B. UNE MEILLEURE NOTIFICATION DES DROITS
Sur de nombreux points, le droit français satisfait aux exigences posées par les directives communautaires en reconnaissant aux personnes mises en cause un certain nombre de droits. Toutefois, il n'impose pas systématiquement la notification de ces derniers, si bien que les intéressés ne sont en pratique pas toujours mis en mesure de les exercer.
Plusieurs dispositions du projet de loi prévoient d'améliorer sensiblement les modalités d'information des mis en cause sur les droits dont ils disposent dans la procédure pénale, conformément aux exigences posées par la directive du 22 mai 2012. Par exemple, l'article 3 du projet de loi prévoit l'obligation d'informer la personne gardée à vue de sa possibilité de demander au magistrat sous le contrôle duquel s'exerce la garde à vue d'y mettre un terme. Pour ce faire, cet article accroît la nature des informations qui devront être délivrées à la personne gardée à vue.
En outre, une déclaration écrite des droits devra désormais être remise à toute personne mise en cause et soumise à une mesure de privation de liberté ( article 4 du projet de loi ).
Parmi les droits dont disposent les personnes mises en cause, deux en particulier revêtent un caractère « transversal » et conditionnent très largement l'exercice des autres droits : il s'agit de celui de garder le silence, d'une part, et de celui d'avoir recours à un interprète, d'autre part.
1. La question du droit au silence
Le droit de se taire, ou droit de garder le silence, constitue la traduction principale du droit de ne pas s'incriminer . Au niveau des engagements internationaux de la France, l'article 14.3, g) du pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule que toute personne accusée d'une infraction pénale a le droit de « ne pas être forcée à témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable ».
Par ailleurs, plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme ont rattaché le droit de se taire à l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme.
Ainsi, dans l'arrêt du 8 février 1996, John Murray c/Royaume-Uni : « le droit de se taire et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable consacrée par ledit article (l'article 6) ». La Cour l'a notamment rappelé, dans les mêmes termes, dans l'arrêt précité du 14 octobre 2010, Brusco c/ France .
Dans le droit en vigueur, le droit de garder le silence est mentionné plusieurs fois.
Ainsi, l'article 116 du code de procédure pénale prévoit déjà que le juge d'instruction, lors de la première comparution devant lui d'une personne qu'il envisage de mettre en examen, doit lui signifier « qu'elle a le choix soit de se taire, soit de faire des déclarations, soit d'être interrogée ».
Par ailleurs, en ce qui concerne la garde à vue, l'article 63-1 du code de procédure pénale prévoit que la personne placée en garde à vue est immédiatement informée « du droit, lors des auditions, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ».
Le droit au silence pendant la garde à vue L'article 8 de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes avait confirmé la pratique déjà existante en disposant que « la personne gardée à vue est également immédiatement informée qu'elle a le droit de ne pas répondre aux questions qui lui seront posées par les enquêteurs ». Du fait d'un certain malaise engendré par cette nouvelle notification, parfois considérée comme une incitation pour la personne entendue en garde à vue à se taire au risque de rendre impossible le progrès de l'enquête, cette formulation a été modifiée par l'article 3 de la loi n° 2002-307 du 4 mars 2002 complétant la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, devenant la suivante : « La personne gardée à vue est également immédiatement informée qu'elle a le choix de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui seront posées ou de se taire », le « droit » devenant ainsi un « choix » et étant mentionné seulement après la mention du choix de faire des déclarations et de répondre aux questions posées. Cette disposition a été supprimée par la loi pour la sécurité intérieure n° 2003-239 du 18 mars 2003 par un amendement adopté à l'Assemblée nationale. Le rapporteur du texte, M. Christian Estrosi, avait jugé « tout à fait humiliant pour le policier d'avoir à préciser au prévenu qu'il a le droit de ne pas répondre à ses questions ; il a estimé que ce type de disposition introduit dans la loi sur la présomption d'innocence avait fortement contribué à dévaloriser le rôle des forces de police ». Cette suppression n'a pas entraîné la suppression du droit lui-même mais seulement celle de sa notification. Toutefois, cette absence de notification ayant été relevée comme l'une des failles du régime de la garde à vue par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (considérant n°28), la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue l'a rétablie dans une forme très proche de celle retenue par la loi du 4 mars 2002. En l'état du droit, la personne gardée à vue doit être immédiatement informée de son droit, lors des auditions, « après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ». |
Or, l'article 3 de la directive 2012/13/UE du 22 mai 2012, que le présent projet de loi a pour objet de transposer, prévoit que « les suspects ou les personnes poursuivies reçoivent rapidement des informations concernant (...) e) le droit de garder le silence » (cf. ci-dessus).
Ces dispositions ont conduit le Gouvernement à proposer au sein du présent projet de loi une série de dispositions relatives à la notification du droit « de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire », afin de compléter les mentions précitées de cette notification au sein du code de procédure pénale :
- dans le cadre de l'audition libre ( article 1 er ). En effet, aucune disposition ne prévoit la notification du droit au silence à la personne entendue en qualité de suspect hors garde à vue. Or ce droit existe actuellement, aucune disposition n'obligeant le suspect à témoigner ;
- dans le cadre de l'instruction ( article 5 ), pour la personne mise en examen (la notification est déjà prévue mais pas dans tous les cas) ainsi que pour la personne entendue comme témoin assisté ;
- devant le tribunal correctionnel ( article 6 ) ;
- devant la cour d'assises ( article 6 ).
2. Le droit à l'interprétation et à la traduction
La directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010, relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales constitue la « mesure A » de la « feuille de route » du programme de Stockholm de l'Union européenne.
Elle a été transposée par la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 précitée portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France (voir supra ).
Celle-ci a en effet consacré le droit à l'interprétation et à la traduction dans les procédures pénales en l'intégrant dans l'article préliminaire du code de procédure pénale même si, comme le rappelait le rapport de notre collègue Alain Richard, rapporteur de ce texte, en droit pénal français, le droit à l'assistance d'un interprète est un droit reconnu dès 1808 et les dispositions relatives au droit à un interprète figurent à chaque article pertinent dans le code de procédure pénale.
Le présent projet de loi parachève ainsi la transposition de la directive du 20 octobre 2010 en précisant les modalités de notification et d'exercice du droit à l'interprétation et à la traduction au cours de l'audition libre ( article 1 er pour les enquêtes de la police et de la gendarmerie nationale et article 7 pour les enquêtes douanières ), de la garde à vue ( article 3 pour les enquêtes de la police et de la gendarmerie nationale et article 7 pour la retenue douanière ), de l'instruction ( article 5 ) et de la phase de jugement ( article 6 ).