B. LES MODIFICATIONS APPORTÉES RÉCEMMENT DANS L'ORDRE JURIDIQUE INTERNE RUSSE
1. Une volonté de mieux encadrer les adoptions d'enfants russes ...
Depuis plusieurs années, la Russie souhaite encadrer plus strictement l'adoption de ses ressortissants, en privilégiant notamment la conclusion d'accords bilatéraux.
S'agissant de ces accords bilatéraux, deux ont été conclus : l'un avec l'Italie, le second avec les États-Unis. Néanmoins, ce dernier a été dénoncé suite à diverses affaires de maltraitance d'enfants russes adoptés par des ressortissants américains. La loi dite « Dima Iakovlev », entrée en vigueur le 01/01/2013, interdit désormais l'adoption d'enfants russes par des ressortissants américains. L'arrêt des adoptions a été immédiat, 45 dossiers, en cours, se sont retrouvés bloqués. En réponse, plusieurs familles ont saisi la Cour Européenne des Droits de l'Homme.
D'autres accords sont en cours de négociation, notamment avec l'Espagne ou l'Allemagne.
S'agissant des modifications législatives ou réglementaires intervenues récemment en Russie, et modifiant de façon importante la procédure d'adoption, elles sont de plusieurs ordres :
- La mise en place de mesures de soutien pour privilégier l'adoption nationale : en application du principe de subsidiarité, les solutions pour le placement des enfants sans famille sont avant tout recherchées au niveau national. L'instauration de primes pour les adoptants vise à inciter les familles russes à faire des démarches d'adoption. Les enfants russes adoptables doivent être inscrits sur une base nationale pendant au moins 12 mois avant d'être proposés à l'adoption internationale. De fait, les enfants proposés à l'adoption internationale sont moins nombreux et sont, le plus souvent, des enfants à besoins spécifiques.
- L'obligation de valider des cours préparatoires pouvant aller jusqu'à 80 heures (arrêté du 23 mai 2011) : la durée exacte de la formation est définie par chaque région russe. Ces cours ont pour thème la procédure d'adoption, le développement de l'enfant, le rôle de la famille, la législation russe relative à l'adoption ... Lors du jugement d'adoption, des questions sont posées aux familles sur les thèmes abordés lors des cours.
- L'interdiction d'adopter pour certains ressortissants de pays ayant légalisé le mariage homosexuel : depuis la loi du 03/07/2013, la législation russe est devenue plus restrictive concernant les personnes pouvant déposer un dossier de demande d'adoption. Cette législation interdit désormais aux « personnes de même sexe liées par une union qui est reconnue comme un mariage et qui a été enregistrée en conformité avec la législation de l'État où un tel mariage est autorisé, ainsi qu'aux ressortissants de ces États qui ne sont pas mariés » d'adopter un enfant russe. Par conséquent, les candidatures de célibataires français ne seront plus recevables en Russie.
- Le durcissement des mesures de suivi post-adoption : par décret gouvernemental entré en vigueur le 3 septembre 2013, le suivi post-adoption a été durci, passant de 4 à 19 rapports de suivi traduits, certifiés conformes et apostillés. Le suivi vaut ainsi jusqu'à la majorité de l'enfant adopté.
2. ... qui n'est pas sans conséquence sur les dossiers en cours
Ces modifications apportées aux critères d'éligibilité ainsi qu'au suivi des adoptions nous amènent à nous interroger sur le sort qui sera réservé aux dossiers en cours après l'adoption de l'accord d'adoption franco-russe.
Tout d'abord, en termes de suivi post-adoption, la question de la rétroactivité de la procédure a été posée. Dans ce cas, toutes les familles ayant adopté des enfants russes, encore mineurs à ce jour, auraient été concernées. Une telle procédure est lourde et coûteuse, puisque les rapports répondent à des normes précises ; il s'agissait donc d'un point à éclaircir. Néanmoins, d'après les informations portées à la connaissance de votre rapporteur, il semblerait que ce suivi alourdi ne concerne finalement que les nouveaux adoptants.
Également, en faisant peser la charge de la responsabilité de ces rapports sur les opérateurs agréés, ce décret exige d'eux de pouvoir fournir un important travail de suivi qui nécessitera obligatoirement un renforcement des effectifs et des moyens dédiés.
Enfin, ce suivi sur longue durée peut être mal vécu par les familles, car si de telles demandes sont courantes lors des processus d'adoption, et même explicitement prévues par la législation française, elles sont en général limitées aux premières années suivant l'arrivée de l'enfant au foyer : 4 rapports pour l'Inde ou la Colombie, 6 rapports pour la Chine ...
S'agissant des dossiers individuels en cours, et en particulier ceux des célibataires ayant déposé un dossier d'adoption en Russie avant l'entrée en vigueur de la loi du 03/07/2013, ceux-ci sont actuellement bloqués. Il est difficile de les chiffrer, du fait du nombre important de procédures individuelles. D'après les estimations de la mission pour l'adoption internationale, il s'agirait d'environ 400 dossiers.
Le paragraphe 6 de l'article 12 de cette loi prévoit que les requêtes en adoption déposées devant la juridiction russe avant l'entrée en vigueur de la loi seront examinées par les tribunaux russes selon la législation antérieurement applicable. On serait donc en droit d'espérer une issue favorable pour les dossiers en question.
La question se pose, néanmoins, pour le cas des célibataires ayant déposé un dossier avant l'entrée en vigueur de cette loi. Au nombre de douze, ces femmes se sont réunies au sein d'un collectif. Déjà apparentées, toute interruption de la procédure à leur égard serait source de souffrance pour elles et pour les enfants qui les ont déjà identifiées comme leur future maman. D'après les informations portées à la connaissance de votre rapporteur, il semblerait que les dispositions transitoires de la loi en question précisent que les requêtes déposées avant l'entrée en vigueur soient recevables devant les tribunaux. Il s'agira bien sûr d'un point à confirmer rapidement et votre rapporteur espère un dénouement favorable, engageant les autorités françaises à demander aux autorités russes de porter une attention bienveillante sur ces quelques cas.
Du fait de la non-ratification par la France du présent traité, la procédure devant être suivie par les juges lors de l'examen d'une demande d'adoption a été précisée par la Cour Suprême, qui invite donc l'ensemble des cours à vérifier : si l'adoption est sollicitée par des ressortissants d'un pays ayant légalisé le mariage pour tous, si une convention bilatérale est en vigueur entre la Russie et ledit pays, si la législation interne du pays dont provient la demande prévoit le cas du replacement d'un enfant adopté.
La ratification du présent traité est donc indispensable pour que l'examen des dossiers se fasse de façon plus fluide, dans l'intérêt de tous, et principalement celui des enfants.