B. DES EXIGENCES ÉCONOMIQUES QUI DOIVENT SE COMBINER AVEC D'AUTRES IMPÉRATIFS.

1. L'impératif environnemental.

L'agriculture, en tant qu'elle repose sur l'utilisation des écosystèmes naturels, est au coeur de l'environnement et des problématiques environnementales.

Son action sur ces derniers est, à certains égards, en elle-même positive. Par opposition aux surfaces urbanisées, les terres agricoles sont en effet des espaces naturels qui, bien que mis en valeur par la main de l'homme, permettent le développement d'espèces végétales et animales très variées selon les spécificités géographiques (plaine, bocage, montagne, littoral ...).

Outre ses apports en termes de biodiversité, par exemple dans les haies bocagères ou les zones pastorales, l'agriculture contribue à atténuer le changement climatique, en servant de puits pour le carbone. Les estimations des institutions onusiennes chiffrent ainsi de 0,1 à 1 tonne de carbone par hectare et par an le stockage de CO 2 du aux terres agricoles 6 ( * ) .

Par ailleurs, l'agriculture est aujourd'hui à la source de productions d'énergie renouvelable, grâce à la valorisation non alimentaire de la biomasse. Les agrocarburants, dont la prochaine génération aura recours à des dérivés cellulosiques n'entrant pas en conflit avec les usages alimentaires, fourniront des compléments ou des substituts aux combustibles fossiles particulièrement intéressants en termes de rendement.

D'un autre côté, l'agriculture peut présenter un impact négatif indéniable sur l'environnement : pollution des sols, de l'air et des eaux du à l'usage non maitrisé des intrants ; fragmentation des habitats ; appauvrissement de la biodiversité en cas de monoculture intensive ... Toutefois, cette incidence néfaste s'atténue progressivement, en raison d'une prise de conscience généralisée et progressive des professionnels et de la mise en oeuvre de mesures garantissant la durabilité des pratiques agricoles.

L'environnement ne doit plus être perçu aujourd'hui comme entrant en conflit avec l'agriculture, mais avant tout comme un facteur de production et de valorisation des produits agricoles et alimentaires . Les pouvoirs publics, à travers des politiques adaptées, accompagnent les exploitations et les entreprises dans cette transition écologique indispensable à l'avènement d'une agriculture d'avenir, respectueuse de l'environnement et des hommes. De nouvelles expériences sont menées chaque jour en ce sens.

L'Union européenne joue bien entendu un rôle moteur dans cette transition. L'Europe encourage les agriculteurs à protéger et à valoriser l'environnement en les rémunérant pour la prestation de services environnementaux. L'accent est mis sur l'agriculture et le pâturage extensifs, la variété des espaces naturels et les techniques écologiques adaptées aux spécificités régionales.

Par ailleurs, le mécanisme dit de « conditionnalité », qui demeure avec la réforme de la PAC, subordonne les paiements directs au respect par les agriculteurs de normes de base concernant l'environnement, mais aussi la sécurité alimentaire, la santé animale et végétale, le bien-être des animaux et le maintien des terres dans de bonnes conditions agricoles et environnementales.

Que ce soit à l'échelon national ou européen, l'objectif de performance économique, qui reste à la base de notre agriculture, s'est donc vu adjoindre un objectif parallèle de performance environnementale , gage de la durabilité du système et de sa reconnaissance tant sur les marchés que par l'ensemble de la société.

2. L'impératif alimentaire.

Les projections concernant la croissance démographique anticipent une population mondiale de 9 milliards d'humains à l'horizon 2050. Or, le pouvoir d'achat moyen de cette population va augmenter, tandis que son profil de consommation va s'occidentaliser ; autant d'éléments qui vont contribuer à accroître la demande en produits agricoles et alimentaires. Dans un contexte général de tensions internationales, sur les marchés des matières premières comme dans les relations géopolitiques, les concepts de sécurité et de souveraineté alimentaires seront demain plus que jamais d'actualité .

« Le « défi alimentaire » occupe de plus en plus le monde. Les sommets internationaux, les ouvrages, l'émotion de l'opinion publique face aux famines, aux crises chroniques, la persistance endémique de la faim dans le Monde... tout témoigne que ce défi existe dès aujourd'hui », soulignai ainsi notre collègue Yvon Colin, dans un rapport sur le défi alimentaire à l'horizon 2050 7 ( * ) .

L'Europe s'est fixée, dès les débuts de sa construction, un objectif d'autosuffisance alimentaire qu'elle a aujourd'hui atteint. Notre pays, qui en constitue la première puissance agricole, produit suffisamment pour faire face à ses besoins, et dégage même un chiffre d'affaires excédentaire qui l'inscrit au quatrième rang mondial en la matière et lui permet de contribuer à l'alimentation du « reste du monde ».

Cependant, l'impératif de nourrir l'ensemble de nos concitoyens, qui reste bien l'objectif premier fixé à l'agriculture, doit être constamment réaffirmé, du fait des pressions croissantes qui s'exercent sur lui. En effet, notre population va continuer d'augmenter, tandis que les marges de production vont aller en se réduisant, du fait de la prise en compte croissante des enjeux écologiques, de la perte continue de terres agricoles ou encore de la montée en puissance des usages non-alimentaires de la biomasse.

Le défi agronomique du XXI ème siècle sera donc, pour notre agriculture, de produire au moins autant, voire davantage, en consommant moins d'intrants, tant parce que leur coût se renchérira que du fait de leur impact négatif sur l'environnement. Ce défi, produire plus avec moins, ne pourra être gagné qu'en se tournant progressivement vers une agriculture doublement performante, aux points de vue économique et environnemental.

La France, qui dispose d'infrastructures de recherche et de développement de très haut niveau en matière agricole et alimentaire, est pourvue d'atouts précieux pour relever le défi alimentaire. L'impulsion donnée par les pouvoirs publics et le cadre règlementaire national sont également des éléments cruciaux à cet égard. Aussi importe-t-il de fixer des objectifs clairs à la politique agricole de notre pays en termes d'alimentation, et de fournir aux professionnels les instruments et moyens leur permettant de continuer à progresser en ce sens.

3. L'impératif de l'aménagement du territoire.

L'agriculture constitue encore aujourd'hui le type d'usage le plus important des sols dans notre pays. Si l'on y rajoute les surfaces couvertes par les bois et forêts, c'est 85 % de la surface nationale qui est couverte par des terres agricoles ou forestières, enjeux du présent projet de loi. Il en découle naturellement un rôle prééminent du secteur primaire dans l'aménagement de notre territoire.

L'agriculture assure un approvisionnement en biens alimentaires et non alimentaires de l'ensemble des territoires. Elle met en valeur des espaces multiples, pour certains difficilement accessibles (hauts-plateaux, zones de montagne ...), qui à défaut ne seraient plus entretenus et deviendraient des friches. Elle crée des activités et des emplois qui contribuent à la qualité de l'environnement et du cadre de vie pour l'ensemble de la population.

Levier d'une croissance durable dans les territoires ruraux en créant de l'emploi localisé et en contribuant à la gestion des ressources naturelles, l'agriculture constitue également l'un des facteurs d'attractivité et de développement d'autres activités économiques. Aménageurs et gestionnaires de parties entières du territoire, les agriculteurs sont en quelque sorte les « jardiniers » du paysage, à l'origine d'externalités positives pour l'ensemble de la population.

À l'intérieur de la filière, en amont comme en aval de la production de biens agricoles, c'est ainsi une grande diversité d'activités qui dépend, plus ou moins directement, de la bonne santé du secteur primaire. Au-delà, de par le dynamisme qu'elle imprime dans les territoires, elle produit un effet d'entraînement ayant une incidence positive sur des secteurs d'activité n'ayant, pour certains, aucune relation avec le monde agricole pris dans sa globalité.

Cet intégration du volet « aménagement du territoire » dans la politique agricole peut donner lieu, à l'échelle locale, à la signature de chartes « agriculture et territoires » portant l'engagement de l'ensemble des partenaires concernés à agir de façon coordonnée et conjointe pour préserver les espaces agricoles et maintenir une agriculture pérenne, en relation avec d'autres types d'activités.

Elle rend par ailleurs nécessaire le développement de réseaux de desserte, l'adaptation de la taille des parcelles pour en améliorer la configuration ou encore le développement de l'accès à l'Internet haut-débit, autant d'actions qui, en facilitant l'activité des agriculteurs, contribue plus largement à faire vivre les territoires et à renforcer leur développement.

4. L'impératif sociétal : une agriculture familiale à visage humain, pourvoyeuse d'emplois de bonne qualité.

2014 est l'année internationale de l'agriculture familiale . Une déclaration ministérielle en faveur de ce modèle agricole doit être adoptée, à l'initiative du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, le 25 février, par certains de ses homologues étrangers, lors du salon international de l'agriculture.

Si les agricultures du monde sont variées, à l'image de leurs milieux naturels, l'agriculture familiale est prédominante : une majorité d'exploitations agricoles à travers la planète - 500 millions environ - relève de ce modèle, qui est aussi celui qui crée le plus d'emplois. Se caractérisant par un lien fort entre la famille et l'unité de production, entre le capital productif et le patrimoine familial, et par une main d'oeuvre composée principalement des membres de la famille, il articule harmonieusement fonctions productives et sociales au sein d'un même ensemble .

C'est ce modèle intermédiaire, respectueux de l'humain et de l'environnement tout en restant performant d'un point de vue économique, que notre pays s'est toujours attaché à développer. Lui seul, en effet, permet à la fois de nourrir les populations, de lutter contre la pauvreté, de maintenir et de créer des emplois en milieu rural, de gérer les ressources de façon durable, de favoriser l'émergence d'un tissu rural riche et de s'adapter en innovant dans des contextes changeants. Ainsi, dans notre pays, une exploitation individuelle sur deux est une petite exploitation, leur nombre représentant plus des deux tiers des exploitations.

Toutefois, ce modèle de développement agricole fondé sur des exploitations petites et moyennes est aujourd'hui fragilisé . Ces types de structures ont en effet été les plus touchés, en proportion, par la réduction de moitié du nombre total d'exploitations en France depuis vingt ans. Si elles restent encore les plus nombreuses, les petites structures ont ainsi vu leur part réduite de dix points durant cette période. Dans le même temps, la disparition d'une quantité substantielle d'exploitations a permis l'agrandissement de celles qui se maintenaient. Ainsi, un tiers des exploitations sont aujourd'hui des grandes structures , qui devancent désormais les exploitations moyennes.

Certes, l'existence d'exploitations de grande taille n'est pas critiquable en soi ; elles sont même indispensables, sur certains marchés, pour réaliser les économies d'échelle permettant à nos productions de rivaliser avec celles de nos concurrents à l'international. Toutefois, il faut aujourd'hui préserver ce qui a fait la richesse et la diversité de notre modèle, c'est-à-dire les entreprises de taille petite et intermédiaire. C'est là en effet que s'épanouit le mieux une agriculture de type familial, productrice de richesse et d'emplois et respectueuse des écosystèmes.

Des politiques publiques adaptées peuvent en renforcer les performances, pour répondre aux défis nationaux comme mondiaux de demain. Ces politiques doivent s'inscrire dans une vision globale passant par le renforcement de l'intégration régionale, la structuration des marchés agricoles, le développement des filières, l'appui aux organisations paysannes, la sécurisation du foncier et la lutte contre la dégradation des terres. Elles doivent également s'appuyer sur un volet extérieur qui, via les politiques de coopération internationale et de développement, soutienne les initiatives permettant à l'agriculture familiale de jouer pleinement son rôle partout dans le monde.


* 6 L'agriculture mondiale: horizon 2015/2030, rapport de la Food and agriculture organization (FAO), 2002.

* 7 Le défi alimentaire à l'horizon 2050, rapport d'information n° 504 (2011-2012) fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective par M. Yvon Collin.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page