N° 639
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juin 2013 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires économiques (1), sur l'ouverture de négociations en vue d'un Partenariat transatlantique (texte E 8165)
Par M. Daniel RAOUL,
Sénateur.
et TEXTE DE LA COMMISSION
(1) Cette commission est composée de : M. Daniel Raoul , président ; MM. Claude Bérit-Débat, Martial Bourquin, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Pierre Hérisson, Joël Labbé, Mme Élisabeth Lamure, M. Gérard Le Cam, Mme Renée Nicoux, M. Robert Tropeano , vice-présidents ; MM. Jean-Jacques Mirassou, Bruno Retailleau, Bruno Sido , secrétaires ; M. Gérard Bailly, Mme Delphine Bataille, MM. Michel Bécot, Alain Bertrand, Mme Bernadette Bourzai, MM. François Calvet, Roland Courteau, Marc Daunis, Claude Dilain, Alain Fauconnier, Didier Guillaume, Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Jean-Claude Lenoir, Philippe Leroy, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Michel Magras, Jean-Claude Merceron, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Mireille Schurch, M. Yannick Vaugrenard. |
Voir le(s) numéro(s) :
Sénat : |
522 , 526 , 577 |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Lors de leur réunion du 28 novembre 2011, les présidents Obama, Barroso et Van Rompuy ont lancé le projet d'un accord commercial bilatéral entre l'Union européenne et les États-Unis.
Le groupe de travail de haut niveau mis en place pour réfléchir à la faisabilité de ce projet a rendu son rapport en février 2013. Il envisage un accord commercial global, comportant une réduction des barrières tarifaires mais aussi la suppression d'un certain nombre de barrières non tarifaires. Pour l'Europe, votre rapporteur y reviendra, c'est ce dernier point qui constitue aujourd'hui l'enjeu essentiel de la relance du commerce transatlantique. L'accord pourrait aussi viser une convergence de certaines règles qui, sans relever directement de la régulation commerciale, ont cependant un impact indirect sur la compétitivité, telles que les règles environnementales ou sociales. Enfin, bien entendu, l'accord envisagé est global parce qu'il pourrait concerner un très grand nombre de secteurs d'activités stratégiques pour l'Europe et la France, aussi bien dans les secteurs agricoles et industriels que dans les services - à telle enseigne qu'un des enjeux des négociations européennes est d'ailleurs, à ce stade de déterminer les secteurs qui doivent être a priori exclus du champ de la négociation. Au total, le rapport du groupe de travail de haut niveau met en exergue les retombées économiques positives que pourrait avoir, pour les deux parties, la signature d'un tel accord.
Au mois de février 2013, le Conseil européen s'étant déclaré favorable à la conclusion d'un accord commercial de ce type, la Commission européenne a décidé, dès le mois mars dernier, de passer immédiatement à l'étape suivante, à savoir la définition du mandat de négociation qui sera confié au commissaire européen, Karel de Gucht, pour mener les discussions au nom de l'Union européenne tout entière. Les États membres travaillent donc actuellement sur la définition de ce mandat, qui doit être formellement adopté lors du Conseil de l'Union européenne du 14 juin prochain.
Il est évident que la définition de ce mandat constitue une étape à la fois cruciale et complexe vers le futur accord commercial transatlantique. C'est une étape complexe en raison de la grande hétérogénéité des points de vue et des intérêts des États européens. Par exemple, sur des questions aussi importantes pour la France que la défense de l'exception culturelle ou l'ouverture des marchés publics, notre pays n'est pas certain d'être soutenu. Du côté américain, il existe également sans doute une grande hétérogénéité d'intérêts parmi les États fédérés. Cependant, la différence de taille entre l'Union européenne et les États-Unis est que, la définition de la politique commerciale commune étant une compétence de l'Union européenne, l'accord négocié par la Commission européenne, après ratification par le Conseil de l'Union et le Parlement européen, s'appliquera obligatoirement aux États membres, alors que, dans le cas américain, l'accord signé par le gouvernement fédéral ne sera pas applicable aux États fédérés sans leur accord exprès.
L'étape de la définition du mandat de négociation est également une étale cruciale, car les États membres, une fois le mandat défini, n'auront plus de prise directe sur les négociations -ils seront néanmoins consultés et tenus informés régulièrement via le comité de politique commerciale prévu au paragraphe 3 de l'article 207 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les États membres qui n'auront pas obtenu la prise en compte de leur point de vue dès le départ dans la définition des termes du mandat de négociation auront donc le plus grand mal à le faire prévaloir par la suite.
En somme, les décisions qui seront prises le 14 juin prochain lors du Conseil de l'Union européenne seront déterminantes. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement français doit pouvoir compter sur l'appui du Parlement français. C'est tout l'enjeu de la proposition de résolution relative à l'ouverture de négociation en vue d'un partenariat transatlantique . Il s'agit pour le Sénat, à travers ce texte, de s'exprimer sur l'ensemble du mandat de négociation, de dire quelles doivent être les priorités poursuivies par le futur accord et de tracer les lignes jaunes à ne pas franchir. Ce faisant, il s'agit de renforcer le poids du Gouvernement français lors du prochain Conseil de l'Union européen, la Commission européenne et nos partenaires devant être convaincus que, sur ces questions, la France parle d'une seule voix qui exprime un véritable consensus national.
Dès le 15 mai 2013, sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution, la commission des affaires européennes du Sénat a adopté la proposition de résolution européenne n° 577 qui reprend, en les élargissant, les préoccupations exposées dans deux propositions de résolution déposées, respectivement par Mme Marie-Christine Blandin (n° 522) et M. Pierre Laurent (n° 526), relatives à la dimension culturelle de la négociation.
Conformément à la procédure prévue par l'article 75 quinquies du Règlement du Sénat, cette résolution a été renvoyée à la commission permanente du Sénat compétente au fond, en l'occurrence la commission des affaires économiques.
Pour que Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, puisse s'en prévaloir lors du Conseil de l'Union européenne, le 14 juin prochain, votre commission a inscrit l'adoption de ce texte à son ordre du jour du mercredi 5 juin 2013. Le texte adopté aujourd'hui pourra ainsi devenir une résolution officielle du Sénat en temps utile pour la tenue du Conseil de l'Union européenne.
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Le rapport du président Simon Sutour, sur la base duquel la commission des affaires européennes a adopté la proposition de résolution n° 577 relative à l'ouverture de négociation en vue d'un partenariat transatlantique , contient tous les éléments nécessaires à l'information des sénateurs pour prendre une décision éclairée sur ladite résolution. Votre rapporteur se contentera donc de mettre en exergue ici les principes essentiels, qui fondent le vote de votre commission.
Ce texte s'attache en premier lieu à exprimer clairement quels sont les intérêts commerciaux offensifs et défensifs que, du point de vue de la France, le mandat de négociation de l'accord commercial transatlantique devra prendre en compte.
Parmi les intérêts offensifs , figurent :
- la réciprocité dans l'ouverture des marchés publics . C'est un point dont votre commission a déjà traité lors de l'adoption de la résolution européenne n° 38 du 26 novembre 2012 sur la réciprocité dans l'ouverture des marchés publics . L'Union européenne applique en effet une règle de non discrimination qui conduit à ouvrir tous ses marchés publics aux concurrents étrangers sans demander à ses partenaires commerciaux d'en faire de même en retour ;
- la nécessité d'une protection effective des droits de propriété intellectuelle , et particulièrement des indications géographiques , sur les vins comme sur les autres produits agricoles et agroalimentaires. Un accord commercial global avec les américains doit impérativement être l'occasion de faire progresser cette question à l'arrêt depuis des années. Outre l'intérêt qu'une telle avancée représentait pour les exportateurs européens sur le marché américain, un accord sur ce point offrirait un levier précieux dans des négociations futures avec des pays tiers ;
- la nécessité de mettre fin aux distorsions de concurrence que des règles de régulation différentes génèrent dans le domaine des services financiers . L'Union européenne s'est engagée dans un effort de renforcement des exigences et du contrôle prudentiels pour ses établissements de crédits, ses sociétés d'investissements et ses sociétés d'assurance. Pour un exposé synthétique et complet sur ces questions, votre rapporteur renvoie au rapport pour avis du 13 mars 2013, de M. Yannick Vaugrenard, sur la loi de séparation et de régulation des activités bancaires . En particulier, se pose la question de l'application des accords de Bâle III que les États-Unis ne semblent pas avoir l'intention de mettre en oeuvre, à la différence de l'Union qui a prévu de les intégrer la directive CRD IV en cours de finalisation ;
- enfin, le texte de la résolution n° 577 souligne la nécessité de réduire les barrières non tarifaires liées principalement aux procédures de douane et aux restrictions réglementaires internes , notamment sanitaires. Il est proposé de progresser vers une reconnaissance mutuelle des normes et des procédures en vigueur de part et d'autre de l'Atlantique.
La proposition de résolution adoptée par la commission des affaires européennes du Sénat identifie également des intérêts défensifs :
- en premier, bien sûr, la défense de l'exception culturelle . Le document de travail servant de base aux discussions pour définir le mandat de négociation de l'accord commercial transatlantique ne prévoit en effet pas explicitement d'exclure du champ de la négociation les échanges de biens et services et les investissements en matière culturelle. Il indique simplement que l'accord « ne devra contenir aucune disposition risquant de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union, notamment dans le secteur audiovisuel ». C'est insuffisant. Le texte de la résolution de la commission des affaires européennes du Sénat demande donc au Gouvernement de requérir l' exclusion explicite des services audiovisuels du mandat de négociation. Le texte rappelle d'ailleurs que, selon l'article 207 du traité de l'Union européenne, la libéralisation des services audiovisuels en Europe ne peut se faire que par une décision unanime des États membres et qu'un accord commercial avec les États-Unis impliquant une telle libéralisation aboutirait presque certainement à un véto qui ruinerait l'ensemble de l'accord commercial. Il y a donc intérêt à retirer clairement ce point du mandat dès le départ ;
- la proposition de résolution requiert également l'exclusion explicite des marchés publics de défense et de sécurité afin de préserver l'industrie de défense européenne et ne pas menacer la souveraineté de l'Union européenne en ce domaine stratégique ;
- enfin, le texte appelle à rester vigilant sur le traitement des produits sensibles, notamment agricoles . L'accord final devra permettre un traitement spécifique pour les lignes tarifaires les plus sensibles, c'est-à-dire concrètement rendre possible la mise en place de quotas ou une clause de sauvegarde pour les productions agricoles les plus menacées. Le rapport de la commission des affaires européennes mentionne expressément les filières d'élevage qui, en raison des normes européennes plus sévères en matière de normes sociales, environnementales et de bien-être animal, sont moins compétitives que leurs homologues américaines.
En-dehors des intérêts commerciaux directs, la proposition de résolution n° 577 demande que le mandat de négociation aborde aussi un certain nombre de questions connexes , qui, sans relever stricto sensu du domaine commercial, contribuent néanmoins à une concurrence loyale et à une croissance durable :
- le texte estime ainsi souhaitable que l'accord contienne des dispositions encourageant l'adhésion aux normes et accords internationalement reconnus dans les domaines du travail et de l'environnement , ainsi que leur mise en oeuvre. C'est un point qui figure déjà dans le projet de mandat de négociation diffusé par la Commission européenne, mais dont on doit veiller à ce qu'il ne soit retiré du mandat de négociation final ;
- la résolution demande également que la négociation commerciale prenne en compte la question des règles de concurrence, et notamment les conditions dans lesquelles interviennent les subventions publiques susceptibles de fausser la concurrence.
Pour finir, un dernier point très important dans la proposition de résolution mérite d'être souligné : à savoir que ce texte demande que l'accord commercial soit contraignant pour tous les niveaux d'administration ainsi que pour toutes les autorités de régulation et autres autorités compétentes des deux parties. L'enjeu est notamment d'impliquer les États fédérés américains dans l'accord, ainsi que les autorités de régulation, notamment financières. C'est un point essentiel pour garantir une vraie réciprocité dans les engagements des parties.
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Voilà, rappelé à grands traits, le contenu de cette proposition de résolution. Votre commission considère que ce texte est équilibré. Il part du principe que la France et l'Europe ont des intérêts à faire valoir et que cet accord peut être l'occasion, l'opportunité de les promouvoir. Votre rapporteur ajoute qu'un accord entre l'Europe et les États-Unis pourrait avoir un effet d'entraînement fort pour relancer les négociations multilatérales au point mort depuis des années.
Ce texte reconnaît également que, s'il ne faut pas s'engager à reculons dans la négociation commerciale, il ne faut pas non plus s'y engager naïvement - d'où la nécessité d'identifier clairement les intérêts défensifs de la France et de poser les conditions institutionnelles d'un accord pertinent, parmi lesquelles l'implication des États fédérés américains.
Votre commission a adopté sur proposition de votre rapporteur deux amendements pour renforcer ce texte. Le premier porte sur la non brevetabilité du vivant, dont il s'agit de préserver le principe en Europe. Le second concerne le refus de privatiser le règlement des différends ente investisseurs et États.