnaissent pas. Ces traités constituent un outil précieux des politiques nationales de contrôle des flux migratoire des Etats.

Si la dimension bilatérale de la réadmission prédomine en nombre sur celle communautaire, la dernière tend à s'imposer quand au contenu des accords. Afin de garantir une cohérence de cette pratique conventionnelle, le Conseil a émis une recommandation en date du 30 novembre 1994 27 ( * ) établissant un modèle d'accord bilatéral en matière de réadmission entre un Etat membre et un pays tiers.

a) L'accord Kosovar

Rappelons à titre liminaire que la France a reconnu le Kosovo, au lendemain de la proclamation de son indépendance , le 18 février 2008 . Elle s'était impliquée activement dans la résolution des conflits le concernant, tout d'abord, en tant que membre du Groupe de contact, groupe d'États chargé de suivre la tutelle onusienne sur le Kosovo, puis, après 2004, lors des négociations sur le statut menées par l'Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies.

Il convient de souligner que la France figure parmi les principaux contributeurs de la mission européenne pour l'Etat de droit EULEX 28 ( * ) et la force de l'OTAN 29 ( * ) , la KFOR 30 ( * ) . En outre, la Mission de l'OSCE 31 ( * ) au Kosovo est dirigée par un diplomate français.

Ces étroites relations politiques connaissent un prolongement dans le cadre économique. En effet, la participation française aux projets de reconstruction du pays a été importante 32 ( * ) .

Pour l'ensemble de ces raisons, les autorités françaises ont accueilli favorablement l'initiative Kosovare de conclure un accord bilatéral de réadmission dès l'automne 2009, en l'absence d'un accord européen.

La brièveté des négociations 33 ( * ) de l'Accord témoigne du fort engagement des deux parties de coopérer en matière d'immigration. Moins d'un mois s'est écoulé entre leur lancement et la signature. Aucun sujet de fond n'est venu entraver ces démarches.

Il a été précisé à vos rapporteurs que « les autorités kosovares ont d'ailleurs fait preuve de flexibilité en s'adaptant aux contraintes de la législation française et en acceptant de les intégrer dans l'accord (notamment la question de la rétention et des délais de réponse aux demandes de réadmission ) ».

Quant au protocole d'application kosovar , il a été paraphé à Paris le 18 février 2010, puis modifié à la demande des autorités kosovares sur quelques points, tels que la désignation des autorités compétentes. Ces corrections n'ont pas conduit à remettre en cause les négociations menées sur le fond du texte.

b) Le Protocole d'application serbe

En ce qui concerne le Protocole d'application conclu avec la Serbie , il convient de relever préalablement que les relations diplomatiques franco-serbes ont été rétablies le 16 novembre 2000 avec la République Fédérale de Yougoslavie. A ce titre, dès le sommet de Zagreb en 2000, sous présidence française, puis à Thessalonique en 2003, la France avait apporté son soutien, à la « perspective européenne des Balkans occidentaux » et, par conséquent, à celle de la Serbie. La France s'était également déclarée favorable à la demande d'adhésion de la Serbie aux Nations unies et au Conseil de l'Europe.

Plus récemment, les relations diplomatiques franco-serbes se sont traduites par la conclusion d'un accord de partenariat stratégique et de coopération 34 ( * ) en date du 8 avril 2011.

S'agissant du Protocole d'application, soumis à votre approbation, votre rapporteur tient à rappeler que la négociation d'un instrument bilatéral et complémentaire à un accord européen de réadmission, ne constitue pas une démarche systématique . Elle relève de l'appréciation de chaque Etat membre ainsi que de l'Etat tiers concerné.

En l'espèce, un tel protocole bilatéral n'a pas envisagé dans le cadre des accords européens de 2007, signés respectivement avec le Monténégro et la Moldavie. En revanche, la France est actuellement en cours de négociation d'un tel texte avec l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine, afin de compléter les accords européens de 2005 35 ( * ) et 2007 36 ( * ) .

La demande française de signer un tel texte avec la Serbie est fondée sur l'article 19 de l'accord de réadmission européen, conclu avec la Serbie. Elle rejoint les initiatives identiques de l'Allemagne, l'Autriche, la Hongrie, l'Italie, Malte, et la Roumanie.

Le Protocole d'application vise à faciliter la mise en oeuvre des principes posés dans le cadre de l'accord européen, en prévoyant notamment des règles relatives à la désignation des autorités compétentes dans la procédure de réadmission, les points de passage frontaliers, les conditions applicables au rapatriement des personnes et au transit sous escorte.

Rappelons que l'accord serbe prévoit, outre la réadmission des ressortissants des Etats Parties en séjour irrégulier , celle des enfants mineurs des personnes visées par la demande de réadmission ainsi que leur conjoint ressortissant d'un autre Etat, s'ils ne disposent pas d'un droit de séjour autonome. Il définit également une procédure traditionnelle d'établissement de la nationalité ainsi qu'une procédure de réadmission accélérée pour les personnes appréhendées dans la région frontalière y compris dans les aéroports.

Le premier projet de Protocole, transmis par la Partie française à la Partie serbe, le 15 décembre 2008, a été suivi de deux séances de négociation en février et mai 2009. Le texte final a été signé le 18 novembre 2009.

c) Le coût de la politique française de réadmission

Enfin, en réponse à vos rapporteurs sur les coûts de la politique de réadmission, les données suivantes leurs ont été transmises.

Figure n° 3 : Montant des crédits prévus pour les frais liés à la réadmission et au transit des étrangers en situation irrégulière (en millions d'euros)

LFI 2011

Exécution 2011

LFI 2012

Exécution 2012

LFI 2013

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Billetterie (ESI & escortes PAF)

28,70

28,70

21,46

18,51

25,49

25,49

18,84

18,90

21,36

21,36

Location d'aéronef

0,21

1,72

2,50

2,50

TOTAL

28,70

28,70

21,46

18,51

25,49

25,49

19,06

20,62

23,86

23,86

Note : LFI : Loi de finances initiale. La LFI s'entend hors application de la réserve de précaution. En réalité, le montant affecté à l'éloignement dans le DPG a été moindre.

AE ; autorisation d'engagement

CP : Crédits de paiement

Source : Ministère des affaires étrangères

Les frais liés à la réadmission et au transit sont financés sur l'action 3 « Lutte contre l'immigration irrégulière » du programme 303, « Immigration et Asile » de mission « Immigration, asile et intégration ».

Par ailleurs, le coût global de la rétention administrative 37 ( * ) en 2013 a atteint 37,95 millions d'euros, soit 58,77 % des dépenses totales de l'action 3 du BOP « lutte contre l'immigration irrégulière ». Le reste des dépenses concerne l'investissement à hauteur de 3,28 millions d'euros (5,08 %), l'éloignement pour 22,85 millions d'euros (35,41 %), et l'assignation à résidence pour 0,47 millions d'euros (0,74 %).


* 24 Cf . article 63, paragraphe 3, point b).

* 25 Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Cette directive dite « retour » favorise le retour volontaire. Elle prévoit aussi des mécanismes en matière de retour des étrangers en situation irrégulière, comme la rétention ou encore la possibilité d'assortir la décision de retour d'une interdiction de retour.

* 26 Le Parlement européen est habilité à approuver les accords communautaires de réadmission conformément à l'article 218 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Cette compétence est partagée avec les Etats membres.

* 27 Cf. Annexe.

* 28 The European Union Rule of Law Mission.

* 29 Organisation du traité de l'Atlantique Nord.

* 30 La Kosovo Force.

* 31 L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

* 32 « Les sociétés françaises actuellement présentes au Kosovo dans le cadre de projets de développement sont Alstom Grid (ex Areva T&D), Alstom, Freyssinet, Egis Route, Alcatel-Lucent et Interex (filiale d'Intermarché), BNP Paribas (via sa participation à la banque turque TEB), la Société générale et Saatchi & Saatchi. La présence française est marquée dans la fourniture de conseils et d'expertises, dans de nombreux secteurs, routes, télécommunications, développement et communication. Le consortium Limak-Aéroport de Lyon a remporté la concession de l'aéroport de Pristina, en mai 2010. » Source : Ministère des affaires étrangères

* 33 En effet, une seule réunion de travail a eu lieu le 18 novembre 2009, qui a été suivie directement par la signature de l'accord le 2 décembre 2009.

* 34 Les principaux axes de la coopération sont constitués du soutien à l'intégration européenne de la Serbie, du développement des échanges de données sur les questions économiques, énergétiques, environnementales, sur la coopération dans le domaine de la défense, sur celle universitaire, scientifique, linguistique et culturelle et sur la consolidation des relations dans les domaines de la sécurité et des affaires intérieures.

* 35 Accord conclu avec l'Albanie.

* 36 Accords conclus respectivement avec la Bosnie et la Macédoine.

* 37 Il s'agit du fonctionnement hôtelier des CRA/LRA/ZA, des frais d'interprétariat, de l'entretien immobilier des CRA/LRA, de l'accompagnement juridique et humanitaire des retenus, accompagnement sanitaire des retenus, et des laisser passez consulaires

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